Résumé
Dans un village de la région de Sédhiou située dans le sud du Sénégal, Fanta, 23 ans, a parlé à Human Rights Watch d’une « relation » secrète qu'elle avait avec son professeur âgé de 30 ans, et qui a commencé quand elle avait 16 ans. « J’avais honte en classe … mes camarades de classe savaient que je sortais avec lui », a confié Fanta à Human Rights Watch. « Et d'autres enseignants le savaient aussi, mais ils n'ont rien dit ».
Fanta s'est rendu compte qu'elle était enceinte à l'âge de 17 ans. Lorsque son père a essayé de trouver un arrangement avec l'enseignant – une mesure habituelle des familles qui veulent régler leurs problèmes discrètement pour éviter le mépris de leur village – celui-ci a nié être le père de l'enfant que Fanta attendait. Cheikh, le père de Fanta, a déclaré à Human Rights Watch : « Je lui ai dit ‘Tu as détruit l’éducation de ma fille’, mais il a tout nié. ». Même après qu’il soit devenu évident que Fanta était enceinte, l’école n’a jamais enquêté sur la question, et le principal ne l’a pas contactée. Fanta s’est sentie encore plus honteuse des dénégations du professeur : « Je me suis sentie humiliée devant mes camarades de classe. »
Au Sénégal, les filles comme Fanta sont confrontées à des niveaux élevés de violence sexuelle et sexiste, notamment d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus, de la part d'enseignants et autres responsables scolaires. Malheureusement, ces filles ont peu d'options pour obtenir justice. Ces cas ne sont pas souvent signalés ou étudiés par les autorités scolaires. Dans certains cas, les familles préfèrent négocier avec les hommes qui rendent les filles enceintes, notamment en concluant un accord avec eux pour qu’ils apportent un soutien financier aux filles pendant la grossesse, plutôt que de demander réparation par les voies officielles. Mais dans de nombreux autres cas, ces filles n'informent pas leur famille car les tabous et la stigmatisation associés à ces grossesses sont très préjudiciables.
L’ampleur et la prévalence des abus sexuels à l’égard des élèves ne sont pas connues de manière précise ; toutefois, des recherches menées par des organisations non gouvernementales, des organismes des Nations Unies ainsi que des universitaires indiquent que la violence sexuelle et sexiste liée aux écoles constitue un grave problème dans le système éducatif du pays.
Basé sur des recherches menées en 2017 dans les régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, dans le sud du Sénégal, ainsi qu’à Dakar et dans les environs de la capitale, ce rapport expose la pratique peu médiatisée d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus dans le cadre de l’école perpétrée en grande partie par des enseignants ainsi que des responsables scolaires. Le rapport exhorte le gouvernement du Sénégal à adopter des mesures clés pour mettre un terme à ces pratiques illégales – qui équivalent parfois également à des infractions pénales – dans ses écoles.
Ce rapport, utilisant la définition de l’exploitation sexuelle de l’Organisation mondiale de la santé comme « le fait d’abuser ou de tenter d’abuser d’un état de vulnérabilité, d’un rapport de force inégal ou de rapports de confiance, à des fins sexuelles », explique comment les adolescentes sont exposées à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus de la part des enseignants et de membres du personnel scolaire dans les établissements publics du premier et du deuxième cycles du secondaire.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 42 filles et jeunes femmes âgées de 12 à 25 ans et a mené des discussions de groupe auprès de 122 élèves du secondaire, dont la plupart ont fréquenté 14 collèges et 8 lycées dans différentes régions du pays.
Human Rights Watch a constaté que certains enseignants abusaient de leur position d'autorité en harcelant sexuellement les filles et en entretenant des relations sexuelles avec elles, un grand nombre d'entre elles ayant moins de 18 ans. Les enseignants les attirent souvent avec la promesse d’argent, de bonnes notes, de nourriture ou de biens matériels comme des téléphones portables et de nouveaux vêtements. Les élèves — et dans une certaine mesure, les enseignants et les membres du personnel scolaire — ont souvent qualifié cela de « relations » entre les enseignants et les élèves. Human Rights Watch estime que ce type de caractérisation minimise la gravité de ces abus, affecte leur signalement et brouille la perception par leurs auteurs de la gravité de ces abus. Bon nombre des cas documentés dans ce rapport devraient être traités et poursuivis en tant qu'exploitation sexuelle et abus sexuel d'enfants.
L'exploitation sexuelle et le harcèlement par les enseignants se font de diverses manières : certains enseignants approchent leurs élèves – pendant les cours ou les activités du soir – demandant une faveur ou réclamant leurs numéros de téléphone. Lorsque les filles refusaient les propositions des enseignants, elles pensaient que les enseignants les punissaient d’avoir rejeté leurs avances en leur attribuant des notes inférieures à celles qu’elles méritaient, en les ignorant et en ne leur permettant pas de participer aux discussions ou aux exercices en classe. Souvent, l’exploitation et le harcèlement ont duré pendant des mois, ou dans un cas des années.
Les filles sont également touchées par les stéréotypes de genre et les connotations sexuelles auxquelles elles sont confrontées en classe. Certaines filles ont affirmé à Human Rights Watch que leurs enseignants utilisent un langage ou des gestes inappropriés – par exemple, décrivant le corps ou les vêtements des filles de manière sexuelle – lorsqu'ils s’adressent directement aux élèves ou font référence à d’autres élèves de leur classe. Certaines filles sont inquiètes quand elles savent qu'un enseignant fait des avances à une amie ou une camarade de classe. Lorsque ces types de harcèlement ou d'abus ont lieu, les enseignants, les parents ou même leurs camarades de classe accusent souvent les filles d'attirer l'attention inutile des enseignants ou de provoquer les enseignants avec leurs tenues.
Le Sénégal ne dispose pas d'un code de conduite national contraignant décrivant les obligations des enseignants, des responsables scolaires et des acteurs de l'éducation vis-à-vis des élèves. Cependant, les enseignants du Sénégal, comme leurs homologues de nombreux autres pays, jurent d'adhérer à un serment éthique et professionnel non contraignant lorsqu'ils commencent leur carrière d'enseignant, s'engageant à ne jamais utiliser leur autorité sur les élèves à des fins sexuelles.
Les comportements des enseignants décrits dans ce rapport constituent non seulement une violation flagrante de ces obligations professionnelles et éthiques, mais également un crime en vertu du droit sénégalais lorsque les filles ont moins de 16 ans. Le harcèlement et la coercition à des fins sexuelles et l’abus de pouvoir et d'autorité sur un enfant de moins de 18 ans par un enseignant est passible d'une peine maximale de 10 ans.
Des médias sénégalais ont signalé des viols commis par des enseignants dans des écoles à travers le pays, ce qui soulève de graves préoccupations quant à ce qu’un grand nombre de filles pourraient vivre. Depuis 2013, les médias rapportent qu'au moins 24 enseignants du primaire et du secondaire ont été poursuivis pour viol ou actes de pédophilie – tous deux constituant des infractions sexuelles en vertu de la législation sénégalaise. Bien qu'il soit important que ces poursuites aient eu lieu, nos conclusions suggèrent que les poursuites, la sanction professionnelle par les supérieurs ou la réparation d'autres formes de violence sexuelle, en particulier l'exploitation sexuelle, ont été limitées.
Cependant, de nombreux cas d’exploitation et de harcèlement sexuels commis par des enseignants n’ont pas été signalés et les autorités scolaires n’ont pas fait en sorte que leurs auteurs rendent des comptes pour leurs actes. C’est en partie parce que le fait de signaler des cas d’abus sexuels ou de violence à l’école repose en grande partie sur la décision du principal d’agir ou d’ignorer une plainte, et parce que les familles sont réticentes à signaler les cas à la police. Bien que certains principaux prennent au sérieux les allégations, ils tentent de mener des enquêtes informelles, de parler discrètement au personnel et de résoudre les problèmes en interne, afin de protéger leur personnel, de retenir les enseignants ou d’éluder les inspections de l’éducation ou des comités de protection de l’enfant.
En outre, le fait de parler de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus est considéré comme un sujet tabou pour un grand nombre de filles. Par ailleurs, un grand nombre d’élèves ne savent que partiellement ce que sont les infractions sexuelles. L'éducation sur tout l'éventail des infractions ou sur la manière de prévenir et de signaler l'exploitation sexuelle, le harcèlement ou les abus est rare et ne fait certainement pas partie d'un effort national.
Même lorsque les filles exploitées sexuellement, harcelées ou maltraitées veulent se manifester, elles hésitent à signaler les cas dans les écoles par crainte d'être stigmatisées ou ridiculisées. Lorsqu'elles se manifestent, les responsables de l'école ne les prennent pas toujours au sérieux et, dans certains cas, on leur dit qu'elles ont provoqué leurs enseignants. Cela a conduit à la méfiance parmi les élèves et le sentiment que la dénonciation des abus n’aura aucun résultat. En conséquence, il est rare que les filles victimes d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’autres formes de violence voient leurs affaires faire l’objet d’enquêtes ou leurs agresseurs rendre des comptes par le biais du système judiciaire et du ministère de l’Éducation nationale.
De manière louable, le gouvernement a pris des mesures pour lutter contre la violence sexuelle et la discrimination fondée sur le genre dans les écoles, dans le cadre d’efforts plus larges visant à accroître l’accès des filles à l’enseignement secondaire, et leur maintien dans ce système. En 2013, le gouvernement a adopté une stratégie solide de protection de l'enfance, qui a lancé des comités de protection de l'enfance à tous les niveaux administratifs. Avec le soutien international, le gouvernement a également ciblé les ressources, cherchant à mettre un terme aux grossesses chez les adolescentes et à renforcer l'autonomie des filles. Bien qu’un grand nombre de ces programmes n’aient pas encore été reproduits à grande échelle, ils restent tributaires de l’appui financier des bailleurs de fonds et n’ont pas réussi à lutter contre l’exploitation sexuelle généralisée dans les écoles.
Selon les recherches de Human Rights Watch, un grand nombre d’enseignants s’efforcent véritablement de faire en sorte que les élèves étudient dans un environnement d’apprentissage sans danger, afin qu’ils puissent terminer leurs études avec succès. Bon nombre se concentrent sur la lutte contre les abus sexuels à l'école. Par exemple, certains directeurs d'école ont, de leur propre initiative, adopté une politique de tolérance zéro pour les abus liés à l'école et ont ouvertement parlé de comportements illégaux et inacceptables, pour que les filles se sentent en confiance pour signaler tout abus ou comportement nuisible. En outre, certains enseignants engagés ont traité ces questions par le biais de formations sur les droits de l’enfant et la protection de l’enfant et ont organisé des manifestations de sensibilisation à l’école pour briser les tabous associés à ces abus.
Les efforts existants visant à assurer le maintien des filles dans les écoles secondaires ont souvent complété les initiatives en milieu scolaire visant à réduire les taux de grossesse chez les adolescentes. Ces initiatives se sont plutôt axées sur l'ouverture d'espaces extra-scolaires pour que les élèves puissent discuter de planification familiale et éviter les infections par le VIH et les infections sexuellement transmissibles.
Toutefois, le gouvernement devrait déployer des efforts plus importants pour que les élèves aient accès à une éducation adéquate en matière de santé sexuelle et reproductive. Le gouvernement s’est avéré inutilement lent à adopter un programme national exhaustif de santé sexuelle et reproductive. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était réticent à inclure des contenus sur la sexualité dans les programmes d’enseignement en raison des préoccupations selon lesquelles l’enseignement de la sexualité contredirait les valeurs culturelles et morales du Sénégal, ainsi que du fait des pressions exercées par les groupes religieux.
La plupart des écoles secondaires publiques dans les régions où Human Rights Watch a mené des recherches ne fournissent pas de contenu adéquat, complet et scientifiquement précis sur la sexualité ou la reproduction. Dans la plupart des écoles, l'abstinence reste le message principal. Certains des enseignants qui mènent des activités extrascolaires fournissent aux élèves quelques informations sur la contraception, spécifiant que ces informations ne seront appliquées qu’une fois que les élèves seront mariés. En outre, les possibilités offertes aux jeunes d’obtenir des informations utiles au sein de la communauté sont limitées. Bien que le gouvernement ait déployé des efforts pour accroître la couverture des services de santé destinés aux adolescents, notamment en créant des centres spécialisés dans les besoins des adolescents dans la plupart des capitales régionales, il n’a pas garanti une couverture suffisante dans les zones rurales.
Human Rights Watch appelle le gouvernement du Sénégal à adopter une riposte nationale plus forte pour mettre fin à l'exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus dans les écoles. Parmi ses principales priorités, le gouvernement devrait adopter une politique nationale pour lutter contre l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus dans les écoles. Cette politique devrait clarifier ce qui constitue un comportement illégal ou inapproprié, et indiquer clairement que toute « relation » sexuelle entre le personnel enseignant et les élèves ainsi que l'exploitation et la coercition en échange de notes, d'argent ou d’articles de base, tels que de la nourriture ou des téléphones portables, sont explicitement interdits et passibles d’une sanction professionnelle. Il convient de préciser que ces « relations » considérées comme constituant des infractions sexuelles feront l’objet d’une enquête approfondie et que les auteurs seront punis.
