(Nairobi) – La police rwandaise a arrêté arbitrairement des dizaines de personnes depuis que les directives pour empêcher la propagation du Covid-19 sont entrées en vigueur le 22 mars 2020. Les autorités ont accusé des personnes d’avoir enfreint les mesures, les détenant parfois dans des stades sans procédure régulière ni autorité légale.
Les autorités rwandaises devraient mettre fin aux détentions arbitraires, y compris de journalistes et de blogueurs tentant de révéler les abus, et s’assurer que les forces de sécurité respectent les droits humains lorsqu’elles contrôlent l’application des mesures. Les informations faisant état de meurtres, de viols et d’autres crimes graves par les forces de sécurité pendant le confinement devraient faire l’objet d’enquêtes rapides et transparentes et les responsables devraient être traduits en justice.
« Les directives du gouvernement pour prévenir la propagation du Covid-19 ne donnent pas carte blanche aux forces de sécurité pour ignorer l’État de droit et commettre des abus à l’encontre de la population, ni pour emprisonner ceux qui tentent de les révéler », a indiqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités rwandaises devraient faire cesser ces pratiques illégales immédiatement, enquêter de manière transparente sur les responsables et traduire en justice les agents impliqués dans des abus et qui ont commis des crimes. »
Depuis l’annonce des mesures, la police a twitté que « ne pas [les] respecter est une violation de la loi » et a averti que ceux qui seront « attrapés » auront une amende ou seront emprisonnés. Cependant, les directives ne prévoient pas de telles sanctions et la police n’a fourni aucune autre base juridique pour justifier leur autorité affirmée.
Les directives, qui ont été prolongées jusqu’au 30 avril, interdisent les déplacements « non nécessaires », y compris pour faire de l’exercice physique ; imposent la fermeture des écoles et des lieux de cultes ; interdisent les trajets entre villes et districts et bloquent les frontières, sauf pour le fret et les marchandises et les Rwandais et les résidents rentrant au pays, qui sont mis en quarantaine obligatoire pendant 14 jours. Le 22 avril, le ministère de la Santé a confirmé 153 cas de Covid-19 et aucun décès dû à la maladie.
Depuis le 8 avril, quatre blogueurs qui ont rapporté des abus et le chauffeur d’un des blogueurs ont été arrêtés et détenus pour violation présumée des directives du gouvernement. Après des années d’ingérence et d’intimidation de la part de l’État, la majeure partie de la presse écrite et des médias audiovisuels est fortement dominée par des opinions pro-gouvernement, mais dernièrement, des reportages plus sensibles sur les questions sociales et de droits humains ont été diffusés sur des blogs en ligne et sur des chaînes YouTube.
Dans une vidéo postée sur la chaîne YouTube d’Ishema TV le 3 avril, trois femmes de Kangondo II – un quartier pauvre connu sous le nom de « Bannyahe » dans le secteur de Remera à Kigali, la capitale – ont expliqué aux journalistes que des soldats responsables de l’application des mesures de confinement les avaient violées. Une victime a indiqué qu’une nuit de mars, un homme en uniforme militaire avec une arme est entré dans sa maison et l’a violée alors qu’un autre a suspendu son mari par les jambes à la fenêtre et l’a battu.
Une autre a raconté qu’elle a vu des hommes se faire frapper alors qu’un homme en uniforme militaire la forçait avec la crosse de son fusil à entrer dans la maison d’un voisin : « Il m’a violée…. Mais qu’est-ce que je pouvais faire alors qu’il était armé ? Comment j’aurais pu appeler à l’aide alors qu’ils frappaient des gens dehors sans intervention des autorités ? »
La BBC a également fait état de ces viols. Deux voisins avec qui Human Rights Watch s’est entretenu ont confirmé les récits des femmes, ajoutant que d’autres femmes avaient été violées mais n’avaient pas partagé leur témoignage, et que les soldats avaient aussi volé des biens dans le quartier. Une victime, contactée le 6 avril, a expliqué à Human Rights Watch que des militaires l’avait menacée et lui avait dit de ne parler à personne hors du pays de ce qui lui était arrivé.
Les femmes et les filles sont exposées à un risque accru de violences sexuelles et d’autres violences basées sur le genre pendant la pandémie de Covid-19. Les autorités rwandaises devraient s’assurer que des soins médicaux spécifiques après un viol et un soutien psychosocial – y compris des soins de santé mentale – sont disponibles pour les victimes, a déclaré Human Rights Watch.
Les Forces de défense rwandaises ont annoncé dans une déclaration le 4 avril qu’une enquête a été ouverte sur les « allégations de comportement criminel à l’encontre de citoyens par quelques soldats des FDR indisciplinés » et que cinq suspects étaient en détention.
Cependant, depuis lors, quatre blogueurs travaillant pour Afrimax TV, Ishema TV et Umubavu TV, qui ont fait des reportages sur les viols et l’impact des directives sur les populations vulnérables, ont été arrêtés dans des circonstances qui s’apparentent à des représailles. Au cours des derniers mois, elles ont diffusé des témoignages sensibles sur un conflit de longue date avec les autorités concernant des expulsions à « Bannyahe. »
Le 8 avril, le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) et des agents de police ont arrêté Valentin Muhirwa et David Byiringiro, deux blogueurs travaillant pour Afrimax TV, à Kangondo II. Un témoin a raconté à Human Rights Watch : « [Les journalistes] avaient discuté avec la population de leurs préoccupations, des expulsions, des vols commis par les soldats et des viols. Ils leur ont dit qu’ils n’avaient rien à manger... Le 8 avril, [les journalistes] sont revenus avec des provisions dans une fourgonnette. » Deux habitants ont dit que l’équipe de six personnes a demandé la permission au leader local de distribuer des aliments et des produits, mais au bout de 30 minutes, le RIB et des agents de police sont apparus, les accusant d’enfreindre les directives du gouvernement et d’organiser une distribution non autorisée. Ils ont confisqué les produits et les ont arrêtés.
