Note: Ceci est un résumé du rapport de Human Rights Watch intitulé «Droits humains au Sahara occidental et dans les camps de réfugiés de Tindouf»; le texte intégral de ce rapport est disponible en anglais et en arabe sur www.hrw.org. Décembre 2008.
Résumé
Le présent rapport se compose de deux parties. La première partie étudie les conditions actuelles des droits humains au Sahara occidental. La seconde partie traite des conditions actuelles des droits humains dans les camps de réfugiés sahraouis administrés par le Front populaire de libération de Saguia el-Hamra et du Rio de Oro (Polisario), l'organisation indépendantiste sahraouie, près de Tindouf, en Algérie.
Au Sahara occidental, l'enquête de Human Rights Watch a porté sur le droit des personnes à s'exprimer, à se réunir et à s'associer au nom de l'autodétermination du peuple sahraoui et de ses droits humains. Nous avons découvert que les autorités marocaines bafouent ce droit au moyen de lois sanctionnant les offenses faites à «l'intégrité territoriale» du Maroc, d'arrestations arbitraires, de procès inéquitables, de restrictions appliquées aux associations et aux réunions, et de l'impunité des policiers qui emploient des méthodes violentes et de harcèlement.
Pour ce qui est des camps de réfugiés de Tindouf, nous nous sommes penchés sur la liberté d'expression et de circulation. Nous avons découvert qu'actuellement, le Polisario marginalise ceux qui défient directement son autorité ou son orientation politique générale, mais ne les emprisonne pas. Il permet aux réfugiés de critiquer sa manière de gérer au quotidien les affaires des camps. Dans la pratique, les résidents peuvent quitter les camps en passant par la Mauritanie s'ils le souhaitent. Cependant, la crainte et la pression sociale empêchent ceux qui envisagent d'aller s'installer dans le Sahara occidental de faire ouvertement part de leur projet avant de partir.
Les droits des résidents des camps de Tindouf restent vulnérables en raison de l'isolement des camps, du manque de contrôle régulier des droits humains sur le terrain et du manque de surveillance par le pays hôte qu'est l'Algérie pour garantir les droits humains des Sahraouis qui vivent dans les camps administrés par le Polisario sur le territoire algérien. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait mettre en place un mécanisme d'observation et d'établissement de rapports réguliers sur les conditions des droits humains aussi bien au Sahara occidental que dans les camps de réfugiés de Tindouf.
Le présent rapport ne traite pas des abus passés, autre sujet important qui mérite d'être examiné aujourd'hui. Bien que la condition des droits humains civils et politiques se soit améliorée dans les camps de Tindouf et au Sahara occidental depuis que le cessez-le-feu observé depuis 1991 a mis un terme au conflit armé opposant le Front Polisario et le Maroc, aucune des parties n'a poursuivi en justice ou n'a tenu pour responsables les auteurs des atrocités commises avant cette date.
Human Rights Watch ne prend pas position sur la question de l'indépendance du Sahara occidental ou sur la proposition du Maroc d'accorder à cette région l'autonomie sous souveraineté marocaine. Néanmoins, toute personne qui vit en territoire contesté contrôlé de fait par le Maroc ou dans un camp de réfugié administré par le Front Polisario a le droit au respect de ses droits humains fondamentaux. Les abus commis par le Maroc ne peuvent en aucun cas justifier ou atténuer l'importance des violations commises par le Polisario et vice versa.
Le Sahara occidental
D'une manière générale, le Maroc a certainement fait des progrès réguliers sur le plan du respect des droits humains au cours de ces quinze dernières années. Le gouvernement marocain a permis une plus grande liberté d'expression et un meilleur contrôle indépendant des droits humains, et a mis en place une commission pour la vérité qui a enquêté sur les abus passés, a reconnu leur existence et a dédommagé les victimes. Le pays a mis un terme à certaines pratiques graves, comme les longues «disparitions», autrefois très répandues.
Toutefois les limites des progrès en matière de droits humains au Maroc sont évidentes dans la manière dont les autorités répriment toute forme de contestation de la position officielle selon laquelle le Sahara occidental fait partie du Maroc. Le gouvernement interdit les manifestations pacifiques et refuse la reconnaissance juridique des organisations de défense des droits humains. Par ailleurs, les forces de sécurité arrêtent les manifestants et les militants sahraouis présumés de façon arbitraire, leur infligent des coups et des tortures, et les forcent à signer des déclarations incriminantes, et cela en toute impunité. Enfin, les tribunaux les déclarent coupables et les emprisonnent suite à des procès inéquitables.
