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Maroc: L’accréditation d’un journaliste de l’AFP doit être rétablie

Deux ans après l’interdiction d’Al Jazeera, la sanction visant Omar Brousky porte un nouveau coup aux médias internationaux

(Rabat) – Les autorités marocaines devraient rétablir l’accréditation du journaliste de l’Agence France-Presse (AFP) Omar Brouksy, et cesser leurs représailles contre des médias étrangers suite à des informations qu’ils rapportent. Le 4 octobre 2012, les autorités ont retiré l’accréditation d’Omar Brouksy, citant une dépêche publiée le même jour sur une compétition électorale, où Omar Brouksy notait que le fondateur d’un parti politique était proche du palais royal.

Le 29 octobre, cela fera exactement deux ans que les autorités ont fermé le bureau de la chaîne de télévision Al Jazeera au Maroc, en réponse à sa façon de couvrir les événements sur le territoire contesté du Sahara occidental. Dans un pays où les deux langues les plus utilisées sont l’arabe et le français, la chaîne Al Jazeera et l’AFP sont suivies de près.

« Un pays qui respecte la liberté d’expression ne devrait pas confisquer de carte de presse parce la monarchie a été mentionnée dans le ‘mauvais’ contexte, ni fermer  certains bureaux de médias d’information parce qu’il n’apprécie pas leur couverture », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

L'article de l’AFP signé Brouksy traitait des élections partielles pour trois sièges parlementaires dans des circonscriptions où les résultats avaient été invalidés lors des élections législatives de novembre 2011. Son article décrivait la course électorale à Tanger comme axée sur une rivalité entre le Parti de la Justice et du Développement (islamiste), qui a remporté la majorité relative aux élections législatives, et « des candidats proches du palais royal se présentant sous la bannière du Parti authenticité et modernité (PAM), fondé en 2008 par Fouad Ali El Himma, un proche du roi Mohammed VI ». L’article évoquait aussi une « lutte de pouvoir entre gouvernement et palais royal ».

Le ministre de la Communication Moustapha Khalfi, porte-parole du gouvernement, a déclaré dans un communiqué du 4 octobre que le gouvernement annulait l’accréditation d’Omar Brouksy à cause d’une « dépêche anti-professionnelle », contenant « des allégations mêlant l'institution monarchique à cette compétition électorale », et donc « portant préjudice à sa position de neutralité et à son rôle d'arbitre se situant au-dessus de toute concurrence électorale entre les formations politiques ».

Le lendemain, Khalfi déclarait à l’AFP qu’Omar Brouksy n’avait pas tenu compte des dispositions régissant le travail des journalistes, notamment d’un article exigeant qu’ils « respectent la souveraineté nationale, les règles professionnelles et les lois en vigueur ».

L’AFP a défendu l’article d’Omar Brouksy et justifié le passage en question, qui visait à décrire le contexte des élections.

« Même si le journaliste avait réellement mis en doute la neutralité du palais dans ces élections, cela ne pourrait pas justifier une sanction du gouvernement, et encore moins une sanction aussi lourde que le retrait de son accréditation », a déclaré Sarah Leah Whitson.

Sans accréditation, un journaliste risque de se voir interdire l’accès aux conférences de presse, de ne pas pouvoir obtenir de commentaires de la part des responsables gouvernementaux ou de ne pas pouvoir renouveler sa carte de presse. Le Maroc devrait revoir sa règlementation pour interdire au gouvernement d’utiliser des critères arbitraires - en particulier ceux pouvant être utilisés pour punir les commentaires politiques - afin de retirer l’accréditation de presse, a déclaré Human Rights Watch.

En 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui fait autorité pour interpréter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), a soutenu dans son Observations générale n°34 que « les régimes d’accréditation limitée peuvent être licites uniquement dans le cas où ils sont nécessaires pour donner aux journalistes un accès privilégié à certains lieux ou à certaines manifestations et événements. Ces régimes devraient être appliqués d’une manière qui ne soit pas discriminatoire et soit compatible avec l’article 19 et les autres dispositions du [PIDCP], en vertu de critères objectifs et compte tenu du fait que le journalisme est une fonction exercée par des personnes de tous horizons ».

Le code de la presse prévoit des peines de prison pour un certain nombre de délits d’expression non violents, y compris, dans son article 41, pour toute « offense » envers le roi, les princes ou les princesses royaux, ou tout discours qui « porte atteinte » au régime monarchique, à la religion islamique ou à « l’intégrité territoriale » du Maroc. Cette dernière expression est généralement appliquée au fait de contester la souveraineté revendiquée par le Maroc sur le Sahara occidental.

Le 29 octobre 2010, les autorités marocaines ont ordonné la fermeture du bureau d’Al Jazeeraà Rabat après avoir retiré l’accréditation de huit de ses correspondants basés au Maroc au cours des deux années précédentes. La chaîne avait, selon un communiqué officiel, « déformé gravement l'image du Maroc et nui manifestement à ses intérêts, plus particulièrement à son intégrité territoriale », apparemment une allusion au Sahara occidental.

En janvier, un nouveau gouvernement dirigé par le Parti de la Justice et du Développement a pris ses fonctions suite à sa victoire aux élections législatives. Khalfi, le nouveau ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a déclaré à Human Rights Watch le 4 avril 2012 qu’il espérait résoudre le problème d’Al Jazeera pour qu’elle puisse à nouveau travailler au Maroc; Al Jazeera a confirmé qu’elle avait eu des discussions à ce sujet avec les autorités marocaines. Pourtant, six mois après, le bureau de la chaîne à Rabat est toujours fermé et Al Jazeera est obligée de préparer ses bulletins sur le Maroc depuis son siège à Doha, au Qatar.

Ce n’est pas la première fois que les autorités refusent l’accréditation à Omar Brouksy, qui est un citoyen marocain. Lorsque l’AFP l’avait embauché pour travailler dans son bureau de Rabat en mars 2010, les autorités avaient refusé de l’accréditer, sans explication, pendant près d’une année. Des observateurs marocains ont avancé dans la presse que le ministère devait avoir des objections contre Omar Brouksy à cause de sa précédente activité journalistique en tant que rédacteur en chef et reporter duJournal Hebdomadaire, qui était le journal d’informations le plus audacieux du Maroc avant qu’il ne ferme. Il écrivait alors des articles critiquant les dirigeants politiques du pays, y compris le roi Mohammed VI et ses proches.

« Al Jazeera étant désormais autorisée à faire des reportages depuis la Tunisie et la Libye suite aux révolutions dans ces pays, le Maroc se retrouve dans le club réduit de gouvernements qui interdisent cette chaîne », a conclu Sarah Leah Whitson. « Le Maroc devrait plutôt sortir de ce club et cesser de contrôler la façon dont les journalistes couvrent des sujets sensibles tels que la monarchie et le Sahara occidental. »

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