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République centrafricaine : Les attaques de la LRA s’intensifient

Il faut renforcer les mesures pour protéger les civils

(Nairobi, le 20 avril 2012) – Les attaques du groupe rebelle ougandais Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) se sont intensifiées en République centrafricaine (RCA) depuis le début de l’année 2012, plaçant les civils des zones affectées dans une situation de nécessité urgente de protection, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les attaques se poursuivent également en République démocratique du Congo.

Entre janvier et mars 2012, la LRA a mené au moins 53 nouvelles attaques en RD Congo et en RCA, au cours desquelles elle a enlevé 90 civils et en a tué neuf autres, d’après les dernières recherches de Human Rights Watch en RCA et des informations publiées par les Nations Unies. Le nombre d’attaques dans le sud-est de la RCA a considérablement augmenté par rapport aux attaques signalées en 2011.

« L’intensification des attaques de la LRA montre que le groupe rebelle n’est pas affaibli et qu’il constitue toujours une menace sérieuse pour les civils », a expliqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « L’Union africaine, les Nations Unies et les gouvernements de la région doivent prendre des dispositions urgentes pour mettre en œuvre des mesures complètes de protection des civils et s’impliquer véritablement pour qu’elles portent leurs fruits. »

Au cours d’une mission de recherche de trois semaines en République centrafricaine et en Ouganda en mars et en avril 2012, Human Rights Watch s’est entretenu avec 23 victimes et témoins des attaques, ainsi qu’avec des dirigeants locaux, des représentants de la société civile, des responsables militaires et des représentants de l’ONU et de l’Union africaine (UA).

Deux sœurs de la ville d’Agoumar, âgées de 43 et 62 ans, ont raconté à Human Rights Watch qu’elles étaient parties pêcher le 27 février dernier lorsque la LRA les a enlevées. Elles ont été capturées par un groupe de trois combattants, qui les ont forcées à transporter du miel, des cacahouètes et de lourds sacs de farine qui avaient été volés dans un grenier à céréales voisin.

« Nous étions totalement chargées de marchandises et nous avons dû marcher dans la forêt pendant trois jours et trois nuits sans nous arrêter », a raconté l’une des femmes. « Ils nous ont battues de manière atroce, et lorsque ma sœur est tombée gravement malade après la troisième nuit, les soldats ont décidé de nous laisser partir. Notre frère et notre neveu qui ont aussi été enlevés le même jour sont toujours portés disparus et nous craignons qu’ils n’aient été tués. »

Les civils dans la région visitée par Human Rights Watch ont expliqué qu’ils vivaient dans la peur de la prochaine attaque de la LRA. Plus de 400 000 personnes sont toujours déplacées du fait des attaques de la LRA, dont au moins 2 000 personnes récemment déplacées en 2012. De nombreux civils ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils ont désespérément besoin de protection.

Dans la région voisine de Ngouyo, un village à 30 kilomètres au sud de Djema, la LRA a mené 12 attaques au cours des deux dernières années, y compris deux attaques en décembre 2011 et trois en mars 2012. Seuls deux soldats des forces armées de la RCA sont basés à Ngouyo. Depuis les attaques de décembre, l’armée ougandaise a déployé des soldats à Ngouyo, mais les villageois ont peur de quitter le village et craignent le possible départ prochain des soldats ougandais, qui les laisserait à la merci de la LRA.

« Il est très difficile pour nous de cultiver nos terres et maintenant les villageois souffrent de la faim », a expliqué un dirigeant local de Ngouyo à Human Rights Watch. « Depuis que les attaques ont commencé, nous nous rendons dans nos champs uniquement en groupes et seulement dans les fermes à moins de cinq kilomètres du centre du village. Mais depuis les récentes attaques dans la région, personne n’a quitté le village pour aller dans les champs depuis deux semaines. »

Il n’y a pas de réseau téléphonique à Ngouyo ni de communication par radio. Les villageois n’ont donc aucun moyen de signaler les attaques de la LRA.

Le 8 mars, des soldats soupçonnés d’appartenir à la LRA ont attaqué un groupe de sept personnes de Ngouyo qui était en train de pêcher dans la rivière Ouara, à environ 15 kilomètres au nord du village. Une femme âgée, mère de 10 enfants, qui a été témoin de l’attaque a décrit à Human Rights Watch ce qu’il s’est passé : « Ils ont dit à mon fils de s’allonger sur le sol, ils lui ont lié les mains derrière le dos. Ils ont pillé tous nos biens et sont partis avec mon fils et les biens volés. Lorsque j’ai crié pour protester, ils m’ont frappée au bras avec une baïonnette et m’ont dit de ne pas les suivre. » Son fils, âgé de 29 ans, est toujours porté disparu.

