La situation des droits humains au Burkina Faso s’est sérieusement détériorée en 2022. En effet, les attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés islamistes à l’encontre de civils se sont intensifiées, les forces militaires et les milices progouvernementales ont commis des exactions lors d’opérations de lutte contre le terrorisme, et l’instabilité politique s’est aggravée suite à deux coups d’État militaires.
L’augmentation du nombre de victimes civiles et militaires et la perte de territoires détenus par le gouvernement au profit des groupes armés islamistes, qui contrôleraient environ 40% du pays, ont provoqué des manifestations antigouvernementales et deux coups d’État militaires, dont le premier, mené en janvier, a conduit au renversement du Président Roch Marc Christian Kaboré, qui avait été réélu en 2020.
Des centaines d’attaques perpétrées par des groupes armés à l’encontre de civils et de cibles militaires dans 10 des 13 régions que compte le Burkina Faso ont considérablement intensifié la crise humanitaire et porté le nombre total de déplacés internes depuis 2016 à près de deux millions, soit un peu moins de 10% de la population.
Peu de progrès ont été réalisés en matière de justice pour les meurtres présumés de centaines de suspects lors d’opérations menées par les forces de sécurité dans le passé. Les institutions de l’État de droit sont restées faibles ; cependant, le gouvernement a dénoncé des publications sur les réseaux sociaux incitant à la violence contre un groupe minoritaire et a pris des mesures pour réduire le nombre de suspects en détention provisoire.
L’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ainsi que les partenaires internationaux du Burkina Faso, parmi lesquels l’Union européenne (UE), les Nations Unies et les États-Unis, ont dénoncé les deux coups d’État et les exactions commises par les groupes armés islamistes, mais ont en grande partie rechigné à dénoncer les allégations d’abus perpétrés par les militaires et les milices progouvernementales et à réclamer l’ouverture d’enquêtes sur ces allégations.
Développements politiques
Fin 2021 et en janvier 2022, des manifestants ont protesté contre l’incapacité du gouvernement à endiguer la montée de la violence. Ce dernier a répondu en interdisant les manifestations et en bloquant l’accès à internet. Le 24 janvier, des officiers militaires du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), invoquant l’aggravation de la situation sécuritaire, ont renversé le Président Kaboré lors d’un coup d’État qui a fait au moins sept morts parmi les forces de sécurité.
Le 16 février, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, qui avait dirigé le coup d’État, a été désigné président et, le 5 mars, il constituait un gouvernement de transition. Damiba a déclaré qu’il s’engageait à rétablir des élections législatives et présidentielle en 2024.
Le 30 septembre, Damiba a lui-même été renversé lors du second coup d’État militaire en un an. Le capitaine Ibrahim Traore, chef de ce coup d’État et nouveau président de transition, a affirmé qu’il s’engageait à respecter l’échéance fixée par son prédécesseur à février 2024 pour la tenue d’élections.
Exactions perpétrées par les groupes armés islamistes
Des groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ont tué des centaines de civils lors d’attaques visant des villages et des convois ainsi qu’à des points d’eau et dans des mines aurifères. De nombreuses attaques ont ciblé des communautés qui avaient formé des groupes locaux de défense civile.
Le 25 mai, des combattants islamistes auraient tué 50 civils qui tentaient de fuir un blocus mené par des islamistes armés dans le village de Madjoari, dans l’est du Burkina Faso, et le 22 juin, ils ont tué 86 personnes lors d’une attaque ciblant le village de Seytenga, près de la frontière avec le Niger, événement qui constitue la pire atrocité de l’année.
Parmi les autres attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés islamistes figurent celle lancée le 5 janvier contre le village d’Ankouna, qui a fait 14 morts ; celle du 15 janvier ciblant Namsiguian, qui a fait neuf morts ; celle du 26 juin lors d’un baptême à Sandiaga, qui a fait huit morts ; celles des 3 et 4 juillet à Bourasso, qui ont fait 22 morts ; et celle du 18 août dans la province de Kossi, près de la frontière malienne, qui a fait 22 morts. Des attaques perpétrées au cours des mois de mars, avril et août à l’encontre de sites aurifères artisanaux et d’un convoi de mineurs ont fait 48 morts.
