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République centrafricaine : Un groupe armé a tué 46 civils

Son chef est un conseiller du Premier ministre

Rangée du haut, de gauche à droite : Augustin Vote (tué à Koundjili) ; Raphael Haoumi (tué à Lemouna) ; Zachée Gong-Pou (tué à Lemouna) ; Sosthène Kobaikera (tué à Lemouna) ; Evariste Ngororo (tué à Bohong). Rangée du bas, de gauche à droite : Olivier Yaboutouni (tué à Koundjili) ; Fernand Houltia (tué à Koundjili) ; Jean-Bosco Kella (tué à Bohong) ; Florentin Bissi (tué à Koundjili) ; Basile Houltia (tué à Koundjili). © 2019 Privé

(Nairobi) ­– Des combattants du groupe armé Retour, Réclamation et Réhabilitation, ou 3R, ont tué au moins 46 civils le 21 mai 2019 lors de trois attaques dans la province d’Ouham Pendé en République centrafricaine. En février, 14 groupes armés, dont les 3R, ont signé un accord de paix avec le gouvernement centrafricain et en mars, le commandant des 3R, le général Sidiki Abass (également connu sous le nom de Bi Sidi Souleymane), a été nommé, par décret présidentiel, conseiller militaire à la primature.

« Les meurtres de ces civils sont des crimes de guerre qui doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et leurs responsables doivent être traduits en justice », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le fait que des preuves mettent en cause les 3R et Abass, qui ont signé un accord de paix visant à mettre fin à de tels crimes, rend d’autant plus urgente la mise en place d’une enquête rapide et indépendante. »

Les attaques du 21 mai ont eu lieu à peu près en même temps dans la ville de Bohong et dans les villages de Koundjili et Lemouna, dans le nord-ouest du pays – ce qui suggère qu’elles ont été coordonnées. Plusieurs personnes ayant assisté à une réunion avec Abass à Bohong la veille de ces attaques ont affirmé à Human Rights Watch qu’il avait, lors de cette réunion, menacé de mener des attaques contre des civils.

En juin, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 36 personnes, dont 12 témoins des meurtres perpétrés par le groupe 3R ainsi que neuf proches des victimes, dans la province d’Ouham Pendé, notamment à Bohong, Koundjili et Lemouna. Ces personnes ont déclaré que des membres des 3R avaient tué des civils dans les trois localités et s’étaient rendus responsables de pillages à Bohong. Human Rights Watch s’est également entretenu avec un représentant des 3R le 15 juin à Bangui, la capitale.

Le groupe 3R est apparu fin 2015 en prétendant que sa présence était nécessaire à la protection de la minorité peule dans la région contre les attaques des milices anti-balaka qui visaient les musulmans suite aux violences qui avaient commencé début 2013. En avril et mai 2016, le groupe 3R a mené des attaques contre des villages de la sous-préfecture de Koui en représailles aux activités des milices anti-balaka. Les attaques des 3R contre des civils en 2016 et 2017 ont provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes dans la province d’Ouham Pendé.

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) compte 13 677 membres en uniforme, et dispose de forces prêtes au combat à Bocaranga, la capitale de la province d’Ouham Pendé. Ces soldats effectuent des patrouilles régulières sur les routes de Bohong, Koundjili et Lemouna. Dans le cadre de son mandat de protection des citoyens, la MINUSCA a le pouvoir d’utiliser la force si nécessaire et Human Rights Watch a déclaré que la mission devrait revoir ses protocoles opérationnels pour s’assurer que la protection des civils est maximisée.

