Skip to main content

Burkina Faso : Des témoignages d’habitants indiquent des exécutions de masse

Nécessité d’identifier les corps de 180 hommes trouvés à Djibo et de poursuivre les responsables

 

Un panneau situé à l’entrée de Djibo, chef-lieu de la province du Soum (région administrative du Sahel), dans le nord du Burkina Faso. © 2020 Burkina24

(Bamako) – Des fosses communes contenant au moins 180 corps ont été découvertes dans une ville du nord du Burkina Faso au cours des derniers mois, et les preuves disponibles suggèrent l'implication des forces de sécurité gouvernementales dans des exécutions extrajudiciaires de masse, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait demander l'aide des Nations Unies ainsi que d'autres partenaires afin de procéder aux exhumations appropriées, de restituer les corps aux familles et de demander des comptes aux responsables.    

Les habitants de la ville de Djibo qui ont vu les corps ont déclaré à Human Rights Watch que les morts, tous des hommes, avaient été abandonnés entre novembre 2019 et juin 2020, par groupes de 3 à 20 selon les cas, le long des routes principales, sous des ponts, ainsi que dans des champs et des terrains vagues. À quelques exceptions près, les corps ont été retrouvés dans un rayon de cinq kilomètres du centre de Djibo.   

Les habitants ont enterré la plupart des corps dans des fosses communes en mars et avril, tandis que d'autres ne sont toujours pas enterrés. Ils ont indiqué qu'ils pensaient que la majorité des victimes étaient des hommes appartenant aux ethnies Fulani ou Peul, identifiés d’après leurs vêtements et leurs caractéristiques physiques, et que nombre d’entre eux avaient été retrouvés les yeux bandés et les mains attachées, et avaient été abattus. Plusieurs habitants ont déclaré qu'ils connaissaient de nombreuses victimes, dont des membres de leurs propres familles.       

« Les autorités du Burkina Faso devraient dévoiler de toute urgence qui a fait de Djibo un terrain d’exécutions sommaires », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les informations existantes désignent les forces de sécurité gouvernementales, il est donc essentiel de mener des enquêtes impartiales, de recueillir correctement des preuves, et d'informer les familles de ce qui est arrivé à leurs proches »     

Depuis novembre, Human Rights Watch a interrogé 23 personnes, par téléphone et en personne, qui ont affirmé avoir vu les corps. Plusieurs ont fourni des cartes dessinées à la main de l'endroit où elles ont trouvé et enterré les morts. Toutes pensaient que les forces de sécurité gouvernementales, qui contrôlent Djibo, avaient exécuté la grande majorité des hommes. Cependant, aucune n'avait été témoin des meurtres et Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier ces allégations de manière indépendante. Human Rights Watch analyse des images satellites des emplacements des fosses communes dans les environs.

Le 28 juin, Human Rights Watch a écrit au gouvernement burkinabé, détaillant les principales conclusions de ses recherches, et le 3 juillet, le ministre de la Défense a répondu au nom du gouvernement, s'engageant à enquêter sur les allégations et à garantir le respect des droits humains dans les opérations de sécurité. Il a indiqué que les exécutions avaient eu lieu lors d'une augmentation des attaques menées par des islamistes armés, et a suggéré qu'elles auraient pu être commises par ces groupes, en utilisant des uniformes et moyens logistiques de l'armée volés, notant qu’il est parfois « difficile pour les populations de faire la différence entre les Groupes Armés terroristes et les Forces de Défense et de Sécurité. » Le ministre a également confirmé l’accord du gouvernement quant à la création d’un bureau à Ouagadougou par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. 

À partir de 2016, des groupes islamistes armés alliés à Al-Qaïda ou à l'État islamique ont attaqué des postes des forces de sécurité ainsi que des civils dans tout le Burkina Faso, mais principalement dans la région du Sahel limitrophe du Mali et du Niger.

Human Rights Watch a documenté depuis 2017 les meurtres de plusieurs centaines de civils par des groupes islamistes armés ainsi que leurs attaques généralisées contre des écoles. Human Rights Watch a également documenté l’exécution extrajudiciaire de plusieurs centaines d'hommes, apparemment par les forces de sécurité gouvernementales pour leur soutien présumé à ces groupes, notamment 31 hommes retrouvés exécutés après que les forces de sécurité les ont détenus à Djibo le 9 avril.

