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Questions-réponses : Renouvellement du mandat de la Commission internationale d’experts en droits de l’homme sur l’Éthiopie (ICHREE)

Réponses a des questions clés au sujet de cette Commission (International Commission of Human Rights Experts on Ethiopia, ICHREE)

En décembre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a créé un nouveau mécanisme pour enquêter sur les allégations de violations et d’abus du droit international des droits de l’homme, du droit humanitaire et du droit des réfugiés en Éthiopie, commises depuis le 3 novembre 2020 par toutes les parties au conflit. Le mandat d’un an de l’ICHREE expirera bientôt et devra être renouvelé lors de la 51ème session du Conseil des droits de l’homme.

Si l’attention de la communauté internationale a sans doute diminué concernant l’Éthiopie, de graves violations à l’encontre des civils se poursuivent, tant dans le nord de l’Éthiopie que dans d’autres régions du pays, et ce dans un contexte d’impunité généralisée. Des combats ont également éclaté fin août dans le nord de l’Éthiopie, renouvelant les inquiétudes quant à l’impact des combats sur les civils. Le mandat de l’ICHREE reste donc essentiel.

Nous donnons ci-dessous quelques réponses à des questions clés concernant le travail de l’ICHREE, les raisons pour lesquelles son mandat devrait être renouvelé par le Conseil des droits de l’homme, et le temps et les ressources qui devraient lui être consacrés pour mettre en œuvre son important mandat.

1)     Quelle est la situation actuelle des droits humains en Éthiopie ?

Des abus persistants dans le nord de l’Éthiopie, notamment au Tigré

Nettoyage ethnique dans le Tigré occidental

En avril 2022, Human Rights Watch a publié, conjointement avec Amnesty International, un rapport documentant une campagne de nettoyage ethnique constitutive de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, engagée depuis novembre 2020 contre la population civile tigréenne dans la zone du Tigré occidental par les responsables nouvellement nommés et les forces de sécurité régionales et milices de la région d’Amhara, avec l’assentiment et la possible participation des forces fédérales éthiopiennes.

Ces abus, notamment les exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, arrestations arbitraires et expulsions forcées de Tigréens, n’avaient pas été couverts par l’enquête conjointe de la Commission nationale éthiopienne des droits de l’homme (Ethiopian Human Rights Commission, EHRC) et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et se poursuivent eux aussi à ce jour. Des centaines, voire des milliers, de Tigréens sont toujours détenus dans la zone du Tigré occidental dans des conditions qui mettent leur vie en danger et qui peuvent s’apparenter au crime contre l’humanité qu’est l’extermination. Pourtant, le suivi de la situation reste minimale, avec une présence humanitaire limitée sur le terrain, sans accès aux détenus.

Poursuite du siège effectif du Tigré

L’obstruction de l’aide humanitaire, les attaques et les intimidations dirigées contre les travailleurs humanitaires, et le manque d’accès aux services de base font partie des principales caractéristiques du conflit depuis novembre 2020. Nombre de ces tendances persistent aujourd’hui. Depuis juin 2021, le gouvernement fédéral a imposé un siège effectif à la région du Tigré, refusant aux civils l’accès aux services de base et à une aide dont ils ont grandement besoin. Les actes du gouvernement et leur incidence n’ont pas été couverts par le rapport de l’enquête conjointe HCDH/EHRC.

Suite à la déclaration par le gouvernement d’une trêve humanitaire fin mars 2022, des convois humanitaires ont pu entrer au Tigré pour la première fois depuis des mois. Mais cette réponse a été entravée par des restrictions permanentes sur le carburant et sur l’argent et n’a pas été à la hauteur de l’ampleur des besoins.

Les services de base, notamment les services bancaires, l’électricité et les télécommunications, qui sont largement contrôlés par les autorités fédérales et sont essentiels à la survie même de la population, sont coupés depuis plus d’un an, causant un préjudice disproportionné à la population civile, entravant les opérations humanitaires et limitant la production de rapports en temps réel. L’accès aux produits de première nécessité s’est politisé, les autorités éthiopiennes ayant déclaré que l’accès humanitaire durable et la reprise des services de base ne se feraient qu’à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu.

