Résumé
Depuis 2016, les groupes islamistes armés ont considérablement accru leur présence au Burkina Faso, créant un climat de peur dans tout le pays. Ils ont attaqué des bâtiments et des écoles du gouvernement, intimidé des enseignants, mené des attaques violentes contre des cafés et d'autres lieux de rassemblement, et exécuté des personnes soupçonnées de collaborer avec les autorités. En réponse, les forces de sécurité burkinabè ont mené des opérations antiterroristes en 2017 et 2018 qui ont abouti à de nombreuses allégations d'exécutions extrajudiciaires, d'abus à l’encontre des suspects en détention et d'arrestations arbitraires.
La violence s’est largement exercée dans la région administrative du Sahel, dans le nord du pays, ainsi que dans la capitale, Ouagadougou, forçant plus de 12 000 résidents à fuir, selon les chiffres des Nations Unies. Ces résidents comprennent des représentants locaux du gouvernement, des fonctionnaires, des enseignants et du personnel infirmier.
Une mosaïque de groupes islamistes armés ayant des allégeances fluctuantes et imbriquées sont impliqués dans de nombreuses attaques et en ont revendiqué la responsabilité dans plusieurs cas, notamment Ansaroul Islam, fondé fin 2016 par le prédicateur islamique burkinabè Malam Ibrahim Dicko ; Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et ses affiliés, notamment le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) ; et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). La présence croissante de ces groupes au Burkina Faso est liée à l'insécurité qui règne dans le Mali voisin, où les régions du nord sont tombées aux mains de groupes armés séparatistes Touaregs et liés à Al-Qaïda en 2012.
Dans le nord, des groupes islamistes armés ont attaqué des dizaines de postes militaires, de la gendarmerie et de l'armée. En 2016 et 2017, Ouagadougou a subi deux attaques violentes contre des restaurants populaires qui ont entraîné la mort de 47 civils et d’un membre des forces de sécurité. Le 2 mars 2018, des combattants ont attaqué l'ambassade de France et le quartier général de l'armée nationale à Ouagadougou, causant la mort de huit membres des forces de sécurité.
Basé sur des entretiens menés lors de deux missions de recherche en février et en mars 2018, ce rapport documente les abus perpétrés dans la région administrative du Sahel et à Ouagadougou par des groupes islamistes armés, notamment des meurtres s’apparentant à des exécutions, et des abus présumés commis par les forces de sécurité entre 2016 et 2018. Human Rights Watch a interrogé 67 victimes et témoins d'abus ; des membres des ministères de la Justice, de la Défense et de l'Éducation ; des enseignants ; des travailleurs du domaine de la santé ; des responsables du gouvernement local ; des diplomates et des membres des organisations humanitaires ; des analystes du secteur de la sécurité ; ainsi que des chefs communautaires, religieux et de la jeunesse.
Human Rights Watch a documenté des allégations de meurtres s’apparentant à des exécutions de 19 hommes par des groupes armés islamistes. Les meurtres ont eu lieu dans ou près de 12 villages dans le nord du pays et visaient en grande partie des personnes accusées de fournir des informations aux forces de sécurité, notamment des chefs de village et des responsables locaux. Selon des témoins qui ont parlé à Human Rights Watch, une grande partie des hommes ont été exécutés à leur domicile, quelques-uns ont été égorgés et un a été décapité.
Des villageois de la région du Sahel ont déclaré avoir été extrêmement effrayés par la présence de combattants islamistes armés qui les menaçaient régulièrement de représailles s'ils fournissaient des informations sur leurs allées et venues aux services de sécurité de l'État. Plusieurs habitants issus de différents groupes ethniques ont expliqué avoir été enlevés, interrogés et, dans certains cas, battus ou volés par les hommes armés.
Des travailleurs du secteur de l'éducation ont fait état d’une série de menaces, d’intimidations et d’attaques contre des écoles et des enseignants par des islamistes armés dans la région du Sahel, notamment l'enlèvement d'un enseignant et le meurtre d'un directeur d'école. Cela a conduit à la fermeture d'au moins 219 écoles primaires et secondaires, laissant environ 20 000 élèves non scolarisés.
Les forces de sécurité — soldats et gendarmes, y compris le personnel de deux unités spéciales créées pour combattre le terrorisme et, dans une moindre mesure, des membres de la police — menant des opérations antiterroristes depuis 2016, ont également été impliqués dans de nombreuses violations des droits humains.
Human Rights Watch a documenté les exécutions sommaires présumées de 14 personnes commises par les forces de sécurité de l'État. Sept hommes auraient été exécutés en une seule journée fin décembre 2017. Une douzaine de témoins ont décrit avoir vu des corps le long des routes et sur des sentiers près des villes de Djibo, Nassoumbou et Bourou, entre autres. La quasi-totalité des victimes ont été vues pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité gouvernementales.
Des chefs communautaires se sont plaints de nombreux cas où les forces de sécurité semblaient détenir au hasard en masse des hommes qui se trouvaient à proximité d'incursions, d'attaques ou d'embuscades tendues par des groupes islamistes armés. Les gendarmes ont libéré la majorité des détenus après des enquêtes préliminaires qui ont souvent duré plusieurs jours, mais d'autres ont été détenus pendant des mois.
Human Rights Watch a documenté six de ces arrestations massives au cours desquelles de nombreux hommes ont été sévèrement maltraités et quatre hommes sont morts, semble-t-il à la suite de sévères passages à tabac. Des témoins ont déclaré que les abus cessaient généralement lorsque les forces militaires et la police remettaient les détenus aux gendarmes du gouvernement. Des professionnels de la santé ont indiqué avoir soigné des hommes pour des coupures, des contusions, des hématomes et des entailles subies en détention.
La grande majorité des victimes d'abus perpétrés tant par les islamistes armés que par les forces de sécurité appartenaient à l’ethnie Peul, dont les membres résident en grande partie dans le nord. Un maire local a déclaré : « L'armée agit comme si tous les Peuls étaient des djihadistes, mais ce sont les Peuls eux-mêmes qui sont victimes des djihadistes - nous avons été tués, décapités, enlevés et menacés. »
Les interlocuteurs interrogés ont systématiquement déclaré être pris entre les menaces des islamistes d'exécuter ceux qui collaboraient avec l'État, et les forces de sécurité, qui s'attendaient à ce qu'ils fournissent des renseignements sur la présence de groupes armés et infligeaient des punitions collectives, notamment des mauvais traitements et des détentions arbitraires, lorsque qu’ils ne fournissaient pas ces informations.
Les victimes de la violence tant des islamistes armés que des forces de sécurité ont déploré la lenteur ou même l'absence totale d'enquêtes sur les cas de droits humains depuis 2016. Des chefs communautaires du nord se sont plaints de ce qu'ils percevaient comme une réponse partiale aux abus de la part des autorités. Selon eux, les meurtres et les abus commis par les islamistes armés ont presque toujours déclenché une enquête et, souvent, des arrestations, tandis que les exactions présumées commises par les forces de sécurité faisaient rarement, voire jamais, l'objet d'enquêtes de la part des forces de sécurité ou du pouvoir judiciaire.
Des membres du système judicaire ont déclaré que les enquêtes de l'Unité judiciaire spécialisée contre le crime et le terrorisme, basée à Ouagadougou et créée en 2017 pour juger tous les cas liés au terrorisme, ont été lentes à cause du manque de personnel et de la complexité des affaires, qui impliquent souvent différentes juridictions internationales, notamment d'autres pays de la région du Sahel.
Le gouvernement burkinabè devrait ouvrir d'urgence des enquêtes sur les incidents de violations présumées des droits humains documentées dans ce rapport, prendre des mesures pour prévenir de nouveaux abus et veiller à ce que toutes les personnes impliquées dans toutes les opérations antiterroristes respectent le droit international des droits humains. La Commission nationale des droits humains du Burkina Faso devrait également mener une enquête indépendante crédible sur les violations des droits humains.
Les partenaires internationaux du Burkina Faso, notamment l'Union européenne, la France et les États-Unis, devraient demander au gouvernement, publiquement et en privé, de mener rapidement des enquêtes crédibles sur les allégations de meurtres et autres abus commis par les forces de sécurité du Burkina Faso.
Méthodologie
Ce rapport décrit des exactions perpétrées dans la région administrative du Sahel et à Ouagadougou par des groupes islamiques armés et les forces de sécurité entre 2016 et 2018. Lors de deux missions de recherche menées en 2018, Human Rights Watch a réalisé 67 entretiens, dont 38 avec des victimes et des témoins de ces exactions. Les 29 autres entretiens ont été menés auprès d’agents des ministères de la Justice, de l’Éducation et de la Défense ; d’enseignants, de personnels de santé et de membres des gouvernements locaux ; de diplomates, d’activistes de la société civile et de travailleurs humanitaires ; d’analystes de la sécurité ; et de chefs religieux et communautaires.
Ces entretiens se sont déroulés au Burkina Faso en février et mars 2018 ; des recherches ont été menées par téléphone en mars, avril et mai 2018. Les 38 victimes et témoins interrogés sont des résidents de 17 villes et villages du nord du Burkina Faso, et de la capitale Ouagadougou. Les personnes interrogées ont été identifiées grâce à l’aide de plusieurs organisations de la société civile et de nombreux individus. Les entretiens ont été effectués en français, en mòoré, parlé à Ouagadougou et ailleurs, ainsi qu’en fulfulde, parlé par le groupe ethnique des Peuls. Les entretiens en mòoré et en fulfulde ont été réalisés à l’aide d’interprètes.
Pour des raisons de sécurité, tous les entretiens ont eu lieu à Ouagadougou ou dans les environs. La plupart des victimes et témoins d’incidents qui se sont produits dans le nord du Burkina Faso se sont déplacés jusqu’à Ouagadougou pour ces entretiens, tandis qu’un petit nombre d’entre eux, qui avaient déjà fui la violence à laquelle le nord du pays était en proie, vivaient déjà dans la capitale.
Un grand nombre des victimes et témoins interrogés ne se sont pas souvenus de la date exacte des incidents qu’ils ont décrits. La chercheuse a tenté d’établir une date approximative à partir de différents points de référence, par exemple en cherchant à savoir si l’incident s’était produit avant ou après une fête majeure, un événement saisonnier ou une attaque particulière.
La quasi-totalité des victimes et témoins d’exactions perpétrées aussi bien par les groupes islamistes armés que par les forces de sécurité ont fait part d’une angoisse extrême à l’idée que leur identité puisse être révélée. Par conséquent, dans plusieurs cas, nous nous sommes abstenus de divulguer certains détails, y compris le lieu et la date précise de certains incidents, qui auraient pu permettre d’identifier les individus qui se sont adressés à nous.
La chercheuse a informé toutes les personnes interrogées de la nature et de l’objectif de ce travail, ainsi que de notre intention de publier un rapport reprenant les informations recueillies. La chercheuse a obtenu un accord verbal pour chaque entretien et a donné à chaque personne interrogée la possibilité de refuser de répondre à ses questions. Toutes les personnes interrogées ont donné de vive voix leur consentement éclairé pour participer aux entretiens. Les personnes interrogées n’ont pas reçu de rémunération matérielle pour leur entretien avec Human Rights Watch, mais leurs frais de déplacement leur ont été remboursés.
Informations contextuelles sur les groupes islamistes armés au Burkina Faso
Les attaques perpétrées par les groupes armés islamistes au Burkina Faso se multiplient depuis le début 2016. Dans une déclaration au Conseil de sécurité des Nations Unies en octobre 2017, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry, a affirmé que, depuis le début de 2016, le Burkina Faso avait subi 80 attaques menées par des groupes islamistes armés, qui avaient fait 133 morts.[1]
Les zones d’opération de ces groupes sont concentrées dans les provinces administratives du Soum et de l’Oudalan, dans la région du Sahel située au nord du pays, frontalière du Mali et du Niger, ainsi qu’à Ouagadougou, la capitale burkinabè. Depuis la fin de 2017, les attaques se sont propagées dans d’autres régions administratives, notamment celles de l’Est, de la Boucle du Mouhoun et du Nord.