Human Rights Watch a documenté d’autres attaques dans la région qui ont peut-être été menées par la LRA, notamment le massacre de 13 chercheurs d’or artisanaux dans la zone du camp Cawa Safari autour du 20 mars. Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour déterminer si l’attaque a été réalisée par la LRA ou par d’autres acteurs, bien que le massacre présente des similitudes avec les précédentes attaques de la LRA en RD Congo. Les victimes ont été battues à mort avec des machettes et des bouts de bois. Certaines ont été attachées ou déshabillées avant d’être tuées. La LRA est le seul groupe armé soupçonné d’avoir été actif dans la zone du camp dernièrement.

Les autorités judiciaires de la République centrafricaine enquêtent actuellement sur le massacre.

Localisations des dirigeants de la LRA
Joseph Kony, le dirigeant de la LRA, est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis entre 2002 et 2004 en Ouganda. L’armée ougandaise a indiqué qu’elle suspecte Joseph Kony de se cacher dans la région du Darfour au Soudan avec environ 100 à 150 combattants, des membres de sa famille, ainsi que des enfants et adultes que la LRA a enlevés. Deux autres dirigeants de la LRA également visés par des mandats d’arrêt de la CPI, Dominic Ongwen et Okot Odhiambo, se cacheraient, selon l’armée ougandaise, dans des forêts reculées, autour des rivières Vovodo et Chinko en RCA avec environ 100 combattants divisés en petits groupes. Joseph Kony et les autres dirigeants de la LRA détiennent par la force un nombre inconnu d’enfants et d’adultes enlevés.

Le colonel Binansio Okumu (également connu sous le nom de Binany) et un autre commandant de la LRA connu sous le nom d’Obol sont soupçonnés d’être en RD Congo, vraisemblablement près du Parc national de la Garamba, où la LRA était auparavant basée. Ces commandants sont responsables du massacre de Makomboen décembre 2009, qui a fait 345 victimes et plus de 250 captifs.

« Aucun gouvernement ne doit offrir un refuge sûr ni apporter une aide à Joseph Kony ou aux autres dirigeants de la LRA recherchés pour atrocités de masse », a déclaré Anneke Van Woudenberg. « Si Joseph Kony se trouve au Darfour, le gouvernement soudanais doit s’allier aux efforts régionaux pour l’appréhender et le transférer à La Haye. »

Dans les récents mois, la LRA a principalement opéré par petits groupes, menant des raids dans les champs et enlevant des civils pour transporter les biens volés. Certains des captifs qui ont réussi à s’échapper ont raconté à Human Rights Watch que Joseph Kony et les autres hauts dirigeants de la LRA ont peut-être ordonné à leurs combattants d’éviter les massacres à grande échelle afin de ne pas révéler leur localisation aux forces armées qui les poursuivent.

Human Rights Watch a recueilli le témoignage d’une jeune femme de 19 ans du sud-est de la RCA, qui a passé plus d’un an avec la LRA avant de s’échapper en janvier. Elle a expliqué que la stratégie actuelle de la LRA vise à piller lorsque des approvisionnements sont nécessaires, mais à ne pas tuer puisque la LRA subit la pression constante de l’armée ougandaise et que ses dirigeants ne veulent pas révéler la localisation des groupes.

Mais la violence de la LRA à l’encontre des personnes enlevées n’a pas cessé, a déclaré Human Rights Watch.

 

« Dès que j’ai été capturée, la LRA nous a appris sa langue, l’acholi, et nous a exposé ses règles », a raconté la jeune femme à Human Rights Watch. « Nous devions nous laver trois fois par jour, bien préparer des repas pour les combattants, laver leurs vêtements, et en cas de tentative d’évasion, nous serions tués. Deux personnes qui ont été enlevées à Agoumar ont tenté de s’échapper et la LRA nous a forcés, nous les autres enfants, à les battre à mort avec des bâtons lourds. Les combattants de la LRA nous ont traités de manière horrible. Si nous commettions une erreur, ils nous frappaient violemment et nous risquions même d’être tués. C’est pourquoi je devais m’échapper. J’ai réussi à m’enfuir alors qu’ils m’avaient envoyée chercher de l’eau. »

D’autres groupes armés, des gardiens de troupeaux armés et des bandits opèrent aussi dans cette région de la RCA, ce qui accroît l’insécurité dans la région et ne permet pas toujours aux résidents d’identifier les auteurs des attaques. Par exemple, depuis le début de l’année 2012, le Front populaire pour le redressement (FPR), un groupe rebelle tchadien dirigé par Baba Laddé et précédemment basé dans le nord de la RCA, s’est déplacé vers le sud, d’après les rapports des autorités militaires en RCA, vers des zones dans lesquelles la LRA mène également des opérations.

