(Paris) – Les migrants et demandeurs d’asile à Calais font face à des conditions de vie dramatiques, particulièrement en cette période de chute des températures, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. De nombreux migrants, enfants et adultes, ont rapporté que les destructions et confiscations de leurs effets par la police étaient plus fréquentes depuis début novembre 2017, leur rendant la vie dehors encore plus difficile.
Dans cette ville du nord de la France, les policiers emploient une force excessive contre les demandeurs d’asile et autres migrants. Les forces de l’ordre confisquent ou détruisent fréquemment les sacs de couchage, vêtements et autres possessions des demandeurs d’asile et des migrants, apparemment dans le but de les dissuader de rester à Calais.
« Les violences policières, les destructions et les confiscations en cours sont inhumaines et inadmissibles», a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Les autorités françaises doivent mettre immédiatement fin à ces abus et s’assurer que les migrants sont traités avec la dignité à laquelle tout être humain a droit. »
Human Rights Watch a constaté que, très récemment, au cours de la première semaine de décembre, la police, en particulier du corps anti-émeute des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), avait confisqué ou détruit des effets personnels des demandeurs d’asile et des autres migrants, tels que leurs sacs de couchage, couvertures, vêtements, voire parfois leurs téléphones, médicaments et documents.
Au moins 500 migrants et demandeurs d’asile, dont on estime que 100 sont des enfants non accompagnés, vivent dans les rues et les zones boisées de Calais et des alentours. La plupart d’entre eux sont originaires d’Érythrée, d’Éthiopie et d’Afghanistan.
Depuis la fermeture du camp de Calais, dit « la Jungle », par les autorités françaises en octobre 2016, les autorités municipales et nationales ont exprimé à plusieurs reprises leur volonté d’éviter la réinstallation d’un nouveau camp permanent dans la ville ou aux alentours, où se sont regroupés des migrants dans l’espoir d’atteindre le Royaume-Uni. Pendant un temps, les autorités françaises ont défié une décision de justice leur ordonnant de procurer aux demandeurs d’asile et aux autres migrants de l’eau potable et d’autres services d’aide humanitaire, mais cela est aujourd’hui partiellement résolu.
Début décembre à Calais, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 36 migrants, dont des demandeurs d’asile, notamment avec 20 enfants non accompagnés. Human Rights Watch s’est également entretenu avec 23 employés et volontaires d’organisations non gouvernementales fournissant une assistance humanitaire, juridique et médicale. Outre la confiscation d’objets personnels, Human Rights Watch a documenté des agressions physiques de migrants par la police ainsi que des actes de harcèlement à l’encontre de travailleurs humanitaires.
Ceci fait suite aux recherches menées en juin et juillet par Human Rights Watch, qui ont mis en évidence un usage excessif de la force à l’encontre des migrants, notamment l’utilisation routinière de gaz irritant, ainsi que la confiscation régulière de leurs biens, le blocage de l’aide humanitaire et le harcèlement des travailleurs humanitaires. Le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et de nombreux groupes humanitaires opérant à Calais et aux environs, dont l’Auberge des migrants et Help Refugees, ont publié des rapports similaires sur les abus policiers commis pendant les mois suivant la fermeture du vaste camp de migrants.
En réaction aux conclusions des recherches de Human Rights Watch et du Défenseur des droits, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a annoncé que les services d’enquête interne de l’administration et des forces de sécurités françaises investigueraient les pratiques policières à Calais. Le rapport officiel des inspecteurs, publié en octobre, a conclu qu’il existait des preuves convaincantes de l’usage excessif de la force et d’autres abus commis par les policiers. Il a appelé à des améliorations dans les pratiques des policiers opérant à Calais face aux demandeurs d’asile et autres migrants.
« Ces actes représentent une stratégie de harcèlement et d’épuisement de la part des autorités, visant à dissuader la présence de migrants à Calais », selon Loan Torondel, coordinateur terrain de l’Auberge des migrants, une organisation humanitaire française. « Laisser des personnes vulnérables sans abri, par ce temps, ne fait qu’augmenter leur désespoir. » L’association a également détaillé tout récemment, dans un rapport publié début décembre, les confiscations et destructions par la police de tentes, bâches, sacs de couchage et autres effets des migrants et des demandeurs d’asile.