Un ensemble hétérogène de groupes prêtant des allégeances en constante mutation et qui se recouvrent partiellement est impliqué et a revendiqué un grand nombre de ces attaques, dont Ansaroul Islam, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et ses affiliés, notamment le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM), et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
La présence croissante de ces groupes au Burkina Faso est liée à l’insécurité qui règne au Mali, pays voisin, dont les régions du Nord sont tombées entre les mains de groupes armés touaregs séparatistes et liés à Al-Qaïda en 2012. Si une intervention militaire de la France en 2013 et un accord de paix conclu en 2015 ont entraîné une certaine stabilité dans le nord du Mali, des groupes islamistes armés ont gagné le centre du Mali à partir de 2015, et le Burkina Faso à partir de 2016.
Le groupe armé Ansaroul Islam a été créé fin 2016 par Malam Ibrahim Dicko, prêcheur islamique originaire du Soum. Dicko a acquis sa popularité en dénonçant les actes de corruption, les inégalités et les exactions commises par l’État, les chefs de clans peuls et les chefs traditionnels.[2] C’est autour de 2009 qu’il a commencé à transmettre son message dans des mosquées et stations de radio locales, principalement dans la région du Sahel, par le biais d’une association religieuse locale de promotion de l’Islam qu’il avait fondée, Al-Irchad.[3] La popularité de Dicko et le nombre de membres de son organisation, Al-Irchad, aujourd’hui déchue, ont pris de l’ampleur, mais son discours s’est peu à peu radicalisé et, en 2012, Dicko a rejoint des groupes islamistes armés qui avaient pris le contrôle du nord du Mali. En 2013, il a été détenu par les forces armées françaises et emprisonné à Bamako jusqu’en 2015.[4] Il a fini par s’allier à un groupe malien affilié à AQMI, le Front de libération du Macina et, en 2016, a fondé Ansaroul Islam.
D’après des entretiens réalisés par Human Rights Watch auprès de quelques membres actuels ou anciens de groupes islamistes armés, Ansaroul Islam a reçu une formation et un soutien logistique à la fois de la part d’AQMI et de l’EIGS. La plupart des attaques commises par ce groupe sont lancées depuis ses bases dans le centre du Mali. En avril 2017, une attaque perpétrée par les forces armées françaises a détruit la plus importante base d’Ansaroul, dans la forêt de Foulsaré, au Mali. Une vingtaine de membres d’Ansaroul, dont Malam Dicko, sont morts à la suite de l'attaque. C’est le frère de Malam, Jafar, qui a alors pris la tête de l’organisation.
Le groupe armé AQMI et ses affiliés, et plus particulièrement le JNIM, ont revendiqué de nombreuses attaques au Burkina.[5] Citons notamment l’enlèvement en avril 2015 du Roumain Iulian Ghergut, employé d’une société minière, une attaque perpétrée en janvier 2016 contre un restaurant et un hôtel à Ouagadougou, l’enlèvement en janvier 2016 du médecin australien Ken Elliot, et l’attaque lancée à Ouagadougou le 2 mars 2018 contre le quartier général militaire et l’ambassade de France.[6]
D’après les travaux de recherche de Human Rights Watch, les groupes armés islamistes actifs dans le Sahel axent depuis 2012 leur recrutement sur les membres de l’ethnie Peul. En 2012, Human Rights Watch a documenté une opération de recrutement transfrontalière qui consistait à amener à Gao des hommes et des garçons peuls depuis le Niger et le Burkina Faso afin qu’ils suivent une formation dispensée par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), groupe affilié à AQMI. Depuis, de très nombreux hommes peuls ont été enrôlés dans des groupes islamistes armés dans le centre du Mali et le nord du Burkina.
Depuis 2015, de nombreux chefs communautaires peuls du Sahel affirment à Human Rights Watch être inquiets de la manière dont les Islamistes exploitent le sentiment de frustration des communautés face à la pauvreté, à la corruption du gouvernement, aux litiges intergénérationnels au sein de l’équipe dirigeante des clans peuls, au manque de justice rendue aux victimes de délits de droit commun et au comportement violent des forces de sécurité qui cherchent à réunir de nouvelles recrues. Ils se sont également dits préoccupés par ce qu’ils perçoivent comme étant une diabolisation de la communauté peule qui, affirment-ils, est tenue responsable de la hausse de l’insécurité dans le Sahel, ainsi que par le châtiment collectif auquel les forces de sécurité l’assujettissent.[7]
Au moment de la rédaction de ce rapport, la violence et l’insécurité au Burkina Faso avaient déjà entraîné le déplacement interne de plus de 12 000 résidents,[8] dont 5 000 personnes ayant fui en raison de la violence fin 2017.[9] Par ailleurs, 2 000 autres Burkinabè se sont réfugiés au Mali, pays voisin.[10]
La propagation des attaques par des groupes armés islamistes à travers le Sahel a suscité un engagement diplomatique et militaire de la part de la communauté internationale et, en 2017, elle a conduit à la création d’une force militaire de lutte contre le terrorisme réunissant cinq nations, la force conjointe G5 Sahel. Composée de troupes maliennes, mauritaniennes, burkinabè, nigériennes et tchadiennes, cette force sera chargée de coordonner ses opérations avec les 4 000 militaires français de l’opération Barkhane et les 12 000 Casques bleus de l’ONU déjà présents au Mali.
Meurtres et actes d’intimidation perpétrés par des groupes islamistes armés dans le nord du Burkina Faso
Nous craignons ces gens (les islamistes armés)… Ils nous menacent, nous tuent, nous enlèvent... Nos écoles sont fermées, nous n’avons rien à manger et l’économie dépérit. Si je pouvais prendre tout mon village et quitter cet endroit, je le ferais.
– Un ancien, village de la région du Sahel, février 2018.
De nombreux villageois de la région du Sahel se sont dit effrayés par la présence de combattants islamistes armés qui, depuis 2016, traversent périodiquement leur région. Un grand nombre de résidents ont déclaré que les combattants armés les avaient prévenus de ne donner aucun renseignement sur leur localisation aux services de sécurité de l’État ; d’autres ont affirmé que ces groupes exerçaient de fortes pressions sur eux pour qu’ils collaborent, notamment pour qu’ils leur vendent du carburant et des provisions. Plusieurs résidents de différents groupes ethniques ont déclaré avoir été enlevés, interrogés et dans certains cas battus ou dévalisés par ces hommes armés.
Human Rights Watch a documenté 19 meurtres s’apparentant à des exécutions qui auraient été commis par des groupes islamistes armés entre novembre 2016 et avril 2018. La plupart des victimes, des Peuls ethniques, ont tuées à l’intérieur ou aux alentours des villages ou villes de Djibo, Nassoumbou, Tem, Sona, Dohouré, Koutougou, Kenou, Kourfayel, Soboulé, Arbinda, Yorsala et Pétéga, qui font tous partie de la province du Soum. Des islamistes armés sont soupçonnés d’avoir tué un enseignant de Kain, dans la région du Nord.
Parmi les personnes ciblées se trouvaient des conseillers municipaux de villages, des maires, des anciens de villages, des marabouts, des membres des forces de sécurité à la retraite et des enseignants. La plupart de ces personnes avaient été tuées chez elles ou dans leur village ; quelques-unes avaient été détenues dans des camps de brousse au Burkina Faso ou au Mali pendant plusieurs jours avant d’être tuées.
Des témoins ont évoqué une méthode similaire employée par les individus présumés comme étant des islamistes armés et impliqués dans ces enlèvements et ces meurtres : plusieurs hommes munis d’une arme semi-automatique, notamment d’un AK-47, se rendaient à moto dans une ville ou un village pour enlever ou tuer directement la victime, qui semblait avoir été directement ciblée. Après l’enlèvement ou l’attaque, ces hommes quittaient rapidement les lieux.
Il est rare que les groupes islamistes armés revendiquent ces meurtres. Cependant, des témoins, des sources sécuritaires et des chefs communautaires ont cité plusieurs raisons qui les poussaient à croire que les islamistes armés étaient responsables de ces meurtres : premièrement, un grand nombre de victimes ont clairement été identifiées comme étant des représentants de l’État, contre lequel les islamistes ont lancé de nombreuses attaques armées. Deuxièmement, des témoins de plusieurs incidents ont identifié certains des auteurs impliqués dans les meurtres comme étant d’anciens membres d’Al-Irchad devenus membres d’Ansaroul Islam. Troisièmement, il est rare que les hommes armés aient volé quoi que ce soit à leurs victimes, ce qui suggère que le banditisme n’était pas un motif. Et quatrièmement, d’après des témoins, plusieurs des victimes avaient précédemment reçu un avertissement des islamistes armés.
D’après les témoins, un grand nombre de ces hommes ont été exécutés parce qu’ils auraient collaboré avec les forces de sécurité ; certaines victimes auraient été exécutées après la communication de renseignements qui ont conduit les forces de sécurité à arrêter ou tuer un suspect. Quelques anciens membres d’Al-Irchad auraient été tués pour avoir refusé d’appuyer la transformation du groupe en Ansoural Islam. Certaines des personnes tuées étaient issues des classes sociales et des clans qu’Al-Irchad dénonçaient depuis longtemps, tandis que d’autres auraient été tuées par des islamistes armés désireux de régler des comptes personnels. Certains de ces incidents se sont accompagnés d’actes de banditisme, notamment de vols de bétail.
Le 26 février 2018, ou autour de cette date, les corps de Harouna Hassan Dicko et de Housseni Ousmanne Dicko, âgés d’une cinquantaine d’années, ont été retrouvés à quelques kilomètres de leur domicile à Djibo ; ils présentaient tous les deux de profondes lacérations à la gorge. Un voisin a observé : « Les djihadistes les ont emmenés et c’est plusieurs jours plus tard que nous avons trouvé leurs corps. Les djihadistes ont véritablement pris cette famille pour cible, peut-être parce qu’elle est active au sein du gouvernement local et qu’elle soutient les forces de sécurité. » Ce témoin, qui s’est dit très proche de cette famille, a affirmé que les hommes avaient « été menacés plusieurs fois par Ansaroul parce qu’ils avaient aidé les autorités ».[11] Des témoins ont remis des photographies des victimes à Human Rights Watch.