Le gouvernement devrait également s'attacher à accroître la responsabilité pour les infractions sexuelles liées à l'école. Il devrait veiller à ce que les directeurs et le personnel des établissements d’enseignement comprennent leur obligation d’enquêter de manière appropriée sur toute allégation d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’abus. Il devrait mettre en place des formations adéquates sur la protection de l'enfance pour toutes les enseignantes et tous les enseignants, par le biais d'une formation préalable et continue.
Le gouvernement devrait s'efforcer de mettre fin à la culture du silence autour de l'exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus liés à l’école, notamment en rendant les processus de signalement plus clairs, confidentiels et accessibles aux élèves, et déployer une campagne d'éducation publique à l’intention des élèves et des jeunes. Cette campagne devrait s'attaquer aux stéréotypes, aux tabous et à la stigmatisation qui incitent les filles et les jeunes femmes à se sentir coupables d'abus sexuels commis à leur encontre. La campagne devrait également chercher à doter les élèves des connaissances nécessaires pour comprendre ce qu'est l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, ainsi que la confiance nécessaire pour parler chaque fois que cela se produit.
Recommandations clés
Au gouvernement du Sénégal
Adopter des mesures plus fortes pour mettre un terme à la violence et aux abus sexuels et sexistes liés à l'école
· Adopter une politique nationale d’éducation contre l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, comprenant : des conseils sur ce qui constitue ou pourrait conduire à ces abus, des procédures à suivre lorsque des cas sont signalés au personnel scolaire, des mécanismes d'application en milieu scolaire clairs ainsi que des sanctions et des renvois vers la police.
· Adopter un code de conduite professionnel contraignant à l'échelle nationale pour les directeurs d'école, les enseignants et les responsables de l'éducation, qui soit affiché dans toutes les écoles.
· Veiller à ce que la législation relative à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus dans les écoles soit rigoureusement appliquée, et que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice et punis par des sanctions proportionnées à leurs crimes.
Enquêter sur toutes les allégations d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus sexuels liés à l'école
· Répondre de manière adéquate aux cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus contre les élèves dans les établissements d’enseignement en veillant à ce que :
o Toutes les écoles disposent de mécanismes de signalement confidentiels et indépendants adaptés au contexte scolaire local. Ceux-ci pourraient comprendre un conseiller qualifié ou un enseignant désigné au minimum, ou un mécanisme de notification ou un système d'assistance téléphonique mis en place pour renvoyer les plaintes directement à un membre désigné du comité de protection de l'enfance concerné.
o Les élèves touchés soient rapidement orientés vers des services externes pour leur santé, leur soutien psychologique et leurs besoins en matière de contraception.
o Les principaux responsables des écoles mènent des enquêtes à la suite d’allégations de conduite inappropriée et, en cas de violation d’une loi, renvoient les criminels présumés à la police.
o Les auteurs d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus soient suspendus de toute position d’autorité affectant la plaignante ou l’enquête pendant que celle-ci est en cours et, s’il existe des preuves suffisantes, qu’ils fassent l’objet de poursuites conformément aux normes internationales d’équité des procès, ou traités par le processus disciplinaire du gouvernement pour les fonctionnaires.
Agir d'urgence pour lever les obstacles qui entravent l'éducation des filles
· S'assurer que l'enseignement secondaire soit entièrement gratuit en supprimant les frais de scolarité et les coûts indirects facturés par les écoles.
Offrir une formation adéquate au personnel enseignant ainsi que lors de l’affectation des enseignants
· Mettre en œuvre une formation préalable obligatoire des enseignants sur les lois existantes relatives aux infractions sexuelles, et sur la nouvelle politique nationale contre l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, les droits de l'enfant et la stratégie nationale de protection des enfants. Tous les nouveaux enseignants, les directeurs d’école et le personnel administratif devraient être formés avant leur première affectation.
· Adopter et déployer une formation continue ciblée sur la violence sexuelle et sexiste dans les écoles, en commençant par les chefs d'établissement, le principal personnel des écoles et les enseignants, ainsi que les inspecteurs scolaires.
Adopter un programme d'études solide sur la santé et les droits sexuels et reproductifs
· Veiller à ce que le programme d’éducation en matière de santé de la reproduction soit conforme aux normes internationales et veiller à ce que le programme national :
o Soit élargi pour comprendre des informations complètes sur la sexualité et la santé reproductive, notamment des informations sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, le comportement sexuel responsable, la prévention des grossesses précoces et les infections sexuellement transmissibles ; et soit obligatoire, adapté à l'âge et scientifiquement exact.
Modifier et / ou adopter des lois pour renforcer la protection des enfants victimes d’abus
· Modifier le Code pénal pour y inclure :
o Une disposition spécifiant l'âge minimum du consentement à l'activité sexuelle, égal pour tous les enfants, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et aux bonnes pratiques.
o Une infraction pénale spécifique pour un adulte ayant des relations sexuelles avec des enfants en dessous de l'âge minimum du consentement.
Méthodologie
Ce rapport est basé sur des recherches menées en juin, août, octobre et novembre 2017, et en juillet 2018, dans les régions de Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, ainsi que dans la capitale, Dakar, et ses environs. Human Rights Watch a choisi ces régions parce qu’elles présentent les taux de grossesses chez les adolescentes les plus élevés du pays, ainsi que des taux élevés de mariage d’enfants, et un faible taux de maintien dans l’enseignement secondaire, selon les chiffres des Nations Unies et du gouvernement. Nous avons également consulté des organisations non gouvernementales locales et nationales (ONG), dont un grand nombre ont partagé des informations ou des preuves provenant de leurs programmes existants d’aide aux enfants touchés par la violence sexuelle et sexiste dans ces régions.
Human Rights Watch a mené 42 entretiens individuels auprès de 27 filles et 15 jeunes femmes. Leurs âges variaient de 12 à 25 ans. Trente-trois fréquentaient l’école au moment de l’entretien tandis que les neuf autres n’étaient plus à l’école. Nous avons effectué la majeure partie des entretiens dans 14 collèges d’enseignement moyen (CEM) et 8 lycées de différentes régions. Trois filles ont déclaré être mariées, et neuf filles et jeunes femmes étaient enceintes ou avaient déjà des enfants. Bien que Human Rights Watch ait également interrogé des filles fréquentant des écoles franco-arabes, confessionnelles et privées, les conclusions de ce rapport mettent l'accent sur la situation dans les écoles secondaires publiques laïques.
Nous avons également mené des discussions de groupe avec un total de 122 élèves du secondaire dans 4 écoles publiques et dans 4 villages, allant de 7 à 22 participantes dans chacun des groupes. Nous avons organisé des discussions de groupe pour comprendre les principaux obstacles à l’éducation des filles et les moyens par lesquels l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus à l’école affectent les élèves dans leur vie quotidienne. Toutes les participantes ont été informées qu'elles pourraient parler individuellement aux chercheurs après les discussions de groupe.
Certains entretiens ont été menés en français ; d’autres entretiens ont été menés en wolof, en pular, en jola ou en mandingue, puis ont été traduits en français par des adolescents bénévoles de la santé et des représentants d'organisations non gouvernementales qui accompagnaient les chercheurs de Human Rights Watch.
Human Rights Watch met tout en œuvre pour respecter les normes de meilleures pratiques en matière de recherche éthique et de documentation de la violence sexuelle. Nous avons précédé et terminé toutes les entrevues avec une explication détaillée du consentement éclairé afin de nous assurer que les personnes interrogées comprenaient la nature et le but de l'entretien, et pouvaient choisir de parler ou non avec les chercheurs. Dans chaque cas, nous avons expliqué comment nous utiliserions et diffuserions les informations et avons demandé aux personnes interrogées d’autoriser l’inclusion de leurs expériences et recommandations dans ce rapport. Human Rights Watch a informé les filles et les jeunes femmes qu'elles pouvaient arrêter ou suspendre l'entretien à tout moment et refuser de répondre à des questions ou d’aborder des sujets particuliers.
Certaines filles et jeunes femmes ont préféré ne pas discuter d'expériences personnelles d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus à l'école, mais ont parlé d'amies ou de camarades de classe affectées par ces expériences. Six filles et jeunes femmes ont déclaré avoir elles-mêmes été victimes d'exploitation sexuelle, de harcèlement ou d'abus dans le cadre de leur scolarité. Dix autres filles et jeunes femmes ont fourni des informations sur des cas d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus de leurs amies ou de leurs proches. La plupart des filles et des jeunes femmes interrogées connaissaient des camarades de classe qui avaient été victimes d'exploitation sexuelle ou de harcèlement.
En outre, le rapport comprend des informations basées sur 11 entretiens avec des enseignants et des activistes, ainsi que des experts en santé mentale, en santé des adolescents et en protection de l'enfance qui ont soutenu des filles et des jeunes victimes d'exploitation sexuelle, de harcèlement ou d'abus dans le contexte scolaire. Enfin, des chercheurs ont interrogé quatre membres de famille ou tuteurs légaux de filles ou de jeunes femmes victimes d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus sexuels.
Human Rights Watch ne formule aucune affirmation concernant l'ampleur de l'exploitation sexuelle, du harcèlement ou des abus liés à l'école commis par des enseignants des écoles secondaires dans tout le Sénégal. Sur la base de nos recherches et de nos constatations, nous notons que les problèmes soulevés dans ce rapport sont sous-déclarés et que l'ampleur de l'exploitation sexuelle, du harcèlement et de l'abus à l’encontre des élèves filles et garçons liés à l'école est inconnue. Les tabous et la stigmatisation profondément enracinés associés au fait de parler et de dénoncer toute forme d’abus sexuel commis contre des filles ont un impact considérable sur la dénonciation des abus sexuels contre les filles et les jeunes femmes. Le problème est également aggravé par l’absence de mécanismes de signalement confidentiels.
Cependant, les éléments de preuve recueillis suggèrent qu’un grand nombre de filles et de jeunes femmes sont touchées par l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus dans le contexte scolaire. Nos conclusions sur ces abus sont en accord avec les preuves rassemblées par le gouvernement, les agences des Nations Unies et les organisations nationales et internationales, qui montrent que ces abus se produisent dans les régions où nous avons mené des recherches, ainsi que dans d’autres parties du pays.
Pour des raisons de protection, les noms des enfants et des jeunes femmes utilisés dans le rapport sont des pseudonymes. Les groupes de discussion sont référencés par lieu, et non par école, pour mieux protéger les personnes interrogées. Certains enseignants et hauts responsables scolaires sont désignés anonymement pour protéger leur identité lorsque les informations fournies pourraient entraîner des représailles de la part des criminels, d'autres responsables scolaires ou des autorités gouvernementales locales. De plus, pour des raisons de protection, nous ne spécifions pas les lieux exacts où résident les enfants ou les auteurs présumés.
Human Rights Watch a également interrogé des responsables locaux et nationaux du ministère de l'Éducation nationale ; du ministère de la Santé et de l'Action sociale ; et du ministère de la Jeunesse, de l'Emploi et de la Construction citoyenne, ainsi que 4 chefs de village, 15 membres du personnel scolaire, notamment des chefs d'établissements, des surveillants et des enseignants ainsi que plus de 40 représentants d’ONG, notamment celles qui concentrent leurs efforts sur l'éducation, les droits de l'enfant, la santé sexuelle et reproductive ainsi que l'autonomisation des jeunes. Nous avons également interrogé des experts et des praticiens de la santé mentale ainsi que des partenaires du développement.
Human Rights Watch n'a pas fourni de compensation financière aux personnes interrogées en échange d'un entretien.
Nous avons examiné la législation nationale sénégalaise, les politiques et rapports gouvernementaux, les rapports de progrès des bailleurs de fonds, les soumissions gouvernementales aux organismes des Nations Unies, les rapports des Nations Unies, les articles universitaires, les articles de journaux et les discussions sur les médias sociaux, entre autres. Les recommandations du rapport ont été inspirées par des orientations mondiales fondées sur des données factuelles émanant du Groupe de travail mondial sur la lutte contre la violence sexiste en milieu scolaire.
Le taux de change au moment de la recherche était d'environ 1 dollar US = 530 francs CFA (FCFA) ; ce taux a été utilisé pour les conversions dans le texte, qui ont parfois été arrondies à un dollar près.