Les 23 personnes interrogées, dont des agriculteurs, des commerçants, des éleveurs, des fonctionnaires, des dirigeants communautaires et des travailleurs humanitaires, pensaient que les forces de sécurité avaient détenu les hommes en tant que membres ou partisans présumés de groupes armés islamistes.

« Tant de morts ont eu les yeux bandés, ont eu les mains attachées ... et ont reçu une balle dans la tête », a expliqué un chef de la communauté. « Les corps que j'ai vus sont apparus le matin… jetés pendant la nuit, à la périphérie de Djibo, une ville sous le contrôle de l'armée et au milieu d'un couvre-feu imposé et surveillé par l'armée. »    

Certains habitants ont déclaré avoir retrouvé les corps après avoir entendu le bruit de véhicules qui passaient, et des rafales de coups de feu pendant la nuit. « Nous nous sommes habitués à entendre le son des coups de feu qui retentissent la nuit, puis à voir des corps dans la brousse ou le long de la route », a expliqué un aîné de Djibo.      

« La nuit, tant de fois j'ai entendu le bruit des véhicules et puis, pan ! pan ! pan ! », a déclaré un agriculteur. « Et le lendemain matin, on voit, ou en entend dire, que des corps ont été trouvés dans tel ou tel endroit. »  

Au moins 114 hommes ont été enterrés dans 14 fosses communes, lors d'un enterrement collectif les 8 et 9 mars organisé par des habitants avec l'approbation des autorités militaires et locales. Les habitants de la localité ont également enterré 18 hommes, découverts à un kilomètre environ à l’est de Djibo, dans une fosse commune début avril. Les corps d'une quarantaine d’autres hommes, dont 20 auraient été découverts à la mi-mars au sud de Djibo et 18 autres trouvés en mai près de l'aéroport, n'avaient pas encore été enterrés.

Une dynamique ethnique sous-tend la violence au Burkina Faso. Les groupes armés islamistes recrutent en grande partie dans la communauté nomade des Peuls ou des Fulanis, et leurs attaques ont principalement visé les communautés agraires, notamment les Mosssi, les Foulse et les Gourmantche. La grande majorité des hommes qui auraient été tués par les forces de sécurité sont des Peuls, en raison de leur soutien supposé aux islamistes armés.   

«Les habitants de Djibo devraient se sentir protégés et non terrifiés par leur propre armée. Le fait que le gouvernement n’ait pas tenu ses promesses de rendre des comptes pour les précédentes allégations d’abus des forces de sécurité, notamment à Djibo, semble avoir enhardi les auteurs de ces actes », a conclu Corinne Dufka. « Il est indispensable que les autorités du Burkina Faso mettent un terme aux exécutions extrajudiciaires par des enquêtes crédibles et indépendantes. » 

Des corps retrouvés à Djibo

Les habitants de Djibo ont indiqué avoir commencé à voir des corps dans les parties les plus rurales et les moins habitées de la localité en novembre 2019. « Des restes humains sont éparpillés partout dans les limites extérieures de la ville de Djibo… le long des routes, près d'un étang, près du barrage de Djibo, près de maisons abandonnées, sous un pont et dans la brousse », a expliqué un homme.

« Depuis novembre 2019, tant de corps ont commencé à apparaître », a expliqué un autre homme. « Cinq ou six ici, 10 ou 16 là, le long des trois autoroutes hors de la ville… au nord, à l'est et au sud. »    

Les habitants ont indiqué que la grande majorité des morts étaient des Peuls, identifiés comme tels par leurs vêtements, leurs traits et, dans une dizaine de cas, par ceux qui connaissaient personnellement les victimes et leurs noms.

Les personnes interrogées étaient extrêmement anxieuses lors de leur entretien avec Human Rights Watch et ont déclaré qu'elles craignaient des représailles de la part des forces de sécurité, qui avaient été impliquées dans les exécutions extrajudiciaires de 31 hommes à Djibo en avril, et d'autres exécutions dans cette ville, depuis 2017.