Les autorités marocaines considèrent que les «provinces du Sud» (terme qu'elles utilisent pour désigner le territoire contesté) font partie du Maroc et sont soumises aux mêmes lois et aux mêmes structures administratives que le reste du pays. Par conséquent, la manière dont le gouvernement gère les mouvements de contestation dans cette région, malgré les caractéristiques particulières de cette dernière, ne devrait pas être vue comme une aberration mais plutôt comme un exemple des violations des droits humains que les autorités marocaines ne cessent de commettre pour réprimer les dissidents politiques sur des questions qui leur semblent critiques.
N'ayant pas mené d'étude comparative dans diverses régions du Maroc, Human Rights Watch n'est pas en mesure d'affirmer que les pratiques du Maroc vis à vis des droits humains au Sahara occidental sont meilleures ou pires qu'ailleurs. On notera tout de même, bien sûr, le problème des lois marocaines qui interdisent les atteintes à «l'intégrité territoriale» du pays (interprétées comme toute action en faveur de l'indépendance du Sahara occidental). Au delà de cette question, une étude plus poussée devrait être menée pour juger si les dissidents ou les manifestants qui soutiennent d'autres causes politiquement sensibles, par exemple à Tanger ou à Fès, jouissent d'une plus grande liberté d'association ou de réunion, ont plus de chances d'obtenir un procès équitable, ou ont moins de risques de subir des violences physiques de la part de la police que les militants sahraouis à El-Ayoun ou à Smara.
En évaluant le respect des obligations internationales du Maroc en matière de droits humains dans la région du Sahara occidental, Human Rights Watch ne laisse entendre aucune prise de position quant au futur statut du territoire. Quels que soient le statut actuel de ce territoire et la décision finale qui sera prise sur sa situation, tous ses habitants devraient jouir de droits humains, que ceux qui exercent l'autorité de fait sont légalement obligés de respecter. Toute configuration politique qui empêche des personnes de s'exprimer, de se réunir ou de s'associer pacifiquement autour d'une question politique qui les concerne de près constituerait une atteinte auxdroits humains.
Plan d'autonomie proposé par le Maroc. En avril 2007, le Maroc a présenté aux Nations Unies une proposition de plan d'autonomie pour le Sahara occidental. Selon les autorités marocaines, ce plan répond à la demande d'autodétermination des Sahraouis, tout en maintenant la région sous la souveraineté marocaine. Conformément à cette proposition, le Maroc transférera certains pouvoirs de l'administration centrale vers les organes et les représentants élus localement. Le pays a présenté son plan d'autonomie comme la base des négociations avec le Front Polisario.
Cependant, à notre connaissance, les autorités marocaines n'ont pas annoncé que leur plan d'autonomie prévoit une révision de leur position actuelle quant à la liberté d'expression au Sahara occidental. Des personnes pourraient débattre librement des modalités d'application du plan d'autonomie. Cependant, toute suggestion, y compris une proposition de referendum, qui pourrait mener à l'indépendance, continuera d'être considérée comme une attaque contre «l'intégrité territoriale» du Maroc (voir la lettre du gouvernement marocain: Annexe 2 du présent rapport) et sera passible d'une sanction pénale.
Lois sanctionnant les atteintes à «l'intégrité territoriale» du Maroc. L'une des causes de violation des droits humains décrites dans le présent rapport est la législation marocaine interdisant les attaques contre «l'intégrité territoriale» du royaume. Dans la pratique, cette expression s'utilise dans le cadre de la répression des actions qui vont à l'encontre la position officielle selon laquelle le Sahara occidental appartient au Maroc. Elle fait partie des trois lignes rouges explicites qui limitent la liberté d'expression, avec celles qui interdisent les «atteintes» à la religion islamique et au régime monarchique.
L'article 19 de la Constitution marocaine de 1996 prévoit que «le Roi garantit (…) l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques». La loi sur les associations, bien que libérale sous certains aspects, autorise l'interdiction des associations qui, selon l'interprétation des tribunaux, portent atteinte à «l'intégrité territoriale». Selon le Code de la presse de 2002, plus progressiste que les précédentes versions, tout discours qui porte atteinte à «l'intégrité territoriale» est susceptible d'être puni d'une peine d'emprisonnement, d'une lourde amende ou par la suspension ou l'interdiction de la publication.
La conclusion est inéluctable: l'interdiction des discours et des activités considérées comme portant atteinte à «l'intégrité territoriale» viole les obligations du Maroc, en tant que pays signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de respecter la liberté d'expression, d'association et de réunion. Les autorités marocaines affirment qu'elles ne répriment que les discours et les activités que le PIDCP permet de réprimer car ils menacent la sécurité et l'ordre public (voir la lettre du gouvernement marocainen Annexe 2 du présent rapport). En pratique, le gouvernement utilise le concept vaste et nébuleux de «ce qui porte atteinte à l'intégrité territoriale» pour réprimer toutes sortes de discours et d'activités politiques pacifiques qui s'opposent à la position officielle sur le Sahara occidental.