Le 17 avril 2018, l’Agence France-Presse signalait qu’un porte-parole de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) avait revendiqué le meurtre de Hamidou Koundaba, maire de la commune de Koutougou (à 120 kilomètres de Djibo), commis le 8 avril 2018, au motif qu’il avait collaboré avec le gouvernement.[12] Un témoin a ainsi décrit l’attaque à Human Rights Watch :
Pendant la prière de 18 heures, deux hommes en tenue de camouflage armés de Kalachnikovs sont arrivés à moto dans le village et sont allés tout droit chez le maire. L’un d’eux s’est arrêté devant chez lui, tandis que l’autre est entré directement dans sa maison… Ils parlaient en pulaar… Tout s’est passé très vite. Ils l’ont tué puis ont pris la fuite. Il a reçu trois balles – une à l’épaule gauche, et deux à la poitrine. Tout le monde à Koutougou est choqué par une telle brutalité.[13]
Plusieurs villageois ont décrit ce qui semblerait avoir été des opérations coordonnées lors desquelles entre quatre et douze islamistes armés et à moto auraient commis des meurtres pratiquement simultanés dans plusieurs villages. Un ancien a décrit l’une de ces opérations lancées vers la mi-septembre 2017, lors de laquelle trois hommes qui se seraient opposés à Ansaroul Islam ont été tués :
Vers trois heures du matin, nous avons entendu des motos, des cris puis des coups de feu… Le lendemain, nous avons vu des cadavres sur la route reliant les villages de Dohouré et de Oudouga. Ils avaient tous reçu plusieurs balles à la poitrine. Les villageois ont expliqué qu’une demi-douzaine de membres d’Ansaroul avait fait sortir le chef du village de Dohouré-Fulbe, Dicko Amadou Mincalou, en le traînant. Au même moment, non loin de là, un autre groupe a enlevé le marabout et un jeune homme du nom de Tamboura à Dohouré-Rimaïbé. Ces trois victimes étaient connues pour avoir refusé d’observer leur programme… Ils avaient rejeté Ansaroul dès le début et, quelques jours auparavant, l’armée avait arrêté quatre membres d’une famille de Dohouré et les avait envoyés à la Prison de haute sécurité de Ouagadougou… Je pense que ces événements étaient liés... [14]
Environ deux mois plus tard, le 27 novembre, les islamistes armés sont revenus dans le même village, Dohouré-Rimaïbé, et ont tué Aissama Tamboura, le conseiller municipal. Un villageois a déclaré : « Il faisait déjà partie de leur liste la première fois, mais il était en pèlerinage à la Mecque. En novembre, ils sont venus vers minuit, se sont introduits dans sa maison par effraction et lui ont tiré dessus à plusieurs reprises… Nous avons compris qu’il avait parlé aux autorités de la présence des djihadistes près de notre village. »[15]
Un villageois a déclaré à propos d’une opération de ce type, lancée le 12 novembre 2016, qui ciblait deux conseillers municipaux de villages et un ancien chef d’Al-Irchad :
J’étais à une fête quand quelqu’un m’a appelé en me disant : « Fais attention, nous venons de voir trois motos se diriger vers toi. » Tout à coup, deux hommes à moto que nous avons reconnus comme étant membres du groupe de Malam ont déboulé et ont pris position devant le conseiller du village de Soboulé qui était venu dans notre village assister à la fête. L’un des djihadistes a essayé de tirer mais son fusil s’est bloqué et la population lui a sauté dessus et l’a roué de coups. J’ai reconnu les tireurs… Avant, ils faisaient partie d’Al-Irchad. Un peu plus tard, j’ai reçu plusieurs coups de fil de personnes qui m’ont expliqué que pratiquement au même moment, d’autres groupes de djihadistes avaient exécuté Tamboura Amadou Oumarou, un conseiller municipal du village de Pétéga, non loin de là, et, à Djibo, Amadou Boli d’Al-Irchad. Les personnes qu’ils pourchassaient s’étaient opposées à la nouvelle organisation de Malam.[16]
D’après le même témoin, le conseiller municipal du village de Soboulé, Hassan Dicko, qui avait échappé de justesse à un assassinat en novembre 2016, a été tué par des islamistes armés le 4 février 2017. « Il a tenté de fuir, mais ils l’ont rattrapé quelques mois plus tard ; ils l’ont pris dans un village au sud de Djibo qui s’appelle Yorsola. » [17] Les médias locaux ont signalé que cette attaque avait entraîné la mort de Dicko et de son fils de cinq ans, tandis qu’un autre de ses fils avait été blessé.[18]
Un témoin tenaillé par la peur, qui a prié Human Rights Watch de ne divulguer ni le nom de son village ni la date de l’incident par peur de représailles, a expliqué qu’on le « pourchassait » parce qu’il s’opposait aux islamistes. « Je venais de finir ma prière quand j’ai entendu des motos, alors qu’elles sont interdites la nuit. J’ai donc su que c’étaient eux. Je me suis mis à courir pour me cacher, mais je les ai vus – quatre motos, deux hommes sur chaque moto. Deux d’entre eux sont entrés de force chez moi – ils ont retourné les lits pour me trouver mais, ne me voyant pas, ils sont allés voir les autres maisons. J’ai entendu des coups de feu et plus tard j’ai vu les gens qu’ils avaient tués, chez eux… Ils étaient connus pour soutenir l’armée. »[19]
Un berger a décrit le meurtre commis vers le mois d’octobre 2017 d’Uyah DIicko, un éleveur de 57 ans, qui vivait dans un hameau près de Tchembolo :
J’ai été réveillé par toute une agitation. Deux d’entre eux sont arrivés, se sont introduits de force chez lui en appelant son nom deux fois – il a dit : ‘ J’arrive…’ À peine levé, l’un d’eux a dit en pulaar : ‘ Faut l’enflammer.’ Ils lui ont tiré dessus et ont tiré des coups en l’air en partant. Ils n’ont rien volé. J’ai vu trois balles – au flanc et à une jambe. Il tenait des propos critiques sur Al-Irchad. Ils essayaient de le recruter depuis 2011 mais il refusait.[20]
Un témoin du meurtre d’une personne qui aurait été un informateur dans la commune de Diguel, commis fin juin ou début juillet 2017, a déclaré :
Il était imprudent… Il venait de rentrer de Côte d’Ivoire où il s’était exilé, et il se vantait régulièrement d’avoir les numéros de membres des forces de sécurité enregistrés dans son téléphone. Il disait : ‘ J’ai survécu à la violence à Abidjan, je vais bien survivre à cela !’ Nous lui avons dit de faire attention, mais il n’arrêtait pas de dire : ‘ Ils ne peuvent pas me tuer !’ mais c’est ce qu’ils ont fait… Il revenait de la boutique, il était tout juste arrivé chez lui quand ils ont débarqué et lui ont tiré dessus… J’ai compté quatre blessures par balles. Ils avaient caché leurs fusils dans leurs boubous.[21]
Un commerçant local a expliqué avoir vu le corps décapité d’un homme âgé fin 2017. Trois villageois ont déclaré penser que cet homme avait été visé parce qu’il servait de guide à la Police environnementale Direction Générale des Eaux et Forêts, une force plusieurs fois ciblée par les attaques de groupes islamistes armés.[22] « Nous avons entendu dire qu’il avait été enlevé dans un village situé à 12 kilomètres de Nassoumbou, où il menait boire ses bêtes, et neuf jours plus tard, nous l’avons trouvé… J’étais là quand sa famille est venue chercher sa dépouille… Elle était sous le choc. Il paraît que sa tête avait été laissée près du bureau de la Police environnementale (Eaux et forêts) mais je n’ai pas eu le courage d’y aller. » [23]
Attaques visant le secteur de l’éducation perpétrées par des groupes islamistes armés dans
le nord du Burkina Faso
Nous faisions des progrès, nous avions de plus en plus d’enfants du nord du Burkina Faso qui étaient scolarisés, mais depuis 2016, l’insécurité nous fait reculer et cette tendance s’est inversée.
– Un responsable de l’éducation nationale à Ouagadougou, mars 2018.
Des employés du secteur de l’éducation ont décrit plusieurs menaces et attaques visant des écoles et des enseignants perpétrées par des islamistes armés à partir de janvier 2017. La majorité de ces attaques visaient des établissements de la province du Soum, où les groupes islamistes armés sont le plus actifs, mais à partir de novembre 2017, des écoles de la province de l’Oudalan ont fait l’objet de plusieurs menaces, ainsi que des établissements des régions Nord et Est du Burkina.
Human Rights Watch a rendu compte de menaces visant des enseignants ; du meurtre d’un directeur d’école et d’un enseignant ; et de l’enlèvement d’un enseignant ainsi que de la mort d’un élève, qui aurait été tué par des balles perdues, lors du même incident. Des témoins d’une douzaine de villages ont expliqué que des islamistes armés se déplaçant à moto menaçaient des enseignants en exigeant d’eux qu’ils abandonnent leur programme laïc au profit d’un enseignement coranique et qu’ils adoptent l’arabe comme langue d’enseignement au lieu du français. Un enseignant a ainsi déclaré : « Le message est clair : ‘Ne faites pas cours en français ; si vous insistez, nous vous tuerons.’ »
Si les élèves n’ont pas été directement ciblés par la violence, les attaques et l’insécurité générale dans le nord du pays ont provoqué une fuite des enseignants et des fermetures d’écoles, portant ainsi atteinte au droit à l’éducation.
Un représentant d’un syndicat national des enseignants a affirmé qu’entre le début de 2016 et la fin de février 2018, au moins 219 établissements primaires et secondaires du nord du pays avaient été fermés à cause de menaces, 20 163 élèves se retrouvant déscolarisés. Ce représentant a précisé que les établissements situés dans des zones rurales plus reculées et proches de la frontière avec le Mali et le Niger étaient particulièrement vulnérables aux menaces.[24]
Le 19 avril 2018, lors d’une réunion du cabinet pendant laquelle a été abordée la question des menaces pesant sur le secteur de l’éducation, il a également été souligné que 895 enseignants des régions du Sahel et du Nord étaient affectés par les fermetures d’écoles.[25]
Des agents du secteur de l’éducation ont précisé que la région du Sahel avait toujours affiché l’un des taux de scolarisation primaire les plus bas et qu’ils craignaient qu’à cause des attaques dans la région, les progrès réalisés en matière d’accès à la scolarité ne soient mis à mal.[26]
Le taux de scolarisation primaire dans la région du Sahel est le plus bas du pays depuis une décennie. Sur l’année scolaire 2014-2015, soit avant le début des violences dans la région, le taux brut de scolarisation primaire était de 51,9 %, contre 83,7 % au niveau national.[27]
Des sources sécuritaires ont affirmé que les menaces et attaques lancées contre le secteur de l’éducation provenaient à la fois d’Ansaroul et de l’EIGS.[28] L’Agence France-Presse a signalé que l’EIGS avait revendiqué l’enlèvement du 12 avril 2018 du professeur des écoles Issouf Souabo à Bourou (province du Soum, à 40 kilomètres de Djibo).[29] Le porte-parole de l’EIGS aurait déclaré que cet enseignant avait été visé parce qu’il faisait cours en français.[30] Un témoin de cet enlèvement, qui avait également entraîné la mort de l’élève Sana Sakinatou, a raconté à Human Rights Watch :
Vers 16 heures, alors que les enfants étaient en classe, environ cinq hommes armés sont arrivés dans l’école – ils ont tiré une série de coups de feu en l’air. Tout le monde s’est mis à courir dans tous les sens. Dans la panique, la confusion, un élève de CM2 a reçu une balle… Il n’était pas visé, mais il a quand même reçu une balle. L’enseignant, qui venait de prendre ses fonctions dans cet établissement, n’a pas pu s’échapper – il a été emmené de force par les assaillants… Ils sont partis en direction du Nord.[31]
Les meurtres de Salifou Badini, 28 ans, directeur de l’école primaire de Kourfayel (à sept kilomètres de Djibo), et d’un autre homme commis le 3 mars 2017, et dont on présume qu’ils auraient été perpétrés par des islamistes armés, ont poussé des dizaines d’enseignants à quitter le nord du Burkina Faso en catastrophe. Aucun groupe n’a revendiqué cette attaque, mais le ministre burkinabè de l’Éducation nationale de l’époque a mis en cause des hommes armés « qui essaient de provoquer une psychose générale afin de mettre un terme à l’éducation » dans le pays.[32] Un membre de la famille d’une de ces deux victimes a déclaré à Human Rights Watch :
On m’a téléphoné à 10h47 pour me dire que Salifou était mort. J’ai essayé de l’appeler mais personne n’a décroché. L’école primaire comptait trois classes et les élèves avaient entre 7 et 10 ans. Son corps se trouvait derrière l’école, de l’autre côté de la fenêtre – comme s’il avait essayé de s’échapper. Il avait été touché à la tête, à la poitrine et dans le dos. Un villageois qui faisait office de coursier a également été tué, dans un petit bureau à l’intérieur de l’école. Les deux hommes ont été tués pendant la récréation ; Dieu merci les enfants n’étaient pas en classe. Les villageois ont dit que les hommes étaient arrivés à moto, le visage recouvert d’un turban, et munis de fusils automatiques. Le directeur était quelqu’un de charismatique et de drôle – tout le monde l’appréciait. C’était sa troisième année dans cette école – il était aimé, et le jour où il est mort, j’ai vu les enfants pleurer. Nous ne savons pas pourquoi il était visé.[33]