Des Casques bleus de la MINUSCA montent la garde à Koundjili, dans le nord-ouest de la République centrafricaine, le 28 mai 2019. © 2019 GGt

Le 20 mai dernier, lors d’une réunion qui s’est tenue à Bohong entre les représentants du groupe 3R et les autorités locales, les participants ont entendu des coups de feu tirés au loin dans les environs. On ignore qui a tiré les coups de feu et pourquoi ils ont été tirés, mais les personnes interrogées ont déclaré qu’Abass avaient semblé très en colère en entendant certains participants à la réunion suggérer que les coups de feu avaient été tirés par des combattants de 3R. « Il nous a dit : “Je suis venu ici en paix mais c’est vous, le peuple de Bohong, qui avez déclaré la guerre. Maintenant, je vais vous montrer comment manier les armes” », a raconté un responsable local qui participait à cette réunion. Un autre responsable qui participait à la même réunion a déclaré qu’elle s’était achevée sur la promesse d’Abass d’amener la guerre à Bohong et d’y installer une base.

Le lendemain, le 21 mai, des combattants du groupe 3R sont entrés dans la ville et ont immédiatement commencé à tirer sur des civils. Les habitants de la ville se sont enfuis dans les bois voisins. Au moins 10 personnes ont été tuées, parmi lesquelles Monique Douma, une femme de 40 ans avec un handicap physique. Un membre de la famille de Monique Douma a déclaré : « Quand il a fallu s’enfuir, j’ai dit à Monique de me suivre, mais elle a répondu qu’elle ne pouvait pas. Elle m’a dit : “Je n’ai pas la force de courir” ». La maison de Douma a été incendiée alors qu’elle se cachait à l’intérieur. Elle est morte le matin qui a suivi l’attaque.

De nombreux témoins et des autorités ont décrit par le détail comment des combattants 3R avaient, le lendemain de l’attaque, procédé au pillage de Bohong.

Environ trois heures avant l’attaque de Bohong, un autre groupe de combattants 3R a assassiné 32 hommes dans les villages voisins de Koundjili et Lemouna, au nord-est de Bohong.

Un homme à Lemouna, dans le nord-ouest de la République centrafricaine, tient les photos de Sosthène Kobaikera et Zachée Gong-Pou, deux victimes d’une attaque des 3R le 21 mai 2019. © 2019 Human Rights Watch

À Lemouna, environ 25 combattants des 3R ont convoqué la population masculine du village pour une réunion. « Ce n’est pas inhabituel », a déclaré un témoin. « Les 3R venaient parfois pour nous parler de certaines choses. » Mais ce jour-là, après avoir obligé les hommes à se regrouper, ils les ont ligotés puis, après les avoir retenus devant la maison du chef de village pendant environ une heure, ils les ont exécutés.

Des témoins de Koundjili ont déclaré qu’un groupe de combattants 3R était arrivé à moto et avait convoqué les hommes du village. Là encore, ce n’était pas inhabituel car le groupe 3R contrôlait la route. Mais une fois que les 11 hommes ont été réunis, ils les ont obligés à se coucher puis les ont exécutés. « J’étais juste derrière mes frères qui marchaient vers les 3R », a raconté un témoin. « Mais quand ils [mes frères] sont arrivés devant les 3R, les combattants ont lancé : “Maintenant, couchez-vous !” Quand j’ai entendu cela, je suis resté en arrière.... Je me suis précipité dans la brousse et j’ai commencé à entendre de nombreux coups de feu. » Les combattants ont également tué deux autres civils de sexe masculin avant de partir.

Le 24 mai, Abass a remis aux autorités locales et à la MINUSCA trois hommes présumés responsables des meurtres perpétrés à Koundjili et à Lemouna. Les hommes sont détenus à Bangui dans l’attente de leur procès. Le gouvernement centrafricain ne devrait pas accepter que le fait qu’Abass ait livré ces hommes exonère ce dernier de sa responsabilité concernant ces meurtres, a déclaré Human Rights Watch.

Les crimes du 21 mai relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), dont le procureur a ouvert en septembre 2014 une enquête sur les crimes commis dans le pays depuis 2012, et de celle de la Cour pénale spéciale (CPS), une instance judiciaire constituée de juges et de procureurs nationaux et internationaux qui ont pour mandat d’enquêter et de poursuivre les violations graves des droits humains homme commises dans le pays depuis 2003.

