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Alfred Yekatom (à gauche) et Patrice-Edouard Ngaïssona (à droite), photographiés les 23 novembre 2018 et 25 janvier 2019, respectivement, lors de leur comparution devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas. © Piroschka van de Wouw/ Koen Van Well/Pool via AP

 

  1. Quel est le contexte de ces affaires en République centrafricaine ?  
  2. Comment la CPI s’est-elle retrouvée saisie de la situation en République centrafricaine ?
  3. Qui sont Alfred Yékatom et Patrice-Edouard Ngaïssona ?
  4. Quand Yékatom et Ngaïssona ont-ils été visés par des chefs d’accusation de la CPI et ont-ils comparu devant cette juridiction ?
  5. Quelles sont les charges retenues contre Yékatom et Ngaïssona ?
  6. Pourquoi la CPI juge-t-elle Yékatom et Ngaïssona ensemble ?
  7. Quels sont les liens entre ce procès et celui, antérieur, de Jean-Pierre Bemba ?
  8. Que signifient les récents soulèvements en République centrafricaine pour le procès ?
  9. Quels sont les droits de Yékatom et Ngaïssona en tant qu’accusés ?
  10. Quel est le rôle des victimes dans le procès de Yékatom et Ngaïssona ? Peuvent-elles participer au procès ?
  11. Comment les communautés locales touchées par les crimes en République centrafricaine seront-elles informées du procès? Pourront-elles le suivre à La Haye ?
  12. Que se passera-t-il au procès ? Combien de temps durera-t-il ? Quelle peine encourent les accusés en cas de condamnation ?
  13. Quels sont les liens de ce procès avec la Cour pénale spéciale qui a été établie en République centrafricaine ? Yékatom et Ngaïssona pourraient-ils être jugés par cette Cour ou par des juridictions centrafricaines ?
  14. Quelles sont les autres actions de la CPI en République centrafricaine? Que devrait-elle faire d’autre dans ce pays ?

Correction : Ce communiqué de presse a été mis à jour avec le nombre exact de victimes qui ont été jusqu’à présent en mesure de participer au procès, par opposition au nombre de celles qui ont simplement assisté à la phase préliminaire de l’instruction.

Le procès d’Alfred Yékatom et de Patrice-Edouard Ngaïssona s’ouvrira le 16 février 2021 à la Cour pénale internationale (CPI), après avoir été initialement prévu pour le 9 février puis reporté en raison de circonstances inattendues liées au Covid-19. Ces deux hommes sont les plus hauts dirigeants anti-balaka à être jugés, et les premiers devant la CPI. Les anti-balaka sont des milices chrétiennes qui se sont livrées à de brutales attaques en représailles contre la Séléka musulmane à la suite d’un coup d’État en 2012, les populations civiles se retrouvant prises en étau. Bien que la CPI mène deux enquêtes distinctes sur des crimes commis en République centrafricaine au cours des deux dernières décennies, il s’agit du premier procès de leaders anti-balaka concernant des crimes commis dans le cadre du conflit du pays qui sévit depuis 2012

  1. Quel est le contexte de ces affaires en République centrafricaine ?  

Fin 2012, les rebelles de la Séléka, principalement des musulmans, ont évincé François Bozizé de la présidence centrafricaine et pris le pouvoir en menant une campagne de violences et de terreur. Fin 2013, des milices chrétiennes et animistes connues sous le nom d’anti-balaka ont organisé des contre-attaques contre la Séléka. Les anti-balaka, qui sont l’émanation de milices d’autodéfense locales qui existaient sous Bozizé et prenaient fréquemment pour cibles les civils musulmans, associaient tous les musulmans à la Séléka.

Les civils se sont retrouvé pris en étau entre la Séléka et les anti-balaka, qui se sont livrés à des attaques et à des affrontement armés de plus en plus brutaux contre tous ceux qu’ils considéraient comme des soutiens de leurs ennemis respectifs. Après le déplacement massif de la minorité musulmane à travers le pays, les anti-balaka s’en sont pris à des chrétiens et à d’autres à qui ils reprochaient de s’être opposés à eux ou d’avoir pris fait et cause pour leurs voisins musulmans. Au fil du temps, les anti-balaka se sont retournés contre tous ceux qui croisaient leur chemin, se livrant à des vols et à des pillages. Le déplacement interne généralisé de populations à travers le pays se poursuit à ce jour.