Les habitants ne croyaient pas que les hommes avaient été tués lors d’échanges de coups de feu. « Oui, Djibo a été attaqué et il y a des djihadistes [islamistes armés] pas très loin de Djibo », a expliqué un habitant qui avait vu plusieurs groupes de corps. « Mais les jours qui ont précédé la découverte des corps, nous n’avions connaissance d’aucun affrontement ou d’échanges de coups de feu entre les djihadistes et l’armée, ni en plein Djibo ni en périphérie. Les nouvelles vont vite et nous le saurions si c’était le cas. »

Un autre habitant, qui a indiqué qu'il voyageait fréquemment depuis Djibo, a expliqué : « S'il y avait eu des affrontements avec les terroristes, les transports publics se seraient arrêtés… Nous n'aurions jamais pu voyager. »    

Neuf personnes ont identifié certains des morts par leur nom, notamment des membres de leur famille, dont ils avaient été témoins de l’arrestation par les forces de sécurité ou avaient été informés par quelqu'un d'autre qui avait vu les hommes arrêtés. Pour chacun de ces incidents, le corps identifié avait été retrouvé avec de nombreuses autres victimes.

Un homme, par exemple, a reconnu « un homme du nom de Tamboura d'un village plus au sud, que j'avais vu arrêté au marché aux bestiaux de Djibo par des soldats quelques jours plus tôt ». Un autre a reconnu un homme qui travaillait comme agent de sécurité et qui avait été arrêté par des militaires quelques jours avant la découverte de son corps. D'autres ont indiqué avoir reconnu les corps d'hommes qu'ils avaient vus être arrêtés par les autorités au marché, à l'hôpital, lors d’une distribution de nourriture ou à la gare routière. 

Plusieurs habitants ont déclaré qu'ils pensaient que de nombreuses victimes non identifiées avaient été détenues lors d’opérations militaires ou étaient des villageois déplacés à l'intérieur du pays qui, au cours des mois précédents, s'étaient installés à Djibo et aux alentours après avoir fui leurs villages d'origine. « Djibo n'est pas une si grande ville où nous ne reconnaîtrions pas les gens, c'est pour cela que nous pensons qu'un si grand nombre de morts étaient des personnes déplacées », a expliqué un habitant.

De nombreux habitants ont émis l'hypothèse que l'armée avait arrêté des personnes déplacées pour les interroger, craignant l'infiltration de groupes islamistes armés, qui avaient attaqué Djibo à plusieurs reprises. « Les militaires ont vraiment visé les PDI [personnes déplacées à l’intérieur du territoire] », a indiqué un habitant. « Ils les ont cherchées au marché aux animaux, car elles viennent à Djibo pour acheter et vendre. Après tant d'attaques djihadistes majeures au Mali et au Burkina, ils ont vraiment peur de l'infiltration. » 

Exécutions extrajudiciaires apparentes

Des habitants ont expliqué avoir vu des groupes de cadavres près de chez eux alors qu'ils faisaient paître leurs animaux, ou bien lorsqu’ils marchaient ou conduisaient le long des principales routes menant à l’extérieur de Djibo.

Exécution apparente de cinq hommes, le 13 juin 2020

Le 14 juin, plusieurs habitants ont déclaré avoir vu les corps de cinq hommes éparpillés sur un demi-kilomètre dans deux des quartiers sud de Djibo, secteurs 3 et 8. L'un des cinq corps trouvés, Sadou Hamadoume Dicko, 54 ans, chef local et conseiller municipal du Gomdè-Peuhl, avait été vu arrêté par des militaires la veille. Les habitants n'ont pas pu identifier les quatre autres corps.

Un commerçant a décrit l'arrestation de Dicko le 13 juin :

En tant que chef, il venait de finir de ramasser des sacs de riz et de mil pour son peuple, maintenant à Djibo après avoir fui leur village, à environ 125 kilomètres de là. En avril 2018, M. Dicko avait été enlevé et détenu pendant plusieurs jours par les djihadistes, mais cette fois, c'est l'armée qui l'a emmené. Vers 11 h 30, quatre hommes en moto l'ont encerclé, lui et environ six autres personnes, et les ont emmenés dans un bâtiment inachevé pour les interroger. Finalement, les soldats ont laissé partir les autres mais sont partis avec M. Dicko.