Après la reprise des hostilités le 24 août, les forces tigréennes auraient saisi du carburant stocké dans un entrepôt des Nations Unies à Mekelle, la capitale du Tigré, et destiné à être utilisé à des fins humanitaires, selon l’ONU . Le 26 août, une frappe aérienne à Mekelle a tué au moins quatre personnes, dont deux enfants, selon les médias. L’aide internationale au Tigré, acheminée par la route et par voie aérienne, est suspendue depuis lors. Les combats se sont également poursuivis dans la région et des informations font état de la participation des forces érythréennes à des offensives dans la région.

Abus graves dans d’autres zones affectées par le conflit

Les forces tigréennes ont commis de graves abus qui pourraient s’apparenter à des crimes de guerre, notamment des exécutions sommaires, des violences sexuelles et des attaques contre des structures civiles telles que des établissements de santé dans les régions d’Amhara et d’Afar, après que le conflit s’y soit étendu en juillet 2021. Depuis cette date, les organismes d’aide ont eu des difficultés à accroître leur réponse pour faire face aux besoins actuels dans ces deux régions. La reprise des combats en août a entraîné de nouveaux déplacements de populations dans les régions Amhara et Afar, et des pillages et des destructions de biens ont été signalés.

Depuis le début du conflit, dans toute l’Éthiopie, les autorités éthiopiennes ont également détenu arbitrairement, fait disparaître de force et fait subir des discrimination à des milliers de personnes d’ethnie tigréenne, notamment des rapatriés d’Arabie saoudite. Plusieurs Tigréens ont également été maintenus en détention longtemps après la levée de l’état d’urgence dans l’ensemble du pays, en janvier 2022.

Dans la région d’Oromia, les forces gouvernementales fédérales et régionales sont engagées depuis 2019 dans un conflit armé avec le groupe armé de l’Armée de libération oromo (Oromia Liberation Army, OLA). Ce conflit a entraîné de nombreuses exactions contre la population civile. Des attaques à grande échelle contre les communautés minoritaires se sont poursuivies dans l’ouest d’Oromia, avec notamment le meurtre de centaines d’Amharas en juin et juillet 2022.

2)     Pourquoi le mandat de l’ICHREE doit-il être renouvelé ?

Bien que la résolution de décembre 2021 portant création de l’ICHREE ait appelé, comme l’a expliqué le président lors de sa mise à jour orale de juin au Conseil, à ce qu’elle soit immédiatement opérationnelle, l’équipe ne l’a effectivement été qu’à partir de mai 2022. Les autorités éthiopiennes ont refusé de coopérer avec la Commission, ont rejeté son mandat et ont introduit des résolutions à l’Assemblée générale de l’ONU pour interrompre son financement. En conséquence, l’ICHREE s’est vue accorder moins de personnel que demandé pour assumer son mandat.

En juillet, le gouvernement a énoncé ses exigences en matière de coopération avec l’ICHREE, en demandant que la Commission ne reprenne pas le travail de l’enquête conjointe menée par la Commission nationale éthiopienne des droits de l’homme (EHRC) et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et en exigeant que le gouvernement soit informé des modalités de son engagement. Ces deux conditions entraîneraient une ingérence injustifiée dans le travail d’un mécanisme indépendant mandaté par le Conseil des droits de l’homme.

Malgré les limitations de temps et les contraintes de financement qui pèsent sur son mandat, l’ICHREE a fait de réels progrès. Cependant, pour remplir le mandat qui lui a été confié par le Conseil des droits de l’homme, il a besoin de plus de temps et des ressources adaptées.

La gravité, la portée et l’ampleur des abus commis depuis le début du conflit sont considérables, et il faudra du temps pour mener des recherches complètes, crédibles, approfondies et respectueuses des principes sur la situation.

Il convient de souligner que la production de rapports indépendants en temps réel a été considérablement entravée depuis le début du conflit en raison de la coupure des moyens de télécommunication par le gouvernement, ce qui signifie que les enquêtes ont pris du retard et que les principaux abus et incidents n’ont pas encore été identifiés et documentés.

