Le flot de politiques anti-immigration annoncées par le président des États-Unis, Donald J. Trump, a retenu l’attention du monde entier, mais le Canada est lui aussi en train de prendre un virage inquiétant. Dans un gros titre du 25 janvier, le quotidien canadien Globe and Mail annonçait : « Ottawa demande à utiliser les prisons provinciales pour y placer les demandeurs d’asile criminels fuyant les États-Unis. » L’article précisait qu’« une préoccupation essentielle du gouvernement et des membres de l’Agence des services frontaliers du Canada est de savoir que faire des criminels violents qui sont appréhendés après être entrés clandestinement au Canada. »
Cette proposition d’utiliser les prisons provinciales pour y détenir des demandeurs d’asile est profondément troublante. Elle remet en cause des années de progrès en matière de protection des droits des migrants et perpétue les stéréotypes néfastes selon lesquels des gens qui fuient les violences, les persécutions et la misère constituent une menace sécuritaire.
Caractériser les demandeurs d’asile comme « criminels » et leur prêter une prétendue propension à la violence est alarmant. Cette rhétorique néglige l’humanité des personnes qui cherchent refuge et alimente les attitudes xénophobes. Les propres données statistiques du gouvernement canadien montrent que la grande majorité des personnes détenues dans le cadre du système national d’immigration ne posent pas de risque sécuritaire particulier ; la plupart sont placées en détention à cause de la perception d’un risque de fuite, plutôt que d’une réelle menace sécuritaire. Aux États-Unis, des études montrent que les taux d’incarcération pour les migrants sans papiers sont inférieurs à ceux des personnes nées dans le pays.
Le bilan du Canada en matière de détention d’immigrants suscite déjà de graves préoccupations au sujet des droits humains. En 2021, Human Rights Watch et Amnesty International ont documenté les dommages psychologiques causés par le système de détention des immigrants dans les prisons. Beaucoup d’entre eux sont placés dans des prisons provinciales de haute sécurité et en détention solitaire, alors que la détention liée à l’immigration est censée être administrative, et non pas punitive.
Cette proposition menace également de remettre en cause les progrès effectués grâce aux efforts de plaidoyer, notamment la campagne #BienvenueAuCanada. En 2024, la dernière des dix provinces du pays s’est engagée à mettre fin à son accord de détention d’immigrants dans les prisons conclu avec l’Agence des services frontaliers du Canada (Canada Border Services Agency, CBSA), même si l’Ontario a décidé d’une extension de son accord jusqu’à septembre 2025. La tentative du gouvernement fédéral de remettre en cause ce progrès amène à s’interroger sérieusement sur son engagement à respecter les droits humains.
Plutôt que de persister dans sa politique de détention, le gouvernement devrait mettre l’accent sur des solutions de rechange axées sur les communautés, qui se sont révélées à la fois humaines et efficaces. Le gouvernement fédéral devrait investir dans des programmes respectueux des droits et basés sur les communautés, qui sont gérés par des organisations locales à but non lucratif, indépendamment de la CBSA.
Le Canada s’est targué d’être un leader dans le monde en matière d’accueil des personnes en détresse. Suivre l’exemple anti-immigrants de Trump en restaurant la pratique consistant à incarcérer les migrants et les demandeurs d’asile trahirait cet héritage et ternirait la réputation du pays. Les choix du gouvernement aujourd’hui définiront l’avenir du Canada : sera-t-il ouvert à la compassion et aux droits humains, ou laissera-t-il la peur et la rhétorique négative dicter sa politique ?