Le 24 mars 2013, une alliance de groupes rebelles connue sous le nom de Seleka a pris le contrôle de Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Ils avaient alors déjà pris le contrôle de la plupart des provinces du pays, et renversé le président François Bozizé.
La Seleka (mot qui signifie « alliance » en sango, la principale langue du pays) disait vouloir libérer le pays et apporter la paix, la sécurité et le développement à la population. Il n’en a toutefois rien été. En quelques jours, les combattants de la Seleka ont fait déferler des vagues de violence sur ceux qu’ils considéraient comme des partisans de Bozizé, tuant des civils à Bangui et dans tout le pays. Ils ont détruit de nombreux quartiers et villages ruraux, pillé partout où ils le pouvaient et violé des femmes et des jeunes filles.
La République centrafricaine était instable avant l’arrivée de la Seleka, en partie à cause de l’héritage de Bozizé en matière de corruption, de népotisme et de négligence. Mais la Seleka a bouleversé un pays déjà en grande difficulté.
Des milices chrétiennes et animistes connues sous le nom d’anti-balaka ont commencé à organiser des contre-attaques contre la Seleka. Ces milices ont régulièrement pris pour cible des civils musulmans, qu’ils associaient à la Seleka. La situation humanitaire s’est rapidement détériorée et des centaines de milliers de personnes se sont réfugiés hors des frontières, tandis que d’autres étaient déplacées à l’intérieur du pays. Beaucoup de ceux qui ont fui étaient musulmans, et ont cherché refuge dans les pays voisins ou dans des dizaines d’enclaves disséminées dans l’ouest de la République centrafricaine. La Seleka s’est fracturée et de nouveaux groupes armés sont apparus.
Les destructions causées par la Seleka ont donné lieu à des négociations inclusives sur une solution d’avenir. Les consultations nationales de 2015, tenues dans le cadre du Forum national de Bangui, ont rassemblé plus de 800 représentants d’organisations communautaires et d’autres organisations non gouvernementales, de partis politiques et de groupes armés de tout le pays.
Un thème s’est imposé au cours des discussions : la justice plutôt que l’amnistie. Les participants au Forum ont clairement indiqué qu’aucune amnistie ne serait tolérée pour les responsables de crimes internationaux et leurs complices. Ils ont reconnu que l’absence de justice en République centrafricaine depuis 2003 était l’une des principales causes des crises qui se sont succédées.
Dix ans après la prise de pouvoir par la Seleka, la République centrafricaine est toujours instable et confrontée à une nouvelle crise sécuritaire et humanitaire. En 2020, la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), une coalition d’anciens membres de la Seleka et d’anti-balaka dirigée par Bozizé, a attaqué Bangui. Les forces gouvernementales, aidées de combattants russes et de soldats rwandais, ont repoussé l’attaque mais n’ont pas réussi à stabiliser le pays. La CPC s’est repliée sur ses bases arrière et dans des pays voisins, sans pour autant cesser ses attaques. Une mission de maintien de la paix de l’ONU, mise en place fin 2014, s’efforce de maintenir un semblant de paix.
Les violences se poursuivent sans relâche. Le recours aux forces du groupe Wagner, liées à la Russie et responsables d’abus contre les civils, notamment de meurtres, de détentions illégales et de tortures, présente des similitudes avec les sombres journées de mars 2013.
Des progrès ont néanmoins été réalisés dans la sphère judiciaire, progrès que beaucoup pensaient inimaginables. En 2014, suite à une saisine par le gouvernement centrafricain, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête – sa deuxième (la première portait sur des crimes graves commis en 2002 et 2003) – sur les crimes qui auraient été commis depuis 2012. Depuis 2018, la Cour a fait comparaître trois dirigeants anti-balaka et un dirigeant de la Seleka.
En août 2022, dans une décision importante, la Cour a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Nouradinne Adam, le numéro deux présumé de la Seleka. La Cour l’accuse d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, notamment des actes de torture. La coopération est essentielle pour obtenir son arrestation. La CPI a récemment annoncé la clôture de son enquête.
Pour traiter d’autres affaires graves, un approche inédite a été adoptée, avec la création de la Cour pénale spéciale (CPS), un nouveau tribunal situé à Bangui et chargé de juger, avec du personnel et un soutien internationaux, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité parallèlement à la CPI. La CPS a conclu un procès important et, bien qu’elle ait ses propres défis à relever, elle reste un outil efficace pour obliger les groupes responsables de crimes graves à rendre compte de leurs actes, compte tenu du fait que la CPI n’entamera pas de nouvelles poursuites.
En dix ans, la République centrafricaine s’est engagée sur la voie de l’autoritarisme. Le président Faustin-Archange Touadéra et son parti font pression pour une révision constitutionnelle qui lui permettrait de briguer un troisième mandat. Les représentants du gouvernement et leurs sympathisants ont menacé et harcelé des opposants politiques, des journalistes et des acteurs de la société civile qui contestent cette révision.
Le président de la Cour constitutionnelle, qui a jugé cette révision illégale, a été démis de ses fonctions. Pour tenir les promesses du Forum de Bangui, l’espace démocratique – où le respect des libertés d’expression et d’association est garanti – doit être rétabli. Et le gouvernement doit s’assurer que son engagement en faveur de la justice s’accompagne d’une volonté politique d’arrêter les criminels présumés qui occupent actuellement des postes à responsabilité.
La crise en République centrafricaine reste aiguë. De nombreux dirigeants de la Seleka font fi de la justice : certains sont ministres dans le gouvernement, d’autres continuent à perpétrer des attaques militaires. L’impunité a conduit à la création d’autres groupes armés et a alimenté la violence contre les civils. La répression menée par le gouvernement actuel et les exactions commises par des mercenaires russes aggravent la crise. Il sera en partie possible de mettre fin aux cycles de violence en s’attaquant à l’impunité. Les dix prochaines années seront difficiles, mais la prochaine génération de dirigeants devrait tenir compte des appels lancés par le Forum de Bangui.