Le 11 décembre, après plusieurs semaines d’un froid de plus en plus vif, mais avant que la loi ne leur impose de le faire, les responsables municipaux de Calais ont ouvert des hébergements d’urgence pour deux jours, dont la durée a ensuite été prolongée jusqu’au 18 décembre au matin. D’après les déclarations des autorités locales aux organisations humanitaires, cet hébergement est constitué de containers avec 70 places pour les femmes, les enfants et les personnes vulnérables, par exemple âgées ou malades, et d’un entrepôt avec 200 places pour les hommes. Ces dispositifs ne sont ouverts que pendant la nuit.
Les informations rapportées par les groupes humanitaires varient, mais certains ont rapporté que les migrants devaient prendre des bus spécifiques, en se rassemblant à des points de départ particuliers, avant 19 heures chaque soir, à moins qu’ils ne soient amenés par les services d’urgence. Ils ont indiqué que les personnes qui parvenaient à l’abri d’urgence par d’autres moyens, à pied par exemple, étaient refoulés, tandis que d’autres ne pouvaient accéder à cet hébergement par manque d’informations sur l’ouverture des abris et sur les procédures d’admission.
La décision des autorités locales d’ouvrir ces abris d’urgence avant d’être strictement obligées de le faire est cohérent avec les engagements du président Emmanuel Macron. Il avait ainsi déclaré en juillet : « Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois [...]. Je veux [...] partout des hébergements d'urgence. »
Les autorités devraient maintenir ces hébergements d’urgence ouverts pendant tout l’hiver, de jour comme de nuit, afin d’assurer une protection adéquate à ceux qui, sinon, seraient sans abri, notamment les demandeurs d’asile et les autres migrants, a déclaré Human Rights Watch. Par ailleurs les autorités devraient mettre fin aux pratiques policières abusives, sanctionner les agents abusant de leur pouvoir et mettre en œuvre les recommandations émises en octobre par les services d’enquête interne de l’administration et des forces de sécurité françaises.
« Les abus et le harcèlement policiers ne devraient pas être un élément constitutif de la politique de la France envers les migrants et les demandeurs d’asile », a conclu Bénédicte Jeannerod.
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Conditions de vie
Les conditions de vie précaires ont de lourdes conséquences sur la santé mentale des demandeurs d’asile et des autres migrants, ont déclaré à Human Rights Watch des membres d’équipes médicales. Avec l’arrivée du froid, les travailleurs humanitaires ont noté que les migrants avaient d’avantage de risques de souffrir d’engelures et d’hypothermie. Les groupes humanitaires apportent des réserves de gants, de chauffe-mains et d’autre matériel similaire d’urgence.
Parmi les autres problèmes de santé fréquents, il faut citer la gale, le pied des tranchées, un syndrome douloureux causé par le fait d’avoir les pieds humides de façon prolongée ; des infections oto-rhino-laryngologiques ; et des douleurs musculaires et dorsales dues à la vie en extérieur. Un nettoyage régulier des vêtements et des couchages est nécessaire pour prévenir la gale.
Suite à un jugement émis fin juillet par le plus haut tribunal administratif français, le Conseil d’État, les représentants locaux du gouvernement ont installé des points d’eau, des toilettes et des douches. Cependant, les migrants et les demandeurs d’asile ne peuvent ni laver ni sécher leurs vêtements et leurs couchages.
La loi française exige que des hébergements d’urgence soient ouverts pour toutes les personnes sans abri, y compris les migrants sans papiers, lorsque la météo atteint certaines conditions, par exemple lorsque la température tombe à -5 ºC pendant deux nuits consécutives ou bien demeure à 0 ºC ou en-dessous pendant la journée. Les responsables locaux peuvent, à leur discrétion, ouvrir des abris d’urgence dans des conditions moins rigoureuses.
Autres abus
Human Rights Watch a également réuni des informations sur des cas récents de violences physiques commises par la police à l’encontre de migrants et de demandeurs d’asile, notamment des coups sur les mains, les jambes et les chevilles, parfois alors qu’ils sont assis de manière pacifique aux points de distribution, en train de dormir ou bien de se réveiller. Certains migrants et demandeurs d’asile, aussi bien enfants qu’adultes, ont déclaré qu’ils avaient été aspergés de gaz irritant pendant qu’ils dormaient. Les travailleurs médicaux ont rapporté qu’ils avaient soigné des migrants et demandeurs d’asile qui souffraient d’irritations oculaires et d’autres symptômes concordant avec ces récits.
