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Canada : Abus et discrimination liés à la détention de personnes migrantes

Des milliers de migrant·e·s sont détenu·e·s ; des changements structurels sont nécessaires

© Brian Stauffer pour Human Rights Watch

(Ottawa) – Le Canada place chaque année en détention des milliers de personnes pour des raisons liées à l’immigration, y compris des personnes en situation de handicap, et souvent dans des conditions abusives, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et Amnistie internationale dans un rapport conjoint, à quelques jours de la Journée mondiale des réfugiés le 20 juin.

Ce rapport de 107 pages, intitulé « Je ne me sentais pas comme un être humain : La détention des personnes migrantes au Canada et son impact en matière de santé mentale », établit que les personnes migrantes en détention, y compris celles ayant fui des persécutions pour venir chercher protection au Canada, sont régulièrement menottées, enchaînées, fouillées et enfermées avec un accès limité ou nul au monde extérieur. Leur date de libération n’étant pas définie, cette détention peut durer des mois, voire des années. Nombre de personnes migrantes sont incarcérées dans des prisons provinciales, aux côtés de parmi la population carcérale générale, et sont souvent mis en isolement cellulaire. De plus, les personnes en situation de handicap psychosocial font face à la discrimination tout au long du processus.

« Le système canadien de détention liée à l’immigration et ses pratiques abusives contrastent vivement avec le multiculturalisme et les valeurs d’égalité et de justice qui font la réputation du Canada dans le monde entier », a déclaré Ketty Nivyabandi, Secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada anglophone. « Amnistie internationale et Human Rights Watch appellent les autorités canadiennes à mettre fin aux traitements inhumains des personnes dans le système d’immigration et de protection des réfugiés en abolissant progressivement la détention liée à l’immigration au Canada. »

Les chercheuses et chercheurs se sont appuyés sur 90 entretiens menés auprès de personnes ayant été détenues pour des raisons liées à l’immigration et de leurs proches, de spécialistes de la santé mentale, d’universitaires, d’avocat·e·s, de membres de la société civile et de fonctionnaires. Ils ont également examiné divers rapports pertinents et des documents des Nations Unies, ainsi que des documents officiels non publics obtenus après avoir déposé 112 demandes d’accès à l’information.

Bien que détenues pour des raisons non criminelles, les personnes migrantes connaissent souvent les conditions d’enfermement les plus restrictives du pays ; certaines sont notamment incarcérées dans des établissements à sécurité maximale et placées en isolement cellulaire. Elles sont menottées, enchaînées, fouillées et enfermées dans des espaces restreints soumis à une routine stricte et sous surveillance constante.

« C’était la fin du monde pour moi. Personne ne m’a expliqué ce qui se passait, ce que j’avais fait de mal », a rapporté une femme venue d’Afrique, placée en détention dès son arrivée au Canada en 2019. « J’ai raconté [à la garde frontalière] tout ce qui m’était arrivé dans mon pays, et comment j’avais fui pour survivre... Mais elle ne m’a pas comprise, et elle ne m’a pas laissé lui expliquer... Je me suis alors dit que j’aurais peut-être mieux fait de rester là-bas et d’y mourir. »

Durant la période avril 2019 - mars 2020, le Canada a placé en détention 8 825 personnes âgées de 15 à 83 ans, dont 1 932 personnes dans des prisons provinciales. Durant la même période, 136 enfants, dont 73 âgés de moins de 6 ans, ont été « hébergés » afin de ne pas être séparés de leurs parents détenus. Human Rights Watch et Amnistie internationale ont constaté que, depuis 2016, le Canada avait maintenu plus de 300 personnes migrantes en détention pendant plus d’un an.

« Le Canada se targue d’être une terre d’accueil pour les réfugié·e·s et les nouveaux arrivants alors qu’il s’agit de l’un des rares pays de l’hémisphère nord où les personnes en quête de sécurité risquent d’être enfermées pour une durée indéterminée », a fait remarquer Samer Muscati, directeur adjoint de la division Droits des personnes handicapées à Human Rights Watch. « Nombreux sont celles et ceux à ne pas savoir avec certitude quand ils seront libérés, ni même pouvoir l’espérer, et cela peut avoir des effets dévastateurs sur leur santé mentale. »

Les deux ONG ont constaté que les personnes en situation de handicap psychosocial risquaient davantage d’être placées dans des prisons provinciales plutôt que dans des centres de surveillance de l’immigration. Dans les prisons provinciales de l’Ontario, elles sont souvent détenues à l’isolement cellulaire. Elles ne sont pas toujours autorisées à prendre des décisions indépendantes sur le plan juridique, des représentant·e·s étant désigné·e·s par les tribunaux pour prendre toutes les décisions à leur place. Nombre d’entre elles se heurtent aussi à d’importants obstacles pour obtenir leur libération et, quand elles sont libérées, elles doivent respecter des conditions de libération particulièrement strictes, qui, en cas d’infraction, peuvent les amener à être de nouveau arrêtées.