Le soir du 26 novembre 2017, des hommes armés ont attaqué le logement de plusieurs enseignants du lycée départemental de Kain (province du Yatenga, région du Nord), tuant l’un d’eux, Koumayan Soulemane, et en blessant deux autres. L’attaque a provoqué la fuite d’agents du gouvernement local et la fermeture de plusieurs établissements scolaires et du centre de santé.[34] Des témoins de l’attaque et un représentant du lycée interrogés par Human Rights Watch ont affirmé que le motif de cette attaque n’était toujours pas connu, mais qu’ils soupçonnaient les islamistes armés, principalement parce que Kain se trouve tout près de zones maliennes où la présence des islamistes armés est bien établie. Ce dossier mérite une enquête plus approfondie. Un témoin a déclaré :
Vers 22h15, j’ai vu quelques enseignants discuter devant chez eux. Soulemane était à l’intérieur, il préparait ses cours. Soudain, il y a eu un bruit de moto, et au loin on a entendu des hommes se déplacer… puis un grand bruit, que j’ai pris pour l’explosion d’un pneu. Et puis, soudain, des tirs ont éclaté, les hommes armés ont tiré sur la maison des enseignants, les vitres se sont brisées. Ils sont entrés dans la maison, tuant Soulemane et blessant deux autres hommes. En repartant, les hommes armés ont volé deux motos. L’attaque a provoqué une véritable panique qui continue de se faire sentir aujourd’hui. Les écoles sont fermées et nous avons tout le temps peur, d’autant plus que nous sommes tout près de villages maliens où se trouvent ces gens (les islamistes armés).[35]
Un fonctionnaire local chargé de documenter les attaques ciblant le secteur de l’éducation dans la région du Sahel a déclaré que, le 14 novembre 2017, deux islamistes armés avaient confronté le directeur d’une petite école près de Deou en début de soirée alors qu’il préparait ses cours. « Ils ont demandé au directeur dans quelle langue il faisait cours, lui ont dit que faire la classe en français était ‘Haram’, et lui ont demandé de réciter le Coran. Ils lui ont ordonné de fermer l’école, ont incendié sa moto et tiré des coups de feu en l’air en partant. Paradoxalement, ils parlaient eux-mêmes en français. » Il a également décrit un incident similaire, qui a eu lieu le 21 janvier 2018, dans une école près de Tin-Akoff. Les deux écoles ont ensuite été abandonnées par les enseignants.[36]
Un ancien du village de Baraboulé a décrit une série d’attaques visant des écoles et des menaces à l’encontre d’enseignants de sa région. « En février 2017, ils ont menacé des enseignants à Lassa, Pelem Pelem, Fetakouba et dans d’autres villages, en leur disant : ‘Nous ne voulons pas que vous veniez ici faire la classe en français.’ En mars 2017, je me suis précipité à l’école primaire de Baraboulé après qu’Ansaroul l’avait incendiée ; j’ai trouvé le tableau noir, les bureaux et les bancs en flammes. L’État l’a déjà reconstruite – ils essaient de faire en sorte que les enfants ne perdent pas une année de scolarité. »[37]
Des enseignants et des chefs communautaires ont déclaré que les enseignants étaient plus susceptibles de faire l’objet d’attaques et d’actes d’intimidation pour quatre raisons : premièrement, la plupart des enseignants sont employés et payés par l’État, et le fait de provoquer leur fuite fait avancer la cause des islamistes, laquelle consiste à débarrasser le nord du pays de toute institution étatique. Deuxièmement, Ansaroul Islam punit les enseignants qui ont bénéficié d’Al-Irchad mais qui refusent aujourd’hui de soutenir la transformation de ce groupe en une insurrection armée. Comme l’a expliqué un représentant d’un syndicat d’enseignants : « La stratégie d’Al-Irchad consister à payer les dettes des enseignants, y compris les dettes contractées pour l’achat de terrains, la construction de maisons ou l’éducation de leurs enfants. Ainsi, les enseignants leur sont redevables. Dans un premier temps, les enseignants ont cru qu’il s’agissait d’un acte caritatif, avant de comprendre ce qu’Irchad leur demandait. »[38] Troisièmement, certains enseignants sont perçus comme servant d’informateurs aux services de sécurité. Enfin, comme l’a constaté un enseignant : « Si vous voulez trouver des recrues, jouer avec leur tête en les endoctrinant quand ils sont encore tout jeunes est une méthode efficace. »[39]
Suite à l’enlèvement d’un enseignant par l’EIGS et au meurtre d’un élève dans le village de Bourou le 12 avril 2018, le Premier ministre Paul Kaba Thiéba et le ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation Stanislas Ouaro ont annoncé des plans visant à renforcer la sécurité dans les établissements scolaires du nord du pays pour s’assurer que les élèves puissent mener à bien les programmes et passer leurs examens sans retard, et à fournir des soins psychologiques aux élèves et enseignants affectés par l’insécurité.[40]
Attaques par des groupes armés à Ouagadougou
Même la guerre n’est pas comme ça… Par temps de guerre, votre ennemi vous donne la possibilité de vous battre pour survivre.
– Un vendeur de rue blessé lors d’une attaque perpétrée le 15 janvier 2016 à Ouagadougou, mars 2018
Sept survivants d’attaques violentes visant des hôtels, des cafés et d’autres lieux de rencontre à Ouagadougou ont décrit ces événements à Human Rights Watch. Le 15 janvier 2016, trois tireurs ont ouvert le feu sur la terrasse du café Le Cappuccino, avant de s’en prendre à l’hôtel Splendid et au « maquis » Taxi Brousse. Trente personnes ressortissantes d’au moins 11 pays ont trouvé la mort dans ces attaques et plus de 70 ont été blessées. Parmi les morts figuraient huit Burkinabè, quatre membres d’une famille ukrainienne, dont un enfant de neuf ans, et quatre membres d’une famille canadienne. Une victime a expliqué :
J’ai d’abord cru à un vol, mais quand ils s’en sont pris aux clients, nous avons compris qu’il s’agissait d’autre chose. Plus d’une quarantaine d’entre nous nous sommes précipités dans les toilettes où, serrés les uns contre les autres, nous avons éteint nos téléphones et avons prié. Seul Dieu a empêché les terroristes de rentrer. Je les ai entendus marcher, tirer des coups de fusil… pam pam… puis crier ‘ Allahu Akbar.’ Nous avons entendu des explosions – des grenades qu’ils avaient lancées – qui ont déclenché un incendie dans le bâtiment. Alors que la fumée se répandait, j’ai commencé à suffoquer et ai tant bien que mal réussi à sortir. J’avais du mal à trouver mon souffle. Je me suis dit qu’on me tirerait dessus, mais que là où je me trouvais, j’allais mourir. Le propriétaire a perdu sa femme, son fils, sa mère et sa belle-sœur… trois générations frappées par le terrorisme.
Un autre employé qui a survécu à l’attaque a déclaré : « Chaque fois que je viens travailler, je revois les morts : trois affalés sur cette table, cinq ici, deux là. Je revis sans cesse cette journée. »
Un vendeur de rue de 28 ans devenu handicapé à cause d’une balle qu’il a reçue en haut d’une cuisse a expliqué :
Je bavardais sur la terrasse lorsque trois hommes munis d’armes d’épaule croulant sous les munitions sont apparus et ont pris place à quelques mètres de là… Je me suis enfui mais j’ai reçu une balle et suis tombé… Je saignais beaucoup mais j’ai réussi à m’éloigner petit à petit en rampant tandis qu’ils continuaient à tuer des gens… Je me suis caché derrière un véhicule puis me suis servi de ma ceinture pour stopper l’hémorragie… Je me suis évanoui et n’ai repris connaissance que parce que ma chaussure avait pris feu à cause de l’essence qui s’échappait d’une voiture incendiée.[41]
Le 13 août 2017, deux hommes ont ouvert le feu sur la terrasse de la pâtisserie café Aziz Istanbul. Avant que des membres de l’Unité spéciale d’intervention de la Gendarmerie nationale (USIGN) ne parviennent à tuer les assaillants, 18 personnes, parmi lesquelles figuraient une majorité de Burkinabè mais également des ressortissants de sept autres nations, étaient mortes et plus de vingt étaient blessées. Personne n’a revendiqué cette attaque. Un gardien de la sécurité a déclaré :
Il y avait plein de gens qui fêtaient deux anniversaires. Vers 21 heures, deux hommes à moto ont percuté une voiture devant le café Istanbul. Nous avons plaisanté en disant que de nos jours, les gens ne savaient plus conduire. Mais les deux hommes se sont ensuite relevés, ont sorti des fusils et se sont mis à tirer en direction de tous ces gens qui faisaient la fête. J’ai pris mes jambes à mon cou, en me disant : ‘ Oh mon Dieu, faites que cela ne recommence pas !’ Plusieurs heures plus tard, depuis ma cachette, je les ai vus sortir les corps, un à un. J’avais laissé mon téléphone branché sur le chargeur et quand j’ai fini par arriver chez moi, ma famille a éclaté en sanglots en voyant que j’étais en vie.[42]
Le 2 mars 2018, le JNIM, groupe affilié à Al-Qaïda, a ciblé le quartier général de l’armée burkinabè et l’ambassade de France, actes qui auraient été commis en représailles à la mort de certains des membres du groupe attribuable aux forces françaises au Mali.[43] Aucun civil n’a été tué, mais des dizaines ont été blessés.
Exactions commises par des membres des forces de sécurité du Burkina Faso
Quand les forces de sécurité tuent au nom du terrorisme, elles n'agissent pas mieux que les djihadistes. L'État a des lois ; il a signé des conventions internationales. Il doit prendre de la hauteur morale et être meilleur qu'eux.
– Un défenseur burkinabè des droits humains, février 2018.
Human Rights Watch a documenté 14 exécutions sommaires présumées par des membres des forces de sécurité de l'État et quatre décès en détention. Plusieurs autres cas dans lesquels les témoins estiment que des membres des forces de sécurité sont impliqués méritent une enquête plus approfondie. Tous les abus présumés ont été commis en 2017 et au début de 2018 dans la province du Soum, notamment autour des villes de Nassoumbou, Djibo, Bourou, Baraboulé, Inata, Sona et Tchembolo. La majorité des abus ont été commis entre septembre 2017 et février 2018.
Des témoins, des membres de la communauté et des sources au sein du secteur de la sécurité ont déclaré que les auteurs présumés de ces actes étaient des membres de l'armée burkinabè, de la gendarmerie nationale, de deux unités spéciales créées pour répondre à la menace croissante des groupes islamistes armés (le Groupement des Forces Antiterroristes et l’Unité Spéciale d'Intervention de la Gendarmerie Nationale)[44] et, dans une moindre mesure, de la Police Nationale du Burkina Faso.
Le Groupement des forces antiterroristes (GFAT) est composé de militaires et de gendarmes et leur quartier général se trouve à Kaya, à 100 kilomètres de Ouagadougou.[45] Il dispose d'unités basées dans plusieurs villes dont Nassoumbou,[46] Koutougou,[47] Djibo, Dori et Ouahigouya. Le GFAT a été créé par décret en 2012 afin de renforcer les forces de défense et de sécurité et il est sous le commandement direct du chef d'état-major de l’armée. Des experts de la sécurité ont déclaré que les troupes du GFAT changeaient de bases de terrain tous les trois mois.[48]
L'Unité spéciale d'intervention de la gendarmerie nationale (USIGN) est une unité antiterroriste spéciale d’élite de 300 hommes au sein de la gendarmerie nationale.[49] Bien qu'opérationnelle depuis 2012, elle a été formellement créée par un décret de 2015 signé par les autorités du gouvernement de transition. L'USIGN est chargée de la lutte contre le
terrorisme, y compris les libérations d'otages et la collecte de renseignements, ainsi que de la lutte contre le crime organisé.[50] L'unité, qui fait partie des forces de défense et de sécurité, est basée à Ouagadougou, rattachée à la gendarmerie nationale et placée sous le commandement du chef d'État-major de la gendarmerie.
La plupart des témoins n’ont pas été en mesure d'identifier les membres de la force de sécurité de façon individuelle, les commandants ou les unités spécifiques impliquées dans les violations des forces de sécurité décrites ci-dessous, la plupart décrivant simplement les auteurs présumés comme des « militaires » ou des « gendarmes ». De même, la plupart des témoins ne faisaient pas de distinction entre l'armée et le GFAT ou entre la gendarmerie et l'USIGN.
Les témoins ont toutefois clairement décrit les personnes impliquées comme portant des uniformes militaires, conduisant des véhicules d'État connus pour être utilisés par les forces de sécurité et, dans certains cas, ils ont indiqué avoir été détenus par des militaires qui tenaient des postes de contrôle ou bien avoir été détenus dans des bases bien connues.