Nécessité de respecter les droits dans la pratique, de garantir des procès équitables et de mettre un terme à l'impunité. Même si le Maroc venait à modifier, supprimer ou interpréter de manière plus étroite ses lois relatives à «ce qui porte atteinte à l'intégrité territoriale», la situation des droits humains au Sahara occidental ne changera pas tant que les autorités marocaines ne respecteront pas les droits des Sahraouis qui veulent s'exprimer et se mobiliser de manière pacifique en faveur de l'autodétermination. Le pays doit faire preuve d'une véritable volonté politique d'arrêter les agents des forces de sécurité responsables des arrestations arbitraires et du harcèlement des militants sahraouis, ceux-là mêmes qui ont usé de la force excessive pour réprimer des manifestations publiques et ont commis des actes de torture contre des personnes détenues. Le gouvernement marocain doit mettre un terme aux condamnations pour raisons politiques en s'assurant que les tribunaux respectent toutes les garanties de procès équitables et prononcent des verdicts basés sur l'analyse impartiale de preuves pertinentes.
À El-Ayoun, la plus grande ville du Sahara occidental, de nombreux Sahraouis victimes de violences policières en 2005, 2006 et 2007 ont donné les noms des quelques agents de police qui les avaient directement frappés ou leur avait infligé d'autres sévices. Les trois noms les plus cités sont ceux du brigadier Ichi Abou el Hassan, de l'agent Mustapha Kamouri et du chef Aziz Annouche, également connu sous le nom de «et-Touheimeh». Les autorités marocaines savent que ces policiers ont fait l'objet de nombreuses plaintes de civils reçues par le procureur de la Cour d'appel d'El-Ayoun (voir Annexe 2). Concernant les cas sur lesquels Human Rights Watch a attiré l'attention des autorités, ces dernières ont rejeté les plaintes, les qualifiant d'infondées.
Le brigadier Abou el Hassan et l'officier Kamouri ont été mutés vers d'autres régions depuis la période dont il est question dans le présent rapport. Selon nos informations, l'officier Annouche travaille toujours à El-Ayoun. Human Rights Watch ne dispose d'aucune information qui laisse entendre que ces agents ont été reconnus responsables des abus commis contre les habitants d'El-Ayoun.
Harcèlement de militants des droits humains. Le présent rapport fait état de diverses formes de persécution et de harcèlement perpétrées par les autorités marocaines contre des militants sahraouis, défenseurs des droits humains.Les autorités cherchent à discréditer ces militants en accusant plusieurs d'entre eux d'utiliser les droits humains comme un prétexte pour appuyer les «actions séparatistes» du Polisario, parfois par la violence. Ces militants, qui nient toute pratique violente, sont ouvertement en faveur de l'indépendance dans la droite lignée de leurs travaux de défense des droits humains car, pour eux, la violation des droits humains que constitue le refus de l'autodétermination est au cœur de ce que vivent les Sahraouis. Cette conviction les met en porte-à-faux par rapport au droit marocain. Bien que Human Rights Watch ne prenne pas position sur la question de l'indépendance des Sahraouis, nous défendons le droit des autres défenseurs des droits humains, qu'ils se nomment ainsi eux-mêmes ou non, à soutenir pacifiquement l'indépendance ou d'autres moyens de résoudre ce conflit.
Les autorités justifient les mesures répressives comme moyen non seulement de prévenir les atteintes à «l'intégrité territoriale» du Maroc mais aussi, dans certains cas, d'empêcher la violence. Lors de certaines manifestations pro-indépendantistes et d'autres évènements, certains ont jeté des pierres et, parfois, des cocktails Molotov. Ces actes dangereux et illégaux ont causé des blessures aussi bien à des gardiens de la paix qu'à des civils et ont provoqué des dégâts matériels, comme le montrent les cas décrits dans le présent rapport. Les autorités marocaines ont le droit et le devoir d'empêcher et de punir de tels actes. Cependant, le gouvernement marocain interdit quasiment tous les rassemblements (quel qu'en soit l'objet) à partir du moment où il soupçonne ses organisateurs d'être favorables à l'indépendance. Le gouvernement interrompt également régulièrement tous les rassemblements publics «non autorisés», même lorsqu'ils sont entièrement pacifiques.