Trois habitants ont dit avoir entendu des coups de feu le 13 juin et trouvé le corps des cinq hommes le lendemain. « Les coups de feu ont retenti vers 20 heures. Et le lendemain, 14 juin, on m'a appelé pour me dire que le chef était mort », a expliqué un habitant. « C'était ce que nous craignions. Ses mains étaient étroitement liées derrière son dos et il avait reçu une balle dans la tête et à la poitrine. » Un autre habitant a ajouté : « Les coups de feu ont retenti quelques heures après le couvre-feu de 19 heures. …. [P]lus tard nous avons vu un corps vers le nord, près de la Maison de la Femme, un autre au sud près d’un grand puits, et trois autres à côté d'une élévation de sable. »  Tous les hommes ont été enterrés plus tard le même jour.

Exécution apparente de 18 hommes, les 13 et 19 mai 2020

Des habitants ont expliqué avoir vu les forces de sécurité arrêter 17 hommes près d'un marché de Djibo le 13 mai. Les corps de ces 17 hommes ont été retrouvés le lendemain le long d'un chemin traversant le secteur 5, également connu sous le nom de Mbodowol. Les hommes avaient reçu une balle dans la tête, selon les habitants. Un autre homme, atteint d'un handicap mental, a été retrouvé aux alentours du même endroit après avoir été arrêté le 19 mai. Les corps n'avaient pas encore été enterrés.

Un habitant a expliqué :

J'étais au marché quand, vers 10 heures du matin, j'ai vu arriver deux véhicules avec une dizaine de militaires. Je ne sais pas s'ils étaient des gendarmes ou de l’armée. J'avais trop peur de les regarder, mais j'ai vu qu'ils étaient en uniforme, avec des casques et des gilets, et tous portaient des armes semi-automatiques. Les 17 hommes étaient venus d'autres villages pour acheter et vendre ce jour-là. J'en ai reconnu plusieurs, qui travaillaient comme forgerons.

Un habitant du secteur 5 qui a entendu des coups de feu le 13 mai, et a vu les corps un jour plus tard près de l'aérodrome de Djibo, a relaté :

Ils ont été tués à la tombée de la nuit. J'ai vu un véhicule de loin, venant de la direction de la ville. Quelque temps plus tard, nous avons entendu des coups de feu. Environ 15 minutes plus tard, le même véhicule est revenu, cette fois avec les phares allumés. Le jeudi 14 mai, vers 9 heures du matin, nous avons découvert les corps — huit d'un côté, rapprochés ... leurs visages couverts avec leurs chemises — et à environ 20 mètres, neuf autres corps. Ils avaient reçu une balle dans la tête. On pouvait le voir clairement… et il y avait des douilles de balles sur le sol. Les hommes semblaient avoir entre 25 et 45 ans. Le corps d'un autre homme a été retrouvé au même endroit quelques jours plus tard. Celui-là, je l'avais vu être arrêté… il habite près de chez moi. Il n'est pas normal (il avait un maladie mentale)… Il a été pris devant sa maison en train d'écouter sa radio. Il y a un couvre-feu et seule l'armée peut circuler la nuit comme ça.

Exécution apparente de 18 hommes, le 17 mars 2020

Des habitants ont déclaré que le 18 mars, ils avaient vu 18 corps à environ 500 à 700 mètres à l'est de Djibo. Les corps ont été retrouvés près de plusieurs grands panneaux publicitaires qui bordent la route entre Djibo et Tongomayel.

Un homme, qui craignait que son frère soit parmi les morts, a expliqué pourquoi il pensait que les forces de sécurité gouvernementales étaient responsables de la mort des 18 hommes :

Le 17 mars, vers 7 heures du matin, j'ai reçu un appel paniqué de la gare routière disant que mon frère et un autre homme venaient d'être arrêtés par des gendarmes alors qu'ils montaient à bord d'un bus pour Ouagadougou [la capitale]. Plus tard dans la soirée, vers 21h, j'ai entendu de nombreux coups de feu et j'ai pensé : Oh mon Dieu, mon frère est mort.

