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Liban : Expulsions massives de réfugiés syriens par des municipalités

Ces expulsions par des municipalités semblent discriminatoires et non conformes aux normes juridiques

Un campement informel pour réfugiés, pour la plupart syriens, situé à Bar Elias dans le gouvernorat de la Bekaa, au Liban. De nombreux réfugiés y résident dans des conditions difficiles, après avoir été expulsés en janvier 2018 d’autres camps situés près de la base aérienne de Rayak. © 2018 Sandra Abou Metri/Human Rights Watch

(Beyrouth, le 20 avril 2018) – Treize municipalités libanaises au moins ont délogé de force et expulsé au moins 3 664 réfugiés syriens, manifestement en raison de leur nationalité ou de leur religion, tandis que 42 000 autres risquent toujours d’être expulsés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.

Le rapport de 57 pages, intitulé «‘Our Homes Are Not for Strangers’: Mass Evictions of Syrian Refugees by Lebanese Municipalities » («“Nos maisons ne sont pas pour les étrangers” : Expulsions de masse de réfugiés syriens par les municipalités libanaises »), souligne l’incohérence des motifs invoqués par les municipalités pour justifier l’expulsion de Syriens, et révèle l’incapacité du gouvernement central à protéger leurs droits. Des responsables des Nations Unies ont identifié 3 664 expulsions de ce type depuis le début de l’année 2016 jusqu’à la fin du premier trimestre de 2018. Alors que les autorités locales libanaises font de vagues déclarations selon lesquelles les expulsions seraient fondées sur des infractions à la réglementation du logement, Human Rights Watch a déterminé que les mesures prises par ces municipalités visent exclusivement les ressortissants syriens, et non les citoyens libanais ou d’autres ressortissants étrangers.

« Les municipalités n’ont aucune raison légitime d’expulser de force les réfugiés syriens si cela équivaut à une discrimination fondée sur la nationalité ou la religion », a déclaré Bill Frelick, Directeur de la division Droits des réfugiés à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Toute expulsion d’un réfugié syrien, comme de tout autre individu, devrait être menée au cas par cas, motivée par des raisons transparentes, légales et proportionnées, et conforme aux procédures adéquates. »

Human Rights Watch a interrogé 57 réfugiés syriens concernés par des expulsions, ainsi que des fonctionnaires municipaux et des experts juridiques. Le 13 avril, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a estimé à environ 13 700 le nombre de Syriens expulsés en 2017. Outre les 3 664 expulsions ordonnées par des municipalités, ce nombre inclut aussi les expulsions pour défaut de paiement de loyers et autres litiges avec les propriétaires ou sur décision des propriétaires, ainsi que les expulsions pour raisons de « sûreté et sécurité ». Le ministère libanais des Affaires sociales a également indiqué à Human Rights Watch que 7 524 Syriens ont été expulsés des environs de la base aérienne de Rayak en 2017 et que 15 126 autres sont toujours en attente de l’être.

Les expulsions par les autorités municipales ont fait perdre aux réfugiés des revenus et des biens. Elles ont perturbé l’éducation de leurs enfants, entraînant dans certains cas des mois d’absence ou des déscolarisations. Dans certains cas, les Syriens ont déclaré que les autorités ont eu recours à la violence pour les expulser. Les autorités municipales n’ont fourni aucune possibilité aux réfugiés de contester leurs expulsions ou d’invoquer d’autres protections s’appuyant sur les normes internationales.

La détresse des réfugiés au Liban a été exacerbée par l’insuffisance du soutien international. L’appel de l’ONU pour répondre aux besoins humanitaires des réfugiés syriens au Liban en 2017, fixé à plus de deux milliards de dollars d’aide internationale, n’avait été financé qu’à hauteur de 54 % en fin d’année. Le groupe des Amis de la Syrie, qui se réunira à Bruxelles les 24 et 25 avril 2018, à l’initiative de l’Union européenne et de l’ONU, devrait faire des priorités de la protection des droits des réfugiés et de la répartition des responsabilités pour répondre aux besoins humanitaires.

Sept ans après le début de la crise en Syrie, le Liban accueille un million de réfugiés syriens enregistrés, soit le nombre le plus élevé par habitant de tous les pays d’accueil. Ces expulsions municipales se multiplient alors que les politiciens et autres plaident de plus en plus pour un retour des réfugiés en Syrie.