Poursuite de violations graves des droits humains malgré une amélioration au fil du temps. Le présent rapport se penche sur la situation des droits humains de 2006 à aujourd'hui. Ce portrait, bien que morne, montre une baisse de la répression depuis les années soixante-dix et quatre-vingts, période où le Maroc et le Polisario étaient en guerre. Les autorités marocaines ont enlevé et fait «disparaître» des centaines de Sahraouis, et en ont condamné des centaines d'autres à de longues peines de prison suite à des procès inéquitables. Toutes les régions soumises à la loi marocaine, y compris le Sahara occidental, connaissent une amélioration de la situation des droits humains depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
Malgré l'application persistante des lois réprimant toute forme d'action en faveur de l'indépendance des Sahraouis, le Maroc a ouvert la porte de façon progressive et irrégulière à un débat plus large sur cette question. Par exemple, le pays a accordé la reconnaissance juridique à un petit parti politique marocain, «La voie démocratique» (Annahj ed-Dimouqrati) dont le programme inclut l'autorisation du peuple sahraoui à voter sur la question de l'indépendance. Aujourd'hui, les militants sahraouis dénoncent la façon dont le Maroc administre la région contestée et se regroupent en associations, même non reconnues, pour mettre à jour les violations des droits humains perpétrées par le Maroc et défendre leur vision indépendantiste. Ces militants informent et accompagnent les visiteurs du Sahara occidental. Ils se rendent à l'étranger pour promouvoir leur position dans les médias internationaux, dans certains quotidiens marocains indépendants comme Al Masa et Al JaridaAl Oula, ainsi que dans des hebdomadaires comme TelQuel et Le Journal, et ce malgré le fait que l'État marocain et les médias pro-gouvernementaux continuent à censurer ce type de discours.
Contrairement à ce qu'il se passait il y a vingt ans, les militants sahraouis mènent ce type d'actions et, la plupart du temps, rentrent chez eux le soir sans être gênés. Néanmoins, tôt ou tard, la majorité d'entre eux subira différentes formes de harcèlement comme des restrictions de déplacement, des arrestations arbitraires, des maltraitances physiques, ou des procès et des peines d'emprisonnement suite à des accusations infondées. Ces dernières années, les tribunaux ont en général condamné les militants sahraouis à des peines de trois ans ou moins, condamnations dans l'ensemble beaucoup plus courtes que celles infligées quelques années auparavant. Par conséquent, à l'heure qu'il est, la plupart des militants sahraouis indépendantistes sont en liberté mais quelques uns se trouvent derrière les barreaux pour avoir pacifiquement poursuivi leur but.
Alors que ces avancées méritent d'être mentionnées, le critère d'évaluation le plus pertinent pour faire le bilan du Maroc en matière de droits humains n'est ni son propre bilan par le passé ni le bilan du Front Polisario (auquel le présent rapport consacre un chapitre à part). Les engagements internationaux en matière de droits humains que le pays a ratifié et s'est engagé à respecter constituent le critère pertinent d'évaluation. C'est à l'aune de ce critère que les autorités marocaines elles-mêmes demandent à être jugées. Selon ce critère, la manière dont le Maroc traite les Sahraouis qui s'opposent à l'administration marocaine du Sahara occidental est loin d'être satisfaisante.
Camps de réfugiés situés près de Tindouf, en Algérie
Les camps de réfugiés de Tindouf, situés dans une zone désertique très rude de l'Algérie, comptent environ 125000 habitants. Ils ont été installés il y a plus de trente ans par des réfugiés qui fuyaient les forces marocaines qui avançaient dans le Sahara occidental. La plupart des résidents vivent encore dans des tentes ou dans de modestes cabanes, sans eau courante, et dépendent fortement de l'aide humanitaire internationale.
En 1976, le Front Polisario a proclamé la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Avec la coopération de l'Algérie, le Polisario gère les camps de réfugiés situés autour de Tindouf et une petite partie du Sahara occidental faiblement peuplée qui est au sud et à l'est de la partie du Sahara occidental qui se trouve de facto sous contrôle marocain.
Parmi les aspects inquiétants de la situation des droits humains dans les camps de Tindouf sont l'isolement de la population et l'absence de contrôle régulier, sur le terrain, du respect des droits humains. Malgré les promesses du Polisario de s'ouvrir au contrôle, la baisse apparente de la répression ces dernières années et la présence de nombreux étrangers œuvrant pour des organisations humanitaires et de développement, les droits des réfugiés restent fragiles en raison de l'isolement des camps et du flou juridique les concernant. Le gouvernement du pays hôte, l'Algérie (qui, selon le droit international, est responsable de la protection des droits de toutes les personnes se trouvant sur son territoire) a cédé la gestion effective des camps à un mouvement de libération qui ne peut être tenu officiellement responsable pour ses pratiques en matière de droits humains dans le cadre de l'actuel système international.