L’accès des journalistes et enquêteurs des droits humains aux régions touchées par le conflit a été restreint dans un contexte plus large de harcèlement des journalistes. Le Comité de protection des journalistes a ainsi signalé qu’au moins huit journalistes avait été détenus en août 2022.  

Il est également crucial de veiller à ce que des enquêtes approfondies soient menées sur les incidents et les pratiques abusives qui ont eu lieu dans les régions d’Amhara et d’Afar pendant la période où les forces tigréennes étaient présentes, et sur leurs répercussions.

3)      L'Éthiopie prend des mesures pour garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes. Quelle valeur ajoutée l'ICHREE apporte-t-elle ?  

Les enquêtes et les efforts de responsabilisation aux niveaux national, régional et international ne s’excluent pas mutuellement et peuvent s’avérer complémentaires. Les partenaires internationaux et régionaux de l'Éthiopie devraient chercher à trouver les moyens de soutenir des processus et des efforts internes crédibles en matière d'obligation de rendre des comptes, aux niveaux national et international.

Le gouvernement a pris des mesures pour mettre en place des institutions chargées d’enquêter sur les abus les plus graves et de comprendre les causes profondes de la violence en Éthiopie.  Cependant, au vu de l’étendue et de l’ampleur des violations commises, de la variété des acteurs impliqués, du contexte de reprise des hostilités et de la participation des forces érythréennes qui ont commis des violations depuis le début du conflit dans le nord de l’Éthiopie, et des antécédents d’impunité pour les crimes graves en Éthiopie, Human Rights Watch ne pense pas que les mesures prises jusqu’à présent ou l’obligation de rendre des comptes prise au niveau national permettront de rendre la justice et d’offrir des réparations suffisantes aux victimes, ou de garantir que la justice joue un rôle préventif en la matière.

Préoccupations liées à la mise en œuvre des processus de responsabilisation au niveau national – retards et manque de transparence et de respect des procédures

Depuis plusieurs années, Human Rights Watch a documenté les préoccupations liées à la mise en œuvre des processus de responsabilisation au niveau national pour les crimes graves commis en Éthiopie. Au cours des trois dernières années, malgré les enquêtes qui ont été ouvertes et les commissions qui ont été créées, nous avons constaté que les enquêtes lancées suite à de graves épisodes de violence ont été lentes et ternies par des problèmes de procédure. Ces efforts ont également souffert d'un manque de transparence, rendant impossible tout examen indépendant de telles initiatives.

 

Lacunes normatives dans les lois éthiopiennes

A l’instar du rapport conjoint OHCHR/EHRC, les organisations de défense des droits humains ont constaté que les violations flagrantes commises dans le cadre du conflit dans le nord de l’Éthiopie pouvaient s’apparenter à des crimes contre l’humanité et à des crimes de guerre. Toutefois, les lacunes normatives du droit national éthiopien, notamment l’absence de reconnaissance ou de criminalisation des « crimes contre l’humanité » dans le Code pénal éthiopien, signifient que les crimes commis peuvent être reconnus comme des crimes distincts ou isolés par les institutions nationales éthiopiennes. Une telle approche se situe bien en deçà des exigences d’une enquête ou de poursuites pour crime contre l’humanité, dans le cadre desquelles les abus peuvent être généralisés ou systématiques, et concerner de multiples victimes.

Système de justice militaire – préoccupations quant à la transparence et à la régularité des procédures

La dépendance du gouvernement éthiopien vis-à-vis du système des tribunaux militaires pour juger des violations graves commises par les forces militaires éthiopiennes souligne un manque de transparence des procédures et soulève des inquiétudes quant à la régularité procédurale, la manière dont la justice est rendue et la possibilité de réparations pour les victimes et les survivants de crimes graves.

En mai 2021, le Bureau du Procureur général a publié les conclusions de son enquête sur les allégations d’atrocités commises par les forces éthiopiennes et érythréennes à Axum. L’enquête a ignoré le rôle des forces éthiopiennes dans les exécutions extrajudiciaires et le pillage des infrastructures et des biens civils, ou encore dans l’atroce massacre de centaines de civils commis pendant 24 heures dans cette ville par les forces érythréennes.