« En résumé, les autorités en charge de l’immigration font preuve de discrimination à l’égard des personnes en situation de handicap en rendant les conditions de détention et de libération plus dures pour elles que pour la majorité des autres détenu·e·s », a ajouté Samer Muscati. « Au lieu de traiter les personnes en situation de handicap psychosocial de façon punitive en les plaçant en détention pour des raisons liées à l’immigration, le gouvernement canadien devrait leur proposer des services de soutien psychosocial et juridique et d’autres services d’aide respectueux de leur autonomie et de leur dignité. »

Les deux ONG ont également constaté que de nombreuses personnes migrantes détenues développaient des idées suicidaires lorsqu’ils commencent à perdre espoir quant à leur libération éventuelle, et en particulier s’ils ont fui des expériences traumatisantes et des persécutions. Plusieurs mois voire années après leur libération, de nombreuses personnes migrantes ayant été incarcérées continuent de présenter des effets dus aux handicaps psychosociaux développés pendant leur détention.

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) reste le seul organisme de sécurité majeur à ne pas être soumis à une surveillance civile indépendante. L’exercice non contrôlé de son mandat étendu et de ses pouvoirs de police a causé à de multiples reprises des violations graves des droits humains dans le cadre de la détention de personnes migrantes, ont déclaré Human Rights Watch et Amnistie internationale.

Les personnes migrantes racisées, notamment celles qui sont noires, semblent être incarcérées pendant de plus longues périodes, et ce souvent dans des prisons provinciales. En 2019, la majorité des personnes détenues pour des raisons liées à l’immigration pendant plus de 90 jours venaient de pays africains.

« Le Canada ne devrait jamais laisser place au racisme, à la cruauté et aux violations des droits humains à l’égard des personnes venues pour chercher sécurité et une vie meilleure », a déclaré Ketty Nivyabandi. « Nous appelons le Canada à signer et ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture afin d’empêcher de nouvelles violations, et à autoriser une inspection internationale des lieux de détention. »

Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a affirmé que la détention de personnes migrantes « ne doit pas se faire dans des établissements tels que postes de police, centres de détention provisoire et prisons », et qu’elle « ne doit pas être à titre de punition ».

« Le gouvernement canadien devrait cesser de maintenir des personnes ayant un handicap physique ou psychosocial en détention pour des raisons liées à l’immigration », ont déclaré Human Rights Watch et Amnistie internationale. « Nul ne devrait être traité de façon punitive pour des raisons liées à l’immigration, et notamment être détenu à l’isolement cellulaire, ou dans des établissements destinés aux auteurs d’infractions pénales tels que des prisons ou tout autre établissement de type carcéral ».

« Depuis le début de la pandémie de Covid-19 en mars 2020, les autorités canadiennes ont procédé à un nombre sans précédent de libérations de personnes migrantes détenues », a conclu Samer Muscati. « Au lieu de reprendre ses habitudes au fur et à mesure que la pandémie est contrôlée au Canada, le gouvernement devrait saisir cette occasion pour remanier complètement le système d’immigration et de protection des réfugiés afin de donner la priorité à la santé mentale et aux droits humains. »

Exemples de cas documentés dans le rapport
Citations :

« Je ne faisais qu’attendre et prier, j’essayais de me convaincre que la situation n’était pas si grave. Je me disais qu’ils ne pourraient pas me laisser ici... Je ne me sentais pas comme un être humain dans cette prison : je me sentais comme un chien. Les gardiens ouvraient la porte uniquement pour me nourrir. »
Un ancien migrant détenu dans une prison de l’Ontario en 2020.
À Toronto, en décembre 2020.

« Lorsque vous êtes condamné à une peine d’emprisonnement, la date de votre libération est votre seule bouée... C’est la seule chose à laquelle vous pouvez vous raccrocher. Sans cela, vous partez à la dérive... Pour les migrants détenus, l’inconnu est une torture, c’est de la cruauté mentale. C’est pire qu’une violation des droits humains. »
Un ancien migrant détenu dans une prison provinciale de l’Ontario en 2020.
À Toronto, en décembre 2020.

« La première chose que j’ai vue en arrivant au Canada, c’est une prison... Lorsque nous étions mélangés à des prisonniers canadiens, ils nous demandaient pourquoi nous étions là. Ils pensaient que nous étions des Taliban. Nous leur avons expliqué que nous fuyions les Taliban... J’ai choisi le Canada car je croyais que les réfugiés y étaient bienvenus. Je me faisais une meilleure idée du Canada... Nous sommes des êtres humains, tout comme vous, mais nous n’avons pas de pays. »
 – Un demandeur d’asile ayant été incarcéré dans une prison provinciale de la Nouvelle-Écosse dès son arrivée au Canada en 2017.
À Montréal, en février 2021.

« L’un des agents [des services frontaliers] m’a dit : “Le Canada est un pays de liberté pour les Canadiens, pas pour les étrangers.” Il semblait très content de me dire : “Ce soir tu dormiras en prison.” Ça faisait rire les autres agents... La détention liée à l’immigration a changé la manière dont je vois le Canada. Avant, pour moi, le Canada était le meilleur endroit du monde. Pour les personnes fuyant des persécutions, c’était l’endroit idéal pour trouver la paix et une vie meilleure. Mais quand j’ai vu ça, je me suis dit que tout ce que nous entendons sur le Canada est faux, c’est du cinéma. »
Un demandeur d’asile ayant été incarcéré au centre de surveillance de l’immigration de Laval en 2020.
À Montréal, en décembre 2020.

« Si nous pensons que les migrants et migrantes en détention peuvent comme nous ressentir de la douleur, de l’anxiété, de l’amour et de l’espoir, l’incarcération ne peut pas être une solution. Elle n’est envisageable que si nous estimons qu’ils sont moins humains que nous. »
Une avocate spécialisée dans la défense des personnes migrantes et réfugiés.
À Vancouver, en novembre 2020.

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