Le Polisario administre les camps depuis plus d'une génération. Les réfugiés qui y vivent sont soumis à la constitution et aux lois de la RASD. Le Polisario applique des politiques et prend des décisions qui ont un impact quotidien sur les droits humains des résidents des camps. Il a établi un système judiciaire, carcéral et policier internes, contrôle les frontières des camps, et reste la seule administration avec laquelle les réfugiés des camps ont un contact régulier. Cette situation pourrait bien perdurer pendant des années. C'est pourquoi, même si l'Algérie reste responsable de ce qui se passe sur son territoire, le Polisario doit être tenu pour responsable de la manière dont il traite les personnes vivant sous son administration.
Or l'Algérie a de fait abandonné sa responsabilité concernant les violations des droits humains commises par le Polisario sur son territoire. Ceci est inacceptable: la communauté internationale doit tenir le gouvernement algérien, ainsi que le Polisario, pour responsables de toute violation des droits humains éventuellement perpétrée par le Polisario en Algérie.
Liberté d'expression. À l'heure actuelle, les détentions politiques sont rares voire inexistantes dans les camps de réfugiés. Les Sahraouis peuvent critiquer et critiquent le Front Polisario sur la manière dont il gère les affaires quotidiennes dans les camps et la «lutte nationale».
Cependant, le Front Polisario monopolise le discours politique et marginalise ceux qui remettent directement en question sa direction ou s'opposent à lui sur des questions fondamentales. Dans les camps, il n'existe pas de véritable mouvement de dissidence, d'action collective, de média ou d'organisation importante qui défie ouvertement la légitimité du Front Polisario en tant que représentant de la cause nationale. Personne n'exerce non plus de véritables pressions en faveur de l'acceptation de la proposition du Maroc d'accorder l'autonomie au Sahara occidental sous sa souveraineté. Un petit journal indépendant et une faction dissidente du Polisario ont vu le jour, mais leur impact sur la vie publique n'est pas réellement perceptible. La seule organisation non gouvernementale de défense des droits humains qui travaille dans les camps, l'Association des familles des prisonniers et des disparus sahraouis (AFAPREDESA), défend les Sahraouis victimes d'abus commis par le Maroc mais ne s'intéresse pas aux violations des droits humains à l'intérieur des camps.
L'absence de véritable opposition politique est principalement due au rôle dominant que joue le Polisario en offrant des ressources et des emplois dans les camps frappés par la pauvreté, dont la population est organisée en groupements de personnes formés par le Polisario (par exemple, l'Union nationale des femmes sahraouies, l'Union des jeunes et l'Union générale des travailleurs). Ceux qui s'opposent au Polisario sur des questions fondamentales ont peu de moyens d'action, même en l'absence d'interdiction officielle ou de répression directe de leurs activités. Souvent, ils décident de quitter les camps. Selon les termes d'un homme instruit, ancien réfugié en faveur du plan d'autonomie proposé par le Maroc et qui a quitté les camps: «Ceux qui souhaitent s'opposer au Polisario à l'intérieur des camps n'aboutissent à rien, alors ils se lèvent et ils s'en vont».
Liberté de circulation. Le Polisario et de nombreux réfugiés des camps considèrent au bas mot comme des «vendus» ceux qui ont quitté les camps pour aller vivre au Sahara occidental, sous contrôle marocain. Cependant, Human Rights Watch n'a trouvé pratiquement aucune preuve de véritables restrictions empêchant les réfugiés de partir des camps.
Néanmoins, ceux qui ont quitté les camps pour se rendre au Sahara occidental affirment tous qu'avant de partir, ils ont gardé le secret de leur destination, par crainte que le Polisario ne parvienne à les empêcher de partir s'il venait à l'apprendre. Ce sentiment de peur a poussé un grand nombre d'entre eux à partir sans leurs affaires et sans certains membres de leur famille, ce qui leur aurait causé un stress et des difficultés supplémentaires. Pourtant, presque tous ceux qui sont partis ont utilisé les routes principales pour traverser la frontière algéro-mauritanienne. Ils précisent qu'ils étaient presque certains que les autorités ne leur demanderaient pas de faire demi-tour. Les Sahraouis qui veulent quitter les camps parviennent à le faire, mais ces départs se font souvent dans le secret le plus total.