Terminologie Dans ce rapport, le terme « enfant » fait référence à toute personne âgée de moins de 18 ans, selon l'usage du droit international. Le terme « adolescent » désigne les enfants et les jeunes adultes âgés de 10 à 19 ans.[1] L'enseignement secondaire de premier cycle se réfère aux quatre premières années de l'enseignement secondaire obligatoire dans les écoles « secondaires » ou collèges d’enseignement moyen (CEM), désignées dans le rapport par 6èmes, 5èmes, 4èmes et 3èmes. L'enseignement secondaire supérieur se réfère aux deux dernières années de l'enseignement secondaire dans les « lycées », qui ne sont pas obligatoires au Sénégal. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, « la violence sexiste est considérée comme tout acte néfaste dirigé contre des individus ou des groupes d'individus sur la base de leur genre. Cela peut inclure la violence sexuelle, la violence domestique… le mariage forcé / précoce et les pratiques traditionnelles néfastes. »[2] Human Rights Watch utilise la définition de la violence sexuelle donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « tout acte sexuel, tentative d’acte sexuel, des remarques ou avances sexuelles non désirées ou des actes de trafic ou tout autre acte exercé par autrui contre la sexualité d’une personne en faisant usage de la force, quelle que soit sa relation avec la victime, dans n’importe quel contexte. »[3] L'OMS définit l'exploitation sexuelle comme « le fait d’abuser ou de tenter d’abuser d’un état de vulnérabilité, d’un rapport de force inégal ou de rapports de confiance à des fins sexuelles, notamment mais pas exclusivement en vue d’en tirer un avantage pécuniaire, social ou politique ».[4] |
I. Contexte
La violence sexuelle et sexiste contre les filles et les femmes reste un problème généralisé et répandu au Sénégal.[5] Dès leur plus jeune âge, les filles sont confrontées à de multiples obstacles socioculturels et à des pratiques néfastes qui ont un impact sur nombre de leurs droits, notamment leur droit à l'éducation.[6]
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies s’est déclaré préoccupé par le faible taux de scolarisation des enfants au Sénégal, en particulier des filles, à tous les niveaux de l’éducation, en raison du mariage précoce, de la préférence des parents pour l’éducation des garçons, et des grossesses chez les adolescentes.[7]
Le gouvernement, conjointement avec des partenaires internationaux du développement, a reconnu le niveau élevé de violence du pays à l’égard des femmes et des filles ainsi que les obstacles à l’éducation et a pris des mesures importantes afin de s’y attaquer. Il a lancé de multiples campagnes nationales de sensibilisation, des initiatives pour l’autonomisation des femmes et l’éducation des filles, ainsi que diverses initiatives politiques.[8]
En 1995, le Sénégal a lancé ses efforts en faveur de l'éducation des filles dans le cadre du projet Scolarisation des filles (SCOFI), dans le but d'incorporer des politiques sexospécifiques au sein du ministère de l'Éducation nationale, en mettant l'accent sur les besoins des filles dans les écoles et en passant en revue, entre autres, les stéréotypes préjudiciables intégrés dans les programmes et l’enseignement.[9] Avec l’appui des bailleurs de fonds, notamment l’ONU, le gouvernement a également mis en place un comité national des enseignants afin de promouvoir l’éducation des filles (CNEP-SCOFI). Les enseignants ont joué un rôle déterminant dans son déploiement, bien que cela se soit largement réalisé grâce à des initiatives prises par les enseignants eux-mêmes pour organiser des campagnes locales et pour trouver de l’argent auprès de sources privées afin de distribuer du matériel scolaire, des uniformes et des articles destinés aux familles les plus pauvres.[10]
De nombreuses autres initiatives assorties d’échéances ont suivi depuis lors, ce qui a amené le gouvernement à mettre en place un mécanisme de coordination de l’éducation des filles.[11] Plusieurs pays bailleurs de fonds, dont les États-Unis, l'Italie et le Royaume-Uni, ainsi que des bailleurs de fonds multilatéraux comme la Banque mondiale, ont soutenu les efforts du gouvernement en finançant des programmes à petite échelle axés sur le genre, visant principalement à améliorer la qualité de l'éducation ainsi qu’à augmenter la scolarisation et le maintien des filles à l’école.[12]
En tant qu'État membre des Nations Unies, le Sénégal a également souscrit aux principaux engagements mondiaux de développement durable visant à assurer une éducation primaire et secondaire gratuite de qualité à tous les enfants, à éliminer les disparités de genre dans l’éducation, à mettre fin aux mariages d’enfants et à garantir l’accès universel aux services de santé sexuelle et reproductive.[13] En 2016, le Sénégal a également lancé la campagne de l’Union africaine afin de mettre fin au mariage des enfants.[14] Dans le cadre de cette campagne, le gouvernement s’est engagé à porter à 18 ans l’âge du mariage pour les filles.[15]
Bien que ces efforts gouvernementaux aient contribué à améliorer l’accès des filles à l’éducation, ils n’ont pas réussi à protéger les filles scolarisées et non scolarisées contre un large éventail d’atteintes aux droits humains.
Principaux facteurs entravant l’éducation des filles
La pauvreté, le mariage des enfants, les grossesses chez les adolescentes, l’exploitation sexuelle et le harcèlement de la part des enseignants et des élèves, ainsi que la violence à l’école sont parmi les principaux facteurs qui empêchent les filles de terminer leurs études secondaires.
Faible scolarisation en école secondaire et manque d’inclusion
Au Sénégal, l'enseignement primaire et secondaire de premier cycle est, en théorie, gratuit et obligatoire pour toutes les filles et tous les garçons âgés de 6 à 16 ans.[16] En pratique, les élèves du secondaire peuvent être tenus de payer près de 40 000 FCFA (75 US dollars) de frais de scolarité, de frais de fournitures et de frais supplémentaires pour les cours de l'après-midi.[17]
Cependant, en 2013, dernière année pour laquelle des statistiques officielles étaient disponibles au moment de la rédaction du présent document, environ 1,5 million d'enfants âgés de 7 à 16 ans, représentant 47% des enfants du primaire et du secondaire de premier cycle, n'étaient pas scolarisés.[18] Les statistiques gouvernementales montrent que la scolarisation dans l'enseignement secondaire est très proche de la parité entre les genres, même si le taux net de scolarisation est très faible : seuls 32% des filles et 35% des garçons étaient inscrits dans l'enseignement secondaire entre 2008 et 2012.[19]
Dans les zones rurales, où les taux de décrochage scolaire sont généralement plus élevés, le gouvernement s'est concentré sur la réduction de la distance entre le domicile et l'école en construisant davantage de collèges « communautaires ». Cela a entraîné une réduction significative du temps que les enfants passent à marcher ou à se rendre à l'école et, dans certains cas, a aidé les parents à envoyer plus volontiers les filles à l'école.[20]
Bien que les statistiques gouvernementales ne donnent pas une image précise du nombre d'enfants handicapés vivant dans le pays, elles montrent que la majorité des enfants handicapés ne sont pas scolarisés au Sénégal. Le gouvernement estime que près de 17 000 filles et 19 000 garçons ayant un handicap léger à sévère, âgés de 7 à 16 ans, ne sont pas scolarisés.[21]
Mariages d’enfants, grossesses non désirées et manque d’accès à des contraceptifs
Au Sénégal, lorsque les filles atteignent la puberté et l'adolescence, elles sont souvent déjà mariées. Près d'une fille sur trois est mariée avant l'âge de 18 ans.[22] En 2010, plus de neuf pour cent des filles étaient mariées avant l'âge de 15 ans.[23]
Les filles ont peu accès aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment les contraceptifs, et les grossesses chez les adolescentes mettent souvent fin à la scolarisation des filles. Une fille sur dix et un garçon sur vingt de 15 à 24 ans ont eu leur premier rapport sexuel avant l'âge de 15 ans.[24]
Les taux de grossesse chez les adolescentes restent très élevés dans tout le pays, avec des concentrations supérieures dans les régions du sud du Sénégal et de Dakar.[25] Huit pour cent des filles âgées de 15 à 19 ans ont déjà donné naissance.[26] L'utilisation de la contraception moderne reste faible : seuls 20 % des adolescentes ayant des relations sexuelles déclarent utiliser ces méthodes. Selon le Guttmacher Institute, une organisation de recherche et de santé sexuelle et reproductive et de défense des droits, 25 % seulement des femmes sénégalaises sexuellement actives et non mariées utilisaient une méthode moderne de contraception.[27] Bien que l’avortement soit illégal, sauf dans des conditions très restrictives pour sauver la vie d’une femme enceinte, on estime que 24 % des grossesses non désirées, notamment chez les filles, aboutissent à des avortements provoqués. Dans la plupart des cas, les avortements clandestins sont effectués par des prestataires non formés.[28]
Selon une étude menée par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et le Groupe pour l’étude et l’enseignement de la population (GEEP), organisme national de recherche en éducation, au moins 1971 cas de grossesses ont été enregistrés dans des écoles entre 2011 et 2014.[29] Des statistiques complètes et précises sur les grossesses d’adolescentes dans les écoles ne sont pas disponibles, en partie à cause de l’absence d’un système d’information pour recenser les cas.[30]
En 2007, le gouvernement a adopté une politique de « réintégration » pour les jeunes mères, annulant sa position antérieure d'expulser des filles enceintes de l'école. La politique stipule que les filles seront suspendues de l'école jusqu'à l'accouchement et pourront revenir sur présentation d'un certificat médical attestant qu'elles sont physiquement capables de reprendre leurs études.[31] Malgré ce compromis positif, de nombreuses filles ne retournent pas à l’école faute de soutien financier et familial. Selon l'étude conjointe FNUAP-GEEP, plus de 54% des jeunes mères ont abandonné l'école entre 2011 et 2014. Au cours de la même période, 15% des jeunes mères ont repris leurs études.[32]
Violences sexuelles et sexistes en milieu scolaire
Bien que l'ampleur des abus sexuels envers les élèves soit inconnue, les preuves recueillies par des organisations non gouvernementales, des agences des Nations Unies et des universitaires suggèrent que la violence sexuelle et sexiste liée à l'école - comprenant le viol, l'exploitation sexuelle et le harcèlement - constitue un grave problème dans le système éducatif.[33]
En 2012, le gouvernement a reconnu la prévalence de la violence sexuelle et sexiste liée à l'école, et que les filles sont les principales victimes des violences sexuelles à l'école.[34] Une étude gouvernementale sur la violence à l'encontre des enfants dans les écoles, principalement menée dans quatre régions, dont Kolda et Ziguinchor, où Human Rights Watch a mené des recherches, a montré que l'exploitation sexuelle, le harcèlement et le viol étaient répandus : 37 % des 731 filles ont déclaré être affectées par le harcèlement sexuel lié à l'école, 13 % ont été touchées par la pédophilie, ce qui inclut tout geste, attouchement ou caresse à des fins sexuelles sur des enfants de moins de 16 ans.[35] Près de 14% des personnes interrogées ont déclaré avoir été violées. L'étude a révélé que dans 42% des cas signalés, les enseignants étaient les premiers auteurs de ces crimes.[36]
Selon l'étude conjointe FNUAP-GEEP citée précédemment, la plupart des grossesses d'adolescentes liées à l'école enregistrées entre 2011 et 2014 résultaient de relations sexuelles avec d'autres élèves.[37] Malgré cette constatation, l’étude montre également que les filles sont victimes d’abus sexuels, ou sont contraintes à avoir des relations sexuelles par leurs pairs ou les adultes, enseignants, commerçants, chauffeurs de taxi, qui exploitent leur vulnérabilité et leur incapacité à négocier des rapports sexuels protégés.[38]
En 2015, un organe d’experts des Nations Unies sur les droits des femmes a exprimé « une profonde préoccupation quant au niveau de violence sexuelle auquel les filles sont soumises [au Sénégal], en particulier à l’école, souvent suivie d’une grossesse précoce ».[39]
II. Cadre juridique et politique du Sénégal concernant l’exploitation, le harcèlement et les abus sexuels
La législation sénégalaise ne stipule pas spécifiquement d’âge minimum pour le consentement sexuel.[40] Le Code pénal du pays n'inclut pas d’infraction pénale spécifique pour quiconque a des relations sexuelles avec des enfants de moins de 18 ans. La plupart des infractions sexuelles couvrent les actes de violence sexuelle commis sur des enfants de moins de 16 ans.
Le Code pénal sénégalais définit strictement le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ».[41] Le viol est puni de cinq à dix ans d’emprisonnement. Le viol ou la tentative de viol d'un enfant de moins de 13 ans ou d'une personne particulièrement vulnérable en raison d'une grossesse, d'un âge avancé ou d'un problème de santé entraînant un handicap physique ou mental, est passible du maximum de la peine.[42]
Le fait d’agresser sexuellement un enfant de moins de 13 ans est passible d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans.[43] Le code pénal incrimine également « le harcèlement d'autrui en usant d'ordres, de gestes, de menaces, de paroles, d'écrits ou de contraintes dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ». Si une victime a moins de 16 ans, son agresseur peut être emprisonné pendant trois ans.[44] De plus, les actes constituant de la pédophilie - un crime en droit sénégalais - sont définis comme « tout geste, attouchement, caresse, manipulation pornographique, utilisation d'images ou de sons… à des fins sexuelles sur un enfant de moins de 16 ans ».[45]
Si des actes de nature sexuelle ou des tentatives d’agir sont commis par un adulte qui a « autorité sur la personne mineure », ou est « responsable de son éducation » ou par des agents de l’État, entre autres, l’agresseur sera emprisonné pendant 10 ans.[46]
Le code pénal n'inclut pas une infraction spécifique pour avoir omis de signaler une infraction sexuelle commise contre un enfant. Toutefois, le fait de ne pas signaler un crime énuméré dans le code pénal, en particulier lorsque celui-ci pourrait prévenir d'autres infractions, est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d’emprisonnement ou d'une amende pouvant atteindre 1 million de francs CFA (1 887 dollars US).[47]
Responsabilités éthiques des enseignants
Le Sénégal ne dispose pas d'un code de conduite national contraignant qui décrirait les obligations des enseignants, des responsables scolaires et des acteurs de l'éducation vis-à-vis des élèves.[48] Les écoles sont censées définir leurs propres réglementations en matière de discipline des élèves et des enseignants, mais le ministère de l'Éducation nationale ne fournit pas de paramètres pour définir le contenu de ces réglementations.[49]
Le code professionnel et éthique des enseignants - un serment prononcé par tous les membres de la profession enseignante - est le seul document non contraignant qui stipule les engagements des enseignants envers leur profession, les élèves et la société, entre autres groupe. Les enseignants s'engagent à protéger les élèves de toute forme d'abus sexuel et à éviter toute forme de violence verbale, notamment un langage discriminatoire, la frustration ou la stigmatisation.[50]
Une fois qu'ils sont certifiés pour enseigner, les enseignants prêtent également un serment qui comprend les engagements suivants afin de protéger leurs élèves :
Je m'interdis d'être volontairement une cause de tort ou de corruption ou de toute entreprise de séduction à l'égard des élèves, filles ou garçons ... Je m'engage à protéger les filles et les garçons contre toutes formes d'abus ... Je jure de ne jamais user de mon autorité sur les élèves à des fins sexuelles.[51]
En outre, ils déclarent : « Ma position à l’école me confère une responsabilité particulière dans l’éducation et la formation des filles et des garçons, leur protection contre toute forme d’agression, notamment les remarques ou attitudes à connotation sexuelle ».[52]
III. Exploitation sexuelle, harcèlement et abus commis par des enseignants dans les écoles
Il y a des professeurs qui te disent « sors avec moi, je vais te donner des ressources ».