Human Rights Watch a documenté les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les forces de la Séléka et les anti-balaka depuis 2013. Certains des abus les plus flagrants ont été perpétrés dans les régions centrales de la République centrafricaine entre fin 2014 et avril 2017. Human Rights Watch a également documenté des centaines de cas de viol et d’esclavage sexuel imputés à la fois aux anti-balaka et aux combattants des factions de la Séléka.

  1. Comment la CPI s’est-elle retrouvée saisie de la situation en République centrafricaine ?

Le 30 mai 2014, la présidente par intérim de l’époque, Catherine Samba-Panza, a renvoyé la situation en République centrafricaine depuis août 2012 devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Le 24 septembre 2014, la procureure a annoncé l’ouverture d’une enquête sur des crimes qui auraient été commis dans le pays depuis 2012.

Il s’agissait de la deuxième enquête ouverte par la CPI sur des crimes présumés en République centrafricaine, la première portant sur des crimes graves commis en 2002 et 2003 lors d’un coup d’État orchestré par Bozizé. En décembre 2004, la République centrafricaine a renvoyé cette situation devant la CPI et en 2007, la procureure a annoncé l’ouverture d’une enquête officielle.

  1. Qui sont Alfred Yékatom et Patrice-Edouard Ngaïssona ?

Surnommé « Rombhot », Alfred Yékatom est né le 23 janvier 1975. Caporal-chef dans l’armée centrafricaine avant le conflit, il s’est autopromu « colonel » lorsqu’il est devenu en 2013 l’un des chefs de file anti-balaka, à la tête d’environ 30 000 hommes, selon la CPI. Le 20 août 2015, Yékatom a été inscrit sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU pour avoir pris des mesures de nature à menacer ou entraver le processus de transition politique ou à alimenter les violences. En 2016, Yékatom a été élu au parlement centrafricain.

Patrice-Édouard Ngaïssona est un ancien coordinateur politique autoproclamé des milices anti-balaka et, selon la CPI, l’un « des chef présumés parmi les plus haut placés » de ce groupe armé. Le 2 février 2018, il a été élu à un poste de direction au sein de la Confédération africaine de football. Le 3 septembre 2014, Human Rights Watch s’était entretenu avec Ngaïssona, qui n’avait pas contesté la responsabilité des anti-balaka dans certaines des exactions qui leur étaient reprochées ou le fait qu’il était un leader du groupe.

  1. Quand Yékatom et Ngaïssona ont-ils été visés par des chefs d’accusation de la CPI et quand ont-ils comparu devant cette juridiction ?

Le 11 novembre 2018, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Yékatom, dont les scellés ont été levés le 17 novembre. L’accusé a été remis à la CPI par les autorités centrafricaines le jour même. Les autorités centrafricaines ont placé Yékatom, qui était alors député, en détention après qu’il a dégainé un revolver et tiré des coups de feu dans le bâtiment du parlement. Il a comparu pour la première fois devant la CPI quelques jours plus tard.

Moins d’un mois plus tard, le 7 décembre 2018, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Ngaïssona, qui a été arrêté en France le 12 décembre 2018 puis transféré à la CPI le 23 janvier 2019. Sa comparution initiale a eu lieu deux jours plus tard.

  1. Quelles sont les charges retenues contre Yékatom et Ngaïssona ?

Yékatom est visé par 10 chefs d’accusation de crimes de guerre et 11 de crimes contre l’humanité ; 16 chefs de crimes de guerre et 16 chefs de crimes contre l’humanité pèsent contre Ngaïssona.