Allégations d'esclavage. Le Polisario a publiquement déclaré qu'il était fermement opposé à toute forme d'esclavage. Néanmoins, il doit agir davantage pour mettre un terme aux pratiques esclavagistes qui persistent à l'encontre de certains réfugiés noirs dans camps de Tindouf.[1]
Les Noirs, qui représentent une minorité au sein d'une population majoritairement maure, nous ont confié que l'esclavage dans les camps se présente aujourd'hui sous la forme d'une seule pratique en particulier: le refus par certains juges d'état civil locaux (les cadis) de marier des femmes noires, familièrement appelées «esclaves», à moins que leur «propriétaire» ne donne son consentement. Le «maître» est donc en mesure d'empêcher une femme de se marier avec l'homme de son choix.
Cette pratique ressemble à celles, mieux connues, qui existaient au Mali et qui ont encore cours en Mauritanie, un pays culturellement et ethniquement lié aux Sahraouis. Au Sahara occidental sous contrôle marocain, les Sahraouis nous ont affirmé que certaines pratiques résiduelles d'esclavage persistaient aussi dans leur région.
Des représentants du Polisario admettent que, malgré l'interdiction légale de l'esclavage par la RASD, certains formes d'esclavage passées continuent d'avoir cours au sein de la société sahraouie et auraient pu être renforcées par des fonctionnaires employés par le Polisario, comme il a été décrit plus haut. Les mesures mises en place pour punir ces fonctionnaires ont été documentées et l'organisation semble réellement s'opposer à ce type de pratiques. Les Noirs que nous avons interrogés ont confirmé que le Polisario était opposé à l'esclavage mais ont insisté sur le fait qu'il reste encore du travail à accomplir pour éradiquer l'esclavage sous toutes ses formes.
Recommandations
Au Conseil de sécurité de l'ONU
Soit étendre le mandat de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental) afin d'y inclure l'observation et l'établissement de rapports sur la situation des droits humains à la fois au Sahara occidental et dans les camps de réfugiés administrés par le Polisario en Algérie, soit mettre en place un autre mécanisme par lequel les Nations Unies pourraient observer et établir des rapports réguliers sur les conditions des droits humains dans ces zones.
Au gouvernement marocain
Autoriser l'observation sur le terrain de la situation des droits humains au Sahara occidental par un mécanisme approprié comme la MINURSO, si les Nations Unies décident d'étendre son mandat.
Réviser ou abolir certains articles du Code de la presse, la loi sur les associations ainsi que les autres lois qui rendent illégaux les discours et les activités politiques et associatives considérés comme portant atteinte à «l'intégrité territoriale» du Maroc, et qui sont utilisés pour réprimer les actions non violentes en faveur des droits politiques des Sahraouis.
Organiser et superviser des enquêtes indépendantes et minutieuses pour déterminer la responsabilité de la police suite aux plaintes de civils concernant des violations des droits humains. S'assurer que la recherche de vérité consiste à demander plus de détails aux auteurs des plaintes et, si nécessaire, à leur famille. Le cas échéant, rendre publics les résultats de ces enquêtes ainsi que les mesures administratives et disciplinaires appliquées à l'encontre des responsables.
Si les preuves le permettent, traduire en justiceles agents publics impliqués dans des actes de torture, y compris ceux qui ont donné l'ordre de torturer ou les responsables qui auraient dû être au courant de ces actes et n'ont rien fait pour les empêcher d'avoir lieu ou punir leur auteurs.
Enquêter, tout particulièrement, sur la conduite des trois officiers qui ont été cités à plusieurs reprises par des plaignants et qui seraient personnellement impliqués dans des abus à l'encontre de Sahraouis à El-Ayoun de 2005 à 2007: Ichi Abou el Hassan, Mustapha Kamouri et Aziz Annouche. Mener une enquête appliquée et impartiale et prendre des mesures disciplinaires ou juridiques contre ces trois agents si les résultats montrent que de telles mesures sont justifiées.
Vérifier que les autorités administratives locales respectent la loi marocaine sur les associations en mettant fin à la pratique qui consiste à refuser les documents de constitution déposés par les associations indépendantes conformément à la procédure pour obtenir un statut juridique. De manière générale, les autorités ne peuvent restreindre le droit des personnes à se constituer en association que dans les cas définis de manière très précise dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Respecter le droit des personnes à se réunir pacifiquement, y compris celui des partisans de l'autodétermination du peuple sahraoui, conformément à l'article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les autorités ne devraient restreindre le droit de réunion pacifique qu'en cas de menace avérée de «la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui». Même dans ces cas, les restrictions doivent être limitées au strict nécessaire et temporaires.