—Amy, 17, Medina Yoro Foulah, octobre 2017
Différentes formes de violences sexuelles demeurent omniprésentes dans les écoles secondaires au Sénégal.[53] Human Rights Watch a constaté que l’exploitation sexuelle et le harcèlement à l’école par les enseignants constituaient un problème important, mais rarement dénoncé, dans les écoles secondaires.[54] Les élèves sont particulièrement vulnérables à ces abus sur le chemin de l’école, autour des domiciles d’enseignants, ainsi que lors des soirées d’élèves, parfois organisées dans les locaux de l’école.[55]
Les enseignants abusent de leur position d'autorité lorsqu'ils abordent leurs élèves pour des raisons sexuelles, en violation de leur éthique professionnelle et, dans certains cas, lorsque les filles ont moins de 16 ans, en vertu de la législation sénégalaise.
Dans certaines régions où Human Rights Watch a mené des recherches, le faible taux de maintien des filles à l’école semble être étroitement lié à la crainte que les filles soient exposées au harcèlement sexuel et à la violence sexiste à l'école, ou que les filles courent un risque élevé de grossesse à cause de l'environnement scolaire.[56]
Aperçu
Human Rights Watch a constaté que certains enseignants et membres du personnel scolaire avaient des relations sexuelles avec des filles, dont beaucoup étaient des enfants au moment où cela s’était produit. Six filles et jeunes femmes ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles avaient été victimes d'exploitation sexuelle, de harcèlement ou d'abus dans le contexte scolaire. Dix autres filles et jeunes femmes ont fourni des informations sur des cas d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus de leurs amies ou de leurs proches.
Bien que Human Rights Watch ne formule aucune affirmation concernant l'ampleur de l'exploitation sexuelle, du harcèlement ou de la maltraitance scolaire par les enseignants dans les écoles secondaires de tout le Sénégal, les preuves obtenues dans les régions où nous avons mené des recherches suggèrent que les tabous et les stigmates sociaux ont réduit au silence de nombreuses filles et jeunes femmes victimes d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus à l’école. Les conclusions dans les sections suivantes sont cohérentes avec les preuves rassemblées par le gouvernement, les agences des Nations Unies et les organisations nationales et internationales, qui montrent que la violence sexuelle et sexiste en contexte scolaire est un grave problème dans le système éducatif, et que ces abus ont lieu dans les régions où nous avons effectué les recherches, ainsi que dans d'autres régions du pays.[57]
Selon les preuves recueillies dans les écoles et les communautés, certains des cas inclus dans cette section étaient le plus souvent décrits par les élèves - et dans une certaine mesure, par les enseignants et les responsables scolaires - comme des « relations » entre enseignants et élèves. Human Rights Watch estime que cette description peut saper la gravité des abus, influer sur la dénonciation de tels abus et brouiller la perception des responsables de l’école quant à la gravité de ces abus.
Ces dernières années, certains enseignants ont été poursuivis pour avoir violé ou agressé sexuellement des élèves. Bien que ces poursuites aient transmis un message fort selon lequel les abus sexuels contre les enfants seront sévèrement punis, de nombreux autres abus - notamment l'exploitation sexuelle par des enseignants - restent impunis.
Le dangereux chemin de l’écoleL'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus à l’encontre des élèves se produisent également régulièrement lorsque les filles et les jeunes femmes sont sur le chemin de l'école. Les élèves sont exposées à de nombreux risques : harcèlement et exploitation sexuelle de la part des chauffeurs de mototaxis - connus sous le nom de « hommes de Jakarta » - qui transportent les élèves vers les écoles, des commerçants ou d'autres adultes qui entrent en contact avec des enfants, et dans un petit nombre de cas, le viol - par des militaires aux postes de contrôle près des écoles.[58] Dans des cas documentés par Human Rights Watch, des conducteurs ont proposé aux filles - qui voyagent souvent sur de longues distances pour aller à l’école et ne peuvent pas payer pour le transport - des relations sexuelles en échange du trajet. La plupart des motocyclistes sont des hommes adultes, bien que certains garçons plus âgés qui ont abandonné l'école prématurément rejoignent également le secteur des taxis motorisés.[59] |
Abus de pouvoir de la part des enseignants
Si tu refuses, il te donne des très mauvaises notes ou te renvoie.
—Kodda, 17 ans, Medina Yoro Foulah, octobre 2017
Toutes les directrices et tous les directeurs d'école interrogés par Human Rights Watch ont condamné les abus sexuels ou le harcèlement à l'encontre des élèves, et la plupart n'ont pas reconnu ouvertement des cas présents de harcèlement sexuel dans leurs écoles. Pourtant, sur la base d'entretiens individuels et de discussions de groupe avec des élèves de cinq écoles, Human Rights Watch a constaté que certains enseignants entretenaient des « relations » avec des élèves de ces écoles - qui constitueraient dans de nombreux cas des infractions sexuelles – et les élèves sont souvent exposées au harcèlement sexuel et aux connotations sexuelles injustifiées des enseignants.
Plusieurs élèves ont décrit à Human Rights Watch comment les enseignants tentaient d'exploiter ou de contraindre les élèves filles, en leur offrant de l'argent, de meilleures notes, de la nourriture ou des objets tels que des téléphones portables et de nouveaux vêtements.[60] L’étude du gouvernement sur la violence sexuelle et sexiste à l’école, citée dans une section précédente, montre que les filles interrogées ont signalé qu’elles subissaient la coercition « comme une forme grave et récurrente de violence ».[61]
Dans au moins trois cas documentés par Human Rights Watch, les enseignants ont approché leurs élèves en demandant une faveur ou en réclamant leurs numéros de téléphone en privé. Selon Maïmouna, 16 ans, qui vit à Medina Yoro Foulah, « les enseignants prennent les numéros des élèves et les appellent la nuit ». Dans son cas, son professeur de français l’a envoyé chercher de l’eau pour lui, et lui a ensuite demandé de la lui rapporter dans sa chambre à l'école : « Mais après, il m'a rejoint là-bas et m'a demandé mon numéro de téléphone. » Maïmouna a refusé.[62]
Un directeur d'école de Sédhiou a expliqué à Human Rights Watch comment l'un des enseignants de son ancienne école de Sédhiou avait harcelé une élève. Il a enquêté sur l’affaire parce que la mère de l’élève avait menacé l’enseignant d’une action en justice : « C’était [à propos d’] une enfant de 5ème – elle avait 13 ou 14 ans. Je les ai appelés [enseignant et élève] et elle m'a tout raconté. Dans ce cas, la mère de l’élève a déposé un rapport [auprès du directeur]… elle a dit qu’il fallait que ça cesse ou qu’ils se retrouveraient devant les tribunaux. Donc, c’était sérieux. Il s’agissait d’un cas de harcèlement et de pression… [L’enseignant] avait l’habitude de dire ‘Je te retrouve à la maison’. Vraiment, c’était louche. Il lui a dit : ‘Si tu ne m’aimes pas … je te mettrai un zéro [aux examens]’ [et] ‘Je t’ai appelé, tu m’as donné ton numéro mais tu ne m’as pas appelé’. »[63]
Certaines élèves ont également confié à Human Rights Watch qu'elles se sentaient contraintes d'obtenir de bonnes notes pour le « Brevet de fin d'études moyennes », un examen permettant aux élèves de poursuivre leurs études secondaires au lycée, et à l'examen du « Baccalauréat » à la toute fin du lycée. Selon certaines élèves, il est très difficile de réussir ces examens et nombre d’entre elles se retrouveront à redoubler l'année afin d’obtenir de meilleures notes.[64] C’est pourquoi les filles sont particulièrement vulnérables à l'exploitation sexuelle au cours de l'année scolaire précédant l'examen.
Le phénomène fréquent de l’exploitation sexuelle en échange de bonnes notes est souvent familièrement appelé « notes sexuellement transmissibles » et, selon des organisations non gouvernementales et les médias, cela existe aussi bien dans les zones urbaines que rurales.[65]
Hawa, 17 ans, qui fait partie du groupe de jeunes leaders parmi les filles de son école à Sédhiou, constate que les « relations » pour les notes sont courantes dans son école. Elle a déclaré à Human Rights Watch : « Les enseignants te disent : ‘Si tu as des relations avec moi, je peux faire que tu sois la meilleure de la classe.’» L’amie proche de Hawa a été harcelée sexuellement par un enseignant à l’âge de 15 ans, en 5ème année du premier cycle du secondaire. Il lui a offert de meilleures notes et un soutien pour aider sa mère, mais l’amie de Hawa a refusé. Le même enseignant aurait également approché deux autres filles de la classe de Hawa.[66]
Dans quatre cas, des filles ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles estimaient que les enseignants leurs mettaient de mauvaises notes, les ignoraient en classe ou ne les laissaient pas participer lorsqu'elles refusaient leurs avances sexuelles.[67]
Aïssatou, 16 ans, originaire de Sédhiou, a expliqué :
Un jour, il [le professeur] m'a demandé d'aller chez lui. Quand je suis allée chez lui, il m'a proposé de me donner de l'argent et des moyens. Et je lui ai dit que non… parce que quand ils te disent ça, c’est qu’ils vont te mettre enceinte et ils vont te laisser toute seule. J'étais un peu stressée. C'était dans sa maison. Il est devenu un peu méchant, [il a dit] qu’il ne va pas me donner des bonnes notes.[68]
Après une série de mauvaises notes, Aïssatou a décidé de parler au directeur de son école, qui a alors parlé au professeur des allégations. Selon Aïssatou, bien que son professeur ait nié les allégations, les avances de l’enseignant ont cessé et elle n’a pas subi de représailles après l’intervention du directeur. Elle n'était au courant d'aucune autre mesure disciplinaire contre l'enseignant au-delà de cette discussion. Le même enseignant a exploité sexuellement au moins une autre fille, dont l’une de ses amies. Aïssatou a expliqué : « Il a fini par l’enceinter. Le professeur est toujours là, mais il sort avec d'autres filles ».[69] Il n’y avait à sa connaissance aucune sanction disciplinaire ou judiciaire prise à son encontre.
Cas d’exploitation sexuelle par des enseignants
Human Rights Watch a documenté 10 cas d’exploitation et d’abus sexuels dans le contexte de « relations » entre enseignants et élèves, la plupart d’entre elles âgées de 15 et 16 ans au moment des abus. Diverses filles et jeunes femmes ont fait référence à des enseignants qui ont eu de multiples « relations » avec des élèves pendant leur affectation à l'école.[70] Les « relations » étaient largement connues des enseignants et de certains directeurs, mais dans la plupart des cas aucunes mesures disciplinaires n'étaient prises.