Des dizaines de personnes ont été tuées par des engins explosifs improvisés (EEI), qui auraient été plantés par des groupes armés islamistes, dont 35 personnes qui ont trouvé la mort lorsque leur convoi, escorté par les forces de sécurité, a percuté un EEI le 5 septembre près de Djibo.
À travers le pays, des combattants islamistes ont violé des dizaines de filles et de femmes qui ramassaient du bois, se rendaient au marché ou en revenaient, ou fuyaient la violence. Ils ont également incendié et pillé des villages, des marchés et des commerces ; et réquisitionné des ambulances et pillé des centres de santé. Les combattants ont empêché des agriculteurs d’accéder à leurs champs ; détruit des ponts, des points d’eau et des infrastructures électriques et de télécommunication ; et se sont livrés à des pillages à grande échelle, exacerbant ainsi fortement la crise humanitaire.
Des groupes armés islamistes ont enlevé de nombreux civils, dont 50 marchands lors d’une embuscade le 27 septembre contre un convoi qui apportait des vivres à Djibo, ville du nord du pays au cœur des combats, et une religieuse américaine, en avril, libérée cinq mois plus tard.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État et des milices progouvernementales
Les forces progouvernementales, dont des militaires et des miliciens issus des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), un groupe d’autodéfense soutenu par l’État, auraient tué illégalement ou procédé à des disparitions forcées de dizaines de suspects lors d’opérations de lutte contre le terrorisme, coordonnant parfois des opérations.
Le 23 novembre, des soldats auraient exécuté 18 hommes près de Djigoue, non loin de la frontière avec la Côte d’Ivoire. Six des 15 hommes arrêtés le 21 février par des militaires à Todiame, dans la région du Nord, ont été victimes de disparitions forcées. En août, plus de 50 hommes qui auraient été détenus par des membres des forces de sécurité dans la commune de Tougouri et aux alentours, dans la région du Centre-Nord, ont été retrouvés morts, pour la plupart au bord de routes locales.
Le 17 février, huit hommes ont été retrouvés morts après avoir été détenus par des miliciens des VDP à Fada N’Gourma. Les VDP auraient exécuté plus de 15 hommes lors de plusieurs incidents perpétrés entre la fin de l’année 2021 et avril 2022 dans les régions de l’Est, du Sahel, des Cascades et du Sud-Ouest. Des VDP et des militaires travaillant conjointement auraient tué illégalement deux hommes en février et mars.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises
Peu de progrès ont été réalisés au niveau des enquêtes sur des atrocités plus anciennes perpétrées par les services de sécurité, notamment les meurtres en 2018 et 2019 de dizaines de suspects dans la région burkinabè du Sahel ; la mort de plus de 200 hommes à Djibo en 2020 ; et la mort de 12 hommes détenus par des gendarmes à Tanwalbougou en 2020.
La direction de la justice militaire, chargée d’enquêter sur les incidents impliquant les forces de sécurité, a continué de pâtir d’un manque de ressources. Guère de progrès ont été réalisés s’agissant de la promesse du gouvernement d’enquêter sur plusieurs de ces incidents.
Une disposition garantissant l’immunité dans le cadre d’un décret de 2021 instaurant des Forces spéciales de lutte contre le terrorisme, au titre de laquelle les membres des Forces spéciales « ne peuvent être poursuivis pour des actes accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions », a compromis l’obligation de rendre des comptes.
La prison de haute sécurité dédiée aux délits liés au terrorisme demeure surpeuplée. La grande majorité des détenus ont été incarcérés bien au-delà du délai légal. Le gouvernement a pris des mesures pour résorber l'arriéré et garantir une procédure régulière en libérant de nombreux suspects accusés de délits liés au terrorisme contre lesquels les preuves étaient insuffisantes. Rares sont les détenus qui ont eu accès à un avocat.