Manque de protection des civils
Les forces armées de la région et les Nations Unies ont adopté quelques mesures pour protéger les civils qui vivent dans les zones d’action de la LRA, principalement en RCA. Seule une centaine de soldats de la RCA est déployée dans la vaste région orientale. Dans de nombreuses villes, il n’y a que deux à cinq soldats peu équipés avec des moyens de transport et de communication limités. Dans certains villages et villes, aucun soldat n’est présent.

L’armée ougandaise compte environ 600 à 800 soldats déployés en RCA dans le cadre d’une opération commune contre la LRA, mais peu d’entre eux sont déployés dans les zones peuplées pour protéger les civils et, au lieu de cela, ils s’attachent à suivre la trace des dirigeants de la LRA.

À la fin de l’année 2011, les États-Unis ont déployé 100 agents des forces spéciales dans la région affectée par la LRA en tant que conseillers militaires auprès des forces armées menant des opérations contre la LRA. En RCA, ces conseillers sont basés à Djema et à Obo. Le déploiement américain a aidé à améliorer les relations entre les civils et les militaires, la coordination entre les armées des différents pays et le comportement des soldats ougandais, qui ont été précédemment accusés d’inconduite en état d’ébriété et de quelques cas d’agressions sexuelles. Les officiers de l’armée ougandaise ont indiqué à Human Rights Watch que les renseignements collectés récemment à partir de la surveillance aérienne américaine ont aussi permis de déployer les troupes plus précisément dans les zones de présence de la LRA, et que ces renseignements sont désormais partagés avec les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) de manière plus efficace.

L’impact des conseillers militaires américains sur la protection des civils a cependant été limité par l’absence d’autorisation du ministère américain de la Défense de quitter les villes où ils sont déployés pour évaluer l’impact des attaques de la LRA sur les communautés, faciliter l’assistance humanitaire, élargir les activités de démobilisation et accompagner les forces régionales en patrouille.

Human Rights Watch a appelé les conseillers américains à développer, dans le cadre de la planification militaire commune, des mesures concrètes pour protéger les civils contre les attaques en représailles de la LRA.

« Malgré la présence d’armées étrangères en République centrafricaine et des propres forces de sécurité de ce pays, il est choquant de voir que les civils de la RCA ne bénéficient que d’une protection limitée contre les attaques brutales de la LRA », a déclaré Anneke Van Woudenberg. « Il est urgent de remédier à ce manque de protection et d’appréhender les dirigeants de la LRA sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI pour mettre un terme aux abus de la LRA. »

Les Nations Unies mènent une mission de consolidation de la paix en RCA, connue sous le nom de BINUCA, qui a été mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en décembre pour établir des rapports sur les attaques de la LRA et soutenir les activités de démobilisation et de désarmement des combattants de la LRA. Mais aucun personnel du BINUCA n’a été déployé dans les zones affectées par la LRA jusqu’à présent.

En mars, l’Union africaine a annoncé une initiative de coopération régionale pour renforcer les efforts de lutte contre la LRA, y compris le déploiement d’une force d’intervention régionale (Regional Task Force, RTF) de 5 000 personnes, regroupant des soldats de l’Ouganda, de la RD Congo, de la RCA et du Soudan du Sud qui sont, pour la plupart, déjà déployés dans la région. L’Union européenne et les autres donateurs ont indiqué qu’ils soutiendraient cette initiative.

On ne sait pas encore clairement comment les forces militaires actuelles menant des opérations contre la LRA passeront le relais à une nouvelle structure de commandement commune, ni si cette structure aura la capacité de déployer les troupes nécessaires pour protéger les civils de manière appropriée. Même si des efforts ont été réalisés pour améliorer la coordination et le partage d’informations entre les forces armées, ils sont loin d’être adaptés, notamment en ce qui concerne l’organisation de la protection des civils. Les tensions entre les armées congolaise et ougandaise ont entravé les opérations. À la fin de l’année 2011, avant les élections nationales en RD Congo, le gouvernement congolais avait ordonné à tous les soldats ougandais de quitter ce pays. Ils n’ont toujours pas eu l’autorisation d’y retourner.

Human Rights Watch a également appelé l’UA et ses partenaires à améliorer les infrastructures de communication et de transport, et à accroître les efforts de démobilisation des combattants de la LRA, notamment en RCA.

« Ce sont les civils qui paient le prix lorsque les gouvernements de la région ne sont pas capables de résoudre leurs différends ou de coordonner leurs efforts », a expliqué Anneke Van Woudenberg. « Les promesses de l’UA et de l’ONU d’aider à coordonner et renforcer ces efforts doivent se concrétiser sans plus attendre. »

 

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