Fanta, aujourd'hui âgée de 23 ans et originaire d'un village de la région de Sédhiou, a eu « une relation » avec son professeur âgé de 30 ans pendant près de deux ans, qui a commencé quand elle avait 16 ans et a entraîné une grossesse qui a mis fin à ses études :
J'étais dans sa classe… c'était toujours en cachette. Le professeur m'avait donné un exercice qu’on faisait chez lui. Après cela, on est restés comme ça [ensemble] pendant trois ans. On se retrouvait dans sa maison. Certains professeurs le savaient, mais ils n'ont rien dit. Je sentais la honte en classe… mes camarades savaient que je sortais avec lui.[71]
Dans un CEM de Sédhiou, au moins deux filles ont évoqué des cas d'enseignants qui avaient mises des élèves enceintes. Aïcha, 15 ans, qui est en dernière année de collège, a déclaré à Human Rights Watch : « Nous avons beaucoup de problèmes en tant que filles… il y a des enseignants qui approchent les jeunes filles ». Elle a expliqué à Human Rights Watch qu’un enseignant entretenait « une relation » avec l'une de ses camarades de classe :
Un enseignant est en prison à cause de ça… depuis l'année dernière, 2016. Il sortait avec une jeune fille en cachette. Elle avait 16 ans. Après, elle est tombée enceinte. Il a refusé d'accepter qu’il était [le père]. Quand la fille a eu le bébé [ils] on a fait un test ADN et on a emprisonné le professeur. Les parents de la fille ont porté plainte [contre l'enseignant]… La fille ne va pas à l'école, elle reste à la maison.[72]
Penda, 17 ans, qui étudie dans la même école à Sédhiou, a également expliqué à Human Rights Watch que son amie avait une « relation » avec son professeur de mathématiques lorsqu’elle avait 15 ans, en classes de 4ème et 3ème. Son amie est partie pour une école privée et la relation s'est terminée à ce moment-là. Mais selon Penda, l’enseignant, qui habite dans son quartier, a eu des « relations » avec d’autres filles de son école, dont l’une avait 16 ans.[73]
Maïmouna, citée précédemment, a déclaré à Human Rights Watch que son amie, âgée de 14 ans à l'époque, avait une « relation » secrète avec un enseignant. Le professeur l’appelait pour la voir la nuit. « Il la voyait souvent pendant deux ans. Le professeur lui a donné de l'argent et elle cachait ça [la relation] à sa famille. »[74]
Les relations entre enseignants et élèves mineures restent illégales, quel que soit l’âge de l’élève ou son consentement à avoir des relations sexuelles avec un enseignant. Quand une élève a moins de 16 ans, ces soi-disant « relations » constituent un viol au regard du droit pénal sénégalais. Cependant, les enseignants et les responsables scolaires - qui sont tous en position d'autorité - pourraient également être reconnus coupables d'infractions sexuelles contre un enfant passibles de la peine maximale de 10 ans.[75]
Les enseignants entretiennent également des « relations » avec des élèves âgées de plus de 18 ans. Selon un directeur d'école, il est possible que les enseignants âgés de 22 ou 23 ans lors de leur première affectation aient moins de scrupules à sortir avec des élèves légèrement plus jeunes qu'eux.[76] Bien que les relations avec des élèves de plus de 18 ans ne soient pas illégales ni qualifiées d’infraction sexuelle contre un enfant en vertu de la loi sénégalaise, elles peuvent tout de même être contraires à l’éthique et relever de l’exploitation, ainsi que constituer une violation des obligations éthiques d’un enseignant.
L'exploitation sexuelle se produit lorsque les enseignants abusent de leur position pour exercer un pouvoir indu sur les élèves auxquelles ils enseignent, qu’ils influencent ou sur lesquelles ils semblent avoir du pouvoir ou du contrôle. Cela viole le devoir de diligence des enseignants et les responsabilités éthiques envers leurs élèves. Les responsables scolaires ne devraient tolérer aucun cas où des enseignants ou des responsables scolaires abusent de leur pouvoir à des fins sexuelles. Ils devraient appliquer une politique interdisant les « relations » entre d’une part les enseignants et les responsables scolaires - qui exercent le pouvoir et l'autorité - et d’autre part les élèves à l'école et en dehors de l'école.
Allusions sexuelles injustifiées et comportements inappropriés dans les écoles
Les avances ou propositions inappropriées des enseignants affectent l’environnement d’apprentissage et incitent certaines élèves à se méfier de leurs enseignants. Certains enseignants utilisent un langage ou des gestes inappropriés lorsqu'ils s’adressent à des élèves ou font référence à d'autres élèves de leur classe.[77] Certains de ces actes peuvent constituer un délit sexuel de harcèlement sexuel et représentent une violation manifeste des obligations éthiques de l’enseignant.[78]
Dans le village d’Ounck, dans la région rurale de Ziguinchor, Aïssatou, âgée de 16 ans, a déclaré à Human Rights Watch qu’elle s’était sentie mal à l’aise quand son professeur l’avait abordée au début de l’année scolaire : « Il m’a dit, ‘Comment tu t’appelles ? Tu viens d’où ? Tu me plais beaucoup.’ Je lui ai dit : ‘Moi je ne t’aime pas. Je ne sors pas avec les enseignants.’» [79] De la même façon, Nafissatou, 17 ans, qui vit dans le village voisin de Congoly, a déclaré : « Les enseignants nous disent souvent ‘je t'aime’… il y a des enseignants qui ont des relations pour se marier, et d'autres pour te gâter. »[80]
Soukeyna, maintenant âgée de 20 ans, a évoqué sa rencontre indésirable avec son professeur au collège : « Un jour, il m'a appelée et m'a parlé de mes études. Tout à coup, il m'a dit qu'il serait heureux si je devenais sa troisième épouse. » Bien que l’enseignant ne l’ait pas davantage poursuivie, sa proposition a fortement influencé la confiance de Soukeyna dans les enseignants : « C’est quelque chose qui m’a beaucoup touchée. J'avais l'habitude d'avoir des relations amicales avec mes professeurs. Psychologiquement, cela m'a affectée. »[81]
Au moins trois filles ont déclaré avoir été frappées sur les fesses.[82] Amy, 14 ans, d’Ounck, a déclaré que l’un de leurs professeurs lui avait donné une claque sur les fesses avec la main : « Les filles ne disent rien… mais ce n’est pas bon. Nous ne voulons pas qu’ils nous frappent ou nous touchent ».[83]
Pour éviter une mauvaise expérience à l'école, certaines filles ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles s'étaient « protégées » en devenant distantes avec les enseignants. Les élèves semblaient avoir le sentiment que maintenir des limites appropriées avec leurs enseignants était de leur responsabilité. De nombreuses élèves ont déclaré qu'elles ne donnaient pas d’opportunités aux enseignants en ne les « provoquant » ou ne les « tentant » pas.[84] Elles évitaient particulièrement d’aller à la salle des enseignants, ne cherchaient pas à contacter les enseignants en dehors des heures de classe et s’habillaient sobrement pour éviter d’attirer l’attention d’un enseignant.[85]
Lors de certains entretiens et discussions de groupe, des filles ont déclaré que le choix des tenues par les élèves était responsable de l’attention inutile des enseignants.[86] Par exemple, lors d’une discussion de groupe dans un CEM de Sédhiou, les filles ont estimé qu’un moyen important d’éviter les problèmes était de ne pas utiliser des « tenues sexy, de ne pas montrer leurs seins… pour ne pas envoyer de message aux hommes qu’elles sont prêtes ».[87] Ce type de message préjudiciable, qui place le fardeau et le blâme sur les filles pour les actions des enseignants, est souvent propagé par les enseignants, les responsables scolaires et les parents.[88]
Lutter contre les stéréotypes qui font que les filles se sentent coupables d'avoir provoqué une exploitation sexuelle et les abus commis contre elles devrait être une priorité absolue, selon Ndèye Fatou Faye, psychologue au Centre d'orientation infantile et familiale de Dakar. Faye estime que les écoles et les communautés devraient cesser de blâmer les filles pour leur exploitation, se concentrer davantage sur la formation des enseignants à leurs responsabilités professionnelles, sur les moyens de prévenir la violence sexuelle ainsi que sur la manière de reconnaître les signes révélateurs d’abus sexuels commis sur des enfants.[89]
En vue de mettre fin à la culture du silence autour de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus en contexte scolaire, ainsi que des abus commis par d’autres pairs et adultes, le gouvernement devrait soutenir une campagne d’éducation publique s’adressant aux élèves et aux jeunes. La campagne devrait être élaborée en consultation avec les jeunes et traiter de ce qui constitue un comportement inacceptable de la part des enseignants et des adultes ayant autorité sur les élèves, des moyens de faire part de leurs préoccupations ainsi que de signaler les abus, et des mécanismes permettant de les signaler de manière confidentielle.
IV. Progrès limités dans la lutte contre l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus à l'école
Si les filles accusent un enseignant [de harcèlement] et le disent au principal [de l’école], l’enseignant va nier tout. Les filles ont peur de dénoncer - ils [l'administration et les enseignants] peuvent même détruire notre carrière.
—Penda, 17, Sédhiou, 25 octobre 2017
Bien que des poursuites aient été engagées pour viol en milieu scolaire, les éléments de preuve recueillis par Human Rights Watch suggèrent que les poursuites ou les réparations pour exploitation ou harcèlement sexuel ont été rares. Le système de signalement est généralement faible, car les victimes d'abus hésitent à signaler les cas au sein même des écoles. Human Rights Watch a également constaté que souvent les responsables de l'éducation n'agissent pas ou ne signalent pas à leurs propres supérieurs les cas d'exploitation sexuelle ou de harcèlement qui ont été portés à leur connaissance.
Au niveau de l'école, les responsables des écoles ne semblent pas prendre de mesures afin de lutter contre ou de prévenir toutes les formes répandues d'exploitation sexuelle - telles que les propositions inappropriées ou les « relations » entre élèves et enseignants - qui constituent dans certains cas, des infractions sexuelles.
Au Sénégal, parler de harcèlement sexuel est considéré comme un sujet tabou pour les filles ainsi que pour les femmes.[90] Dans de nombreux cas, les filles concernées ne signalent pas les abus sexuels. En conséquence, les jeunes survivantes de viols et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que celles qui sont victimes d’exploitation, voient rarement leurs cas portés devant les tribunaux ni ne voient leurs agresseurs punis. Les filles ont également rarement accès aux services de santé appropriés ou à la police.[91]
Poursuites pour viol
Depuis la fin des années 2000, les médias locaux ont régulièrement rapporté les procès d’enseignants accusés d’infractions sexuelles de viol et d’actes de pédophilie en contexte scolaire, suscitant l'inquiétude généralisée selon laquelle les élèves étaient exposées à la violence sexuelle en contexte scolaire.[92] Human Rights Watch s'inquiète de la fréquence à laquelle ces rapports révèlent l'identité exacte des jeunes survivantes de viol, leur lieu de vie ainsi que les détails de l'infraction.[93] Selon Seckou Balde, responsable de la santé psychiatrique au centre de santé de Kolda, l’absence de protection de l’identité de la survivante ainsi que la représentation négative des survivantes dans les médias dissuadent les jeunes survivantes de porter plainte.[94]
Les responsables gouvernementaux qui se sont entretenus avec Human Rights Watch estiment que les cas de viols en contexte scolaire commis par les enseignants ont globalement diminué, en partie du fait du nombre régulier de poursuites engagées contre des enseignants et de l'augmentation des mécanismes de protection de l'enfance au niveau local.[95] Cependant, cela pourrait être fondé sur une opinion : les experts juridiques et les responsables gouvernementaux qui ont parlé avec Human Rights Watch n'étaient au courant que de peu de poursuites pour viol engagées contre des enseignants ou du personnel scolaire.[96]
À Dakar, les médias locaux ont signalé au moins 14 procès pour viol en milieu scolaire depuis 2013 et plus de 10 à Kolda, Sédhiou et dans d'autres régions du pays.[97] Human Rights Watch a appris l’existence, par le biais d'entretiens, d’au moins sept poursuites judiciaires à Dakar et dans les régions de Kolda et de Ziguinchor. Par exemple, à Medina Yoro Foulah, la région la plus septentrionale de Kolda, un enseignant a été condamné à quatre ans d'emprisonnement pour avoir violé une élève de 12 ans dans son bureau à l'école en 2014.[98] À Ziguinchor, un enseignant a été jugé pour avoir violé une élève de 16 ans à l'école.[99]
Bien que ces poursuites aient signifié que le viol par les enseignants est intolérable, l’exploitation sexuelle et le harcèlement continuent de poser de graves problèmes.