Juste après l'aube, je suis allé dans la direction des coups de feu et j'ai trouvé 18 corps. Leurs mains étaient liées et ils avaient les yeux bandés, chacun d’entre eux avait reçu une balle dans le front. Le sang coulait comme une mare. Les corps étaient tous empilés. J'ai cherché mon frère parmi les cadavres…. les bougeant suffisamment pour voir s'il était là. Mais ce n'était pas le cas. Parmi les morts, j'ai reconnu six hommes… ils avaient tous été arrêtés par les FDS [Forces de défense et de sécurité]. L'un d’entre eux était [nom confidentiel] qui avait récemment subi une opération au pied et avait été arrêté devant de nombreuses personnes près de l'hôpital. J'ai reconnu son boubou [robe à manches larges]; son pied était encore bandé. Parmi les morts, figuraient également cinq commerçants que j'avais moi-même vus être arrêtés par les FDS le jour du marché la semaine précédente. Quant à mon frère, il est toujours porté disparu, même à ce jour.

Exécution apparente de 9 hommes, le 15 janvier 2020

Un homme qui a vu neuf corps sur la route en direction de l’est vers Tongomayal, dont un membre de sa famille, le 16 janvier, a expliqué :

J'ai découvert les corps de neuf personnes à quelques mètres de la route, dont l'un était mon neveu de 23 ans. Ils avaient été arrêtés la veille. Un ami a appelé vers 11 heures du matin pour dire qu'il y avait des problèmes au marché, que mon fils avait été arrêté. Je suis allé au marché immédiatement et j'ai vu les neuf hommes attachés et face contre terre. Quatre gendarmes les ont conduits jusqu’à leur véhicule et les ont emmenés. Cette nuit-là vers 20 heures, j'ai entendu des coups de feu près du barrage de Djibo, et le matin je les ai vus dans la brousse, les mains liées, criblés de balles. … Huit étaient des Peuls et un était un Bellah. Nous avions trop peur de les enterrer… nous avons dû regarder mon fils se transformer en squelette. Il n'a pas été inhumé avant l'enterrement de masse en mars, avec des dizaines d'autres, mais ce n'étaient guère des funérailles et mon fils n'était pas djihadiste.

Corps trouvés près du secteur 4 de Djibo, novembre 2019 et janvier 2020

Cinq habitants du secteur 4 de Djibo (également connu sous le nom de Wourossaba et Boguelsawa), au sud de la ville, ont décrit avoir vu trois groupes de corps dans ce qu'ils ont indiqué être un rayon d'un kilomètre : un groupe de 8 corps et un autre groupe d'au moins 16 corps en novembre 2019, et un autre groupe de 16 à 19 corps autour du 8 janvier 2020. Le nombre total de corps trouvés correspond largement aux 43 corps inhumés dans ce secteur lors de l'enterrement de masse des 8 et 9 mars.    

Un habitant du secteur 4 a décrit les trois groupes de cadavres :

La plupart n’avaient pas de chemise et étaient ligotés certains les yeux bandés, d'autres les poignets liés, et ils avaient été abattus. Je ne connaissais aucun d’entre eux, mais je crois que les 43 étaient tous des prisonniers parce que les trois fois, j’avais entendu des véhicules venant de la ville et vu les phares… et entendu des coups de feu. C’était trop loin et il faisait trop sombre pour voir leurs uniformes, mais il n'y a pas eu d’échange de coups de feu et les djihadistes ne peuvent pas circuler dans un camion lourd aussi près de Djibo.

Un autre habitant du secteur 4 a expliqué avoir vu 19 corps, autour du 8 janvier :

Je les ai vus vers 7 heures du matin, 19 corps en ligne – tous des hommes, sauf un âgé d'environ 15 ans. La veille, j'avais vu les phares d'un véhicule – il était environ 20 heures et nous étions sous couvre-feu. Puis j'ai entendu les coups de feu. Les corps se trouvaient à environ un kilomètre au sud de Djibo et à 150 mètres à l'ouest de l'autoroute – bon nombre d’entre eux avaient les bras liés et les yeux bandés. Ils avaient reçu une balle dans la tête, d’autres dans la poitrine et d’autres dans le ventre. Nous n'en connaissions aucun, alors ils sont restés là jusqu'à l'enterrement de mars ; à ce moment-là, ils étaient presque devenus des squelettes.

Une professionnelle de la santé a expliqué qu'en février sur le chemin de Ouagadougou, elle avait vu cinq corps depuis la fenêtre de son bus, à environ 15 kilomètres au sud de Djibo, près du village de Mentao : « Ils étaient à 20 mètres de la route – les corps sentaient – on aurait dit qu'ils étaient là depuis environ une semaine. D’après leurs vêtements, tous les hommes semblaient être des Peuls. Quand je suis revenue une semaine plus tard, ils étaient toujours là. » Ces corps n'ont pas été inhumés lors de l'enterrement de masse en mars.