Le nombre d'auteurs présumés impliqués dans les abus documentés variait : certains incidents impliquaient quelques membres des forces de sécurité alors que d'autres se déroulaient dans le contexte de vastes opérations comportant de nombreux véhicules remplis de membres des forces de sécurité.
Une douzaine de témoins ont décrit avoir vu des corps le long des routes et sur des sentiers près des villes de Djibo, Nassoumbou et Bourou, entre autres. Ces personnes et des personnes ayant connaissance des incidents ont déclaré que la plupart de ces hommes avaient été vus pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité gouvernementales basées ou opérant dans ou autour des mêmes villes. Plusieurs témoins ont indiqué que certains des meurtres présumés avaient eu lieu peu de temps après les attaques armées islamistes qui avaient tué ou blessé des membres des forces de sécurité ou des responsables du gouvernement local.
Des diplomates, des travailleurs humanitaires et des dirigeants communautaires ont exprimé leur inquiétude face à ce qu'ils ont qualifié de vague d'homicides illégaux perpétrés par les forces de sécurité dans la deuxième moitié de 2017. Un diplomate a déclaré à Human Rights Watch : « Il est bien connu dans le nord que plusieurs personnes arrêtées par les forces de sécurité ont été retrouvées mortes le lendemain. C'était particulièrement grave en fin 2017. Personne ne s'attaque à ce problème. »[51] Un travailleur humanitaire qui avait suivi les incidents a indiqué que plusieurs meurtres avaient directement suivi des attaques au cours desquelles des membres des forces de sécurité étaient morts.[52] Une commerçante locale et travailleuse humanitaire du Soum a déclaré : « Trouver des corps sur les routes n'est pas normal, cependant personne ne le dénonce. »
Une source du secteur de la sécurité ayant connaissance des exactions a déclaré qu'il pensait que les corps étaient abandonnés au grand jour « dans le cadre d'une stratégie visant à dissuader les gens de rejoindre Ansaroul ».[53]
Quelques témoins de Nassoumbou ont déclaré qu'ils croyaient que des militaires basés dans le Nassoumbou et qu'ils croyaient être du GFAT étaient responsables de certains abus. Un communiqué de l'armée du 15 janvier 2018 a noté que « les unités du GFAT mènent quotidiennement des opérations dans le nord du Burkina Faso » pour aider à sécuriser la région.[54]
Deux experts en matière de sécurité, un témoin et deux dirigeants communautaires interrogés par Human Rights Watch ont allégué l'implication de membres du personnel de l'USIGN dans certains des meurtres décrits dans ce rapport. L'un des experts de la sécurité a indiqué que quelques membres présumés de l’USIGN) étaient basés dans la région du Sahel du début de 2017 jusqu'en février 2018 et opéraient depuis différents quartiers généraux de la gendarmerie. « Ils travaillent en étroite collaboration avec les services de sécurité de l'État pour identifier les présumés terroristes - sur la base de listes - et sont responsables de la présence de certains corps qu’on retrouve dans les rues. Ils donnent une mauvaise image des autres gendarmes. »[55]
Plusieurs résidents de villages et de villes du nord du pays ont interprété la réaction des forces de sécurité à un meurtre donné, ou à son absence, comme un indicateur de leur responsabilité dans certains des abus. Un ancien a expliqué : « Lorsque les djihadistes sont soupçonnés d’un meurtre, les forces de sécurité réagissent différemment ; elles lancent une enquête, elles s'emparent de tout le village en bloquant souvent les entrées ; elles effectuent des arrestations ; elles le dénoncent à la radio, sur les médias sociaux, dans des déclarations. Lorsqu'un corps apparait et qu’elles ne font rien de tout cela, nous soupçonnons les forces de sécurité. Le soupçon est encore plus fort lorsque les autorités arrêtent ou somment d'interroger d'autres membres de la famille du défunt. »[56]
La grande majorité des victimes des abus commis par les forces de sécurité dans les cas documentés étaient des membres du groupe ethnique peul. Un ancien du village a noté que « certains parmi ceux arrêtés ont des liens avec les djihadistes, et s'ils sont des terroristes, bien sûr, arrêtez-les, jugez-les et condamnez-les. Mais trop d'entre nous sont battus ou pire, exécutés par les mêmes personnes qui sont payés pour nous protéger. »[57]
De nombreux dirigeants peuls ont déclaré que les abus encourageaient les membres de leur communauté à rejoindre les groupes armés. L'observation d'un chef de village était typique : « Leur comportement brutal conduit les gens à Ansaroul. »[58]
Exécutions extrajudiciaires présumées
Le 27 décembre 2017, des militaires ont arrêté 27 hommes alors qu'ils fuyaient le hameau de Damba suite à une incursion et à une tentative d'enlèvement d'un villageois par des islamistes. Après avoir passé une nuit de détention dans un camp de la force de sécurité à Sona, huit des hommes ont été séparés du groupe et ont été exécutés. Les hommes restants ont été transférés dans un camp de l'armée puis de la gendarmerie à Djibo. Un des cinq témoins des événements interrogés par Human Rights Watch a expliqué :
Les djihadistes sont venus à Damba pour kidnapper un résident du Songhoï, alors les Peuls (de Damba) – craignant une opération de l'armée – ont décidé de fuir jusqu'à ce que les choses se calment. Les militaires ont encerclé le village à la recherche de djihadistes et ont commencé à nous appréhender. Ils ont confisqué nos cartes d'identité, nous ont bandé les yeux avec nos turbans, nous ont attaché les mains et ils ont mis 27 d’entre nous dans un gros camion militaire. C'était une grosse opération, avec plusieurs véhicules et des dizaines de militaires. Avant de partir ils ont mis le feu à une maison et à deux motos. Deux hommes ont tenté de s'enfuir et ont été violemment battus. Au crépuscule, nous sommes arrivés au camp de Sona à une dizaine de kilomètres. Ils nous ont appelés un par un hors du véhicule, ont enlevé nos bandeaux et nous ont ordonné de rentrer dans un bâtiment dans le camp ; nous n’avons pas été battus. Le lendemain matin, les militaires nous ont appelés un à un par nos noms, nous ont remis les bandeaux et nous ont ordonné de monter dans un véhicule militaire en attente. Mais huit noms n'ont pas été appelés ; c’étaient ceux dont les corps ont été trouvés plus tard ...deux d'entre eux étaient des frères, la plupart appartenaient à la même grande famille. Ils ont emmené le reste d’entre nous au camp militaire de Djibo où nous avons passé huit jours, et plus tard à la gendarmerie où nous avons été interrogés. Sur notre groupe de 27, huit ont été tués, quatre ont été envoyés en prison à Ouagadougou et le reste d'entre nous a été libéré. Pourquoi feraient-ils cela à mon village ... nous aussi craignons Ansaroul.[59]
Un analyste du secteur de la sécurité et deux témoins ont déclaré que le camp de Sona abrite un détachement de gendarmes qui y avaient initialement été déployés pour sécuriser une mine d'or à proximité, qui a maintenant suspendu ses opérations. Ils ont indiqué penser que le camp est à présent utilisé périodiquement par les militaires lorsqu'ils mènent des opérations militaires dans la région.[60]
Deux autres témoins ont décrit l'endroit où les huit hommes auraient été abattus. L'un d'eux a expliqué : « Nous avons enterré sept hommes dans deux fosses communes à une vingtaine de kilomètres de Damba. Nous en avons trouvé cinq à un endroit et les autres à une centaine de mètres de là. Tous avaient été blessés par balles, certains à la tête ... certains avaient les yeux bandés, d'autres avaient les mains liées. Un homme respirait encore ... il a été emmené dans un village voisin. »[61]
Un témoin qui a tenté d’app0orter des soins au blessé a expliqué : « Il ne cessait de demander de l'eau ... on lui avait tiré dans les intestins. Quand les autorités ont appris qu'il était vivant, ils l'ont à nouveau détenu mais les gendarmes de Nassoumbou ont appelé pour nous dire qu'il était mort quelques heures plus tard ; que nous devions venir chercher le corps. »[62]
Des sources du secteur de la sécurité et deux diplomates ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils pensaient que le meurtre de Moumouni Moussa Dicko, marchand de bestiaux et membre du gouvernement local de Kérboulé (commune de Nassoumbou) avait été perpétré par des membres des services de sécurité.[63] Un ancien de la communauté a indiqué qu'il s'était plaint auprès de membres du gouvernement de son meurtre perpétré par des membres des services de sécurité.
Deux témoins ont parlé à M. Dicko après qu’il ait été convoqué le 27 septembre 2017 par des gendarmes basés à Djibo. Son corps a été retrouvé le lendemain matin. « J'étais avec Moumouni quand il a reçu un appel ; après avoir raccroché, il m'a dit : ‘Je viens de recevoir un appel de [nom non publié] ; il a besoin que je passe à la gendarmerie.’ »[64]
Un autre témoin a déclaré : « J'ai vu Moumouni à Djibo vers 17 heures, près du marché ; il m'a dit qu'il achetait quelque chose à donner aux gendarmes ; qu'il était en route pour aller les voir. A 6 heures le lendemain matin, j'ai vu un corps allongé sur la route alors que je quittais la gare routière de Djibo ... ils m'ont appelé pour dire que c'était Moumouni. »[65]
Un troisième témoin a indiqué avoir vu son corps à la morgue le 28 septembre « avec un impact dans la poitrine. J'ai appelé sa famille, en demandant après Moumouni, mais ils ont dit : ‘Il a été convoqué par les gendarmes hier soir ... nous ne savons pas ce qui se passe, mais nous lui apportons de la nourriture plus tard aujourd'hui.’ Je ne pouvais pas supporter de leur dire ce que je savais. » [66]
Un ami de la famille a déclaré que plusieurs membres de la famille de M. Dicko ont également été arrêtés par la suite et détenus pour être interrogés au sein de la gendarmerie.[67]
Le 13 octobre 2017, le professeur franco-arabe Amadou Dicko, âgé de 45 ans, a été contraint de monter sur une moto alors qu'il quittait la mosquée après les prières du soir dans le secteur 4 du quartier de Djibo. Son corps a été découvert plusieurs heures plus tard. Deux analystes de la sécurité, des dirigeants de la communauté et un membre de la communauté diplomatique ont déclaré à Human Rights Watch que leurs enquêtes sur cette affaire suggéraient la participation des forces de sécurité.[68] Un témoin de Djibo a expliqué :
Nous étions ensemble en début de soirée et avions prévu de nous retrouver plus tard, mais quelques minutes plus tard j'ai reçu un appel paniqué d'un ami disant qu'il venait de voir Amadou enlevé par trois hommes en civil avec des pistolets, qu'il avait été forcé de monter sur leur moto en se débattant. Nous avons entendu des coups de feu quelque temps plus tard, et plus tard dans la nuit, nous avons trouvé son corps à moins d'un kilomètre et demi sur la route qui va de Djibo à Ouagadougou. Il était sur le dos, avec une balle au côté. Nous avons appelé la police pour déposer une plainte, ils sont venus, mais en grommelant qu’il était un djihadiste.[69]
Un commerçant a décrit comment début mars 2018 des militaires avaient appréhendé Sadou Moumouni Dicko, âgé d’environ 45 ans, qui travaillait comme porteur de chameaux sur le marché de Nassoumbou. « À 10 mètres de là, j'ai vu deux militaires au marché sur une [moto] Yamaha et armés de kalachnikovs. Sadou venait d'arriver et d’attacher son chameau. Les militaires semblaient le chercher. Ils ont demandé sa carte d'identité, et quand ils ont vérifié que c'était lui, ils l'ont menotté, l'ont mis entre eux deux sur leur motocyclette, et ils sont repartis. Nous avons entendu des coups de feu plus tard dans la journée et nous avons retrouvé son corps le lendemain à Fina, un petit hameau situé juste au nord de Nassoumbou ; il gisait face contre terre, les yeux bandés. Il avait reçu une balle dans la tête. »[70]
Fin novembre 2017, les corps de deux commerçants, dont un témoin a indiqué qu’ils avaient été arrêtés à un poste de contrôle de l'armée alors qu'ils quittaient le marché de Nassoumbou pour retourner dans leur village, appelé Tem, ont été retrouvés le lendemain à environ quatre kilomètres au sud. Le témoin a déclaré :
L'un était venu acheter de la nourriture pour animaux et l'autre vendre ses articles en fer. J’étais également au marché ce jour-là entrain de vendre. Le poste de contrôle de l'armée est à quelques kilomètres au nord du marché et ils ont été arrêtés vers 16 heures et placés dans une camionnette. Je suis sûr que le poste de contrôle est géré par l'armée, nous voyons leurs voitures quitter le camp, aller au poste de contrôle et revenir. Les morts..., leurs visages étaient complètement couverts par leurs turbans ... on aurait dit qu'on leur avait tiré une balle dans la tête ...le sang avait trempé leurs vêtements. Plus tard, les familles sont venues récupérer leurs corps pour l'enterrement. J'ai entendu leurs proches (membres de la famille) se plaindre que les gendarmes avaient refusé d'enquêter sur l'incident mais qu'ils avaient eux-mêmes été interrogés en tant que suspects.[71]
Un témoin a indiqué avoir vu trois corps près de Nassoumbou en une semaine alors qu'il cherchait son proche âgé de 25 ans, qui avait été vu pour la dernière fois après avoir été arrêté par des militaires près de Bourou, en novembre 2017. L'un des morts était membre de sa famille ; les deux autres victimes sont décrites ci-dessous. Il a déclaré :
Un ami a appelé vers 16 heures en disant ‘les militaires viennent d’emmener [nom non divulgué] alors qu’il rentrait à pieds du marché !’ Le lendemain, j'ai demandé de l'aide aux forces de sécurité à Nassoumbou ... tout ce qu'ils ont dit, c'est : ‘Vous devriez dire aux djihadistes de cesser de nous attaquer.’ Une semaine après [nom non divulgué] a disparu, on m'a parlé d’un autre corps près du village de Kabakoy. Dès que je l'ai vu, j’ai compris. Ses mains étaient attachées, son corps enflé, avec trois trous dans la poitrine, deux à la tête. J'ai appelé un gendarme pour leur demander de faire un rapport, mais tout ce qu'il a dit c’était : ‘Vous devriez juste l’enterrer.’[72]
Exécutions sommaires présumées justifiant une enquête plus approfondie
Des témoins, des leaders de la société civile et les chefs de village ont décrit huit autres cas d’exécutions illégales présumées commises par des personnes soupçonnées d'appartenir aux forces de sécurité. Human Rights Watch n'a pas pu s’entretenir avec des témoins directs de ces cas, mais nous estimons que tous méritent une enquête plus approfondie.