Le récent accord de paix contient des dispositions vagues sur le rôle de la justice après le conflit et ne mentionne pas de processus judiciaire spécifique, ni d’efforts récents de promotion de la justice dans le pays, bien qu’il reconnaisse le rôle que l’impunité a joué dans l’enracinement de la violence. La CPS représente un récent effort pour rétablir la justice au niveau national et offre une véritable occasion de demander des comptes aux commandants de toutes les parties au conflit responsables de crimes de guerre, comme ceux qui ont été commis par les 3R, a déclaré Human Rights Watch.

Un représentant des 3R a déclaré à Human Rights Watch que les combattants qui avaient perpétrés les tueries de Lemouna et de Koundjili n’agissaient pas sous les ordres des commandants des 3R ou d’Abass. Il a nié que des civils aient été tués le 21 mai 2019 à Bohong et a insisté sur le fait qu’un seul combattant appartenant aux milices anti-balaka avait été tué. Il a également nié que des combattants 3R ont pillé la ville. Il a insisté sur le fait qu’Abass « faisait de son mieux pour contrôler ses hommes » et que la chronologie des violences de Bohong et des attaques de Koundjili et Lemouna n’était qu’« une mauvaise coïncidence ».

L’une des conditions de l’accord de paix qu’Abass, en tant que commandant des 3R, a signé à Bangui, est que ceux qui se rendent responsables de nouvelles violations du droit international humanitaire, et notamment de crimes contre des civils, soient passibles de sanctions internationales. Les procédures de sanction contre les 3R devraient être engagées immédiatement, a déclaré Human Rights Watch.

« Face aux multiples témoins qui attesteront qu’Abass a publiquement déclaré son intention de tuer des civils et qu’il a donné suite à ses menaces, Abass et ses représentants à Bangui tentent de dissimuler qu’ils ont coordonné et planifié une journée de meurtres », a déclaré Lewis Mudge. « Si les garants de l’accord de paix entendent réellement mettre fin aux crimes de guerre, ils doivent montrer à Abass, ainsi qu’à toutes les parties, qu’ils seront tenus pleinement responsables de leurs actes. »

La République centrafricaine en crise

La République centrafricaine est en crise depuis la fin de 2012, quand les rebelles Seleka, essentiellement musulmans, ont lancé une campagne militaire contre le gouvernement de l’ancien président François Bozizé. La Seleka a pris le contrôle de Bangui en mars 2013. Son régime a été marqué par des violations généralisées des droits humains, y compris des meurtres délibérés de civils. Au milieu de l’année 2013, la milice chrétienne et animiste anti-balaka s’est organisée pour combattre la Seleka. En associant tous les musulmans à la Seleka, les anti-balaka ont mené des attaques de représailles à grande échelle contre des civils musulmans, à Bangui et dans l’ouest du pays.

Depuis 2013, Human Rights Watch a enquêté sur de nombreux cas où des milices anti-balaka, des civils et des groupes Seleka ont attaqué des Peuls. En 2014, Human Rights Watch a enquêté sur des groupes anti-balaka du sud-ouest qui retenaient en otage des femmes et des jeunes filles peules et les avaient violées à plusieurs reprises. Le groupe 3R a été créé en 2015 pour soi-disant défendre les Peuls des attaques d’autres groupes. Mais les 3R se sont à leur tour mis à attaquer des civils. En 2016, Human Rights Watch a documenté le meurtre d’au moins 50 civils par des combattants des 3R dans la sous-préfecture de Koui. Lors de l’une des attaques les plus brutales du groupe à De Gaulle, la capitale de Koui, des combattants 3R ont violé 23 femmes et jeunes filles.

L’accord de paix et le Forum de Bangui

L’accord de paix signé sous l’égide de l’Union africaine en février 2019 faisait suite à 18 mois de discussions entre 14 groupes armés et le gouvernement central, alors même que ces groupes poursuivaient souvent leurs attaques violentes contre des civils. L’accord accordait à trois chefs de groupes armés des postes clefs au sein du gouvernement, notamment à Abass, nommé au poste de conseiller militaire à la primature sur les unités mixtes spéciales de la zone nord-ouest.