Peu d’actions entreprises pour exiger des comptes aux auteurs d’exploitation sexuelle et de harcèlement
Les preuves recueillies par Human Rights Watch suggèrent que les enseignants qui ont exploité sexuellement des élèves dans le cadre de « relations » ne font généralement pas l'objet de sanction légale sérieuse ni de sanction professionnelle. Leur comportement est parfois toléré ou tout au plus, ils sont réprimandés ou reçoivent un avertissement par leurs pairs ou par le principal de l’école, sans plus de conséquences. Les récidivistes, tels que les enseignants qui exploitent sexuellement plus d'une élève lors de leur affectation à l'école, témoignent de l'impunité dont ils semblent bénéficier.[100]
Dans une école moyenne de Sédhiou, où plusieurs élèves ont affirmé avoir été victimes de harcèlement sexuel de la part d'enseignants, une enseignante a déclaré à Human Rights Watch que l'un de ses collègues était « sorti » avec trois élèves. Le professeur a déclaré : « Dans cette école, il y a des enseignants qui se jettent sur leurs élèves. L'année dernière, il y avait trois filles dans cette école [ciblées par l'un des plus jeunes enseignants] - une des filles, ses parents étaient au courant et ils se sont plaints. » Bien que l'ancien principal ait averti ce professeur, il enseigne toujours à l'école.[101]
L'enseignant qui a abusé de Fanta et l'a mise enceinte, mentionné dans une section précédente, continue d'enseigner au CEM d'un village de la région de Sédhiou.[102] Le père de Fanta s'est entretenu avec le principal, mais l'école n'a pas mené d'enquête.[103]
Hawa Kandé, responsable des questions d’égalité de genre à l’Inspection de l’éducation dans la région de Kolda, a déclaré à Human Rights Watch que bien que le signalement d’abus sexuels soit anonyme : « Les relations [entre enseignants et élèves] sont tellement fréquentes, qu’ils [les enseignants] ont banalisé ça ».[104]
Plusieurs personnes ont signalé des cas d’enseignants épousant leurs élèves, notamment dans les cas où les filles étaient mises enceintes par leurs enseignants.[105] Dans certains cas, les familles ont négocié un règlement financier informel afin de couvrir le coût des consultations prénatales et de santé pour une fille pendant la grossesse ainsi qu’une allocation de base.[106]
Par exemple, Koumba Ndiaye, défenseure des droits des femmes à Medina Yoro Foulah, une petite ville proche de la frontière avec la Gambie, a agi en 2011 en tant que médiatrice pour le processus concernant une fille qui avait été agressée sexuellement par son professeur, dans le cadre d’une « relation » : « Elle avait 16 ans. Le professeur lui a financé [lui a donné] un portable… lors qu’elle est tombée enceinte… son père l’a chassée de sa maison. » Ndiaye a décrit comment elle a négocié avec l’enseignant pour qu’il paie les frais de naissance et d’entretien du bébé. Dans le cadre de cette négociation, Ndiaye a exigé que l'enseignant demande une mutation dans une autre région. Ni Ndiaye ni la famille de la fille n’ont porté plainte contre l’enseignant auprès de la police.[107]
Pression communautaire pour éviter les poursuites judiciaires
Dans la plupart des petites villes et villages où Human Rights Watch a mené des recherches, les familles ont souvent résolu des cas de viol, d'exploitation sexuelle et de violence sans impliquer ni le système judiciaire ni l’école, c'est-à-dire chez elles ou dans leur communauté. Souvent, lorsque les parents découvrent qu’une fille ou une jeune femme est enceinte en dehors du mariage, ils préfèrent régler les conditions avec le père du bébé ou organiser un mariage entre eux.[108] C'est ce que l'on appelle communément « maslaha » et « jokere endam », qui signifient « dans l'intérêt commun » en wolof et « préserver la parenté » ou le « bon voisinage » en langue pulaar, respectivement.[109]
Mariama Barry, une activiste locale qui dirige une brigade locale de femmes pour mettre fin à la violence contre les femmes à Kolda, a déclaré à Human Rights Watch : « Elles [les jeunes filles] ont vraiment peur de parler de violence sexuelle… les gens n'ont pas l'habitude de dénoncer et de parler de leurs problèmes ». Barry a expliqué à Human Rights Watch que de nombreuses mères avertissent leurs filles de ne pas parler de tels incidents : « C'est ce qui trouble la communauté - si vous conduisez quelqu'un en justice, vous serez isolée ».[110]
Certaines communautés accordent un statut spécial à des enseignants et responsables scolaires qui sont très souvent envoyés d’autres régions du Sénégal, en raison de leur niveau d'instruction et du rôle qu'ils jouent dans la communauté. Cela rend plus difficile la dénonciation des actes d’exploitation ou d’abus commis par les enseignants et contribue à une culture du silence autour des actes illicites commis dans les écoles.
Lorsque Fanta, maintenant âgée de 23 ans, a tout d’abord dit à ses parents qu’elle était enceinte de son professeur, ils l’ont expulsée de leur maison.[111] Fanta a expliqué à Human Rights Watch qu’elle avait honte en classe parce que ses camarades de classe savaient qu’elle avait « une relation » avec l’enseignant et que l’enseignant a nié être le père de son enfant.[112] Bien que ses parents l’aient reprise, le père de Fanta a déclaré à Human Rights Watch qu’au village « Les gens vous regardent différemment… notre tradition interdit vraiment à une fille de tomber enceinte [hors mariage] ».[113]
Selon des experts du Centre de guidance infantile et familiale, qui apportent un soutien psychologique aux parents et aux enfants, les parents sont souvent réticents à signaler les abus et l’exploitation parce qu’ils s’inquiètent de l’opinion de leur communauté. La plupart des parents n'ont presque jamais accès à des services ni à un soutien professionnel afin de les aider à gérer les abus commis contre leurs enfants.[114]
Efforts en milieu scolaire afin de lutter contre l'exploitation, le harcèlement et la violence sexuelle
Une stratégie nationale cohérente visant à mettre fin à toutes les formes de violence sexuelle dans les écoles - en particulier les questions taboues telles que l’exploitation sexuelle et le harcèlement - fait défaut.[115]
Les collèges et lycées visitées par Human Rights Watch ont généralement assumé une position ferme contre la violence sexuelle en contexte scolaire dans son ensemble, et se sont concentrées sur la lutte contre les obstacles financiers et sociaux rencontrés par les filles dans le secondaire. Human Rights Watch a constaté que cela découle souvent du leadership et de l'initiative personnelle des directeurs et des enseignants engagés, plutôt que d'un effort national concerté, basé sur des directives ou des règlementations du gouvernement.
Les efforts nationaux ou régionaux de prévention ou de réduction des abus et de l’exploitation sexuelle sont souvent étroitement liés aux campagnes de prévention des grossesses adolescentes et celles pour l’autonomisation des filles grâce à l’information et en leur fournissant des articles essentiels, notamment des serviettes hygiéniques et du matériel scolaire, sans lesquels de nombreuses filles feraient face à encore plus d'obstacles à leur éducation.[116] Les partenaires du développement, notamment les bailleurs de fonds et les agences des Nations Unies, ont largement fourni un appui financier ou technique grâce au « Cadre de coordination des interventions sur l’éducation des filles » du ministère de l’Éducation nationale.[117]
Au niveau de l’école, certains directeurs ont mis l’accent sur l’adoption d’une politique de tolérance zéro à l’égard des abus sexuels ou de l’exploitation par le personnel de leur école. Par exemple, Tacko Koita, principale d’un CEM dans le village de Mpak à Ziguinchor, rappelle régulièrement à son personnel ses obligations éthiques et met en garde ses adjoints et les enseignants contre un comportement inapproprié, voire illégal, avec les élèves : « En tant que principale, je parle avec tous mes adjoints. Il faut les avertir. La loi couvre les enfants mineures. Il faut qu’ils sachent qu’ils ont des responsabilités. Si quelque chose arrive, ils sont prévenus ».[118] Néanmoins, malgré cet avertissement, les élèves qui ont fréquenté cette école moyenne ont signalé des cas de « relations » et de comportement inapproprié de la part de leurs enseignants.[119]
Dans une école de Kolda, Lalia Mané, une enseignante d’un CEM et membre de l’initiative du gouvernement en faveur de l’éducation des filles, a déclaré à Human Rights Watch que le harcèlement sexuel de la part des enseignants s'est arrêté après que les enfants aient suivi des formations approfondies sur les droits des enfants et la violence contre les enfants, et qu’un observatoire ait été mis en place dans l'école. Mané a expliqué : « Je dis à mes élèves, s’il y a un professeur qui vous demande des faveurs … il faut aller porter plainte à la police … je ne le cache pas. »[120] Les élèves de cette école n'ont signalé aucunes avances inappropriées ou cas de violence ou d'exploitation sexuelle au cours des entretiens avec Human Rights Watch.
Certains directeurs et responsables scolaires ont également essayé d'adopter une politique de l’uniforme scolaire obligatoire afin de garantir que toutes les élèves soient habillées conformément aux normes établies par la direction de l'école et l'association des parents et enseignants. Malheureusement, cette initiative répond à la perception commune du personnel scolaire selon laquelle les vêtements des élèves les exposent à l’exploitation de part de leurs enseignants.[121]
Système de signalement dysfonctionnel et attitude discriminatoire de la part des directeurs
Les efforts de protection de l'enfance au Sénégal ont toujours été sporadiques, non coordonnés et sous-financés.[122] En 2013, le gouvernement a adopté une stratégie nationale globale de protection de l'enfance, visant à établir un système complexe de protection de l'enfance qui relie tous les acteurs concernés aux niveaux du village, du district, de la région et du pays.[123] Ce nouveau système a mis en place des comités de protection de l’enfance, qui ont été créés afin de rassembler un éventail de représentants de l’éducation, de la justice et des gouvernements locaux avec des ONG et d’autres acteurs qui fournissent des services aux enfants touchés par la violence. Cette stratégie visait également à renforcer la coordination afin de prévenir toute forme de violence ou d’abus contre les enfants ainsi qu’à améliorer le signalement des violations des droits de l’enfant, où qu’elles se produisent.[124]
Bien que la stratégie s’accompagne d’un plan d’action, le gouvernement n’a pas alloué jusqu’à présent de ressources suffisantes permettant de déployer cette stratégie de façon uniforme.[125] Human Rights Watch a constaté un fossé entre ce mécanisme de coordination et les signalements au niveau de l'école, en particulier en ce qui concerne les cas d'exploitation sexuelle, de harcèlement et d'abus.
Selon le chef de l’Inspection de l’éducation à Vélingara, dans la région de Casamance, les directives des responsables scolaires sont claires : tous les trois mois, les directeurs d’école doivent signaler tout cas lié à la protection de l’enfant, notamment concernant la violence sexuelle et sexiste, ainsi que les grossesses et les cas de mutilation génitale féminine - aux inspections locales de l'éducation.[126] L’Inspection de l’éducation les signalera à son tour au sein du système éducatif et informera le comité de protection de l’enfance approprié.[127]
En théorie, les directeurs sont légalement tenus de signaler directement à la police les cas de viol ou d’autres incidents criminels. Ils devraient également signaler les autres violations des droits des enfants ou les incidents touchant les élèves aux comités de protection de l'enfance. Une fois qu'une affaire est signalée à un comité de protection de l'enfance concerné, une série d'acteurs, notamment des agents de protection de l'enfance, des policiers et des procureurs, participent à la réponse qui, dans certains cas, nécessite l'adoption de mesures urgentes afin d’aider ou de protéger un enfant.[128]
Human Rights Watch a identifié trois facteurs clés qui ont amoindri la déclaration systématique d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus commis par les enseignants et d’autres membres du personnel scolaire à l’encontre des élèves : les perceptions culturelles selon lesquelles les filles et les jeunes femmes sont responsables des avances de leurs enseignants ; une préoccupation face à la perte d'enseignants compte tenu de leur nombre insuffisant dans les zones rurales en particulier ; et le manque de clarté sur ce qui constitue de l’exploitation sexuelle.
Obstacles au signalement à l’école
Le principal veut protéger ses éléments. Les profs peuvent avoir beaucoup de problèmes. Il faut parler avec lui pour qu’il s’arrête. [Sinon], il risque dix ans de prison.
—Principal d’un collège moyen secondaire, région de Kolda, octobre 2017
Human Rights Watch a constaté que les directeurs exercent généralement une grande influence sur le fait que des cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’abus dans les écoles soient ou non signalés à la police ou aux services d’inspection de l’éducation. Plusieurs directeurs ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils préféraient traiter tout incident d'exploitation ou d'abus au sein des murs de l'école afin de protéger leur personnel ainsi que d’empêcher les inspections de l'éducation de les contrôler.
Les directeurs d’école et les enseignants ne sont pas à l’abri des préjugés ni de l’approche de la communauté face aux abus. L’un des problèmes du signalement est le parti pris du directeur, ainsi que l’absence de définition de l’exploitation sexuelle dans les directives scolaires et une culture répandue de culpabilisation des filles.
Certains directeurs ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils n’avaient pas signalé de cas parce qu’ils ne faisaient pas entièrement confiance aux élèves concernant les allégations d’abus sexuels commis par leur personnel.[129] Certains directeurs et membres du personnel de l’école ont également parlé du comportement instable des adolescentes, du désir des élèves d’attirer l’attention et de la façon dont certaines élèves « tentaient » leurs enseignants en portant des vêtements plus serrés ou plus courts.[130]
Selon un ancien principal d’un lycée interrogé à Dakar :
Les filles ont leurs règles, elles sont des filles mûres. [Il y a des] filles qui provoquent [leurs professeurs] ou bien des enseignants qui sont pratiquement de la même génération que les filles … le risque est très gros. Les filles vont voir leurs enseignants sous prétexte d’apprendre chez eux.[131]
Pourtant, plusieurs membres du personnel éducatif ont déclaré qu’ils hésitaient à signaler les enseignants par crainte de perdre du personnel déjà en nombre limité et de souffrir du ternissement de leur réputation.[132] Le principal d'un CEM d'un village de la région de Kolda a expliqué:
Si une fille a été harcelée, nous appelons le professeur. Nous essayons de l'écouter et nous enquêtons. Nous n'appelons pas le comité départemental de protection de l'enfance… si vous les appelez, l'enseignant rencontrera des problèmes. Nous essayons de résoudre cela à l'amiable.[133]
Human Rights Watch n'a pas trouvé de preuve d'une obligation légale spécifique pour les directeurs et les hauts responsables de l'école de signaler les infractions sexuelles criminelles à la police.