Le témoin à la recherche du membre de sa famille détenu par les forces de sécurité près de Bourou (voir la section Exécutions extrajudiciaires présumées) a décrit avoir vu deux autres corps avant de trouver celui de son proche. Il a suggéré que l'un d'entre eux avait également été arrêté et tué par les forces de sécurité. Il a déclaré :
Deux jours après la détention de mon proche, j'ai entendu dire qu'il y avait un corps à un kilomètre au sud du camp militaire de Nassoumbou. Je m'attendais à le voir mais à quelques mètres de la route se trouvait un autre homme ; les yeux bandés et ligoté ... on lui avait tiré dessus plusieurs fois – dans la tête et au cou ; plus tard, les habitants du village de Bourou m'ont dit son nom et ont expliqué qu'il avait disparu après avoir été arrêté par des militaires basés à Nassoumbou. Plus tard dans la journée, j'ai appris la présence d'un autre corps – mais encore une fois, ce n'était pas mon proche – ses mains avaient été attachées avec un cordon en caoutchouc ... il était mort depuis quelques jours.[73]
Un homme aurait été tué après le meurtre d'un chef de village par des islamistes armés : « Nous avons trouvé quelques corps après que le chef du village de Tem ait été tué par Ansaroul. L'un d’eux était Issa Dicko qui a été tué en novembre [2017] ; il était venu à Nassoumbou pour un enterrement et il a été arrêté par les forces de sécurité devant tout le monde alors qu’il réparait son pneu de vélo. Je n'ai pas vu son arrestation mais plus tard j'ai vu son corps sur le côté gauche de la route, plusieurs kilomètres avant Djibo. Il était face contre terre ... ses yeux bandés avec un tissu blanc. » [74]
Fin septembre ou début octobre 2017, deux témoins ont vu les corps de trois hommes à quelques kilomètres au sud de la mine d'or Inata (commune de Tongomayel). On leur avait dit que les hommes avaient été arrêtés auparavant par les forces de sécurité. Une source de sécurité qui surveille de près les attaques dans le nord a déclaré à Human Rights Watch qu'il pensait que les forces de sécurité avaient été impliquées dans ces meurtres, ce qui mérite une enquête plus approfondie.[75] Un témoin a expliqué :
J'étais allé à Tchembolo pour acheter du millet et tout le village parlait de l'arrestation, vers minuit, de trois hommes qui avaient été emmenés par des hommes en uniforme, dans un véhicule militaire. Ce même vendredi, j'ai vu les corps près de l'embranchement pour Gomde. Quelques jours plus tard, j'ai vu un autre corps à côté de la clôture qui entoure la mine Inata. Je connaissais deux des morts de Tchembolo ... ils étaient marabouts. Après ça, je me suis enfui à [Ouagadougou] ... quand ils arrêtent, tuent ou font disparaître ton voisin, tu commences à craindre que ton jour ne vienne.[76]
Un responsable de la communauté a déclaré que les tueries près d'Inata se sont produites peu après que des attaques d'islamistes armés dans les mêmes environs avaient fait plusieurs morts, dont deux gendarmes tués par un engin explosif le 26 septembre 2017 et trois civils près de Tourounata.[77] Ces incidents, qui ont également été signalés dans les médias, méritent un examen plus approfondi.[78]
Une organisation de défense des droits touareg et des membres des familles ont déclaré à Human Rights Watch que début décembre 2017, deux réfugiés Touaregs du Mali, Abdou Ag Alhousseiny et Mohamed Ag Amano, auraient été maltraités et tués plus tard à l’intérieur ou près d’un poste de contrôle de l’armée près d'Ariel le 1er décembre 2017. Ils ont expliqué que les hommes auraient obtenu des autorités burkinabè une autorisation de voyager pour quitter le camp de réfugiés de Mentao dans lequel ils résidaient. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de parler à un témoin direct de l'arrestation mais a reçu des photographies des corps et de la moto des hommes décédés.[79]
Arrestations de masse, mauvais traitements et morts en détention
Des dirigeants de la communauté se sont plaints de nombreux cas où les forces de sécurité semblaient détenir au hasard des hommes qui se trouvaient à proximité d'incursions, d'attaques ou d'embuscades tendues par des groupes islamistes armés.
Ils ont qualifié de punition collective les arrestations des hommes, détenus sur le chemin des marchés locaux, rassemblés à un point d'eau, ou dans leur village. Ils ont déclaré que la grande majorité des détenus avaient été libérés après des enquêtes préliminaires menées par la gendarmerie locale, ce qui suggère que de nombreuses détentions reposaient sur des preuves fragiles.
Quelques témoins ont déclaré que les personnes impliquées venaient du GFAT parce qu'ils avaient observé des véhicules militaires présents dans de vastes opérations entrant et sortant des bases du GFAT à Djibo et à Nassoumbou. Le 15 janvier 2018, les Forces armées nationales du Burkina Faso ont annoncé que les récentes opérations de sécurité du GFAT dans le nord du pays ont conduit à l'arrestation et à l'interpellation de plus de 200 personnes soupçonnées d'activités terroristes, dont 33 ont été détenues pour une enquête plus approfondie, tandis que les autres ont été libérées.[80]
Human Rights Watch a documenté six arrestations massives de ce type survenues en 2017 et au début de 2018. Les abus en détention décrits ci-dessous se sont produits dans le contexte de plusieurs de ces arrestations massives. Des témoins ont déclaré que les abus avaient été infligés par des membres des forces de sécurité lors d'interrogatoires ad hoc dans les premiers jours après leur détention et avaient eu lieu dans des bases militaires, des villages et des postes de contrôle. Les témoins ont déclaré que les abus ont généralement cessé lorsque les détenus ont été remis aux gendarmes du gouvernement.
Human Rights Watch a interrogé trois agents de santé qui prodiguaient des soins médicaux à des hommes ayant été appréhendés lors des arrestations massives, peu après leur libération, et qui ont expliqué avoir soigné les coupures, ecchymoses, hématomes et entailles que de nombreux hommes avaient subis pendant leur détention.
Trois témoins ont décrit la détention d'une quinzaine d'hommes le 29 janvier 2018, peu après qu'une embuscade tendue par des islamistes armés ait tué deux policiers sur la route entre les villages de Baraboulé et de Petegoli. Deux des détenus, dont un souffrant d'une maladie mentale, sont décédés à la suite de mauvais traitements infligés tant par les policiers que par les militaires. Un témoin a décrit les blessures de l'homme : « Il présentait des marques noires et bleues et du sang coagulé sur tout le corps ; et son visage était visiblement enflé. »[81] Un autre témoin a déclaré :
L'embuscade s'est produite vers 6h30 du matin. La police a demandé un renfort à l'armée puis a commencé à arrêter les bergers qui gardaient leurs animaux ou se rendaient au marché. J'ai vu la police et les militaires les battre, sévèrement, avec du bois, des cordons en caoutchouc et à coups de crosse près de l’embuscade et sur le chemin vers la station de police de Djibo. Ils les ont insultés et ont menacé de les tuer. Nombre d’entre eux saignaient à cause d'entailles sur la tête, les bras et le dos. Ils n'ont pas mangé ni bu pendant deux jours. Vers le quatrième jour de leur détention, ils ont été sortis de la cellule pour être photographiés, mais un détenu, qui était malade mentalement, ne comprenait pas ce qu'on lui demandait ; il a refusé de tenir le papier pour la photo de la police. Les policiers se sont jetés sur lui jusqu'à ce qu'il tombe et ont continué de le battre et de le frapper. Après avoir vu à quel point il était mal, les policiers l'ont emmené à la clinique, mais il est mort peu de temps après. Un deuxième homme, qui avait été détenu près du site de l'embuscade à Petagoli, est mort dans la cellule ... les prisonniers ont crié ‘ cet homme est malade ... il va mourir, il a besoin d'eau !’ Mais un policier a dit : ‘ Oublie ça, vous allez tous mourir ici.’ Le prisonnier a rendu l’âme (est mort) une heure plus tard.[82]
Un villageois a décrit comment des militaires ont arrêté et sérieusement maltraité 11 hommes qu'ils avaient rassemblés près d'un village dans la province de Soum au début du mois de juillet 2017, peu de temps après qu'un véhicule militaire ait heurté un engin explosif, blessant plusieurs militaires :
Ils ont rassemblé tous les hommes qu'ils ont trouvés – jeunes et très vieux – comme s’ils accusaient le village entier. Ils ont arraché le boubou d'un vieil homme pour leur bander les yeux, puis ils les ont battus sans pitié – avec du bois, des ceintures et des matraques – les coups ont continué dans les véhicules. Ils ont tous été relâchés après un interrogatoire, et tous avaient besoin de soins médicaux – portaient des entailles à la tête et un autre au bras ... il a continué à empêcher ses enfants d'être frappés – et a été frappé encore et encore. Nous comprenons la nécessité d'interroger les suspects, mais certaines personnes rejoignent les djihadistes à cause de ces mauvais traitements.[83]
Un résident de Nassoumbou a déclaré fin décembre ou début janvier 2018 que des militaires basés à Nassoumbou et dont il pensait qu’ils étaient avec le GFAT, ont arrêté plus de 20 hommes, dont beaucoup étaient au village ou gardaient leurs animaux ; quelques-uns ont ensuite été envoyés à la prison de haute sécurité de Ouagadougou. Il avait été témoin de certaines des arrestations et a ensuite rendu visite à trois des hommes après leur libération. « Les hommes ont été sérieusement battus ... y compris un homme de 70 ans et deux autres qui avaient environ 50 ans. Le plus âgé ne pouvait même pas se lever – j'ai vu une large sur sa tête. Un autre homme avait environ quatre marques sur son dos. Ils m'ont dit qu'on les avait accusés de vendre de l'essence et du sucre aux djihadistes. »[84]
Human Rights Watch a précédemment dénoncé la mort de deux autres hommes après de sérieux mauvais traitements pendant leur détention aux mains de militaires burkinabè lors d'une opération transfrontalière au Mali le 9 juin 2017.
