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Josephine, 28 ans, a déclaré qu'elle a fui sa maison à Bangui avec son mari et ses cinq jeunes enfants en raison de ses combats dans la ville en octobre 2014. Quand elle est retournée dans son quartier pour ramasser des vêtements et des plats pour la famille, trois antibalas l'ont arrêtée et l'a emmenée dans un complexe, où ils l'ont violée avec une bouteille de bière brisée. "Quand ils l'ont poussé, le sang a coulé et j'ai perdu conscience", at-elle dit. "Après, ils sont allés dans le quartier et ont dit:" Nous avons arrêté une femme de musulmans."" Après le viol, son mari l'a appelée "une femme de l'anti-balaka" et finalement ils se sont séparés. Josephine a dit qu'elle souffrait de maux de tête constants et est hantée par les souvenirs de la violence. © 2017 Smita Sharma pour Human Rights Watch

Je ne peux cesser de penser à Marie. Elle avait 30 ans quand je l'ai rencontrée en 2015. Deux ans auparavant, six combattants armés de fusils et de machettes avaient fait irruption à son domicile à Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Deux d'entre eux avaient pointé leur arme sur son mari pendant que les autres la faisaient s'allonger par terre. « Puis chacun de ces quatre hommes m'a violée », m'a-t-elle dit. « Mon mari était dans la pièce, mais il n'a rien pu faire. » Après cela, Marie n’avait pas assez d'argent pour subir un test de dépistage du sida ou pour recevoir des soins médicaux.

En 2015, les Nations Unies ont lancé un appel à l'action en créant une Journée internationale pour l'élimination des violences sexuelles en temps de conflit, récemment fixée au 19 juin. Mais c'est chaque jour de l'année qui devrait être un appel à l'action: dans des crises récentes, du Myanmar au Soudan du Sud et à la Syrie, des combattants ont commis des viols et des agressions sexuelles. La majorité des victimes recensées sont des femmes et des filles, mais des hommes et des garçons sont aussi parmi les victimes. Très peu ont accès à une assistance ou à la justice. En République centrafricaine, ces deux éléments sont pratiquement inexistants.

En mai, le gouvernement centrafricain et le rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence sexuelle en temps de conflit ont signé un accord nouveau dans lequel ils s'engagent à lutter contre la violence sexuelle des groupes armés, notamment à traduire les agresseurs en justice et à fournir les services nécessaires aux victimes. Mais le vrai test sera la manière dont ces promesses seront tenues. Le dernier rapport de l'ONU sur la situation dans le pays contient des informations selon lesquelles les groupes armés continuent de commettre des actes de violence sexuelle et documente « des viols systématiques » dans une zone particulière.

Pour notre rapport de 2017 sur les violences sexuelles commises par les groupes armés en République centrafricaine, mon collègue et moi-même avons interrogé près de 300 femmes et filles qui avaient été victimes de viols et d'esclavagisme sexuel. Nous avons constaté que le viol était utilisé de manière généralisée et systématique comme tactique guerrière. La plupart des incidents que nous avons documentés étaient des viols collectifs et beaucoup peuvent être considérés comme des actes de torture. Des femmes ont été violées par de multiples combattants alors qu'elles étaient détenues pendant des semaines dans des camps de fortune, ou forcées à regarder des hommes armés assassiner leur mari ou leurs enfants avant d'être violées. Des filles ont été capturées alors qu'elles rentraient de l'école, se retrouvant enceintes et craignant de retourner en classe. D'autres recherches ont permis de documenter des violences similaires commises contre des hommes et des garçons.

Moins de la moitié des femmes et filles que nous avons rencontrées avaient obtenu le moindre soin médical. Parmi celles qui en avaient reçu, beaucoup n'avaient pas révélé les viols au personnel médical, de crainte d'être ostracisées et abandonnées, si bien qu'elles n'avaient pas reçu de traitements d'après-viol, pourtant essentiels. Seulement un cinquième d'entre elles avaient reçu un soutien émotionnel ou psychologique, malgré l'apparition de symptômes indicatifs de dépression et de traumatisme, y compris de pulsions suicidaires. Sur les près de 300 femmes et filles que nous avons interrogées, onze seulement avaient tenté d'obtenir réparation en justice.