Human Rights Watch a également constaté que la police harcelait les travailleurs humanitaires par des contrôles d’identité répétés et des procès-verbaux pour des infractions mineures, telles qu’une quantité insuffisante de liquide lave-glace ou une pression des pneus trop faible, ou encore d’amendes de stationnement. Un travailleur humanitaire a déclaré que des agents avaient vérifié les documents d’identité de certains responsables et volontaires plusieurs fois dans la même journée.
Récits de migrants (enfants non accompagnés et adultes)
Afin de protéger la vie privée des personnes interrogées, la plupart des noms ont été modifiés et d’autres informations qui pourraient aider à les identifier n’ont pas été incluses. Si un âge est précisé, il s’agit de l’âge que la personne a déclaré à Human Rights Watch.
« Ils me font peur, je n’aime pas les policiers de Calais. J’aime bien les policiers de France, mais pas ceux de Calais. Ils m’ont aspergé le visage il y a trois jours, et tout le corps. Ils m’ont pris toutes mes affaires. »
- Un jeune garçon [âge et nationalité non divulguées], le 6 décembre 2017.
« Ils ont pris tous nos sacs de couchage aujourd’hui [le 5 décembre], après midi. Les animaux sont plus respectés que nous, ici. »
- Un homme adulte originaire d’Éthiopie, le 5 décembre 2017
« Je dors dans les bois. Les policiers [viennent] tous les jours. Ils pulvérisent du gaz. Ils frappent... Il y a deux semaines, ils m’ont aspergé les yeux de gaz et j’ai dû passer une journée à l’hôpital. »
- Un garçon de 15 ans originaire d’Érythrée, le 5 décembre 2017
« J’ai reçu du gaz deux fois. Ça fait très mal. Ça brûle aussi. La douleur met deux, trois jours à passer. Ça brûle vraiment beaucoup. Même la peau. [...] La deuxième fois [que j’ai été aspergé de gaz], je dormais. Ils m’ont réveillé et m’ont aspergé. À tous, ils nous ont fait pareil. »
- Un homme adulte originaire d’Éthiopie, le 5 décembre 2017
« Ce matin, les policiers sont venus, ils étaient plus de 25. Ils ont pris tous nos sacs de couchage, mon téléphone... Quand ils viennent, ils nous frappent. Ils prennent nos sacs de couchage et nos vestes, à chaque fois. Ils me frappent parfois. Ils utilisent leurs bombes de gaz, partout sur mon visage. Ils disent : ‘Ne dormez pas. Allez-vous-en !’... Maintenant la vie est affreuse. Maintenant il commence à pleuvoir, à geler. La nuit est très, très froide. Nous dormons dehors la nuit, mais nous n’avons rien. »
- Un garçon de 17 ans, « Kuma », originaire d’Oromie, le 5 décembre 2017
« Je dors sous le pont... Hier, les policiers sont venus avec leurs bombes. Ils m’ont aspergé le visage, ont pulvérisé du gaz partout. Je n’ai plus de sac de couchage – les policiers me l'ont pris.
- Un garçon de 15 ans, « Neissa », originaire d’Oromie, le 5 décembre 2017
« Les policiers prennent les sacs de couchage, les couvertures... normal ! Ils me pulvérisent les yeux, le nez, la bouche. Après, je tousse pendant 20 ou 30 minutes.
- Un jeune garçon [âge et nationalité non divulguées], le 6 décembre 2017.
C’est vraiment dur. Les policiers viennent le matin. Ils prennent votre sac de couchage et vous pulvérisent le visage, les yeux. Ce sont les CRS [la police anti-émeute française]. »
- Un homme de 18 ans originaire d’Érythrée, le 6 décembre 2017
« Calais, ce n’est pas bon. Les policiers viennent à chaque fois. Ils ramassent les vêtements, pulvérisent de gaz, frappent. C’est vraiment très dur. Les CRS à chaque fois, nuit et jour. Ils prennent les couvertures, les sacs de couchages et même les vêtements. Aujourd’hui, [ils ont pris] mon sac de couchage... [J’ai été] frappé à la jambe. Ce matin, ils m’ont pulvérisé les yeux et les vêtements. Hier, c’était mes vêtements.
- Un garçon de 16 ans originaire d’Éthiopie, le 6 décembre 2017
France : L'arrivée du froid met les migrants de Calais en danger https://t.co/Q2A8uBUtTS pic.twitter.com/V0HXayztbC
— HRW en français (@hrw_fr) 18 décembre 2017