Sidiki Abass (également connu sous le nom de Bi Sidi Souleymane), commandant d’un groupe appelé Retour, Réclamation et Réhabilitation, ou 3R, lors de la cérémonie de signature de l’accord de paix à Bangui, République centrafricaine, le 6 février 2019. © 2019 GGt

En mai 2015, le Forum de Bangui, qui a conclu des consultations nationales, a convenu « qu’aucune amnistie » ne serait délivrée pour les auteurs de crimes internationaux et leurs complices. Le Forum de Bangui a reconnu que l’absence de justice en République centrafricaine depuis 2003 était l’une des principales causes des crises successives qu’a traversé le pays. Le fait de récompenser des commandants responsables d’exactions en leur offrant des postes au gouvernement ne fera que produire d’autres exactions, a déclaré Human Rights Watch. Les chefs de milice, et notamment Abass, devraient faire l’objet d’enquêtes qui débouchent sur des poursuites afin que les responsables clefs de crimes graves rendent des comptes et que la justice soit une réalité pour les victimes.

Attaques des 3R dans la province d’Ouham Pendé

Human Rights Watch n’a pas de conclusion définitive sur les raisons des attaques coordonnées des 3R contre des civils le 21 mai 2019. Toutefois, certains responsables locaux ont suggéré que ces attaques pourraient avoir été une démonstration de force destinée à élargir la zone de contrôle du groupe 3R et mieux contrôler les itinéraires saisonniers de migration du bétail au niveau régional.

Réunion de Bohong – 20 mai

Le 20 mai, une réunion s’est tenue à la gendarmerie de Bohong pour discuter de la violence entre éleveurs peuls et agriculteurs et régler un différend concernant le vol de bétail. Les autorités locales de Bohong, Bocaranga et Koui (la sous-préfecture où se trouve la base du général Abass), un représentant de la MINUSCA et le chef de la gendarmerie locale ont assisté à la réunion. Human Rights Watch s’est entretenu individuellement avec cinq personnes qui ont assisté à cette réunion. Tous ont signalé la tension qui y régnait et le fait qu’elle avait été marquée par les menaces répétées d’Abass contre la population locale. Après la réunion, quatre vaches volées à des éleveurs peuls dans un village voisin ont été remises à Abass et à ses hommes pour qu’elles leur soient rendues.

Lors de la réunion, Abass a insisté auprès des autorités locales pour que des mesures soient prises pour mettre fin aux attaques contre les Peuls. Pendant la réunion, des coups de feu ont été tirés en ville dans des circonstances peu claires. Abass s’est alors mis en colère. Une autorité locale a déclaré :

La fusillade a aggravé les choses. Nous avons dit que c’étaient les 3R qui tiraient, mais Sidiki [Abass] répétait que c’était les anti-balaka. Cela l’a mis très en colère et il a alors dit qu’il voulait établir une base à Bohong. Il a prévenu : « Vous nous avez tiré dessus ! Si vous voulez la guerre, je vais vous la donner et installer ma base ici.... Vous verrez ». Le sous-préfet de Koui m’a demandé de l’aider à le calmer. Mais il était très contrarié quand il est parti. Je n’étais pas sûr de ses intentions. Il avait clairement indiqué sa volonté d’établir une base à Bohong. Quand il se met en colère, il n’écoute personne. D’autres responsables ont tenté de le calmer, mais il n’était pas venu ici pour échanger des idées. Il était venu pour imposer ses règles et menacer de déclencher une guerre.

Un autre participant à la réunion a déclaré qu’Abass avait également annoncé : « Vous, les habitants de Bohong, vous êtes têtus. Je vais installer ma base ici.... Vous ne pouvez pas me faire la guerre. C’est moi qui vais vous la faire et je vous montrerai comment on se sert d’une arme. Je vais vous montrer qui je suis ».