En plus du principal, de nombreuses écoles ont des membres du personnel et des structures chargés de surveiller et de signaler les problèmes relevant de la protection de l’enfance dans les écoles. Certains membres du personnel scolaire appartiennent à des comités locaux de protection de l'enfance, qui font partie du comité national des enseignants pour promouvoir l'éducation des filles (CNEP-SCOFI), ou participent à un observatoire scolaire informel composé d'élèves, d'enseignants et de responsables administratifs des écoles, ayant pour but de surveiller les élèves vulnérables et les élèves à risque de décrochage scolaire.[134]
Certaines des plus grandes écoles secondaires visitées par Human Rights Watch ont une hiérarchie dans le signalement des affaires relevant de la protection des enfants. Le personnel éducatif ou administratif doit d’abord être informé d’un problème, avant de porter la plainte ou l’allégation au niveau du principal. Dans une école de plus de 1 000 élèves à Sédhiou, un principal a expliqué à Human Rights Watch qu’en général les surveillants de l’école ou l’enseignant principal de chaque classe sont les premiers au courant et qu’ils évaluent ensuite s’ils doivent ou non l’informer.[135] Cette hiérarchie pourrait constituer un obstacle supplémentaire au signalement.
Même lorsque les enseignants veulent signaler un comportement préjudiciable ou illicite, il se peut que certains pensent qu'ils ne peuvent pas le faire, par peur d'accuser leurs collègues, sachant les conséquences éventuelles auxquelles ils s’exposent.[136] Un enseignant d’un CEM de la région de Kolda a déclaré à Human Rights Watch : « Nous sommes au courant de certaines violences, mais on n’ose pas les dénoncer. »[137]
Les hauts responsables de l’école devraient être obligés de mener des enquêtes à la suite d’allégations de comportement inapproprié et, si une loi pénale semble avoir été violée, renvoyer les auteurs présumés à la police. Le ministère de l’Éducation nationale devrait publier une directive décrivant l’obligation légale des responsables de l’école de signaler tout incident ou toute allégation.
Les directeurs doivent recevoir des formations complètes sur la façon de mener les enquêtes initiales de manière adéquate et équitable et, le cas échéant, en fonction du type d’infraction, signaler les cas aux autorités de l’enseignement supérieur, ou immédiatement à la police. Ceux qui ne le font pas devraient faire eux-mêmes l'objet de procédures disciplinaires et, si leur comportement constitue une entrave à la justice, des poursuites pénales.
Moyens de dissuasion et obstacles au signalement rencontrés par les élèves
Human Rights Watch a constaté que de nombreuses élèves étaient réticentes à signaler les abus et l'exploitation sexuelle de la part du personnel scolaire en raison de leur compréhension limitée de ce qui constitue une infraction sexuelle et un comportement illégal, d'un système de signalement peu clair et des obstacles à la dénonciation, notamment le manque de confidentialité.
De nombreuses élèves ne comprennent pas totalement ce que sont les infractions sexuelles, ni la pleine portée des moyens de signaler ces infractions chaque fois qu'elles surviennent. Cela reste un problème fondamental pour identifier l'étendue complète des violences sexistes dans le contexte scolaire. Par exemple, une consultation avec plus de 500 élèves de Dakar, dirigée par le Centre de guidance infantile et familiale, a révélé que si les élèves comprennent que le viol est un crime et sont enclins à le signaler, ils ne reconnaissent pas les attouchements sexuels, le harcèlement ou les tentatives de viol comme abus sexuel.[138] Human Rights Watch a constaté que de nombreux élèves ont normalisé la réalité des « relations » dans le contexte scolaire et que, même si beaucoup ont identifié que ce n’était pas correct, ils ne l'ont pas perçu comme de l’exploitation sexuelle. Les écoles doivent veiller à ce que les élèves comprennent mieux ce qui constitue l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, afin de pouvoir les identifier et les signaler.[139]
Les filles et les jeunes femmes qui ont été harcelées, exploitées ou maltraitées par des enseignants ou d'autres adultes ont peu d'options pour signaler un incident de façon confidentielle.
Certaines élèves ont affirmé à Human Rights Watch qu'elles ne demanderaient pas d'aide à leurs directeurs ou enseignants parce qu'elles estimaient que leurs demandes seraient rejetées. Certaines des filles qui ont parlé à Human Rights Watch d'un abus qu'elles ont subi ou du cas d'une amie proche ont expliqué qu’elles confiaient souvent leurs expériences à leurs amies et prenaient conseil auprès d'elles. Des psychologues du Centre de Guidance Infantile et Familiale de Dakar ont déclaré à Human Rights Watch que souvent les enfants ne veulent pas signaler les abus commis par une figure d’autorité.[140]
Cependant, il existe également un certain nombre d’autres obstacles. Pour signaler un viol dans un poste de police, les survivantes doivent présenter un certificat médical.[141] Le signalement d'un viol devient ainsi un obstacle financier pour certaines jeunes survivantes. Bien que les certificats médicaux puissent être obtenus gratuitement dans les centres d’accueil sans rendez-vous, les survivantes doivent payer environ 10 000 francs CFA (19 dollars US) pour en obtenir un si elles n’ont pas de recommandation.[142]
Dans les zones urbaines, des organisations connues telles que l'Association des juristes sénégalaises, une organisation nationale dirigée par des femmes juristes, ou la section sénégalaise du Planning familial international et l’Association pour le bien-être familial (ASBEF), aident les survivantes à accéder aux services et à l’assistance juridiques. Les enfants peuvent également s'adresser à l’Agence d’assistance juridique du gouvernement axée sur l’enfance, l’AEMO, qui accompagne les enfants dans leurs démarches judiciaires.[143]
Afin de s'assurer que les élèves signalent effectivement tout incident, le gouvernement doit également s'attaquer aux stéréotypes qui incitent les filles à se sentir responsables de l'exploitation et des abus sexuels commis contre elles. En plus de recommander des formations et des ateliers pour les enseignants et les élèves, le gouvernement devrait également intégrer les questions de genre dans son programme scolaire, longtemps attendu, sur l'éducation en matière de santé sexuelle et reproductive. Le gouvernement devrait rendre les signalements plus faciles et confidentiels pour tous les élèves, que ce soit sous la forme d'un enseignant désigné et formé qui dépose des plaintes à titre confidentiel, ou d'une ligne de signalement confidentielle au comité de protection de l'enfance adéquat.
Problèmes avec les inspections et les comités de protection de l'enfant
Les membres des comités de protection de l'enfance de Ziguinchor et de Vélingara consultés par Human Rights Watch ne disposaient pas du nombre exact de condamnations d'enseignants pour abus sexuels, ni du nombre de cas en contexte scolaire signalés aux comités.[144]
Au sein du système éducatif, la collecte de données dépend de ce que les écoles signalent aux inspections locales ou régionales, et de ce que les inspections font de ces informations. Par exemple, l'inspection régionale de l'éducation à Kolda n'avait pas compilé de données sur la violence sexuelle et sexiste et l'exploitation dans les écoles pour toute la région.[145] Au niveau sous-régional, certaines données existaient : à Vélingara, le chef de l’inspection de cette région orientale de Kolda a déclaré à Human Rights Watch avoir reçu au cours de l’année scolaire 2016-2017, 62 plaintes ou allégations de grossesses d’adolescentes et de quelques cas de harcèlement sexuel, commis par des élèves et des adultes qui ciblaient des filles à proximité de l'école ou sur le chemin de l'école.[146] Cet inspecteur a noté que lorsque les écoles signalent des abus aux inspections locales, elles ne communiquent pas toujours de détails sur le profil de l’auteur de ces abus.[147]
Les hauts responsables scolaires rencontrent également des problèmes avec certains services d’inspection. Dans un cas, un principal d’un CEM dans la périphérie de la ville de Kolda a affirmé à Human Rights Watch qu'il avait été déçu par les inspecteurs : « S'il y a un problème, vous devez informer le niveau suivant. Mais c’est là que les choses sont cachées… ce sont eux qui ne signalent pas cela au niveau de l’inspection ».[148] Le principal a déposé une lettre de plainte pour abus sexuels commis contre une élève sur le chemin de l'école, mais la lettre n'est jamais passée par le système :
Je ne travaille pas avec les inspecteurs. Si j'ai un problème, je vais le résoudre. Ils ont peur… c’est de la complicité. Il n'y a pas de suivi [d'une affaire]. S’il y a quelqu'un qui détruit une enfant, je ne peux pas le laisser la détruire.[149]
Le système de signalement souffre également d'une pénurie de ressources humaines. Par exemple, la sous-région de Medina Yoro Foulah, dans le nord de Kolda, compte 13 écoles moyen secondaire, 2 lycées et 200 écoles publiques. Pourtant, seul un responsable régional de l’éducation supervise toutes les questions et tous les contenus éducatifs dans cette vaste région, notamment les allégations d’exploitation et d’abus sexuels, les abandons scolaires dus au mariage des enfants et d’autres obstacles à l’éducation des filles.[150]
Ces difficultés affectent la capacité du gouvernement à déterminer si son mécanisme de protection de l’enfance fonctionne efficacement. Cela affecte également l'exactitude des données nationales sur la prévalence de la violence sexuelle et sexiste en contexte scolaire. Il convient de rappeler à tous les acteurs gouvernementaux leur obligation de signaler tout incident affectant les élèves. Les services d’inspection de l’éducation devraient soumettre en temps voulu des rapports sur les cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’abus, ainsi que d’autres violations des droits des enfants, aux comités de protection de l’enfance compétents et au ministère de l’Éducation nationale.
Manque d'enseignants convenablement formés et d'enseignantes
Les enseignants et les experts en protection de l’enfance qui se sont entretenus avec Human Rights Watch ont attribué les fautes professionnelles des enseignants au manque de formation approfondie des nouveaux diplômés.[151] Le gouvernement a en effet, depuis près de deux décennies, recruté des enseignants non qualifiés, dont la plupart ont évité la formation enseignante.[152]
Selon un rapport du programme de l’agence d’aide des États-Unis sur la sécurité dans les collèges moyen secondaire au Sénégal en 2010, environ 60 % des enseignants sont des jeunes hommes et près de la moitié n’ont aucune formation préalable, notamment en matière d’orientation, sur le code de déontologie ou sur la violence sexuelle et sexiste en milieu scolaire.[153]
Le gouvernement reconnaît que la formation des enseignants doit de toute urgence se concentrer sur l'éthique et la déontologie et a critiqué ce qu'il appelle le « déclin » du système éducatif.[154] Le gouvernement précise l'importance de la formation des enseignants sur les questions liées au genre, à la violence sexiste, au VIH et aux maladies sexuellement transmissibles, mais ne spécifie pas de formation sur les questions liées à la protection des enfants dans les écoles.[155] Le projet du gouvernement pour soutenir l'éducation des filles aurait censément renforcé la formation de tous les acteurs de l'éducation sur le genre, notamment de ceux qui analysent les manuels des enseignants afin de s’assurer qu'ils n’entérinent pas les stéréotypes sexistes, mais il ne semble pas cibler la violence sexuelle et sexiste ni l'exploitation sexuelle dans les écoles.[156]
Saourou Sené, secrétaire général de l'un des plus grands syndicats d'enseignants du secondaire, a confirmé : « Nous avons des enseignants très jeunes et peu formés. Il y a des enseignants temporaires et ceux qui ne devraient pas enseigner… il faut faire plus… [comme par exemple] une formation du gouvernement pour qu’ils soient conscients de la vulnérabilité des enfants… nous devons être des modèles d’intégrité ».[157] Selon M. Sené, le ministère de l'Éducation nationale n'a pas encore réuni tous les enseignants et les syndicats pour discuter des questions de protection de l'enfance dans les écoles.[158]
Bien que les enseignantes soient censées être des modèles pour les filles et agir comme conseillères, elles sont peu nombreuses dans le système éducatif secondaire : en 2015, le Sénégal ne comptait que 5 564 enseignantes, chiffre à comparer aux 22 165 enseignants employés.[159] La plupart des enseignantes sont en général basées dans des zones essentiellement urbaines.[160] Elles ne sont pas formées pour être des conseillères, à moins qu'elles ne se spécialisent à l'université.[161] Dans de nombreuses zones rurales, le personnel enseignant est composé uniquement d’enseignants de genre masculin.
Selon les responsables de l’éducation, une partie du problème réside dans le fait qu’il est difficile d’attirer des enseignantes qualifiées dans des zones plus reculées, car cela impliquerait de déplacer leurs familles dans une région où les services sont très limités. Bien que les directives du ministère de l’Éducation nationale en matière de ressources humaines prescrivent un quota de 10% de postes réservés aux femmes occupant des postes de responsabilité ainsi qu’une « prime de genre » pour promouvoir l’accès des femmes à des rôles avec plus de responsabilités, la participation reste faible.[162]
Pour lutter contre l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus au sein de la profession enseignante, il est urgent de veiller à ce que tous les enseignants et membres du personnel scolaire, qu'ils soient dans le système éducatif depuis longtemps ou parmi les enseignants les plus récents, suivent une formation approfondie sur la violence sexuelle et sexiste à l'école. Cette formation devrait doter les enseignants et le personnel des écoles d’outils permettant de réduire les risques d’exploitation sexuelle, de harcèlement ainsi que d’allusions sexuelles non désirées chez les élèves, et de mieux connaître les conséquences de la perpétration de ces abus ou de l’absence de signalement.
V. Manque d’éducation et de services en matière de santé sexuelle et reproductive
Ma mère dirait que si tu as tes règles et que tu dis bonjour à un garçon, tu vas tomber enceinte.