Le 21 mai 2021, suite à la pression de l’opinion publique, le Bureau du Procureur général a publié un résumé des efforts entrepris jusqu’à présent par les autorités éthiopiennes eu égard à son obligation de rendre des comptes. Il a déclaré que les forces érythréennes avaient tué plus de 100 civils à Axum et que le système de justice militaire avait engagé des poursuites contre 28 soldats éthiopiens accusés d’exécutions extrajudiciaires et de 25 autres soldats éthiopiens accusés d’avoir commis des actes de violence sexuelle, ajoutant que 4 d’entre eux avaient été condamnés. La transparence autour de ces procès et condamnations, notamment le rôle et le grade des membres des forces armées, la question de savoir si des officiers supérieurs ou des autorités exerçant une responsabilité dans la chaîne de commandement ont eux aussi été tenus de rendre des comptes, et les éléments constitutifs de la responsabilité des  soldats accusés et de ceux qui ont été jugés responsables de ces crimes sont des questions qui n’ont toujours pas été élucidées. Le rapport conjoint du HCDH/EHRC s’inquiète également du fait que « les enquêtes menées par les institutions nationales éthiopiennes ne répondent pas à la portée et à l’ampleur des violations qu’il a identifiées... et que les enquêtes qui sont menées ne respectent pas suffisamment les normes internationales, notamment en matière de transparence » (paragraphe 376). Le rapport s’inquiète aussi du fait que « les institutions nationales n’abordent peut-être pas suffisamment les questions de responsabilité de la chaîne de commandement s’agissant des violations sur lesquelles elles enquêtent » (paragraphe 376).

En septembre, le gouvernement a reconnu qu’une commission d’enquête, mise sur pied par le ministère de la Défense, avait compté 60 cas de crimes relatifs à des meurtres extrajudiciaires et à des violences sexuelles qui avaient été confiés à des tribunaux militaires. Jusqu’à août 2022, les tribunaux militaires ont prononcé 25 condamnations et 2 acquittements. Cependant, aucune information n’a été rendue publique sur le grade des personnels des forces fédérales éthiopiennes impliqués, sur les lieux où les abus ont été commis, sur les méthodes employées pour enquêter sur les abus dans lesquels les forces régionales sont impliquées, ni sur les moyens d’accéder aux procédures pour les survivants ou pour les membres des familles des victimes.

Absence de progrès dans les enquêtes et l’obligation de rendre des comptes pour les abus commis par les forces érythréennes

En outre, on ignore quelles mesures le gouvernement éthiopien a prises pour obtenir la coopération du gouvernement érythréen afin d’enquêter sur les abus commis par les forces érythréennes à Axum et dans d’autres régions du Tigré, notamment les exécutions extrajudiciaires, les violences sexuelles et les pillages, et pour demander des comptes à ce sujet.

Il est important de noter que le rapport conjoint OHCHR/EHRC a déclaré qu’il n’avait pas été en mesure de faire le suivi des efforts d’enquête du gouvernement ou de les confirmer, et a fait part de ses préoccupations quant au fait que les procédures ne respectaient pas les normes internationales, notamment en matière de transparence. Dans sa réponse aux conclusions du rapport conjoint HCDH/EHRC, le gouvernement a également reconnu la condamnation de sept soldats et « s’est engagé à divulguer publiquement les dossiers de ces procès », mais n’a communiqué aucune autre information au public à ce jour (page 138).

Groupe de travail interministériel – lenteur des progrès et absence de contrôle indépendant

En novembre 2021, suite à la publication du rapport conjoint HCDH/EHRC, l’Éthiopie a créé un Groupe de travail interministériel éthiopien (Ethiopian Inter-Ministerial Taskforce, IMTF) sur la Responsabilité et la Réparation, afin d’enquêter sur les violations du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire dans le contexte du conflit dans les régions du Tigré, d’Afar et d’Amhara.

Le 21 septembre, l’IMTF a publié un rapport préliminaire sur son enquête criminelle sur les allégations de violations des lois nationales et du droit international commises par les parties au conflit dans le nord de l’Éthiopie. Ce rapport examinait des abus thématiques commis dans les régions d’Afar et d’Amhara comme « Piste 1 » de l’enquête criminelle et établissait que les forces tigréennes avaient commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.  