Parmi ces charges figurent les attaques intentionnellement dirigées contre la population civile, le meurtre, les attaques dirigées contre des édifices religieux, la déportation ou le transfert forcé de population et le déplacement de population civile, la persécution. Les deux hommes sont également accusés d’avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans et de les avoir utilisés dans le cadre des hostilités, ce qui est considéré comme un autre crime de guerre.

Lors d’une audience de confirmation des charges, les juges de la CPI n’ont pas retenu certaines des charges présentées par la procureure en relation avec des évènements survenus en dehors de Bangui, la capitale centrafricaine. D’après les magistrats, les preuves sont insuffisantes pour établir que Ngaïssona contrôlait efficacement certains groupes anti-balaka opérant en dehors de la ville.

Les victimes ont dans un premier temps redouté que la procureure ne fasse pas des accusations de viol et de violence sexuelle des infractions distinctes. Si le viol a été bien retenu, à la fois en tant que crime de guerre et crime contre l’humanité, il ne concerne que Ngaïssona. La procureure a par la suite cherché à ajouter un deuxième cas de viol aux chefs d’accusation visant Ngaïssona et des accusations de viol et d’esclavage sexuel contre Yékatom. Le tribunal a toutefois rejeté ces demandes, invoquant entre autres raisons la nécessité d’équilibrer l’efficacité de la poursuite avec un préjudice potentiel pour les défendeurs, compte tenu du retard.

Human Rights Watch a documenté le viol et l’esclavage sexuel commis par les forces anti-balaka, y compris par des forces placées sous le commandement de Yékatom.

  1. Pourquoi la CPI juge-t-elle Yékatom et Ngaïssona ensemble ?

En février 2019, les juges de la CPI ont fusionné les affaires Yékatom et Ngaïssona, notant que les crimes commis faisaient partie du même cycle d’agression et de conflit. En conséquence, les magistrats ont dit s’attendre à ce que les preuves présentées contre les deux suspects soient sensiblement les mêmes. Ils ont également conclu au fait que la fusion des affaires ne porterait pas préjudice aux accusés et améliorerait plutôt l’équité et la rapidité de la procédure. Dans le cas de procédures conjointes, chaque accusé bénéficie des mêmes droits que s’il était jugé séparément. 

  1. Quels sont les liens entre ce procès et celui, antérieur, de Jean-Pierre Bemba ?

La première enquête de la CPI sur les crimes graves commis en 2002 et 2003 n’a abouti qu’à une seule affaire, contre Jean-Pierre Bemba, un ancien vice-président de la RD Congo. Les forces du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), dirigées par Bemba, ont été actives en République centrafricaine en 2002 et 2003, agissant à la demande du président de l’époque, Ange-Félix Patassé, pour réprimer une tentative de coup d’État par Bozizé.

Après son arrestation en Belgique en 2008, le procès de Bemba a débuté en 2010. Le 21 mars 2016, les juges de la CPI l’ont reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et condamné à 18 ans de prison. Une chambre d’appel de la CPI a annulé cette condamnation et l’accusé a été remis en liberté trois jours plus tard avant de s’installer en Belgique. La Cour a rejeté une demande déposée contre elle par Bemba pour obtenir des réparations.

La CPI a depuis clôturé l’affaire Bemba, bien que son Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes entreprenne certaines activités dans le cadre d’un projet pilote lancé en septembre 2020 pour fournir une assistance aux victimes de crimes commis dans le cadre de cette situation, notamment en matière de santé physique et mentale, de réadaptation et de soutien matériel.

La CPI n’a émis aucun autre mandat d’arrêt dans le cadre de sa première enquête ni établi de responsabilités pour les crimes de 2002 et 2003, privant les victimes de justice et de réparations.

  1. Que signifient les récents soulèvements en République centrafricaine pour le procès ?

Des élections présidentielles se sont déroulées en République centrafricaine le 27 décembre 2020. Le 4 janvier 2021, la commission électorale a déclaré Faustin-Archange Touadéra vainqueur du scrutin avec 53,9 % des voix, un résultat validé le 19 janvier par la Cour constitutionnelle.