Prendre des mesures pour garantir que, dans les affaires à dimension politique,les tribunaux rendent des verdicts fondés sur l'étude et l'appréciation impartiale de preuves pertinentes. Les juges et les procureurs doivent mettre un frein à l'immunité dont jouissent les policiers qui maltraitent les suspects en garde à vue ou qui emploient des moyens de coercition abusifs pour obtenir des déclarations incriminantes. Pour faire cela, les juges et les procureurs devraient, entre autres choses, faire appliquer le droit du suspect d'être examiné par un médecin pour faire constater d'éventuels mauvais traitements et rejeter les preuves consistant en des déclarations dont il est avéré qu'elles ont été obtenues sous la torture.
Poursuivre les efforts que le Maroc a récemment accomplis en levant ses réserves sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et en ratifiant le Protocole facultatif des Nations Unies se rapportant à la Convention contre la torture. Ce protocole exige que ses signataires autorisent l'accès à tous les lieux de détention à un organe national «de prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants», ainsi qu'à un sous-comité de l'ONU pour la prévention de la torture. Selon les termes du protocole, le sous-comité de l'ONU et l'organe national doivent conseiller le gouvernement sur les mesures visant à «renforcer la protection des personnes privées de liberté contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».
Recommandations concernant les droits humains dans les camps de Tindouf
Les camps de réfugiés de Tindouf reflètent une situation anormale. L'État hôte (l'Algérie) a confié l'administration des camps et la responsabilité de garantir le respect des droits humains à un mouvement de libération: le Front Polisario. La population qui vit dans les camps, des réfugiés enfuis de leur pays d'origine, doit affronter les rudes conditions du désert. Bien que le Front Polisario et de nombreux résidents des camps aient déclaré que leur objectif prioritaire était d'obtenir le droit à l'autodétermination, le Polisario (et l'Algérie en tant que pays hôte) doit garantir le respect continu de tous les droits humains des réfugiés qui vivent dans les camps.
Compte tenu des allégations concernant des violations des droits humains dans les camps administrés par le Polisario au cours des trois dernières décennies, Human Rights Watch pense que les camps devraient être contrôlés par des organisations de défense des droits humains et des organes internationaux de manière régulière et sur le terrain. Aucun contrôle de ce type n'est actuellement mené par les Nations Unies ni par d'autres organisations. L'éloignement et l'isolement des camps, ainsi que l'abandon de responsabilité par l'Algérie en tant que pays hôte ajoutent à l'importance d'inclure les camps de Tindouf à tout programme international de contrôle des droits humains au Sahara occidental.
Au Front Polisario
Autoriser un mécanisme approprié comme la MINURSO, si les Nations Unies décident d'étendre son mandat, à évaluer sur le terrain les conditions des droits humains dans les camps de réfugiés de Tindouf et dans toute région du Sahara occidental contrôlée de fait par le Polisario.
Garantir le respect des droits d'association, de réunion et d'expression pour tous les habitants des camps, y compris en s'assurant que:
- Les habitants des camps sont libres de remettre en question, de manière pacifique, la direction du Front Polisario et de prôner des options pour le Sahara occidental autres que l'indépendance.
- L'article 52bis du Code pénal SADR, formulé de façon très générale, est éliminé ou du moins que son champs de compétence est restreint de façon significative. Cet article prévoit des peines de prison pour la distribution de publications qui pourraient «nuire à l'intérêt public.»
- L'interprétation par la RASD des articles du Code pénal concernant les atteintes à la sécurité nationale respecte le droit international en matière de droits humains.
- Le droit de réunion est renforcé par amendement des articles du Code pénal qui criminalisent la participation à une réunion publique non armée considérée comme «troublant l'ordre public», critère trop large et pouvant donner lieu à une interprétation répressive.
Garantir aux résidents des camps le respect absolu de leur liberté de circulation et prendre des mesures volontaristes de manière à leur faire savoir qu'ils sont libres de quitter les camps, y compris, si tel est leur souhait, pour s'installer sur le territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain.
Continuer ses efforts pour respecter son engagement d' éradiquer toute forme d'esclavage dans les camps en informant le public et tous les fonctionnaires, en recevant les plaintes du public et en menant des enquêtes, en luttant fermement contre toutes les formes d'esclavage et en adoptant les mesures nécessaires pour que des peines lourdes soient infligées aux auteurs des infractions, y compris aux cadis (juges) qui refusent de marier des personnes sans l'accord de leur «maître».
Pour ce qui est de la détention des femmes qui ont donné naissance à des enfants illégitimes, amender l'article du Code pénal qui interdit les rapports sexuels hors mariage entre adultes consentants et viole le droit au respect de la vie privée, et annuler toutes les peines en cours contre les personnes accusées de ce «délit». Dans les cas où le Polisario enferme des femmes susceptibles d'être victimes de «crimes d'honneur» en raison de leur présumée activité sexuelle, l'organisation doit garantir qu'aucune femme n'est retenue contre son gré pour des motifs de protection. Il doit également proposer aux femmes des formes de protection non privatives de liberté.