Enterrements en mars et avril 2020

Les habitants de Djibo ont décrit un enterrement collectif organisé les 8 et 9 mars, au cours duquel au moins 114 corps ont été rassemblés et inhumés dans 14 fosses communes.

Des habitants qui ont assisté aux enterrements ont déclaré que les corps étaient à divers stades de décomposition. « Certains venaient d'être tués, d'autres avaient commencé à se décomposer et bon nombre d'autres étaient des squelettes », a expliqué l'un d'eux.

« Étant donné le temps passé par les corps à l'extérieur, notamment sous le soleil brûlant, bon nombre d’entre eux n'étaient identifiables que par leurs vêtements », a ajouté une autre personne.

Plusieurs habitants ont affirmé que les morts n'avaient pas été enterrés soit parce que les familles n'étaient pas de Djibo, soit parce qu'elles avaient trop peur de réclamer le corps. « La peur a empêché les gens d'enterrer les morts », a expliqué un ancien du village. « Vous avez besoin de la permission de forces de sécurité pour enterrer un corps, et étant donné le niveau de tension à Djibo ces jours-ci, les gens ont tout simplement trop peur que s'ils réclament le corps d'un homme accusé d'être un terroriste, ils seront également emmenés et finiront morts. » Un grand nombre d’habitants ont décrit les enterrements comme « un sujet délicat » qui n'a pas été couvert par les médias locaux. « La peur nous a empêchés de parler des enterrements de masse », a indiqué un homme.  

« Les corps étaient éparpillés le long et à proximité des principales routes menant à Djibo et en provenant », a expliqué un habitant. « Le premier jour, nous avons travaillé de 9 h à midi et enterré 42 corps au sud, le long de la route entre Djibo et Ouagadougou. Le deuxième jour, c'était pire ... de 8 h à 12 h 30 nous avons enterré 72 personnes, 20 au nord et 52 à l'est, le long de la route entre Djibo et Dori. Certaines personnes ont ramassé les corps tandis que d'autres ont creusé les tombes. Les morts ont été enterrés dans 14 fosses communes, avec 3, 6, 7 et jusqu’à 23 corps. »

Ils ont indiqué que les habitants de Djibo avaient obtenu l'autorisation d'enterrer les morts de la part des autorités civiles et militaires basées à Djibo, en grande partie en raison du risque potentiel pour la santé et l'assainissement. « Nous avions peur des épidémies, surtout à l'approche de la saison des pluies », a expliqué un responsable communautaire. « Nous étions accablés de voir les corps de personnes sans vie, et nous nous sommes donc organisés et avons demandé aux autorités la permission d'enterrer les morts », a expliqué une autre personne.

D'autres habitants ont évoqué l'impact sur la santé mentale de la population de la ville. « Nous avons organisé l'enterrement pour des raisons de santé, mais également en raison de l'impact psychologique sur les personnes, en particulier les enfants, obligés de marcher près des corps chaque jour pour se rendre au marché ou à l'école », selon un habitant.

Un éleveur a ajouté : « Imaginez ce que c'est que de voir ces corps tous les jours, certains mangés par des chiens et des vautours. Ce n'est pas facile de vivre jour après jour avec cette terrible réalité. »

Les personnes qui ont assisté aux enterrements collectifs ont relaté que les autorités civiles y ont participé et, selon elles, ont aidé à organiser les funérailles ; de même que les autorités sanitaires, qui ont fourni des masques et du désinfectant ; et les forces de sécurité, qui assuraient la sécurité. Ces personnes ont indiqué qu'il leur était « strictement interdit »  de prendre des photos des enterrements. « Personne n'oserait faire ça parce que les FDS regardaient », a expliqué un habitant.