Rien de tout cela n'est étonnant dans l'un des pays les plus pauvres du monde, où un conflit aujourd'hui pratiquement oublié fait rage depuis 2013. Les espoirs d'une issue reposent sur le dernier accord de paix, signé en février, mais il est fragile: de nouvelles violences ont éclaté en mars, puis de nouveau en mai.

Entretemps, les groupes armés ont continué de recourir au viol et à d'autres violences sexuelles contre les civils. L'organisation d'assistance médicale Médecins Sans Frontières a indiqué que sa clinique spécialisée dans le traitement des violences sexuelles à Bangui avait soigné près de 800 personnes – pour la plupart des femmes – entre décembre 2017 et septembre 2018. Des données recueillies auprès de nombreuses agences d'aide humanitaire font apparaître près de 2 000 cas signalés de violences sexuelles en 2018, quoiqu'il ne soit pas possible de savoir combien ont été commises par des membres des groupes armés.

Les victimes de violences sexuelles liées au conflit dans tout le pays ont besoin de soins médicaux complets et confidentiels, y compris de moyens contraceptifs d'urgence et d'avortements effectués dans des conditions sûres. Elles ont désespérément besoin de soins psychologiques prodigués par des prestataires spécialement formés, ainsi que d'une assistance socio-économique. En outre, elles ont besoin de savoir que ces services existent et où les trouver. Et dans un pays où un trajet partagé en taxi coûtant un dollar peut être prohibitif, elles ont besoin d'un accès à des moyens de transport ou à des services itinérants.

La plupart des survivantes que nous avons rencontrées n'avaient guère d'espoir que leurs agresseurs soient un jour amenés à répondre de leurs actes devant la justice mais beaucoup le souhaitaient ardemment, notamment Marie. « J'ai pensé à ce que ces hommes ont fait et à obtenir justice », a-t-elle dit. « Je veux qu'ils soient traduits en justice et mis en prison. »

Dans le récent accord de paix, le gouvernement centrafricain a affirmé qu'il chercherait à rendre justice aux victimes de violences sexuelles liées au conflit dans le cadre du système judiciaire national, y compris en soutenant la création d'une unité spéciale de police et de gendarmerie chargée des affaires de violence sexuelle. L'accord interdit également au gouvernement de permettre aux agresseurs ou à leurs commandants d'occuper des fonctions gouvernementales ou de bénéficier d'amnisties – deux points traditionnels d'achoppement dans les négociations de paix et conditions essentielles à une paix durable, ainsi qu'à la justice pour les survivants des nombreuses atrocités commises lors de ce conflit.   

Le gouvernement centrafricain et les Nations Unies devraient également s'assurer de la poursuite du soutien politique et technique apporté à la Cour pénale spéciale, le nouveau tribunal spécialisé dans les crimes de guerre créé au sein du système judiciaire national et qui fonctionne avec la participation et l'assistance d'experts internationaux. Pour que ce tribunal puisse statuer de manière adéquate sur des cas de violences sexuelles et d'autres crimes, des programmes robustes de protection des victimes et des témoins seront un élément essentiel. Pour tout cela, la poursuite de l'assistance des gouvernements bailleurs de fonds est également vitale.

Le 19 juin, je pensais à Marie, ainsi qu'aux centaines de femmes et de filles que j'ai rencontrées en République centrafricaine, dont beaucoup attendent encore la forme d'aide la plus élémentaire: la consultation d'un médecin, la possibilité de parler à un conseiller, l'espoir de voir leurs agresseurs traduits en justice. Le gouvernement centrafricain, les Nations Unies et la communauté internationale devraient faire en sorte qu'elles n’en soient pas encore à attendre cela l'an prochain à la même date.

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