Avant et après les élections, une nouvelle coalition rebelle a lancé de multiples attaques. La Coalition des patriotes pour le changement (PCC) est composée des mêmes groupes qui ont commis des crimes de guerre au cours des cinq dernières années, des deux côtés du conflit.

Lors de récents troubles, des dizaines de civils, plusieurs Casques bleus et un travailleur humanitaire de Médecins sans frontières (MSF) ont été tués. Entre le 22 et le 29 décembre, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) a relevé au moins 57 incidents de violations des droits humains et 96 victimes de violences électorales, principalement commises par des groupes armés, mais plusieurs autres attaques ont été perpétrées depuis. La violence a provoqué des déplacements massifs de populations, plus de 100 000 civils fuyant vers le Tchad, le Cameroun et la République démocratique du Congo voisins, et 100 000 autres se réfugiant dans la brousse.

Le 19 décembre, un porte-parole gouvernemental a déclaré que l’ancien président Bozizé était derrière la nouvelle coalition. Bozizé, président de 2003 jusqu’à son éviction lors d’un coup d’État de 2013, est rentré dans le pays il y a un an. Début décembre, la Cour constitutionnelle du pays l’a déclaré inéligible à l’élection du 27 décembre pour des « raisons morales », car il était visé par les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le gouvernement intérimaire centrafricain en 2014.

Le 31 décembre, le président Touadéra a limogé trois chefs rebelles du gouvernement à la suite des attaques, décision qui pourrait mettre fin à un accord de paix signé par 14 groupes rebelles en février 2019.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné les attaques et appelé à établir les responsabilités pour les crimes commis. De hauts fonctionnaires de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, de l’Union européenne et de l’ONU ont également publié une déclaration conjointe dans laquelle ils ont invité le gouvernement centrafricain à ouvrir une enquête pour faire traduire en justice les responsables des violences.

Selon les Conseillers spéciaux de l’ONU sur la prévention du génocide et la responsabilité de protéger, le climat actuel d’impunité est un facteur majeur alimentant les cycles de violence et d’insécurité dans le pays.

Avant les élections, la procureure de la CPI a rendu publique une déclaration appelant au « calme et à la retenue» et rappelant que quiconque participerait à des crimes serait « passible de poursuites ». Les procureurs de la République centrafricaine ont déclaré qu’une enquête avait été ouverte sur le rôle joué par Bozizé dans la rébellion.

  1. Quels sont les droits de Yékatom et Ngaïssona en tant qu’accusés ?

Yékatom et Ngaïssona sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie et les deux hommes auront droit à un procès équitable et rapide, mené avec impartialité. En outre, en vertu des normes internationales d’équité des procès telles que celles énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans le Statut de Rome fondateur de la CPI, les accusés auront le droit de :

• Obtenir des informations sur les charges retenues contre eux dans une langue qu’ils comprennent ;

• Disposer du temps nécessaires et des installations adéquates pour préparer leur défense ;

• Ne pas être contraint de témoigner contre eux-mêmes ou d’avouer leur culpabilité ;

• Choisir un avocat de leur choix ;

• Être protégé de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Yékatom et Ngaïssona ont tous deux exprimé des inquiétudes quant au respect de leurs droits à un procès équitable. Ils ont affirmé que la procureure avait enfreint à plusieurs reprises les obligations de divulgation des éléments de preuve à la défense. Si les juges de la CPI leur ont donné raison, ceux-ci ont également conclu que la procureure avait soit remédié à ces problèmes, soit n’avait pas porté préjudice à la défense.

Ngaïssona, qui s’est également plaint de ses conditions de détention, a demandé des visites en personne de son équipe juridique, ce qui lui a été dénié par les juges en raison de la pandémie de Covid-19. Plus récemment, la défense de Ngaïssona a demandé un examen médical par un expert, à la lumière de la prétendue détérioration de son bien-être mental, mais les juges de la CPI ont noté que cette question relevait du greffe de la Cour.