Réponse des autorités militaires
Le directeur de la Justice militaire, le colonel Sita Sangaré, lors d’un entretien le 23 mars avec Human Rights Watch, a mentionné les défis posés par la guerre asymétrique, lorsque « votre ennemi ne se conforme pas au droit de la guerre et se cache parmi la population » mais il a insisté que « l'armée du Burkina Faso est tout à fait consciente de l'importance du respect des droits humains et prend des mesures concrètes pour assurer le respect du droit des droits humains. » Il a expliqué que ces mesures comprennent une formation importante, des ordres clairs pour protéger les droits humains dans toutes les opérations et la présence de prévôts de la gendarmerie, durant les opérations.[85]
Il a precisé : « Notre position est claire : il ne devrait pas y avoir d'impunité pour les abus commis par nos forces. S'il y a des allégations crédibles et des cas portés à notre attention, nous allons enquêter. »
Le 9 mai 2018, Human Rights Watch a adressé conjointement aux ministères de la Défense et de la Justice une lettre indiquant dans le détail les principaux résultats et recommandations contenus dans ce rapport. Le 15 mai 2018, Human Rights Watch a reçu la réponse du gouvernement, adressée par le ministre burkinabè de la Défense nationale et des Anciens combattants, Jean-Claude Bouda (voir Annexes I et II).
Dans ce courrier, M. Bouda note que son gouvernement s’engage à respecter les droits humains et à s’assurer que l’ensemble du personnel militaire reçoive une instruction en matière de droit humanitaire international, tant dans le cadre de sa formation qu’à l’approche d’opérations militaires.
En outre, M. Bouda indique qu’il souscrit aux principales recommandations contenues dans la lettre de Human Rights Watch et s’engage à les mettre en œuvre, précisant : « En particulier, [le gouvernement] s’engage à diligenter des enquêtes sur tous les cas d’exaction cités qui n’avaient pas auparavant été portés à sa connaissance. »
M. Bouda déclare dans sa lettre que le gouvernement a déjà connaissance de certaines allégations d’exactions contre les populations civiles commises dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme en cours dans le nord du Burkina Faso, et que ces allégations ont « donné lieu à la prise de mesures immédiates ». Il précise que l’un de ces cas, qui a eu lieu à Bahn, dans la région du Nord, a entraîné la prise de mesures disciplinaires ainsi que l’ouverture d’un procès pénal devant le tribunal militaire de Ouagadougou.
Human Rights Watch salue ces engagements et exhorte le gouvernement à les respecter scrupuleusement.
Importance des prévôts
Des sources du secteur de la sécurité, des diplomates et des représentants du ministère de la Justice ont souligné le rôle essentiel des prévôts — chargés d'assurer la discipline et les droits des détenus pendant toutes les opérations militaires — afin de réduire les allégations d'abus et de garantir le respect des détenus.
Un représentant de la justice a noté : « Ce sont eux — les prévôts — qui connaissent la loi, qui comprennent le fondement de la détention et qui assurent le bien-être des détenus. Ils devraient faire partie intégrante de toutes les opérations. »[86]
Le colonel Sita Sangaré a déclaré qu’il est prévu que les prévôts soient présents dans toutes les opérations, ajoutant qu'ils n'accompagnent pas toujours les militaires sur le théâtre des opérations, mais plutôt, parfois, qu’ils répondent depuis « les postes de commandement du GFAT à Dori et à Ouahigouya, lorsqu’ils sont sollicités par les commandants. » Il a également noté qu’il est prévu d’augmenter leur présence dans les opérations du GFAT toujours en cours.
Certains analystes sécuritaires et diplomates ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils étaient préoccupés à la fois par le manque de prévôts dans les opérations quotidiennes et par les graves allégations concernant la conduite de certains gendarmes. Un analyste du secteur de la sécurité a posé cette question : « Bien sûr, les prévôts sont importants mais comment faire face au fait que le noyau même de la sécurité — les gendarmes — qui exercent ce rôle, sont eux-mêmes impliqués dans certaines exactions ? »[87]
Justice pour les victimes de crimes liés aux attaques islamistes armées et aux opérations antiterroristes
Les djihadistes sont partout et tuent des gens ; certains soldats arrêtent et tuent des personnes en dehors de la loi ; honnêtement, ils agissent tous comme s'ils ne seront jamais tenus responsables. C'est pourquoi la justice, pour tout le monde, est si importante.
—Ancien du village de Nassoumbou, mars 2018.
Les victimes des violences commises par les islamistes armés et les forces de sécurité se sont plaintes de l'absence ou de la lenteur des enquêtes sur les affaires depuis 2016. Les membres de la famille des victimes d'exactions commises par les islamistes armés ont reçu peu d'informations à propos des enquêtes sur les meurtres de leurs proches, et ils ne savaient pas si les suspects arrêtés après les meurtres faisaient l'objet d'une enquête pour violations de droits humains ou crimes contre l'État.
Les dirigeants communautaires et les familles des victimes de violences présumées soutenues par l'État se sont plaints de ce qu'ils percevaient comme une réponse partiale des autorités : selon eux, les meurtres et les abus commis par les islamistes armés ont presque toujours déclenché une enquête et, souvent, des arrestations alors que les violences présumées aux mains du personnel des forces de sécurité ont rarement fait l'objet d'une enquête, que ce soit par les forces de sécurité ou par le système judiciaire.[88]
Plusieurs proches ont déclaré que les gendarmes avaient refusé de se rendre sur les lieux du crime ou même de faire un rapport après la découverte du corps de leur proche. Les anciens du village ont cité quelques cas où les corps des personnes qui auraient été exécutées par les forces de sécurité ont été abandonnés à la décomposition en plein air pendant des jours sans déclencher aucune réponse officielle.
Un ancien de Djibo a évoqué l'importance d'une justice impartiale : « Toutes les personnes qui ont perdu un frère ou un père ou un mari méritent la justice, qu'ils aient été tués par les djihadistes ou par l'armée. Le manque de justice est une cause majeure de radicalisation et de recrutement. L'État doit rétablir la confiance de la population et, pour ce faire, il doit être juste et impartial dans tous les domaines, notamment la justice. »[89]
Tous les suspects impliqués dans des infractions liées au terrorisme sont transférés à la Prison de haute sécurité de Ouagadougou et tous leurs cas font l'objet d'une enquête et d'un jugement par le Pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de errorisme, basé à Ouagadougou.[90] Ce pôle spécialisé a été créé par une loi de décembre 2017 et dispose de juges, de personnel et d'une chambre de première instance. Un grand nombre de crimes liés au terrorisme faisaient déjà l’objet d’enquêtes avant la création du pôle en 2017.[91]
En vertu de la loi burkinabè, les infractions terroristes comprennent les attaques contre l'aviation civile, les navires et les plateformes fixes, les moyens de transport collectif ; les infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale y compris les agents diplomatiques ; la prise d'otage ; les attentats à l'explosif ; l’association de malfaiteurs.[92]
Un responsable du ministère de la Justice a déclaré à Human Rights Watch qu'au 23 mars 2018, environ 200 suspects accusés d'infractions liées au terrorisme, dont ceux qui avaient tué des civils, étaient détenus dans la prison de haute sécurité et faisaient l'objet d'une enquête de l'unité spéciale, mais qu'aucun jugement n'avait encore eu lieu.[93]
Aucune des victimes d'abus présumés commis par des acteurs étatiques, ni aucune de leurs familles interrogées n'avait déposé de plainte judiciaire ce qui, dans le système français, aurait pu déclencher l'ouverture d'une enquête criminelle par le procureur local. Ils ne l'avaient pas fait à la fois parce qu'ils estimaient que cela ne servirait à rien et aussi parce qu'ils craignaient des représailles. « Personne n'a le courage de déposer une plainte – ce serait comme demander votre propre mort, » a déclaré un homme.[94] Un membre de famille des hommes de Damba qui auraient été tués par l'armée fin décembre 2017 a expliqué :
Comment pourrions-nous déposer une plainte ? ... Nous avons trop peur, nous avons déjà perdu huit personnes de notre village et nous ne voulons perdre personne d'autre. Les nôtres sont partis – pour toujours – nous nous en sommes remis à Dieu.[95]
Inquiétudes concernant la procédure régulière : manque d'accès aux avocats
Si les suspects avaient des avocats, la moitié de ces affaires seraient abandonnées par les juges d'instruction pour manque de preuves.
—Employé du secteur juridique, Ouagadougou, février 2018
Des défenseurs des droits humains et des membres de la famille d'hommes détenus pour des affaires liées au terrorisme ont déclaré que très peu d'entre eux étaient représentés par un avocat. Des dizaines de suspects ont été détenus pendant des mois et dans certains cas plus d'un an, sans accès à un avocat. Un membre de la société civile qui avait travaillé avec les détenus a déclaré :
Les éléments de preuve pour un grand nombre de ces détentions sont minces, surtout quand plusieurs membres de familles ou villageois sont ramassés dans de vastes balayages. Un trop grand nombre de détenus sont envoyés à 200 miles de leur famille sur la base d'un mandat d'arrêt avec presqu’aucune information dans leurs dossiers. Dans d'autres cas, les détenus ont signé des papiers qu'ils ne pouvaient même pas lire ; et pourtant presqu’aucun d'entre eux n'a d'avocats pour faire valoir ces points et obtenir leur libération.[96]
Quelques défenseurs des droits humains ont déclaré avoir demandé à plusieurs avocats de représenter les détenus, mais qu'ils avaient refusé par crainte de représailles. Ils ont expliqué que les attaques de Ouagadougou avaient suscité une colère considérable à l'égard des suspects détenus dans le nord du Burkina Faso, qui étaient collectivement accusés du climat général d'insécurité dans le pays. L'un d'entre eux a remarqué : « Quand vous voyez à quel point les messages sur les médias sociaux sont vindicatifs, haineux à propos des gens du Nord, vous pouvez voir pourquoi si peu d'avocats se sont présentés pour représenter les détenus. »[97]
Les fonctionnaires de la justice et les observateurs internationaux familiarisés avec le pôle antiterroriste ont déclaré qu'au cours des derniers mois, il a effectivement libéré plus de 20 personnes dont les affaires ont été jugées sans fondement. Les fonctionnaires de la justice ont cependant reconnu la lenteur des enquêtes.
