(Genève) – La condamnation par la Cour pénale internationale (CPI) de deux chefs de milices anti-balaka pour des crimes graves commis en République centrafricaine est une étape importante pour la justice dans le pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 24 juillet 2025, les juges de la CPI ont reconnu Alfred Yékatom coupable de chefs d’accusation impliquant 20 crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et Patrice-Édouard Ngaïssona coupable de chefs d’accusation impliquant 28 crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine entre décembre 2013 et août 2014. Les juges ont condamné Alfred Yékatom à 15 ans de prison et Patrice-Édouard Ngaïssona à 12 ans de prison.
« Ce premier jugement tant attendu de la CPI pour les crimes graves perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 constitue une mesure de justice importante pour les victimes des abus commis par les anti-balaka », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais ce verdict souligne également qu’il reste beaucoup à faire, et que la CPI et les tribunaux de la République centrafricaine devraient s’employer à résoudre le manque de responsabilisation qui perdure pour les crimes graves dans le pays. »
Les chefs d’accusation pour lesquels Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona ont été condamnés comprennent le meurtre, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, la déportation ou le transfert forcé et le déplacement de la population civile, ainsi que la persécution. Les deux chefs anti-balaka ont été acquittés de certains chefs d’accusation, notamment d’enrôlement d’enfants soldats pour Alfred Yékatom et de viol pour Patrice-Édouard Ngaïssona.
Après que les leaders de la Séléka majoritairement musulmane ont évincé le président de l’époque François Bozizé en 2013, des milices appelées « anti-balaka » se sont livrées à des attaques de représailles contre la Séléka. Au cours des combats, les anti-balaka ont pris pour cible des civils musulmans, qu’ils percevaient comme des soutiens de leurs ennemis.
Human Rights Watch a documenté les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les forces de la Séléka et des anti-balaka depuis 2013. Certains des abus les plus flagrants ont été perpétrés dans les régions centrales de la République centrafricaine entre la fin de l’année 2014 et avril 2017. Human Rights Watch a documenté des centaines de cas de viol et d’esclavage sexuel imputés aux groupes anti-balaka et aux combattants des factions de la Séléka.
Alfred Yékatom, connu sous le nom de « Rombhot », était caporal-chef de l’armée nationale avant le conflit et s’est auto-promu au rang de « colonel » lorsqu’il est devenu un des principaux chefs de file anti-balaka en 2013. Patrice-Édouard Ngaïssona, ancien ministre des Sports, était un coordinateur politique autoproclamé des anti-balaka et a par la suite occupé un poste de direction au sein de la Confédération africaine de football. Human Rights Watch a interviewé Patrice-Édouard Ngaïssona lors d’un entretien filmé le 3 septembre 2014, au cours duquel il n’a pas contesté la responsabilité des anti-balaka dans certains abus ou le fait qu’il était un leader du groupe.
La Cour devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les communautés affectées en République centrafricaine soient informées du jugement et des prochaines étapes, y compris tout appel et toute procédure de réparation, a indiqué Human Rights Watch.
Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona sont les premiers leaders anti-balaka à être condamnés par la CPI. Un autre commandant anti-balaka, Maxime Mokom, a été remis à la Cour en mars 2022, mais le procureur a retiré les charges portées à son encontre en octobre 2023, invoquant un manque de preuves et de témoins. Le procès d’un leader de la Séléka, Mahamat Said Abdel Kani, est en cours. En janvier 2019, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre d’un autre chef de la Séléka, Noureddine Adam. Les scellés du mandat d’arrêt ont été levés en juillet 2022, et Noureddine Adam est toujours en liberté.
La CPI a ouvert l’enquête sur les crimes perpétrés en République centrafricaine depuis 2012 à la suite d’une demande du gouvernement de la République centrafricaine en 2014. Il s’agissait de la deuxième enquête de la CPI sur les crimes commis dans le pays. La première enquête portait sur un conflit antérieur, en 2002 et 2003, et a abouti à l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RD Congo. En décembre 2022, le procureur de la CPI a annoncé la fin des activités d’enquête de son bureau en République centrafricaine.
Les enquêtes de la CPI en République centrafricaine ont été complétées par des procédures devant la Cour pénale spéciale à Bangui, composée de juges et de procureurs internationaux et centrafricains. Cette Cour, créée pour mener des enquêtes et poursuivre les crimes internationaux graves commis en République centrafricaine depuis 2003, a commencé ses activités en 2018.
Elle a rendu des jugements dans trois procès et plusieurs enquêtes sont en cours. Le 7 juillet 2025, les juges de la Cour pénale spéciale ont renvoyé en jugement l’affaire contre trois leaders anti-balaka, dont Edmond Beïna, pour des crimes présumés commis à Guen, Gadzi et Djomo, dans la province de Mambéré-Kadéï, dans la région sud-ouest du pays, en février et mars 2014. Edmond Beïna est également recherché par la CPI ; le Bureau du procureur de la CPI et le gouvernement centrafricain se disputent actuellement la compétence pour le juger.
La condamnation d’Alfred Yékatom et de Patrice-Édouard Ngaïssona intervient alors que la CPI est soumise à une pression extrême de la part d’Israël et des États-Unis, après l’émission par la Cour de mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant en novembre 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza. Le 6 février 2025, le président des États-Unis Donald Trump a signé un décret autorisant le gel des avoirs des responsables de la CPI et d’autres personnes soutenant le travail de la Cour et l’interdiction de leur entrée sur le territoire américain.
« Le jugement contre Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona est une étape importante, mais des milliers de victimes de crimes atroces en République centrafricaine attendent toujours que justice soit rendue », a conclu Lewis Mudge. « Les pays membres de la CPI et les partenaires internationaux devraient redoubler d’efforts pour soutenir la CPI et la Cour pénale spéciale afin de s’assurer que ces institutions disposent du soutien politique et des ressources dont elles ont besoin pour s’acquitter de leurs mandats essentiels. »