  1. Quel est le rôle des victimes dans le procès de Yékatom et Ngaïssona ? Peuvent-elles participer au procès ?

La CPI dispose d’un système innovant de participation des victimes à la justice internationale. Les victimes des crimes allégués peuvent faire connaître leurs points de vue et leurs préoccupations aux juges du procès, indépendamment de tout statut de témoin, par l’intermédiaire de leurs représentants légaux. La participation des victimes est un moyen de renforcer la résonance de la CPI au sein des communautés touchées.

La CPI a autorisé 1 085 victimes à participer à la phase de l’instruction. Les magistrats de la Cour ont jusqu’à présent reconnu 325 victimes comme participant au procès. L’enregistrement en personne des nouvelles « victimes participantes » a été compliqué par la pandémie, mais la CPI poursuit ses efforts à cette fin. Dans le contexte de la pandémie, les victimes peuvent continuer à s’enregistrer jusqu’à la fin de la présentation des preuves par l’accusation. Les juges de la CPI décideront aussi si les victimes autorisées à participer à la phase de l’instruction peuvent également participer au procès.

Les victimes sont réparties en deux groupes distincts : l’un est constitué d’ex-enfants soldats et l’autre de victimes d’autres crimes, une division qui tient compte du fait que leurs intérêts pourraient diverger car des ex-enfants soldats auraient pu être impliqués dans des actes commis contre les victimes d’autres crimes.

Deux équipes d’avocats représentent les victimes participantes. Leurs représentants légaux seront autorisés à faire des déclarations liminaires et à participer à toutes les auditions. Ils peuvent également poser des questions aux témoins et présenter des preuves, après avoir obtenu l’autorisation de la chambre.

  1. Comment les communautés locales touchées par les crimes en République centrafricaine seront-elles informées du procès? Seront-elles en mesure de le suivre à La Haye ?

La sensibilisation des communautés affectées est importante pour maximiser l’impact des décisions de la Cour localement. Dans le cadre de cet effort, la CPI produit des résumés audio, vidéo et écrits des procédures judiciaires et effectue des missions sur le terrain pour discuter des développements avec les communautés dont sont issues les victimes. La pandémie a limité les activités de sensibilisation, mais la CPI a poursuivi ses efforts, en s’appuyant davantage sur des partenaires, dont 20 radios communautaires, pour disséminer massivement l’information judiciaire. Elle a également réalisé une campagne d’affichage à Bangui et dans les provinces du pays avec des messages destinés à promouvoir la justice et l’établissement des responsabilités.

Avant le procès, la CPI diffusera un questions-réponses à la radio locale et elle s’efforce d’ores et déjà de répondre dans la presse écrite locale à des questions clés que les gens se posent. La Cour a prévu de diffuser l’ouverture du procès dans une salle d’audience à Bangui, en présence de membres des communautés touchées, de journalistes, et de représentants de la société civile et des autorités internationales et nationales. L’ouverture sera également retransmise en direct à la télévision. À mesure de son déroulement, la CPI diffusera chaque mois des résumés des développements du procès à la télévision et à la radio.

  1. Que se passera-t-il au procès ? Combien de temps durera-t-il ? Quelle peine encourent les accusés en cas de condamnation ?

Le procès devrait s’ouvrir le 16 février 2021 (après avoir été reporté) et durer trois jours. Une fois que certaines questions de procédure auront été réglées, l’accusation disposera de six heures pour faire ses déclarations liminaires. Les victimes participantes et la défense de Ngaïssona disposeront ensuite de trois heures chacune pour leurs propres déclarations liminaires. La défense de Yekatom fera sa déclaration liminaire au début de la présentation de ses preuves.

La présentation des éléments de preuve par l’accusation devrait avoir lieu du 15 au 31 mars, puis se poursuivre ultérieurement. Le Bureau du Procureur a indiqué qu’il convoquerait 147 témoins des faits et quatre témoins experts. L’accusation a estimé qu’il lui faudrait environ 400 heures pour interroger ses témoins. Les magistrats ont alloué un maximum de 200 heures à chaque équipe de défense pour l’interrogatoire. Ils ont indiqué que le procès pourrait durer environ deux ans.