 

Human Right Watch reste toutefois préoccupé par le manque de suivi indépendant des enquêtes du groupe de travail, et de transparence quant à l’alignement de ses méthodes d’enquête et de ses stratégies judiciaires avec les normes internationales.

L’IMTF a affirmé qu’elle prévoyait d’enquêter également sur les allégations de violations commises par les forces fédérales éthiopiennes et leurs alliées au Tigré, y compris au Tigré occidental, et de conclure ces enquêtes vers la fin décembre 2022. Cependant, il n’a pas été clairement dit comment l’IMTF prévoyait d’enquêter sur les abus au Tigré, et comment les violations graves commises par les forces érythréennes seraient traitées. Par exemple, alors que le rapport de l’IMTF reconnaît que le Tigré occidental est sous le contrôle des forces fédérales et régionales d’Amhara, il indique que la « situation dans ces régions en matière de sécurité demeure défavorable à l’accomplissement de toute enquête sérieuse ». 

On ignore aussi comment l’IMTF et le gouvernement prévoient d’enquêter sur les situations et incidents qui n’ont pas été documentés dans le rapport conjoint OHCHR/EHRC. Si le rapport conjoint OHCHR/EHRC a clairement indiqué qu’il n’identifierait pas les principaux responsables et les questions de responsabilité de la chaîne de commandement, il a également fait part de ses préoccupations quant au manque de clarté s’agissant de la manière dont, à ce jour, les actions relevant de l’obligation de rendre des comptes au niveau national traiteraient de la responsabilité de la chaîne de commandement. 

Rôle complémentaire de l’ICHREE

L’ICHREE a un rôle important à jouer pour combler les lacunes relevées dans les mesures prises par le gouvernement jusqu’à présent, notamment eu égard au mandat qui lui revient de faire des recommandations sur la justice transitionnelle et la réconciliation, d’identifier les responsables, de protéger les preuves et de faire des recommandations concernant la mise en œuvre d’un éventuel processus de responsabilisation. Les conclusions du mécanisme pourraient également alimenter les processus judiciaires au niveau national ou pourraient alimenter d’autres mécanismes judiciaires à plus long terme, au cas où les processus nationaux ne permettraient pas d’aboutir à la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes.

4)      Sur quelle période doit porter l’enquête de l’ICHREE ?

L’ICHREE a pour mandat d’enquêter sur les violations commises par toutes les parties au conflit depuis le 3 novembre 2020. L’ICHREE est un mécanisme d’experts indépendants et doit être autorisée à décider sans interférence de la direction prises par ses enquêtes.

Le gouvernement éthiopien souhaite que l’ICHREE concentre ses enquêtes sur la période postérieure à juin 2021, en s’appuyant sur le fait que le rapport conjoint HCDH/EHRC a déjà couvert les abus et violations commis au cours des huit premiers mois du conflit (novembre 2020 – juin 2021).

Dans leur compte rendu de juin au Conseil, les présidents de l’ICHREE ont explicitement déclaré qu’ils « s’appuieraient sur le rapport [conjoint OHCHR/EHRC] d’une manière qui apporte une valeur ajoutée et évite toute duplication inutile des efforts, sans limiter la portée temporelle ou géographique du mandat de la Commission ».

Human Rights Watch estime qu’il existe encore de nombreuses situations et de nombreux incidents qui nécessitent une enquête approfondie et plus poussée et qui n’ont été documentés ni dans le rapport conjoint OHCHR/EHRC, ni dans les informations recueillies et publiées par les médias, par les organisations des droits humains et par les organisations humanitaires.

Le rapport conjoint HCDH/EHRC a reconnu que ce document n’était pas une enquête exhaustive sur la crise dans le nord de l’Éthiopie, et souligné que les enquêteurs avaient dû faire face à des problèmes de sécurité, opérationnels et administratifs dans le cadre des visites prévues dans certaines parties du Tigré, et que cela avait eu pour résultat l’existence de lacunes dans leurs conclusions. Le rapport a explicitement appelé à la poursuite d’autres enquêtes indépendantes (paragraphes 354, 374).