Lenteur de la justice
Deux responsables du ministère de la Justice et un membre de la communauté diplomatique travaillant dans le secteur de la justice ont identifié plusieurs raisons pour lesquelles les enquêtes au sein de la cellule antiterroriste progressaient lentement. Premièrement, la nature compliquée des crimes qui impliquent souvent des juridictions internationales et se produisent dans des endroits inaccessibles et dangereux. Deuxièmement, le niveau de détail insuffisant contenu dans les dossiers des suspects qu'ils reçoivent des agents d'application de la loi chargés de l’arrestation (notamment dans la région du Sahel), ce qui augmente considérablement la charge d'enquêtes de la cellule basée à Bamako. Troisièmement, la dynamique des arrestations massives de l'armée sur la base de soupçons limités, ce qui a considérablement accru la charge de travail des autorités judiciaires de Ouagadougou. Quatrièmement, le besoin urgent de personnel supplémentaire dans la cellule, qui ne compte actuellement que deux juges d'instruction dédiés. Et cinquièmement, la lenteur de la réponse aux requêtes judiciaires pertinentes à leurs enquêtes de la part des gouvernements régionaux.[98]
Des sources judiciaires et du secteur de la sécurité ont noté le besoin urgent de formation et de ressources supplémentaires pour la police et les gendarmes sur le terrain afin d'assurer de meilleures enquêtes préliminaires et de s'assurer que la cellule surchargée de Bamako ne reçoit pas d'affaires qui manquent de preuves ou bien qui concernent des personnes accusées de crimes de droit commun ne relevant pas de leur compétence. Enfin, certains professionnels de la justice ont souligné l'importance d'une meilleure sécurité pour le personnel travaillant avec l’unité judiciaire antiterroriste.[99]
Soutien international aux forces de sécurité
du Burkina Faso
Dans le cadre d’une coopération bilatérale, la France a soutenu les forces de défense et de sécurité burkinabè depuis plusieurs décennies avec le soutien matériel et des formations. Au moment de la rédaction du présent document, la coopération de défense consiste en une formation d'officier à l'Institut Supérieur de Logistique de Ouagadougou, une formation et un appui au déploiement des forces du G5 Sahel, la gestion des ressources humaines et un appui logistique et professionnel à la Force Aérienne du Burkina Faso.[100][101] L’appui fourni à la Force Aerienne du Burkina Faso consiste aussi de la formation de pilotes, et de la livraison et soutien d’ULM TETRAS. [102]
Par ailleurs, depuis 2017, la France participe à la montée en puissance du bataillon burkinabè de la force conjointe du G5 Sahel. Dans ce cadre, en liaison avec les autorités militaires burkinabè, un centre de préparation à l’engagement opérationnel a été créé à Dori où sont formés les personnels de ce bataillon. Depuis avril 2018, à la demande de l’état-major général des armées burkinabè, un module de droit international humanitaire y est dispensé par des responsables du CICR en parallèle aux modules de formation militaire. [103]
Les forces militaires françaises de l'opération Barkhane, une opération antiterroriste en cours dans la région du Sahel qui a débuté en 2014, ont participé à plusieurs opérations militaires conjointes avec des forces du Mali, du Niger et du Burkina Faso, notamment avec les forces du GFAT, près de leurs frontières communes.[104] [105]
La France a également fourni une formation et un soutien logistique aux gendarmes burkinabè,[106] notamment à l'USIGN, qui s'inspire du GIGN (Groupement national d'intervention de la Gendarmerie nationale).[107] En octobre 2017, la France a fait don de 15 boucliers de protection à l'USIGN et l'ambassadeur a confirmé l'arrivée des gendarmes et de la police française[108] pour former l’USIGN ainsi que l'Unité d'intervention polyvalente de la Police nationale (UIPPN) à Ouagadougou.[109] Les formations de ces deux unités d’intervention, plusieurs depuis 2014, portent notamment sur les cadres légaux d’emploi de la force.[110]
Les États-Unis ont fourni plus de 54 millions de dollars d'aide à la sécurité au Burkina Faso depuis 2012. Un officiel étatsunien a noté que « les États-Unis et le Burkina Faso s'engagent dans un certain nombre de formations, d'équipements et de programmes d'éducation, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, de maintien de la paix et d'aide humanitaire. »[111] Les programmes ont inclus la formation dans les secteurs de l'armée, l'application de la loi et de la justice ; la fourniture d'équipements personnels de protection, de communication et médicaux ; et l'éducation professionnelle, notamment dans la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix.[112]
Le Burkina Faso est partenaire du programme de formation et d'assistance aux opérations de contingence en Afrique pour le maintien de la paix et est membre du Partenariat antiterroriste transsaharien, dont le dernier vise à inclure les capacités du Burkina Faso à répondre aux attaques terroristes.[113]
Le Département de la Défense a fourni une formation, de l'équipement et d'autres formes d'assistance aux unités des forces de sécurité burkinabè subordonnées qui ont opéré sous le commandement et le contrôle du GFAT, mais pas directement au GFAT.[114] Par exemple, en avril 2014, les forces étatsuniennes ont formé et fourni des gilets pare-balles, des uniformes et des véhicules à la compagnie antiterroriste du 25ème régiment du commando parachutiste,[115] un contributeur clé de militaires au GFAT.[116] Le soutien étatsunien au 25ème régiment s'est poursuivi en 2016.[117]
Les forces de sécurité burkinabè ont participé pendant plusieurs années à l'exercice d'entraînement multinational annuel du Commandement Américain en Afrique, connu sous le nom d'Opération Flintlock. En 2017, le Burkina Faso a accueilli l'opération.[118]
Les États-Unis ont également collaboré avec des acteurs civils de l'application de la loi dans tout le pays, se concentrant cette année sur la protection des cibles légères et collaborant avec les enquêteurs de la police nationale et de la gendarmerie affectés à la police judiciaire spéciale du Burkina Faso chargée des affaires de terrorisme.[119]
Selon un porte-parole du Département de la Défense, « avant de recevoir une formation, un équipement ou une autre assistance financée par le ministère de la Défense, les forces de sécurité étrangères sont inspectées pour violations de droits humains. La loi de Leahy du Département de la Défense interdit au Département de la Défense de fournir une formation, un équipement ou toute autre assistance à une unité d'une force de sécurité étrangère si le Département de la Défense dispose d'informations crédibles indiquant que l'unité a commis une violation flagrante des droits humains. »[120]
En mai 2017, l'Union européenne et le ministre burkinabè de la Sécurité ont annoncé officiellement un partenariat sur le Projet d'appui au renforcement de la sécurité intérieure (PARSIB). Le projet, réalisé par la Coopération belge avec le soutien financier de l’Union européenne, fournit une formation pour améliorer la gestion des renseignements nationaux et la réponse aux crises, ainsi qu’une assistance technique afin de renforcer les réformes du secteur de la sécurité. Un élément clé du programme est la formation, assurée par des membres de la police fédérale belge, d'unités antiterroristes appelées Brigades anti-banditisme et terrorisme (ABT). Ces unités sont composées d’un nombre égal de gendarmes et de policiers, et sont principalement stationnées dans la région entourant Ouagadougou.[121] Toutes ces unités d’intervention sont coordonnées par le Centre unifié burkinabè de gestion des crises (CUGC), une organisation de sécurité, d'intervention et d'antiterrorisme au sein du cabinet du ministre de la Sécurité.[122]
L'Allemagne s'est également engagée à soutenir la formation des forces de sécurité du Burkina Faso. Après l'attaque du café Aziz Istanbul à Ouagadougou en août 2017, Ralf Brauksiepe, alors secrétaire d'État parlementaire au ministère de la Défense, a confirmé que l'Allemagne allait étendre sa participation à la Mission de formation de l'Union européenne au Mali[123] pour y inclure la formation des militaires du Burkina Faso.[124]
En juin 2017, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont renforcé la force multinationale anti-terroriste militaire du G5 Sahel. Créé en 2014, le G5 Sahel a été approuvé par l'Union africaine et accueilli par le Conseil de sécurité de l'ONU en 2017. Le G5 Sahel a reçu des promesses de financement considérables de la part de la communauté internationale, notamment de l'UE qui a promis 50 millions d’euros, des États-Unis, qui ont promis 60 millions de dollars, et de l'Arabie saoudite, qui a promis 100 millions d'euros (environ 119 millions de dollars US) pour soutenir les opérations du G5-Sahel.[125] L'UE a doublé sa contribution au G5 Sahel de 50 à 100 millions d'euros, suite à la conférence des bailleurs de fonds de février 2018 à Bruxelles.[126]
Recommandations
Au gouvernement du Burkina Faso
- S’assurer que toute personne mise en garde à vue par les forces de sécurité gouvernementales soit traitée humainement, soit rapidement présentée devant une autorité judiciaire pour garantir la légalité de sa détention et puisse contacter sa famille.
- Lors de toute opération impliquant des agents militaires, veiller à inclure la police militaire – ou des agents assumant le rôle de la gendarmerie prévôtale -- chargée de répondre aux questions d'indiscipline et servir d’interface avec les autorités judiciaires compétentes.
- Enquêter sur et poursuivre en justice, conformément aux normes internationales d’équité, les membres des forces de sécurité responsables de graves atteintes aux droits humains, quel que soit leur poste ou leur grade, y compris les officiers commandants.
- En attendant les résultats des enquêtes, placer en congé administratif les membres des forces de sécurité vraisemblablement impliqués dans des exactions.
- Apporter une aide aux autorités locales dont les capacités sont insuffisantes pour mener des enquêtes et des poursuites en justice crédibles, neutres et indépendantes. Envisager d’obtenir un soutien international dans la mesure nécessaire pour remplir cet objectif.
- S’assurer que toutes les personnes accusées d’actes criminels aient accès à une représentation juridique adéquate quels que soient leurs moyens financiers, ainsi qu’à un procès juste et équitable comme l’exige le droit international.
- Améliorer les conditions dans les centres de détention, notamment en veillant à la mise à disposition d’une nourriture, d’installations sanitaires et de soins médicaux adéquats.
- Augmenter les effectifs – y compris le nombre de juges d’instruction et de procureurs – de l’Unité judiciaire spécialisée contre le crime et le terrorisme.
- Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sûreté et la sécurité adéquate de tous les membres du corps judiciaire qui œuvrent au sein du Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme.
Aux groupes islamistes armés actifs au Burkina Faso
- Mettre fin à l’ensemble des exécutions extrajudiciaires, enlèvements et autres atteintes graves aux droits humains, ainsi qu’aux menaces de violence visant les membres des communautés.
- Mettre immédiatement fin à toutes les attaques et menaces ciblant les écoles, les étudiants, les enseignants et le personnel pédagogique. Faciliter un accès impartial et libre aux organisations qui apportent une aide humanitaire.
À la Commission nationale des droits humains du Burkina Faso
- Enquêter de manière neutre et publique sur les atteintes aux droits humains que le personnel des forces de sécurité et les groupes islamistes armés auraient perpétrées.
- Enquêter également sur les atteintes aux droits humains qui auraient été associées à la détention de personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes islamistes armés, y compris en examinant minutieusement les conditions de détention et le respect du droit à un procès équitable.
Aux partenaires internationaux du Burkina Faso
- Demander au gouvernement de mener rapidement des enquêtes crédibles sur les allégations d’exécutions, de mauvais traitement de détenus et d’autres exactions commises par les forces de sécurité burkinabè.
- Appuyer les mesures destinées à mettre un avocat à la disposition des personnes démunies impliquées dans une affaire pénale.
- Appuyer la formation en matière de droits humains destinée aux forces de sécurité burkinabè impliquées dans les opérations de lutte contre le terrorisme.
- S’abstenir de financer les unités des forces de sécurité burkinabè qui ont vraisemblablement commis des atteintes aux droits humains, et ne recommencer à appuyer ces unités qu’à condition que des mesures aient été prises pour remédier ou répondre aux exactions et pour exiger des responsables qu’ils rendent compte de leurs actes.
Au gouvernement des États-Unis
- Veiller à la mise en œuvre complète de la législation « Leahy Law, » qui interdit aux États-Unis d’apporter une assistance militaire à une armée étrangère si des éléments montrent de manière crédible que celle-ci a commis des atteintes flagrantes aux droits humains, et suspendre son assistance aux unités des forces de sécurité impliquées dans les exactions jusqu’à ce que le gouvernement burkinabè ait pris des mesures pour remédier ou répondre aux exactions et pour exiger des responsables qu’ils rendent compte de leurs actes.
Remerciements
Corinne Dufka, directrice adjointe de la Division Afrique de Human Rights Watch, a rédigé ce rapport. L'aide à la recherche a été fournie par Morgan Hollie, associée de la Division Afrique. Le rapport a été révisé et édité par Chris Albin-Lackey, conseiller juridique senior ; Babatunde Olugboji, directeur adjoint de la division Programmes ; et Zama Cousen-Neff, directrice exécutive de la Division des droits de l'enfant. Une assistance à la production a été fourni par José Martinez, coordinateur principal ; et Fitzroy Hepkins, responsable administratif. La traduction en français a été réalisée par Catherine Dauvergne-Newman et Danielle Serres, et révisée par Peter Huvos.
Human Rights Watch remercie les nombreux témoins et victimes qui ont témoigné pour ce rapport, souvent au péril de leur vie, ainsi que les organisations et les individus qui nous ont mis en contact avec eux. Nous sommes également reconnaissants aux représentants du gouvernement, aux travailleurs humanitaires, aux activistes de la société civile, aux dirigeants communautaires et aux diplomates qui ont partagé leurs expériences et leurs points de vue avec nous. Pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons les remercier en citant leurs noms, mais leur dévouement et courage ont beaucoup facilité nos recherches.