Le 6 avril, un tribunal militaire a condamné 11 hommes, dont l’ancien président Blaise Compaoré, pour l’assassinat, en 1987, du Président Thomas Sankara et de 12 autres individus. Compaoré a été jugé par contumace en Côte d’Ivoire, où il vit depuis qu’il a été évincé du pouvoir à l’issue d’une insurrection populaire en 2014. En septembre, trois militaires ont été condamnés pour le meurtre d’un étudiant perpétré en 1990.
Discours haineux et incitation à la violence
Le gouvernement burkinabè a vigoureusement dénoncé la hausse du nombre de publications sur les réseaux sociaux incitant à la violence contre les membres de l’ethnie peule, perçue comme apportant leur soutien aux groupes islamistes armés. En juillet, la police a arrêté et inculpé au moins deux hommes pour incitation à la haine, dont un homme qui, en juin, avait menacé le journaliste Newton Ahmed Barry, un Peul, vraisemblablement au motif qu’il rendait compte de faits liés à la lutte contre le terrorisme.
Droits des enfants et attaques contre l’éducation
Le recrutement d’enfants et leur utilisation se sont intensifiés au sein des groupes armés, notamment parmi les groupes islamistes armés. Les Nations Unies ont confirmé les attaques de 46 écoles, perpétrées principalement par des groupes islamistes armés. En septembre 2022, 4 258 établissements scolaires à travers le pays étaient fermés en raison de l’insécurité. L’accès à l’éducation est particulièrement préoccupant pour les enfants victimes de déplacements forcés, qui représentent plus de la moitié de la population déplacée à l’intérieur du pays.
Principaux acteurs internationaux
Les principaux partenaires du Burkina Faso, dont la France, les États-Unis, l’UE et les Nations Unies, ont fait part de leur préoccupation à l’issue du coup d’État de janvier et ont appelé au rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel. L’UE et les Nations Unies ont condamné le coup d’État perpétré en septembre.
Les partenaires internationaux ont vivement dénoncé les exactions des groupes armés islamistes, mais ont été réticents à condamner les exactions des forces militaires et des milices progouvernementales.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a maintenu son bureau national chargé de surveiller et de rendre compte des atteintes aux droits humains et d’appuyer la société civile mais n’a publié aucun rapport en 2022.
À l’issue du coup d’État de janvier, la CEDEAO et l’UA ont suspendu le Burkina Faso de toutes les instances dirigeantes en attendant le rétablissement de l’ordre constitutionnel.
Les États-Unis ont suspendu 160 millions de dollars d’aide extérieure en raison du coup d’État de janvier 2022, conformément au droit américain. La Millennium Challenge Corporation, financée par les États-Unis, a elle aussi interrompu le soutien qu’elle accordait au Burkina Faso au titre d’un accord signé en août 2020 d’un montant de 450 millions de dollars.
En 2022, l’UE a octroyé au Burkina Faso une aide humanitaire de 52,4 millions d’euros (environ 53,9 millions de dollars américains). Depuis 2018, l’UE a attribué une aide de 265 millions d’euros (environ 272 millions de dollars US) pour appuyer la force conjointe de lutte contre le terrorisme du G5 Sahel composée du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger, qui inclut un appui en matière de logistique, d’équipements et d’infrastructure, ainsi qu’un soutien à la promotion des droits humains.
La France, premier donateur bilatéral du Burkina Faso, a dispensé une formation militaire aux troupes burkinabè et à la direction de la justice militaire.
En réponse à la gravité et au nombre d’attaques perpétrées contre les écoles, ainsi qu’au meurtre et à la mutilation d’enfants, le Secrétaire général des Nations Unies a ajouté le Burkina Faso à la liste des situations préoccupantes pour le mécanisme de surveillance et d’information des Nations Unies sur les graves violations commises contre les enfants en temps de conflits armés.
En septembre, les autorités de transition ont signé un protocole d’accord avec les Nations Unies pour veiller à ce que les enfants appréhendés par les forces militaires lors du conflit armé soient transférés auprès des autorités civiles afin d’être réintégrés.