Le rapport conjoint OHCHR/EHRC n’a par exemple pas couvert les massacres largement médiatisés dans certaines parties du Tigré, par exemple à Maryam Dengelat, Mabhere Dego, Debre Abay, ou le massacre du pont de Tekeze que Human Rights Watch et Amnesty ont documenté dans leur rapport conjoint. Il n’a pas enquêté sur les meurtres de plusieurs travailleurs humanitaires, tels que l’assassinat de trois membres du personnel de Médecins Sans Frontières. Le rapport fait peu de cas de certains des abus les plus graves et les plus continus commis par les forces et milices régionales d’Amhara contre les Tigréens dans le Tigré occidental, et n’enquête pas sur les graves abus qui se sont produits dans le contexte des détentions massives de Tigréens dans cette zone.

En outre, certains types d’abus ont persisté après le retrait des forces gouvernementales du Tigré à la fin du mois de juin 2021. Traiter de ces situations en leur appliquant des définitions arbitraires et limitées dans le temps, en restreignant la portée temporelle du travail de l’ICHREE, pose le risque de passer une fois encore à côté d’évolutions majeures dans ce conflit.

Dans la zone du Tigré occidental par exemple, de nouvelles vagues d’exactions ont été perpétrées après juin à l’encontre de la population tigréenne, notamment des arrestations massives et des expulsions forcées. La persistance de ces vagues de violence ne peut être déconnectée de la campagne de nettoyage ethnique qui a cours dans cette région depuis les premières semaines du conflit.

De même, si le rapport conjoint du HCDH/EHRC n’a pu confirmer l’existence d’un « refus délibéré ou volontaire de l’aide humanitaire à la population civile du Tigré » ou d’une « utilisation de la famine comme arme de guerre », il a reconnu la nécessité de compléments d’enquête sur les violations présumées liées au refus d’accès à l’aide humanitaire et aux meurtres de travailleurs humanitaires avant juin 2021. L’obstruction délibérée et continue de l’aide qui a vraisemblablement créé des dommages étendus aux civils était étroitement liée au siège effectif imposé par le gouvernement au Tigré depuis juin 2021.

La poursuite de l’important travail de documentation de l’ICHREE sur les abus négligés et non documentés depuis le début du conflit en novembre 2020 reste indispensable pour cimenter l’indépendance et l’impartialité de ce mécanisme.

5)     L’ICHREE peut-elle mener une enquête approfondie et crédible sans un accès à tout le territoire éthiopien ?

Malgré les obstacles importants auxquels la Commission a été et est confrontée, elle reste capable de mener des enquêtes et des rapports crédibles et essentiels sans avoir accès aux zones de conflit.

Si le gouvernement fédéral a bien rencontré l’équipe de l’ICHREE lors de sa visite à Addis-Abeba, les enquêteurs n’ont pas eu accès aux zones touchées par le conflit. L’équipe aurait besoin d’un accès complet et sûr à ces zones touchées, sans interférence du gouvernement, pour permettre à l’ICHREE de maintenir son indépendance en termes de portée et d’orientation de son travail. 

Le refus d’autoriser l’accès aux mécanismes internationaux est souvent un moyen pour les gouvernements d’éviter tout examen minutieux. Cependant, de nombreux mécanismes mis en place par le Conseil des droits de l’homme ont conçu des outils permettant de mener leurs enquêtes sans avoir accès aux territoires des pays concernés. Ce manque d’accès ne constitue pas un obstacle insurmontable pour garantir la production de rapports précis et solidement argumentés sur les violations et les abus, comme cela a été le cas, par exemple, avec la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur le Myanmar.

Les partenaires de l’Éthiopie devraient faire pression sur le gouvernement pour qu’il autorise un accès sûr des enquêteurs au territoire, mais l’absence d’accès ne devrait pas être un obstacle au travail de l’ICHREE.

Enfin, il ne fait aucun doute, comme l’a expliqué la Présidente lors de sa mise à jour orale de juin au Conseil, que l’ICHREE a besoin de ressources supplémentaires, eu égard aux réductions de postes initialement prévues.

 

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