Un responsable local a déclaré qu’il s’attendait à une attaque dans la région après la réunion. « Après cette réunion, nous nous sommes tous mis à douter de ses intentions », a-t-il expliqué.

Attaque contre Bohong – 21 mai

Le lendemain, le 21 mai, un groupe de combattants 3R a été aperçu à l’extérieur de Bohong. Un agent de l’autorité locale est allé à la rencontre des combattants pour discuter de leur présence à cet endroit :

À 8 heures du matin, j’ai entendu dire que des combattants 3R étaient présents en périphérie de la ville. Je suis allé à moto avec un gendarme jusqu’à l’endroit où ils se trouvaient, à cinq kilomètres de Bohong sur la route de Bocaranga. J’ai vu les combattants 3R. Le chef a déclaré qu’il avait d’autres d’hommes cachés dans la brousse. Je lui ai demandé pourquoi ils étaient là. Il a expliqué qu’ils étaient venus au sujet des quatre vaches. J’ai dit : « Sidiki les a prises hier ». Le commandant 3R a déclaré : « Je sais, c’est vrai. Sidiki m’a dit qu’il avait emmené les vaches à Koui. Il n’y a pas de problème. Nous allons prendre du thé et de la nourriture ici, puis nous nous rendrons à Koui ». La conversation a duré cinq minutes. Nous nous sommes dit que tout allait bien et je suis parti.

Ce matin-là, une grande partie de la ville était occupée par une distribution de nourriture organisée par World Vision, une organisation non gouvernementale internationale.

Vers 14 heures, après que le personnel de World Vision a quitté Bohong, des combattants 3R ont commencé à attaquer la ville. Des témoins ont déclaré avoir fui immédiatement après le début de l’attaque. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois civils dont les proches n’ont pas réussi à fuir et dont les corps ont été retrouvés dans des puits et des latrines quand les civils sont rentrés en ville. Les combattants 3R y ont tué au moins 10 personnes, dont Evariste Ngororo, un homme de 39 ans. Un membre de la famille de Ngororo a déclaré avoir retrouvé son corps dans un puits à son retour à Bohong, après avoir fui dans les bois alentours :

[Le corps de Ngororo] a été retrouvé dans un puits, juste derrière l’église catholique. Nous le cherchions et ignorions tout de ce qui lui était arrivé. Ma nièce a vu des taches de sang autour du puits. Nous sommes allés regarder et nous avons trouvé le corps. Quelqu’un est descendu dans le puits avec une corde et une torche pour en extraire le corps. Quand le corps est sorti, je l’ai reconnu. Le corps montrait déjà des signes de décomposition, mais j’ai vu qu’il y avait deux blessures par balle graves, une à la tête et une autre à l’estomac.

Lesley Yanja, une fillette de 10 ans, a été tuée pendant l’attaque. Un membre de la famille de Yanja a déclaré : « Lorsque les tirs ont commencé, nous avons décidé qu’il n’était pas prudent de rester, alors j’ai organisé le départ de mes cinq enfants. Je les ai transportés sur ma moto pour les emmener deux kilomètres plus loin environ. Mon plan, c’était de retourner à la maison et récupérer Lesley et l’emmener en lieu sûr. Mais c’était trop tard. Nous avons trouvé le corps de Lesley vers 15 heures, par terre dans le quartier. Elle avait reçu une balle dans la tête ».

Quatre autres civils sont morts en fuyant l’attaque, dont deux bébés. Tous deux étaient nés quelques jours avant l’attaque et les membres de leur famille ont dû fuir le centre de santé local, dont le personnel avait également pris la fuite. Un membre de la famille d’une fille de 16 ans qui avait accouché le 19 mai a pris le bébé avec elle quand l’attaque a commencé :

On entendait des coups de feu à proximité du centre de santé, nous ne pouvions donc pas rester là-bas ; ce n’était pas sûr. Les patients et les infirmières étaient également inquiets et à un moment donné, tout le monde s’est enfui. J’ai décidé de porter le nouveau-né parce que ma belle-fille était encore trop faible. Nous avons couru dans la brousse. En courant, je suis tombée ; il y avait un trou dans le sol que je n’ai pas vu. Je suis tombé sur le bébé que je tenais dans mes bras et sa tête a heurté une pierre. Je me suis levée et j’ai continué à courir, et au bout de cinq minutes, je me suis arrêtée pour vérifier que le bébé allait bien et je me suis rendu compte qu’il était mort. Nous avons enterré le bébé dans la brousse.

Un bébé d’un jour est également mort lorsque ses parents ont fui l’attaque. La mère a expliqué :

Les coups de feu se rapprochaient, nous ne pouvions pas rester au centre de santé. Il fallait partir ; nous n’avions pas le choix. J’ai pris mon petit garçon et je me suis enfuie. Il était très petit. Je n’ai rien pu prendre avec moi, pas de couverture, rien. Le nouveau-né a été exposé ; il n’était pas assez couvert. Nous avons marché environ 20 kilomètres et nous avons traversé la rivière Ouham. Nous pensions que c’était plus sûr de l’autre côté. Dès que j’ai traversé le pont, j’ai vérifié l’état de mon bébé. J’ai vu qu’il ne respirait plus…. Je pense qu’il est mort parce qu’il était trop faible ; il n’a pas supporté.

Le 22 mai, Abass est revenu à Bohong pour récupérer ses hommes et coordonner le transport des biens pillés en ville. Un responsable local rentré le 22 mai à Bohong a déclaré : « J’ai vu Sidiki. Il était là. Je le connais bien. Il était avec ses hommes et il triait les objets volés à la gendarmerie. Il était calme ; il désignait les marchandises à charger dans tel ou tel véhicule. Il n’était pas en colère contre ses hommes ».

Exécutions extrajudiciaires à Koundjili et Lemouna – 21 mai

Le 21 mai, entre 12 et 14 motos transportant des combattants 3R sont arrivés à Lemouna peu après 11 heures. Les combattants sont venus de Bocaranga et des habitants ont dit avoir reconnu les combattants comme étant ceux qui ont leur base à Lételé. Quatre motos ont continué vers Koundjili, et les combattants restés à Lemouna ont convoqué une réunion. Un témoin a déclaré : « Ce n’est pas inhabituel. Les 3R venaient parfois nous parler de choses ou d’autres parce qu’ils contrôlaient la zone ». Cependant, des témoins et des survivants ont déclaré que les combattants étaient rapidement devenus agressifs et avaient commencé à frapper les hommes près de l’enceinte du chef de village.

Après avoir rassemblé 22 hommes, ils les ont ligotés et en ont exécuté 19 après le retour des combattants de Koundjili. Trois hommes ont survécu. Un survivant a déclaré :

Certains, comme moi, étaient attachés seuls. D’autres étaient attachés ensemble. Nous ne pouvions pas demander ce qui se passait. Nous savions que c’était très mauvais. Il y avait beaucoup d’hommes attachés. Ils nous ont retenus pendant un certain temps. L’un des combattants 3R a déclaré : « Nous allons attendre notre chef qui est à Koundjili ». Cela a bien duré une heure. Puis le chef est arrivé. Il a dit : « Dieu t’a piégé ! » Puis il a sorti son arme et a tiré dans le dos de Bari Blizzard. Il a ensuite tiré sur le président du comité de la jeunesse du village, Michel Kobikaya. Puis il a tiré sur Raphaël – on l’avait forcé à se coucher, il a reçu une balle dans la tête. Puis il a tiré sur le directeur de l’école, Hermain. Ensuite, le chef des 3R s’est assis sur sa moto et ses combattants nous ont tous abattus. J’étais à côté de Bari quand il a été tué et son sang s’est répandu sur moi. J’ai reçu une balle dans la jambe lorsque la fusillade a commencé et je suis tombé. J’étais couvert de sang, si bien qu’ils ont pensé que j’étais mort.

Un autre survivant a déclaré :

On était ligotés, deux par deux, les mains derrière le dos, avec une corde. J’ai encore les marques de la corde sur mes bras. J’étais attaché à côté de mon jeune frère, Christoph Seneimi. Certains d’entre nous avaient le visage plaqué au sol ; ceux qui essayaient de relever la tête recevaient des coups de pied. Quand les motos de Koundjili sont revenues, les tirs ont commencé. Mon frère a reçu plusieurs balles et a été tué sur le coup. Son corps est tombé sur moi. L’une des balles qui a touché mon frère m’a également touché, au bras droit. J’ai fait le mort ; c’est comme ça que j’ai survécu.

Les combattants qui sont allés à Koundjili ont demandé aux gens de venir les voir à leur arrivée dans le village. Ils ont rassemblé 11 hommes, les ont fait s’allonger sous un arbre le long de la route et les ont exécutés. Un témoin des meurtres a déclaré :

Ils ont arrêté leurs motos sur la route principale. Habituellement, quand ils s’arrêtent sur la route principale, un chef va à leur rencontre et les salue. [Mais] ils ont simplement commencé à rassembler des gens du voisinage immédiat. Ils disaient : « Vous, les hommes, les jeunes, venez ici ! ». Ils étaient agressifs et nous savions que quelque chose n’allait pas. Puis, tout à coup, sous le manguier, ils ont dit aux hommes de s’allonger. J’observais de loin. Ils ont obligé les hommes à se coucher sans rien leur dire. Les hommes à terre ne pouvaient rien dire. Il n’y avait pas le temps. Trois combattants leur ont tiré dessus. Ensuite, les combattants 3R ont gravi la colline [vers la ville] et ont abattu deux autres personnes. Ensuite ils sont repartis pour Lemouna aussi vite qu’ils étaient venus.

César Tussessekia, âgé de 36 ans et père de cinq enfants, a été tué d’une balle dans le dos. Tussessekia était atteint de déficience auditive et n’a pas dû entendre les coups de feu qui ont précédé.

Réponse de 3R

Le 24 mai, 3R a publié un communiqué de presse signé par Abass présentant des excuses aux habitants pour les meurtres de Koundjili et de Lemouna et réaffirmant la volonté du groupe de travailler pour la paix et la réconciliation dans le pays.

Le 15 juin, Human Rights Watch a interrogé le général Siloo, représentant de 3R à Bangui et membre du comité exécutif chargé de suivre la mise en œuvre des accords de paix. Selon lui, l’attaque contre Bohong était une réponse à une attaque anti-balaka, un seul combattant anti-balaka aurait été tué et la ville n’aurait pas été pillée. Il a déclaré que Human Rights Watch avait été dupé par la communauté locale dont la « stratégie est de brûler leurs maisons, puis de demander à la communauté internationale de venir prendre des photos.... Ils ont aussi l’habitude de se voler les uns aux autres ».

Siloo a déclaré que les meurtres de Koundjili et Lemouna avaient été commis par des combattants opérant sans recevoir d’ordres et hors de tout contrôle d’Abass et du commandement 3R :

Nous nous demandons si quelqu’un n’est pas derrière de tels actes. Nous pensons qu’il y a une influence de l’extérieur, mais nous ne savons pas encore d’où elle vient. [Un commandant 3R qui a participé à l’attaque] était en contact avec des groupes de la Séléka.... Les Séléka sont peut-être jaloux de la bonne réputation de 3R et ont voulu ternir notre image.

Siloo a déclaré que le groupe ouvrirait sa propre enquête. « Mais beaucoup de mauvais éléments 3R ont fui après les attaques parce que nous avons remis certains d’entre eux aux autorités. Nous en recherchons d’autres. Je ne sais pas combien, mais il y en a beaucoup. »

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