Un habitant qui se trouvait à l'enterrement a expliqué :

Après avoir obtenu l'autorisation – de l'armée – et après avoir associé des agents de santé – nous avons passé deux jours à enterrer les morts, qui étaient en groupes de 5, 7, 9, 20 – dispersés partout. Je n'ai reconnu aucun d'eux, mais plusieurs personnes qui ont regardé l'inhumation m'ont confié plus tard qu'elles avaient reconnu leur père, leur frère ou leur fils… qu'il avait disparu depuis son arrestation par les soldats à Djibo ou dans leur village – des semaines ou des mois plus tôt. Mais elles n'ont rien dit pendant l'enterrement ... de peur d’être elles aussi arrêtées.  

Un homme qui a enterré 13 des corps trouvés dans le nord de Djibo, notamment un membre de sa famille qu'il avait vu pour la dernière fois détenu par les forces de sécurité en janvier, a déclaré : « La route de Tongomayel était pleine de cadavres et de restes humains. Honnêtement, la plupart n'étaient que des squelettes… et leurs corps avaient été éparpillés par des animaux. Nous étions divisés en groupes et nous nous sommes mis à chercher des côtes, des morceaux de corps. »

Deux personnes ont décrit l'enterrement début avril des 18 hommes dont les corps ont été retrouvés sur la route de Tongomayel vers le 18 mars. Les corps sont apparus après que les services de sécurité auraient arrêté les hommes. « Nous avons creusé un grand trou, assez grand pour eux tous, et nous l’avons recouvert avec du sable et des branches », a expliqué un homme. « La route de Tongomayel est pleine de corps ... les 52 inhumés lors de l'enterrement de masse, les 18 de la mi-mars, et ça ne s'est pas arrêté. »

Corps trouvés, non enterrés

Trois habitants ont décrit avoir vu 20 corps qui auraient été laissés à la mi-mars à environ 100 mètres du cimetière du quartier de Boguelsawa, à plusieurs kilomètres au sud de Djibo. « Quelques jours seulement après avoir enterré plus de 100 corps, nous nous sommes réveillés pour trouver 20 autres corps », a déclaré un habitant. « C'est comme si, quelque soit la personne qui commet les meurtres, elle se moquait de nous. » Ils ont affirmé à Human Rights Watch le 14 juin que les corps, maintenant dispersés et décomposés, n'avaient pas encore été enterrés. « Avec la mort tout autour, nous pensons que demain pourrait être mon tour de mourir », a écrit un habitant.

Un autre homme a déclaré que le 1er juin, « mon neveu a trouvé trois morts en ramassant du bois au nord de Djibo, dont deux Bellahs [ethnie] que nous connaissons bien. Il avait tellement peur qu'il a couru directement chez lui sans prendre le bois. » Au 30 juin, les 18 morts trouvés près de l'aéroport à la mi-mai n'avaient pas non plus été enterrés.

Recommandations

Les habitants qui se sont entretenus avec Human Rights Watch n'avaient connaissance d'aucune enquête judiciaire sur ces apparentes exécutions. Quelques incidents mettant en cause les forces de sécurité se seraient produits, après l'engagement du gouvernement à enquêter pleinement sur l'exécution apparente de 31 hommes détenus par les forces de sécurité le 9 avril 2020. Human Rights Watch exhorte les autorités du Burkina Faso à :

  • Enquêter rapidement et en toute impartialité sur les meurtres perpétrés à Djibo depuis novembre 2019, et poursuivre de manière équitable et appropriée tous les responsables d'exécutions extrajudiciaires et d'autres crimes, notamment au titre de la responsabilité de commandement. S’assurer que les résultats soient rendus publics.
  • Mettre les commandants des deux bases des forces de sécurité à Djibo – la gendarmerie et l'armée – en congé administratif, dans l'attente des résultats des enquêtes. 
  • Inviter les Nations Unies ou d'autres experts légistes internationaux neutres, notamment ceux ayant une expérience de travail devant les tribunaux pénaux, pour aider à préserver et analyser les preuves dans les fosses communes. Les exhumations sans experts médico-légaux peuvent détruire des preuves critiques et compliquer considérablement l'identification des corps.
  • Restituer les corps des personnes qui ont été inhumées dans des tombes ou laissées non enterrées à leurs familles.  

--------

Presse/Radio

Le Monde/AFP      France24     RFI (B. Jeannerod)   VOA (C. Dufka)

France Inter (P. Haski)      Courrier Int.

LExpressDuFaso (réponse du gouvt)   LeFaso.net (réf. UE)

Tweets

Interview de Corinne Dufka :

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays