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Soudan : L'armée a commis des viols massifs au Darfour

L’ONU et l’UA devraient exiger la protection des civils et l'ouverture d'une enquête internationale

(New York) – Les forces armées soudanaises ont violé plus de 200 femmes et filles lors d'une attaque organisée menée en octobre 2014 contre la ville de Tabit, au Nord-Darfour, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les Nations Unies (ONU) et l'Union africaine (UA) devraient prendre immédiatement des mesures pour protéger la population civile de cette ville contre de nouvelles exactions.

Ce rapport de 48 pages, intitulé « Mass Rape in Darfur: Sudanese Army Attacks Against Civilians in Tabit » (« Viols massifs au Darfour: Attaques menées par l'armée soudanaise contre les civils à Tabit »), documente des attaques menées par l'armée soudanaise lors desquelles au moins 221 femmes et filles ont été violées à Tabit, pendant une période de 36 heures ayant débuté le 30 octobre 2014. Ces viols massifs constitueraient des crimes contre l'humanité s'il était avéré qu'ils ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile, a déclaré Human Rights Watch.

« Avec l'attaque délibérée perpétrée contre Tabit et les viols massifs des femmes et des filles de cette ville, un nouveau seuil d’horreur a été franchi dans la série des atrocités commises au Darfour », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement soudanais devrait cesser de nier cette réalité et accorder immédiatement un accès à Tabit aux soldats chargés du maintien de la paix et à des enquêteurs internationaux. »

Des allégations de viols massifs sont tout d'abord apparues dans un reportage diffusé le 2 novembre par Radio Dabanga, une station basée aux Pays-Bas. Le Soudan a démenti les informations relayées par cette station, mais a refusé de permettre aux soldats chargés du maintien de la paix d’accéder à Tabit. Le 9 novembre, le gouvernement leur a brièvement accordé un accès, mais les forces de sécurité soudanaises les ont empêchés d'effectuer une enquête crédible, a déclaré Human Rights Watch.

En novembre et décembre 2014, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 50 habitants et anciens résidents de Tabit, par téléphone en raison des restrictions imposées aux accès à la ville. D'autres personnes ont également été interrogées, dont des observateurs locaux des droits humains, des responsables gouvernementaux et des membres du personnel de la Mission conjointe de l'ONU et de l'UA au Darfour (MINUAD). Malgré l'impossibilité d'enquêter sur place, Human Rights Watch a été en mesure de recouper et corroborer de nombreux témoignages et allégations.

Les forces armées soudanaises ont effectué trois opérations militaires distinctes lors desquelles les soldats ont fait du porte-à-porte et systématiquement pillé des biens, arrêté des hommes, frappé des habitants et violé des femmes et des filles dans leurs maisons. Human Rights Watch a documenté 27 cas distincts de viol, et a obtenu des informations crédibles concernant 194 autres cas. Deux déserteurs de l'armée ont affirmé séparément à Human Rights Watch que leurs officiers supérieurs leur avaient donné l'ordre de « violer des femmes ».

La ville de Tabit est peuplée majoritairement de membres de l'ethnie Four et a été ces dernières années sous le contrôle de groupes armés rebelles. Toutefois, Human Rights Watch n'a trouvé aucun indice prouvant que des combattants rebelles se trouvaient dans la ville ou aux alentours au moment des attaques.

Une femme âgée d'une quarantaine d'années a décrit les violences qu'elle et ses trois filles, dont deux avaient moins de 11 ans, ont subies. « Dès qu'ils sont entrés dans la pièce, ils ont dit: ‘Vous avez tué l'un des nôtres. Nous allons vous montrer ce que c'est que l'enfer’ », a-t-elle dit. « Puis ils se sont mis à nous frapper. Ils nous ont violées, mes trois filles et moi. Certains tenaient une de mes filles pendant qu'un autre la violait. Ils les ont violées une par une. »

Une autre femme a déclaré que des soldats l'avaient sévèrement battue et traînée hors de sa maison. Quand elle y est retournée, elle a constaté qu'ils avaient violé trois de ses filles, toutes âgées de moins de 15 ans. Les soldats « ont frappé les jeunes enfants et ont violé mes filles les plus âgées.… Ils [leur] ont fourré des vêtements dans la bouche pour qu'on n'entende pas leurs cris », a-t-elle dit.

Au cours de deux nuits, selon des témoins, les soldats ont emmené de force des groupes composés de plusieurs hommes vers les faubourgs de Tabit, exposant ainsi les femmes et les enfants à des attaques dans leurs propres domiciles. Les soldats ont menacé et frappé les hommes tout au long des deux nuits.

Depuis que ces attaques ont été commises, le gouvernement soudanais a empêché les enquêteurs de l'ONU d'entrer à Tabit, afin d'éviter que des victimes et des témoins ne leur parlent de ces crimes. De nombreux témoins et victimes ont affirmé que des responsables gouvernementaux avaient menacé d'emprisonner ou de tuer quiconque parlerait publiquement des attaques.

Les autorités ont également arrêté et torturé des habitants de Tabit pour avoir parlé de ce qui s'était passé. Un homme, qui avait été entendu alors qu’il parlait des événements à un membre de sa famille, puis emmené dans une prison contrôlée par les services de renseignement militaires, a déclaré à Human Rights Watch: « Ils m'ont dit que si je parlais encore de Tabit, ce serait fini pour moi.… Ils m'ont donné des coups de pied. Ils m'ont ligoté et suspendu avec des cordes. Ils m'ont frappé à coups de fouet et de câble électrique. »

Les autorités ont également empêché les entrées et sorties de la ville. Un habitant de Tabit a affirmé à Human Rights Watch que depuis les attaques, les habitants « vivaient dans une prison à ciel ouvert ».

Les attaques contre Tabit se sont produites dans le contexte général d'une recrudescence des attaques menées par gouvernement contre les populations civiles de cette région, a précisé Human Rights Watch. Les Forces d'appui rapide (Rapid Support Forces, RSF), créées en 2013 par le gouvernement et constituées dans une large mesure d'anciens miliciens, ont mené une série d'attaques contre des villages en 2014. En janvier 2015, le Groupe d'experts de l'ONU sur le Soudan a affirmé que plus de 3 000 villages ont été incendiés en 2014 au Darfour, essentiellement lors d'attaques menées par le gouvernement. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, OCHA) a affirmé que près d'un demi-million de personnes avaient été déplacées par des attaques en 2014, et 70 000 autres au cours des trois premières semaines de 2015.

Des violences sexuelles ont été fréquemment commises lors des récentes attaques perpétrées par les forces soudanaises contre les populations civiles, non seulement à Tabit mais aussi dans d'autres régions du pays, a souligné Human Rights Watch. En novembre 2014, Human Rights Watch a documenté des violences sexuelles généralisées, souvent commises par les RSF, contre des communautés suspectées de liens avec des groupes rebelles dans l'État du Nil Bleu. Human Rights Watch a également été informé de nombreux autres cas de violences sexuelles commises par les mêmes forces au Darfour en 2014.

L'ONU et l'UA devraient insister auprès du gouvernement soudanais pour qu'il accorde aux soldats chargés du maintien de la paix un accès sans entrave à Tabit et pour qu'il s'assure que des services médicaux soient disponibles pour tous ceux qui en ont besoin, a déclaré Human Rights Watch. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme devrait mettre sur pied une équipe expérimentée dans les domaines des violences sexuelles et sexistes pour mener une enquête sur les exactions présumées commises à Tabit, et l'UA devrait soutenir cette équipe en mettant à sa disposition des enquêteurs compétents dans ces deux domaines.

Human Rights Watch a aussi exhorté la Cour pénale internationale (CPI) à enquêter sur cet incident dans toute la mesure du possible. La CPI a déjà inculpé cinq personnes, dont le président soudanais Omar el-Béchir, de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, liés aux atrocités commises au Darfour, mais le Soudan a refusé de coopérer avec la CPI et a entravé ses efforts. La Procureure de la CPI a déclaré en décembre 2014 au Conseil de sécurité des Nations Unies qu'elle avait besoin d'un appui plus vigoureux de la part du Conseil pour faire face au manque de coopération du Soudan. Le Conseil a saisi la CPI de la situation au Darfour en 2005.

« Le Soudan a fait tout son possible pour dissimuler les crimes horribles commis par ses militaires à Tabit, mais les survivants ont courageusement choisi de témoigner », a affirmé Daniel Bekele. « Le Conseil de sécurité de l'ONU et l'UA devraient exiger que le Soudan cesse ces attaques, prendre sans tarder des mesures pour protéger les habitants de Tabit et mener une enquête crédible. »

 

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