(Nairobi) – Les autorités burundaises devraient libérer immédiatement et sans conditions l’avocat Tony Germain Nkina, condamné à cinq ans d’emprisonnement en juin 2021, très probablement à cause de ses activités passées en faveur des droits humains, ont déclaré aujourd’hui six organisations internationales de défense des droits humains.
Les organisations – Amnesty International, DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l'Est et de la Corne de l'Afrique), Human Rights Watch, l’Initiative pour les droits humains au Burundi, Protection International Africa et TRIAL International – sont convaincues que le motif probable de l’arrestation de Tony Germain Nkina est son ancienne affiliation à l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), l’une des principales organisations de défense des droits humains au Burundi jusqu’en 2015.
Les poursuites contre Tony Germain Nkina et son emprisonnement servent de rappel inquiétant des risques qui pèsent toujours sur ceux qui faisaient partie du mouvement des droits humains au Burundi, autrefois très dynamique. Les autorités burundaises devraient démontrer leur engagement à la protection des droits humains en libérant immédiatement Tony Germain Nkina et en abandonnant les charges contre lui. Les partenaires internationaux du Burundi devraient soutenir les appels à sa libération.
Tony Germain Nkina, avocat dans la province de Kayanza dans le nord du Burundi, a été arrêté le 13 octobre 2020 dans la commune de Kabarore, où il rendait visite à un client dans le cadre de ses activités professionnelles. Il a été brièvement détenu par le service de renseignement à Kayanza, puis transféré à la police, et enfin à la prison de Ngozi, où il est actuellement détenu.
Le mois d’octobre 2020 a été une période tendue à Kayanza suite à des attaques par un groupe armé dans les semaines précédentes, lors desquelles plusieurs personnes ont été tuées ou enlevées. Tony Germain Nkina visitait Kabarore, l’une des localités affectées, peu de temps après ces attaques. Les autorités l’ont accusé de collaborer avec le groupe d’opposition armé RED-Tabara (Mouvement de la résistance pour un état de droit au Burundi), auquel elles attribuent ces attaques, et l’ont inculpé pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État.
Le 15 juin, le tribunal de grande instance de Kayanza a déclaré Tony Germain Nkina coupable de “collaboration avec les rebelles qui ont attaqué le Burundi” et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement et une amende d’un million de francs burundais (environ 500 dollars US). Son client, Apollinaire Hitimana, qu’il conseillait dans le cadre d’un conflit foncier et qui a été arrêté avec lui, a été déclaré coupable de complicité à la même infraction et condamné à deux ans et demi d’emprisonnement et une amende de 500 000 francs burundais. Une audience en appel est prévue le 12 août à la cour d’appel de Ngozi.
Tony Germain Nkina était le représentant de l’APRODH à Kayanza jusqu’à ce que l’organisation soit suspendue par le gouvernement en 2015 dans le contexte d’une répression généralisée contre la société civile, suite à un mouvement d’opposition à la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat controversé. Tony Germain Nkina n’a pas travaillé pour l’APRODH ni pour aucune autre organisation de la société civile burundaise depuis six ans. Il est un avocat bien connu à Kayanza et membre du barreau de Gitega. Toutefois, les autorités à Kayanza pourraient toujours l’associer à l’APRODH, tout particulièrement parce qu’il conduisait son ancienne moto de l’APRODH le jour de son arrestation.
Le procureur l’a accusé, entre autres, d’être allé au Rwanda pour livrer des informations au président de l’APRODH, Pierre Claver Mbonimpa, qui vit en Europe, ainsi qu’à RED-Tabara. Le procureur n’a présenté aucune preuve pour justifier ces allégations.
Tony Germain Nkina serait le seul ancien membre d’une organisation des droits humains actuellement emprisonné au Burundi. Deux autres défenseurs des droits humains ont été libérés plus tôt en 2021.
Contexte
L’APRODH était l’une des organisations de défense des droits humains les plus actives et les mieux connues au Burundi. Pierre Claver Mbonimpa a échappé de justesse à une tentative d’assassinat en 2015 avec des blessures qui auraient pu être fatales. Le fils et le gendre de Pierre Claver Mbonimpa ont tous les deux été abattus en 2015.
Le représentant de l’APRODH dans la province de Gitega, Nestor Nibitanga, a été arrêté en 2017 et condamné en 2018 à cinq ans d’emprisonnement pour des infractions similaires à celles formulées contre Tony Germain Nkina. Il a été libéré en avril 2021 dans le cadre d’une mesure de grâce accordée à plus de 5 000 prisonniers par le président Évariste Ndayishimiye.
Un autre défenseur des droits humains, Germain Rukuki, a été arrêté en 2017 et condamné à 32 ans d’emprisonnement en 2018 sur la base d’accusations fabriquées, liées à son travail en faveur des droits humains. Sa peine a été confirmée par la Cour d’appel en 2019, mais par la suite, la décision de la Cour d’appel a été annulée par la Cour suprême. La Cour d’appel a réduit sa peine à un an en juin 2021. Il a été libéré le même mois.
Les organisations de la société civile et les médias au Burundi ont été parmi les premières cibles de la répression gouvernementale en 2015. Le gouvernement a suspendu ou radié la plupart des organisations de défense des droits humains et médias indépendants et les a contraintes à l’exil. Malgré certaines ouvertures de la part du président Ndayishimiye envers les médias en 2021, le gouvernement burundais continue de considérer avec suspicion le travail en faveur des droits humains, et de sévères restrictions aux droits humains, notamment à la liberté d’expression, sont toujours en place.
La plupart des organisations indépendantes de défense des droits humains n’ont pas pu reprendre leurs activités au Burundi, surtout que les autorités burundaises ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs de leurs principaux membres en exil. Douze défenseurs des droits humains et journalistes étaient parmi un groupe de trente-quatre personnes condamnées à l’emprisonnement à perpétuité, en l’absence des accusés, en juin 2020. Ils étaient accusés d’implication dans une tentative de coup d’état en mai 2015. Le jugement de la Cour suprême n’a été rendu public qu’en février 2021.