Le 12 avril, le RIB a twitté la confirmation de l’arrestation de Theoneste Nsengimana, le propriétaire d’Umubavu TV, pour fraude présumée. Le RIB l’a accusé d’avoir promis 20 000 francs rwandais (21 USD) à des personnes pour qu’elles racontent qu’elles recevaient une assistance de l’étranger « dans le but de solliciter le témoignage pour son propre bénéfice ».
La Commission rwandaise des médias a indiqué dans une déclaration le 13 avril qu’aucun des journalistes détenus n’étaient arrêtés dans le cadre de son travail, et que les blogueurs en ligne, comme ceux qui utilisent YouTube, ne sont pas des journalistes et « ne sont pas autorisés à interviewer la population ».
Le 15 avril, Dieudonné Niyonsenga, aussi connu sous le nom de Cyuma Hassan, le propriétaire d’Ishema TV, a été arrêté avec son chauffeur, Fidèle Komezusenge. Le RIB a accusé Dieudonné Niyonsenga d’avoir enfreint les mesures de confinement et d’avoir donné à Fidèle Komezusenge une carte de presse non autorisée.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, auxquels le Rwanda est partie, protègent la liberté d’expression, qui inclut le travail important et le rôle des journalistes. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui surveille le Pacte, a souligné dans ses orientations sur la liberté d’expression que le journalisme est « une fonction exercée par des personnes de tous horizons, notamment des reporters et analystes professionnels à plein temps ainsi que des blogueurs et autres particuliers qui publient eux-mêmes le produit de leur travail, sous forme imprimée, sur l’Internet ou d’autre manière ». La Déclaration des principes de la liberté d’expression et de l’accès à l’information en Afrique de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples protège aussi les journalistes et les médias en ligne.
Une presse libre devrait pouvoir remettre en question les récits officiels et communiquer des informations d’intérêt public en enquêtant sur les abus commis par les forces de sécurité, via tout type de média. Tout journaliste arrêté pour avoir fait son travail devrait être immédiatement libéré, a déclaré Human Rights Watch.
Le 25 mars, les médias ont rapporté que les forces de sécurité rwandaises avaient tué deux habitants du district de Nyanza. La Police nationale rwandaise a expliqué qu’ils avaient été abattus dans une situation de légitime défense après qu’ils auraient attaqué un agent et a critiqué une conduite « inadéquate et non professionnelle » des journalistes pour avoir lié les meurtres au confinement.
Depuis l’entrée en vigueur du confinement, la police et les médias locaux ont rapporté des dizaines d’arrestations de personnes accusées d’avoir enfreint les directives du gouvernement. Le 15 avril, Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice Johnston Busingye pour demander des informations sur la base juridique ayant justifié l’arrestation des personnes et les amendes imposées, mais le ministre n’a pas répondu. Pour être légale et non arbitraire, toute privation de liberté peut uniquement avoir lieu pour des motifs prévus par la loi.
Deux habitants de Gisenyi, dans le nord-ouest du Rwanda, ont raconté à Human Rights Watch que la police avait arrêté des personnes qui tentaient de se déplacer, même pour des courses essentielles, comme les services bancaires ou l’achat de nourriture, à des points de contrôle et les avaient conduites à bord de pick-ups surpeuplés vers le stade local en guise de « punition ». Les personnes ont été forcées de s’asseoir à quelques mètres les unes des autres au soleil.
« Nous étions environ 100 quand je suis arrivé, mais toutes les 30 minutes, ils amenaient de nouvelles personnes », a expliqué un habitant qui a été détenu dans le stade d’Umuganda à Gisenyi début avril. « J’y ai passé huit heures – il y avait quelques femmes avec des jeunes enfants, qui pleuraient... Nous n’avons pas reçu d’eau ou de nourriture... Certains ont été gardés là jusqu’à 21 h et ont dû repartir à la maison à pied après. » Human Rights Watch a reçu des récits crédibles indiquant que des personnes accusées d’avoir enfreint les règles de confinement à Kigali ont aussi été détenues dans des stades.
Le 27 mars, le président Paul Kagame a annoncé un « plan de protection sociale », qui inclut la livraison de nourriture gratuite à au moins 20 000 foyers à Kigali. Un journaliste rwandais a expliqué à Human Rights Watch le 17 avril : « Certains journalistes ont tenté de trouver qui sont les bénéficiaires de ce programme – ces blogueurs qui ont été arrêtés essayaient de découvrir les faits. »
« Il est inacceptable que le Rwanda utilise des méthodes autoritaires pour faire appliquer les mesures de santé publique afin d’endiguer la propagation du Covid-19 », a conclu Lewis Mudge. « La répression des médias envoie un message délibérément glaçant à un moment où la surveillance du comportement des forces de sécurité est capitale. »
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RFI (05.08.20)
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Rwanda : Vague d’arrestations et d’abus liés au confinement https://t.co/cYbWtdMbNm
— HRW en français (@hrw_fr) April 24, 2020
#Rwanda : le stade comme «punition» pour ceux qui ne respectent pas scrupuleusement les mesures liées au #Covid19. Cette pratique suscite l'inquiétude d'ONG dont HRW. https://t.co/vadnLiP5xC via @RFI @RFIAfrique @lbroulard #Kigali
— HRW en français (@hrw_fr) August 5, 2020