- Des citoyens vénézuéliens que le gouvernement américain a expulsés vers le Salvador en mars et avril ont été torturés et soumis à d'autres abus, dont des violences sexuelles.
- Les cas de torture et de mauvais traitements infligés à des Vénézuéliens au Salvador ne sont pas des incidents isolés commis par des gardes ou des policiers antiémeute malveillants, mais plutôt des violations systématiques.
- L'administration Trump s’est rendue complice de torture, de disparitions forcées et d'autres violations graves, et devrait cesser d'envoyer des personnes au Salvador ou vers tout autre pays où elles risquent d'être torturées.
(Washington) – Des citoyens vénézuéliens que le gouvernement des États-Unis a expulsés vers le Salvador en mars et avril 2025 y ont été torturés et soumis à d'autres abus, dont des violences sexuelles, ont conjointement déclaré Human Rights Watch et l’ONG Cristosal dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 81 pages, intitulé « “You Have Arrived in Hell”: Torture and Other Abuses Against Venezuelans in El Salvador’s Mega Prison » (« “Vous êtes arrivés en enfer” : Tortures et autres abus contre des Vénézuéliens dans la méga-prison du Salvador »), décrit en détail les traitements subis par ces détenus au Salvador. En mars et avril 2025, le gouvernement américain a expulsé 252 Vénézuéliens, dont des dizaines de demandeurs d'asile, vers le Salvador ; ils y ont été détenus au Centre de confinement du terrorisme (Centro de Confinamiento del Terrorismo, CECOT), une « méga-prison », malgré des informations crédibles faisant état de graves violations des droits humains dans les prisons de ce pays. Ces Vénézuéliens ont été victimes de refoulement (c'est-à-dire le renvoi d’une personne vers un pays où elle risque d'être torturée ou persécutée) et de divers abus : détention arbitraire, disparition forcée, torture, conditions de détention inhumaines et, dans certains cas, violences sexuelles.
« L'administration Trump a transféré des millions de dollars au Salvador pour que ce pays détienne arbitrairement des Vénézuéliens, qui ont ensuite été maltraités presque quotidiennement par les forces de sécurité salvadoriennes », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « L'administration Trump s’est rendue complice de torture, de disparitions forcées et d'autres graves abus ; elle devrait cesser d'envoyer des personnes au Salvador ou vers tout autre pays où elles risquent d'être torturées. »
Entre mars et septembre 2025, les chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens avec 40 Vénézuéliens qui ont été détenus au CECOT, ainsi qu’avec 150 autres personnes : leurs proches, leurs avocats et d’autres personnes qui les connaissent. Les chercheurs ont examiné des photographies de blessures, des bases de données sur les casiers judiciaires, des documents relatifs au statut d'immigration de ces personnes aux États-Unis, ainsi que des données publiées par l’agence américaine chargée de faire appliquer les politiques d'immigration et de douane (Immigration and Customs Enforcement, ICE) sur ces expulsions.
Les chercheurs ont également corroboré les allégations des détenus grâce à des analyses médico-légales fournies par le Groupe indépendant d'experts médico-légaux (Independent Forensic Expert Group, IFEG) et à des recherches open source menées par le laboratoire d'enquête du Centre des droits humains de l'université de Californie à Berkeley (UC Berkeley Human Rights Center’s Investigation Lab).
Human Rights Watch et Cristosal ont transmis des courriers aux gouvernements des États-Unis et du Salvador pour solliciter davantage d’informations au sujet de ces détentions, mais n'ont reçu aucune réponse.
Le gouvernement américain a récemment transféré au moins 4,7 millions de dollars au Salvador, en partie pour couvrir les frais de détention de ces hommes. Certains Vénézuéliens envoyés au Salvador avaient demandé l'asile aux États-Unis, après avoir fui la persécution dans leur propre pays.
Human Rights Watch et Cristosal ont constaté qu'environ la moitié des Vénézuéliens détenus au CECOT n'avaient pas de casier judiciaire et que seulement 3 % d'entre eux avaient été condamnés aux États-Unis pour des infractions violentes ou potentiellement violentes.
Antécédents judiciaires des 252 Vénézuéliens expulsés vers le Salvador (15 mars, 30 mars et 12 avril 2025)
Des vérifications supplémentaires ont montré qu’un grand nombre de ces hommes n'avaient pas été condamnés pour des crimes au Venezuela, ni dans d'autres pays d'Amérique latine où ils avaient vécu.
Des proches et des avocats ont déclaré qu'au moins 62 Vénézuéliens avaient été expulsés alors que leurs demandes d'asile aux États-Unis étaient toujours en cours ; ayant reçu une réponse favorable suite à l’examen initial de leurs allégations de « crainte crédible » de persécution dans leur pays d’origine (« credible fear screening »), leurs demandes devaient être examinées par des juges de l'immigration. Trois Vénézuéliens ont déclaré être arrivés aux États-Unis après avoir été contrôlés dans le cadre du programme « Safe Mobility Offices » mis en place par l’administration Biden.
Les gouvernements américain et salvadorien ont refusé à plusieurs reprises de divulguer des informations sur le sort ou la localisation des Vénézuéliens (avant la confirmation de leur détention au CECOT), ce qui équivaut à des disparitions forcées au regard du droit international. L’ONG Cristosal a aidé les proches à déposer 76 requêtes en habeas corpus devant la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Salvador, qui n'a pas statué sur leurs cas.
Les personnes détenues au CECOT ont été fréquemment victimes de violences physiques, verbales et psychologiques graves de la part des gardiens de prison et des policiers antiémeute salvadoriens. Au regard du droit international relatif aux droits humains, ces violences constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants et, dans de nombreux cas, des actes de torture. Les gardiens de prison et les policiers antiémeute frappaient régulièrement les Vénézuéliens, notamment lors des fouilles quotidiennes des cellules, pour des infractions mineures au règlement – comme parler fort ou prendre une douche au mauvais moment – ou pour avoir demandé une assistance médicale.
Plan d’une section de la prison CECOT, au Salvador
« Les gardiens venaient fouiller les cellules tous les jours », a déclaré un homme vénézuélien. « Ils nous faisaient tous sortir de nos cellules, nous faisaient nous agenouiller, nous menottaient les mains dans le dos et nous mettaient les bras sur la tête, puis ils nous frappaient à coups de matraque, de pied et de poing... Puis ils nous laissaient agenouillés pendant 30 ou 40 minutes. »
Plusieurs anciens détenus ont déclaré que les agents les avaient battus après qu'ils eurent parlé avec des membres du Comité international de la Croix-Rouge lors de leur visite au CECOT en mai. L'un d'eux a déclaré que les gardes « n'arrêtaient pas de me frapper, dans le ventre, et quand j'essayais de respirer, je commençais à m'étouffer avec le sang ».
Trois personnes détenues au CECOT ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles. Un homme a déclaré que quatre gardes l'avaient agressé sexuellement et l'avaient forcé à pratiquer une fellation sur l'un d'entre eux. « Ils ont joué avec leurs matraques sur mon corps », a-t-il déclaré.
Human Rights Watch et Cristosal ont conclu que les cas de torture et de mauvais traitements infligés aux Vénézuéliens au CECOT n'étaient pas des incidents isolés commis par certains gardes ou policiers antiémeute malveillants, mais plutôt des violations systématiques. Selon Human Rights Watch et Cristosal, ces abus semblent avoir fait partie d'une pratique visant à soumettre, humilier et discipliner les détenus. La brutalité et la répétition des abus semblent également indiquer que les gardes et les policiers antiémeute agissaient en pensant que leurs supérieurs toléraient voire soutenaient leurs actes abusifs.
Les Vénézuéliens ont été détenus dans des conditions inhumaines, avec une nourriture rare et insuffisante, une hygiène et des conditions sanitaires médiocres, un accès limité aux soins de santé et aux médicaments, et aucun accès aux loisirs ou à l'éducation.
À la mi-juillet, le gouvernement salvadorien a renvoyé les 252 personnes au Venezuela ; en échange, le Venezuela a libéré 10 citoyens ou résidents américains qui avaient été détenus, arbitrairement dans plusieurs cas, permettant leur retour aux États-Unis. Sous la présidence de Nicolás Maduro, le Venezuela est en proie à une crise humanitaire et des droits humains, marquée par des violations systématiques et qui a contraint près de 8 millions de personnes à fuir ce pays.
« Le gouvernement américain n'a pas été impliqué dans des actes de torture systématique de cette ampleur depuis l’époque d’Abou Ghraib et du réseau de prisons clandestines pendant la guerre antiterroriste », a déclaré Noah Bullock, directeur exécutif de Cristosal. « Faire disparaître des personnes aux mains d'un gouvernement qui les torture va à l'encontre des principes mêmes qui ont historiquement fait des États-Unis un État de droit. »
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