À la suite de la présentation des éléments de preuve, les juges statueront sur un verdict. En cas de condamnation, une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 30 ans ou la réclusion à perpétuité pourra être imposée. La peine de mort n’est pas prévue par la CPI.

  1. Quels sont les liens de ce procès avec la Cour pénale spéciale, qui a été établie en République centrafricaine ? Yékatom et Ngaïssona pourraient-ils être jugés par cette Cour ou par des juridictions centrafricaines ?

La CPI est une juridiction de dernier recours. En vertu du Statut de Rome, la Cour n’ouvrent de poursuites que lorsque les tribunaux nationaux n’ont pas la capacité ou la volonté de le faire.

En 2015, la République centrafricaine a créé une Cour pénale spéciale à Bangui pour juger les crimes internationaux graves commis dans le cadre du conflit, aux côtés de la CPI. Cette Cour fonctionne en partenariat avec l’ONU et est formée de juges et de procureurs internationaux ainsi que de représentants de la justice centrafricaine.

La Cour pénale spéciale prime sur les tribunaux nationaux ordinaires du pays. La loi instituant la Cour prévoit que si les deux tribunaux travaillent sur la même affaire, priorité ira à la CPI, ce qui diffère quelque peu de la pratique habituelle régissant les relations entre la CPI et les juridictions nationales.

La Cour pénale spéciale est devenu opérationnelle en 2018 et des enquêtes sont en cours, bien que son premier procès n’ait pas encore eu lieu. Son mandat est de cinq ans, renouvelable. La Cour a besoin d’un soutien international accru pour poursuivre ses travaux.

Yékatom a fait valoir que la CPI devrait déclarer son affaire irrecevable au motif que la République centrafricaine est désormais capable de le poursuivre devant la Cour pénale spéciale. Une demande rejetée par la CPI dans la mesure où aucune enquête ou poursuite contre Yékatom n’a été ouverte à la Cour pénale spéciale. En outre, les autorités centrafricaines n’ont donné aucune indication de leur intention d’enquêter sur lui ou de le poursuivre. La défense a fait appel de cette décision, un appel en cours d’examen.

Il y a également eu des procès pénaux devant les tribunaux ordinaires de la République centrafricaine depuis 2015, y compris au moins deux contre d’anciens commandants anti-balaka. En février 2020, la cour d’appel de Bangui a condamné 28 combattants anti-balaka pour les meurtres de 75 civils et de 10 Casques bleus de l’ONU commis autour de Bangassou, dans la province de Mbomou, en 2017. Les peines allaient de 10 ans à la perpétuité. Cependant, la plupart des autres procédures ont été ouvertes contre des individus de rang hiérarchique inférieur ou portaient sur des délits mineurs.

  1. Quelles sont les autres actions de la CPI en République centrafricaine ? Que devrait-elle faire d’autre ?

Depuis l’acquittement de Bemba, la CPI n’a plus ouvert de poursuites dans le cadre de sa première enquête. Human Rights Watch a critiqué l’insuffisance du nombre d’affaires et exhorté le Bureau du Procureur à porter des charges proportionnelles aux crimes commis afin de garantir une justice efficace.

S’agissant de la deuxième enquête de la CPI, jusqu’à récemment, les poursuites ouvertes à l’encontre des deux dirigeants anti-balaka contrastaient fortement avec l’absence de poursuites similaires à l’encontre des dirigeants de la Séléka et de leurs alliés, qui continuent de contrôler une vaste portion du territoire national. Cependant, le 24 janvier 2021, la République centrafricaine a remis le premier suspect affilié à la Séléka à la CPI : Mahamat Said Abdel Kani, qui est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en tant que commandant de la Séléka à Bangui en 2013. La CPI avait émis contre lui un mandat d’arrêt sous scellés le 7 janvier 2019. Sa comparution initiale a eu lieu le 28 janvier 2021. Human Rights Watch a exhorté la Cour à poursuivre davantage de suspects de la Séléka, en particulier de hauts responsables du groupe.

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