C’était à la fin du mois de juin, en milieu de matinée, et pourtant l’entrepôt à Calais était sombre, froid et parcouru de courants d’air. J’étais assise par terre avec « Marie », une Française d’une vingtaine d’années, grande et mince. Penchée en avant, le regard concentré, elle m’expliquait comment la police française harcelait non seulement des centaines de migrants à Calais, mais aussi les travailleurs humanitaires. « Ils nous mettent la pression en nous empêchant de travailler. »
Marie est l’une des dizaines de travailleurs humanitaires, dont beaucoup sont bénévoles, qui fournissent des services de base aux migrants, qui dépendent largement des organisations humanitaires pour leur survie. Deux nuits durant, je les ai accompagnés pendant qu’ils distribuaient des boîtes de nourriture, des sacs de couchage, des couvertures et des vêtements aux migrants qui sont revenus à Calais dans l’espoir, encore et toujours, de rejoindre le Royaume-Uni, ou parce qu’ils n’ont nulle part où aller.
Cette année, la Journée internationale des Volontaires rend hommage à ceux qui sont en première ligne en période de crise, ceux qui répondent présents pour donner de l’aide en ces temps difficiles. J’en ai rencontré beaucoup depuis que j’ai commencé, en octobre 2016, à m’intéresser aux conditions dans lesquelles les migrants sont accueillis en France.
À Calais, les travailleurs humanitaires sont en majorité français ou britanniques, mais d’autres viennent d’un peu partout dans le monde. Certains sont là pour des périodes courtes, d’autres s’activent depuis des mois, et tous travaillent pour des associations locales ou internationales. Ils préparent et distribuent de la nourriture aux migrants, remplacent les couvertures et les vêtements confisqués et emmènent les migrants malades ou blessés à l’hôpital. D’autres encore offrent un soutien ou des conseils juridiques.
Les organisations non gouvernementales jouent un rôle de plus en plus essentiel depuis que les autorités françaises ont fermé le camp dit de « la Jungle » à Calais en octobre 2016, et que les migrants et demandeurs d’asile ont été répartis dans des centres d’accueil à travers toute la France.
Les autorités veulent empêcher la construction d’un nouveau camp de fortune à Calais, mais les migrants sont revenus et leurs conditions de vie sont déplorables. Actuellement, entre 700 et 1 000 migrants, pour la plupart originaires d’Érythrée, d’Éthiopie et d’Afghanistan, et quelques 100 à 200 enfants non accompagnés, vivent et dorment dehors.
Enfants et adultes migrants ont déclaré à Human Rights Watch que pour essayer de les faire partir, la police les aspergeait régulièrement de gaz lacrymogène pendant leur sommeil, ou dans d’autres situations où ils ne représentaient aucun danger. Régulièrement, la police pulvérise de gaz lacrymogène ou confisque les sacs de couchage et les couvertures, les vêtements et les chaussures, ou encore la nourriture et l’eau des migrants.
Le harcèlement policier s’étend même aux travailleurs humanitaires. Ces derniers m’ont décrit le caractère systématique des actions de la police : les contraventions pour des infractions mineures comme que le manque de liquide lave-glace dans leur véhicule, les téléphones saisis quand les travailleurs filment les actions des forces de police, ou encore les contrôles d’identité à répétition.
Ces contrôles sont bien sûr légaux, mais ils sont tellement fréquents qu’ils deviennent difficiles, voire impossibles, à justifier. Une travailleuse humanitaire a ainsi décrit comment, lors d’une distribution de nourriture, un agent de police s’est présenté derrière elle et lui a demandé d’une voix grave : « Bonsoir Mme Smith. Puis-je voir vos papiers ? » Le nom de cette personne a évidemment été changé pour lui éviter d’autres ennuis.
Les travailleurs humanitaires ont également indiqué avoir été bousculés par la police, et à la mi-juillet, les policiers ont même utilisé du gaz lacrymogène contre des bénévoles qui aidaient un migrant blessé et qui avait besoin d’eau. Quand ces travailleurs sont allés se plaindre de ce qui leur était arrivé, ils ont eu le sentiment d’être soumis à un interrogatoire. « On avait vraiment l’impression [...] d’être des criminels », m’a expliqué l’un d’eux. Une autre travailleuse m’a raconté qu’un policier lui avait demandé ce qu’elle préférait, être aspergée de gaz lacrymogène ou frappée à coup de matraque.
Même dans les meilleures conditions, il est difficile de répondre aux besoins des centaines de migrants se trouvant dans des situations dramatiques qui nécessitent, pour être résolues, de longues heures d’attention, des compétences, du dévouement et beaucoup de compassion. Dans l’atmosphère tendue qui règne à Calais, le harcèlement policier fait des ravages. Certains bénévoles m’ont confié que cette situation avait des effets émotionnels et psychologiques importants sur eux. D’autres ont appris à vivre avec et se disent bien plus préoccupés par le traitement des migrants.
Cette tendance de harcèlement donne à penser que la police cherche à intimider les travailleurs humanitaires. Le raisonnement quelque peu cynique derrière cette approche semble être que les travailleurs humanitaires partiront si une pression suffisante est exercée sur eux, et que les migrants cesseront alors de venir à Calais. « Quand la police sur place tente de nous empêcher de faire notre travail, les migrants partent ... », m’a expliqué Marie. « Donc, ce type de pression fonctionne ».
Mais d’après ce que j’ai vu sur place, les travailleurs humanitaires ne sont pas prêts d’abandonner. Il m’a suffi de les regarder charger une camionnette à minuit en écoutant de la musique à plein volume pour constater que l’humeur était au beau fixe. Ils restent déterminés à fournir l’aide cruciale dont les migrants ont besoin pour survivre, en dépit des obstacles.
Mais ils ont besoin d’être soutenus. En octobre, une enquête indépendante menée par les agences d’inspection interne de l’administration et des forces de police françaises a fourni des preuves convaincantes que la police avait agressé des migrants à Calais. L’une des recommandations de ce rapport appelle les autorités locales et les officiers de police à se réunir régulièrement avec les organisations humanitaires pour s’assurer que les migrants obtiennent l’aide dont ils ont besoin. Cela est important, surtout maintenant que l’hiver est là. Et cela suppose aussi que des informations complètes sur les services disponibles et sur le processus d’asile en France soient communiquées aux intéressés.
Je suis toujours en contact avec Marie qui, avec d’autres, travaille sans relâche à Calais malgré le harcèlement de la police. Aujourd’hui, tout le monde devrait rendre hommage au travail courageux que ces personnes accomplissent chaque jour dans les conditions les plus difficiles qui soient.