Au gouvernement algérien
Autoriser le contrôle sur le terrain de la situation des droits humains dans les camps de Tindouf par un mécanisme approprié comme la MINURSO, si les Nations Unies décident d'étendre leur mandat.
Modifier sa position apparente consistant à céder au Front Polisario la responsabilité de protéger les droits humains de la population réfugiée des camps de Tindouf. Reconnaître publiquement sa propre responsabilité en matière de garantie du respect des droits de toutes les personnes vivant sur le territoire algérien. Par conséquent, intervenir si et lorsque des violations des droits humains sont commises et s'assurer que leurs auteurs sont reconnus responsables.
Aux gouvernements tiers et aux organes régionaux
Les gouvernements tiers qui s'impliquent dans la recherche d'une issue au conflit du Sahara occidental devraient:
En attendant la résolution du conflit, garantir aux Sahraouis, qu'ils soient sous contrôle marocain ou sous le contrôle du Polisario, la pleine jouissance de leur liberté d'association, de réunion et d'expression. À cette fin, soutenir l'extension du mandat de la MINURSO pour y inclure le contrôle et l'établissement de rapports sur la situation des droits humains dans les camps administrés par le Polisario et au Sahara occidental, ou mettre en place un autre mécanisme par lequel les Nations Unies puissent effectuer un contrôle régulier et sur le terrain et établir des rapports sur la situation des droits humains dans ces zones.
Encourager l'Algérie à reconnaître et à assumer sa responsabilité quant à la garantie du respect des droits humais des réfugiés sahraouis qui résident dans les camps administrés par le Polisario sur le territoire algérien.
S'assurer que, quelle que soit la future issue du conflit, cette résolution garantisse les droits d'association, de réunion et d'expression du peuple sahraoui, ainsi que de toute autre personne soumise aux règles de la même entité politique.
L'Union européenne, qui a récemment revalorisé le statut de ses relations avec le Maroc pour passer en «statut avancé», devrait garantir, en attendant la résolution du conflit, que les Sahraouis, qu'ils vivent sous l'autorité marocaine ou celle du Polisario, jouissent pleinement de leur liberté d'association, de réunion et d'expression. À cette fin, l'UE devrait non seulement continuer à encourager le gouvernement marocain à accorder une place plus importante à la liberté d'expression, d'association et de réunion, mais aussi préciser publiquement que ces droits doivent être étendus aux personnes qui soutiennent pacifiquement la cause de l'autodétermination du peuple sahraoui.
Human Rights Watch appelle également la Ligue arabe et l'Union africaine, en tant qu'organisations régionales impliqués dans la recherche d'une résolution au conflit du Sahara occidental, à appliquer les mêmes recommandations que celles faites à l'Union européenne.
Recommandations aux États-Unis et à la France
Les États-Unis et la France ont manifesté un soutien nuancé au plan d'autonomie proposé par le Maroc. Ces deux pays, ainsi que tous les autres pays en faveur du plan d'autonomie ou de toute autre proposition visant à résoudre le conflit du Sahara occidental, devraient explicitement conditionner leur soutien à l'engagement des autorités compétentes de respecter pleinement les droits humains de tous les citoyens, y compris celui de s'exprimer et d'agir pacifiquement en faveur de la solution de leur choix concernant l'avenir politique du Sahara occidental.
En tant qu'alliés du Maroc et de l'Algérie, et en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France et les États-Unis devraient prendre la tête des efforts déployés au Conseil pour étendre le mandat de la MINURSO afin d'y inclure le contrôle et l'établissement de rapports sur la situation des droits humains au Sahara occidental et dans les camps de réfugiés administrés par le Polisario, ou pour mettre en place un autre mécanisme par lequel les Nations Unies puissent effectuer un contrôle régulier sur le terrain et établir des rapports sur la situation des droits humains dans ces zones.
Quant aux États-Unis, nous regrettons qu'au cours de leurs opérations de contrôle et de rapport sur la situation des droits humains partout dans le monde, ils n'aient prêté que peu d'attention aux camps de réfugiés de Tindouf. Le pays devrait rassembler des informations pertinentes, aussi bien dans les camps et, si nécessaire en dehors, et s'exprimer publiquement sur la situation des droits humains dans ces camps, y compris dans les Rapports nationaux sur les pratiques des droits humains (Country Reports on Human Rights Practices) du département d'Etat américain.
[1]Les personnes interrogées par Human Rights Watch dans les camps sur cette question ont utilisé un terme arabe pour désigner les «Noirs» [aswad].