« Mahmoud », âgé 56 ans, qui vivait dans la municipalité de Zahlé depuis 2012, a déclaré qu’un groupe de policiers municipaux avait frappé à sa porte en août dernier, demandant à voir tous les papiers de la famille, y compris ceux de résidence légale, les contrats de location, et les preuves de l’enregistrement auprès de l’ONU. Mahmoud a déclaré que l’une des policières « nous a donné un papier à signer qui disait que nous devions quitter notre maison, mais ce qu’elle a dit en personne, c’était qu’il fallait que nous quittions Zahlé et retournions en Syrie. Je lui ai répondu que je souhaitais y retourner, mais que je ne pouvais pas. »

Les expulsions massives de réfugiés syriens qui se sont multipliées au dernier trimestre 2017 ne répondent pas un plan national cohérent, mais constituent plutôt une réponse ad hoc de certaines municipalités principalement chrétiennes, à l’exception de Tamnine al-Tahta. Tous les réfugiés syriens interrogés se sont identifiés comme musulmans, bien que les agences humanitaires aient également documenté l’expulsion de Syriens chrétiens. La plupart des personnes interrogées ont attribué leur expulsion, en partie au moins, à leur confession.

Le 21 février, Human Rights Watch a écrit aux ministères libanais de l’Intérieur et des Municipalités, des Affaires sociales, de l’Education et de l’Enseignement supérieur et des Personnes déplacées, pour les interroger sur les conclusions de son rapport. Dans une réponse en date du 12 avril, le ministère des Affaires sociales a déclaré être « l’organe chargé de superviser les cas d’expulsion », mais qu’il « ne fournit pas d’assistance financière ; son rôle consiste à obtenir l’approbation d’alternatives de relogement et à sécuriser des terrains sur lesquels bâtir d’autres camps. » Le plan que le ministère a convenu d’adopter en coopération avec le HCR semble être lié à la réinstallation à grande échelle de réfugiés vivant des établissements humains informels, comme les réfugiés de la base aérienne de Rayak, transférés dans un nouveau camp à Bar Elias, mais il ne fait pas allusion directement à la situation des réfugiés syriens expulsés des municipalités.

Les ministères concernés du gouvernement libanais, y compris le ministère de l’Intérieur et des Municipalités, devraient intervenir pour empêcher les mauvais traitements des réfugiés syriens par les municipalités et s’assurer qu’ils ne se retrouvent pas sans abri ni ressources à cause d’actions illégales, a déclaré Human Rights Watch.

« Les pays participant à la réunion du Groupe des Amis de la Syrie devraient accroître leur soutien au Liban pour lui permettre de remplir ses obligations juridiques et humanitaires envers les réfugiés », a conclu Bill Frelick. « De leur côté, les dirigeants libanais devraient sanctionner la rhétorique qui encourage ou tolère les expulsions forcées et autres traitements discriminatoires et harcelants des réfugiés au Liban. »

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Citations de réfugiés syriens expulsés et d’un fonctionnaire municipal :
« Ils n’ont même pas frappé à la porte d’une famille chrétienne qui vit à deux rues de chez moi. »
- « Ihab », âgé de 30 ans et originaire d’Idlib, qui a été expulsé de son domicile à Hadath en décembre 2017.

« C’est une ville chrétienne. Il n’y a pas de mosquée ici. Nous ne voulons pas accueillir de réfugiés. Il n’y a pas de réfugiés chrétiens parmi les Syriens. Nous n’aimons pas les gens qui viennent de l’extérieur. »
- Un fonctionnaire municipal de Bcharre, une localité située dans le nord du Liban.

« Il n’y avait pas de tribunal, pas de juge, pas de procédure légale. La police [municipale] ne m’a pas accusé de résidence illégale parce que je suis un résident légal. Ils ont juste dit : “Vous devez partir ou nous mettrons vos affaires dans la rue. ”» Ils venaient chaque semaine, puis tous les jours, puis deux fois par jour.
- Hafez, âgé de 57 ans, résident de longue date de Hadath, qui a assuré que tous ses papiers étaient en règle au moment de son expulsion en janvier 2018.

« Ils nous ont insultés et ont dit : “Vous devez quitter Mizyara, nous ne voulons pas de vous ici”, ils ont immédiatement commencé à nous rouer de coups. Ils m’ont frappé au visage, à la tête, et au dos. »
- « Sameh », un réfugié syrien originaire de Hama qui vivait au Liban depuis plus de 13 ans. Il a déclaré que la police municipale, les forces de sécurité intérieure et des « voyous » sont venus à son domicile et l’ont passé à tabac plusieurs jours après qu’une femme de la région a été tuée par un individu présumé syrien. Ils sont revenus plus tard dans la nuit, a-t-il ajouté, et l’ont battu de nouveau, et l’un de ses assaillants a pointé un revolver dans sa direction et l’a armé. La famille est partie le lendemain matin.

Tous les noms de réfugiés ont été modifiés pour des raisons de sécurité.

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