—Amina, 21, Guinau Rails, Dakar, 15 août 2017
Au Sénégal, de nombreux jeunes n'ont pas suffisamment accès à l'information et aux services sur la sexualité et la reproduction. La connaissance de la santé sexuelle et reproductive reste faible chez les jeunes Sénégalais car la plupart des écoles secondaires publiques ne proposent pas un contenu adéquat et complet sur la sexualité ou la reproduction, qui devrait inclure la prévention des violences sexuelles et sexuelles et des relations sexuelles saines.[163] Pourtant, selon des experts nationaux et internationaux, les progrès vers l’adoption d’un cursus complet en matière de santé sexuelle et reproductive ont été inutilement lents.
Accès limité à l'éducation en matière de santé sexuelle et reproductive dans les écoles
Ils [le ministère de l’Éducation nationale] nous ont dit que nous aurions un sujet de santé reproductive… nous l’attendons encore. Nous devons introduire le programme en 6ème [première année du collège]. Elles [les filles] ne savent pas que lorsqu'elles ont des relations, elles peuvent tomber enceintes… elles pensent que leur âge est ce qui détermine une grossesse.
—Principal d’un CEM, Kolda, 26 octobre 2017
Human Rights Watch a constaté que les enseignants ne donnent pas toujours des informations scientifiquement fondées sur les méthodes de contraception. En particulier, les élèves n’apprennent pas la sexualité ou l’importance du consentement total dans les relations. L’une des raisons en est l’absence d’un programme d’études adéquat, solide et complet sur l’éducation à la sexualité et à la santé en matière de reproduction (SRHE), considéré comme une partie obligatoire du programme national. Les enseignants manquent également de directives d'accompagnement pour enseigner la matière. En conséquence, les écoles et les enseignants peuvent concevoir des cours ou des ateliers sur la reproduction ou la contraception eux-mêmes, en fonction de leurs propres opinions sur ces sujets.
Au moment de la rédaction du présent document, les élèves n’avaient appris que quelques aspects de la santé de la reproduction en 3ème et 4ème années, les deux dernières années du collège, à travers des sous-thèmes en cours de sciences. Une classe de sciences couvre généralement des sujets liés au corps humain, y compris le système reproducteur, les processus de développement des enfants, y compris les changements au cours de l’adolescence, de la puberté et de la menstruation. Ces classes couvrent également les aspects fondamentaux du cycle de la vie humaine, notamment la reproduction.
De nombreuses écoles offrent également des cours non obligatoires d'éducation à la reproduction et de « compétences de vie » ou disposent de clubs permanents axés sur les jeunes, appelés clubs EVF ou clubs d'éducation à la vie familiale.[164] Ces clubs sont souvent gérés par des professeurs de sciences qui organisent des discussions sur la menstruation et sur les problèmes touchant les jeunes, notamment la toxicomanie, le VIH et les maladies sexuellement transmissibles, ainsi que les grossesses chez les adolescentes.[165] Le contenu de ces cours dépend de la volonté de l’école de se concentrer sur ces sujets, bien que les écoles reçoivent des sujets suggérés par des organisations nationales.[166]
Cela dépend aussi de qui dirige le club. Dans un CEM de Sédhiou, le taux de grossesses chez les adolescentes diminuait quand une enseignante active dirigeait le club EVF de l’école, selon le directeur de l’école. Cependant, lorsque l’enseignante a été remplacée par un enseignant de sexe masculin, les élèves ont cessé de parler de reproduction à l’enseignant.[167]
L'abstinence est le message principal dans de nombreuses écoles, en particulier dans les clubs EVF.[168] Le personnel éducatif et les personnes-ressources qui enseignent dans les écoles concentrent encore largement le contenu de leurs discussions sur l’abstinence et la virginité avant le mariage.[169] Meta, 15 ans, qui coordonne le club EVF de son école, a déclaré à Human Rights Watch avoir appris que « la meilleure chose est de « garder son trésor »[virginité] jusqu’au mariage. »[170]
Les preuves scientifiques, sociologiques et des droits humains à l'échelle mondiale montrent qu'un programme exclusivement axé sur l'abstinence n'entraîne aucun changement visible dans les comportements sexuels des adolescents.[171] L'accent mis sur l'abstinence isole et humilie également de nombreux adolescents qui ont déjà eu des rapports sexuels et qui peuvent avoir besoin de conseils adéquats pour s'assurer qu'ils sont en sécurité et protégés contre les abus ou le VIH et les maladies sexuellement transmissibles.[172]
Dans le village de Ndorna, dans la région de Kolda, par exemple, le personnel scolaire demande souvent à la sage-femme locale de tenir des séances sur la reproduction avec les filles du seul établissement secondaire du village. La sage-femme concentre souvent ses séances avec les filles sur l'importance de préserver leur virginité pour le mariage.[173] Pourtant, Ndorna a des taux très élevés de grossesses chez les adolescentes - la plupart en raison du mariage d’enfants, tandis que d’autres sont liées aux relations sexuelles en dehors du mariage. Selon un volontaire de la santé, se concentrer sur la virginité ne fait que transmettre un message erroné : les filles ayant eu des relations sexuelles, dont certaines ont été agressées sexuellement, s’entendent dire qu’elles sont indignes.[174]
À Vélingara, une ville présentant les taux les plus élevés de grossesses d'adolescentes et de mariages d'enfants dans la région de Kolda,[175] les élèves d’un des collèges ont déclaré à Human Rights Watch que leur professeur de sciences leur avait appris que seules les femmes mariées devaient utiliser des méthodes contraceptives. Les filles apprennent également que si elles prennent la pilule, elles réduiront leurs chances d'avoir des enfants une fois mariées.[176] L'école ne fait pas la promotion des contraceptifs.[177] Dans un cas, une élève a affirmé à Human Rights Watch que les méthodes contraceptives peuvent tuer les bébés.[178] Human Rights Watch a entendu une réponse similaire de filles dans d'autres villes.
Le gouvernement du Sénégal s'est engagé dans divers processus pour adopter un module sur la santé de la reproduction et la planification familiale dans le programme officiel.[179] Mais jusqu'à présent, le ministère de l'Education nationale a exclu les sujets liés à la sexualité des adolescents.[180] La réticence du ministère semble provenir d’une préoccupation selon laquelle l’enseignement de la sexualité contredit les valeurs culturelles et morales du Sénégal, ainsi que de la pression exercée par les groupes religieux.[181]
Une étude récente de l’approche du gouvernement en matière d’éducation reproductive montre que le gouvernement a omis des sujets tels que les relations intimes, les abus sexuels, ainsi que des informations complètes sur la transmission sexuelle du VIH et des compétences de communication pour éviter la coercition sexuelle et les abus.[182]
Selon le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, une réponse importante aux abus sexuels et aux grossesses non désirées consiste à mettre en place un programme obligatoire et adapté à chaque âge pour une éducation complète à la sexualité et à la santé reproductive. Pour être efficace, le programme devrait notamment porter sur la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, les comportements sexuels responsables, la prévention des grossesses précoces et des maladies sexuellement transmissibles, les relations consensuelles et saines, ainsi que l'égalité des genres.[183] Les orientations techniques internationales des agences des Nations Unies montrent que, pour une réelle efficacité, les enfants devraient être initiés à la sexualité et à la santé reproductive dès l'école primaire, avant la puberté.[184]
Le gouvernement devrait respecter son engagement international et régional, et son obligation de fournir un programme complet de SRHE. Les écoles devraient jouer un rôle clé en fournissant aux élèves les informations et les outils nécessaires pour comprendre les changements de l'adolescence, de la sexualité et de la reproduction, et leur fournir des informations leur permettant de prendre des décisions éclairées, sans stéréotypes ou mythes partagés par leurs amis ou communautés.
Accès limité aux services de santé sexuelle et reproductive
Nous devons supprimer les tabous entre les jeunes et parler des relations sexuelles. On fait de la sensibilisation avec les jeunes et elles parlent mais pas devant une personne plus âgée.
—Abdul Aziz Fall, Association Protégeons l’Enfant, Dakar, 12 juin 2017
De nombreux jeunes Sénégalais ne connaissent pas suffisamment leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive.[185] Sans informations adéquates, les jeunes risquent les grossesses, le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles. Ceux qui sont déjà exposés à de multiples formes de violence dans leur vie quotidienne risquent également de se livrer à des relations sexuelles coercitives ou d'exploitation.[186] Pourtant, leurs options pour obtenir de bonnes informations au sein de la communauté sont très limitées.
Fathy, une élève de 22 ans dont l’enfant est âgé de deux ans, a confié à Human Rights Watch :
Ce qui me fatigue trop… on n’a pas des conseils sur le rapport sexuel. Il y a des familles où les parents ne parlent pas [avec leurs enfants]. On manque beaucoup des moyens pour nos besoins … c’est à cause de ça que les filles tombent enceintes.[187]
La plupart des adolescents interrogés par Human Rights Watch ont déclaré qu'il était impensable de demander aux parents des conseils sur les relations ou le sexe. Khady, 25 ans, a confié à Human Rights Watch : « Avec ma mère, je ne parle pas de sexe ou de mariage d’enfants… elle utilise même la télévision ou le théâtre pour nous parler indirectement. »[188]
Les spécialistes de la protection de l'enfance et de la santé des adolescents interrogés par Human Rights Watch ont estimé que le manque de communication entre parents et enfants signifie que de nombreux enfants cherchent des informations ailleurs, y compris des informations trompeuses ou erronées provenant d'Internet ou de leurs pairs.[189] Cela fait aussi sentir aux enfants qu'ils ne peuvent pas parler à leurs parents quand quelqu'un les a maltraités.[190]
La plupart des élèves interrogés qui vivaient dans les grandes villes ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils avaient recours aux centres de conseils aux adolescents afin d'obtenir des informations impartiales, des discussions confidentielles et des conseils. Ces centres sont financés par le Fonds des Nations Unies pour la population et gérés par la division de la santé des adolescents du ministère de la Jeunesse. Cependant, nombre d'adolescents n'ont pas facilement accès à ces centres - il n'y a que 15 centres gouvernementaux dans le pays et tous sont situés dans les capitales provinciales et à Dakar.[191]
Le ministère de la Jeunesse et le Fonds des Nations Unies pour la population ont créé 15 centres de conseil pour adolescents, ou CCA, dans 11 régions. Selon le gouvernement, les centres visent à « promouvoir la santé reproductive des adolescents et des jeunes… à changer les attitudes et les comportements pour une vie adulte responsable. »[192] Les centres visent à surmonter les barrières et les tabous sociaux et culturels concernant la santé des adolescents, et à fournir aux adolescents des informations confidentielles, des ressources et des services préventifs sur diverses questions, notamment la contraception, les grossesses chez les adolescentes, les drogues et la protection contre le VIH et les maladies sexuellement transmissibles.[193]
À son crédit, le gouvernement a adopté une loi sur la santé reproductive, et diverses stratégies et plans d’action nationaux sur la santé des adolescents en matière de reproduction. Ces plans répondent au besoin urgent d’accroître l’accès à des services adaptés aux adolescents axés sur la santé sexuelle et la contraception, afin de contenir et de réduire les taux élevés d’infection par le VIH chez les jeunes, de lutter contre les taux élevés de grossesse chez les adolescentes, et de réduire la mortalité maternelle et infantile. [194]
Human Rights Watch a visité trois CCA à Kolda, Sédhiou et Ziguinchor. Bien qu'ils fournissent un service essentiel aux jeunes, ces centres sont confrontés à de nombreux problèmes : la plupart sont dotés de personnel masculin, principalement des volontaires non rémunérés ne bénéficiant pas d'une formation adéquate. Ils manquent également de travailleurs sociaux ou de santé à plein temps et d'équipements ou de ressources pour effectuer des tests de dépistage des IST ou du VIH. Les trois centres étaient situés dans des bâtiments abandonnés qui manquaient d'électricité à certains moments.
Malgré ces circonstances, Human Rights Watch a rencontré des volontaires de la santé qui ont consacré leur temps à parler aux adolescents, ont visité des communautés pour parler de la santé des adolescents et ont fourni des conseils confidentiels aux adolescents qui ont accès aux centres. Certains jeunes ont également déclaré à Human Rights Watch qu'ils ne se rendaient pas dans des hôpitaux ou des cliniques locales pour demander conseil, craignant d'être stigmatisés par le personnel de santé qui le plus souvent les connaît, eux ou leurs parents.
Les groupes de jeunes travaillant sur la santé reproductive des adolescents reconnaissent les efforts globaux en matière de santé des adolescents, mais se sont inquiétés du fait que la plupart des services d'information ciblent une population essentiellement urbaine. Le gouvernement, en partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour la population et d'autres agences, a mis en place une ligne d'assistance téléphonique et un service de messagerie où les adolescents peuvent obtenir des informations instantanées sur des sujets aussi variés que la menstruation, l'utilisation de préservatifs ou la protection contre le VIH / SIDA. La population générale peut également obtenir des informations auprès des lignes directes gérées par Marie Stopes International ou ASBEF, la branche sénégalaise de la Fondation internationale pour la planification familiale.
Selon Ousmane Diouf, qui coordonne l'Alliance nationale des Jeunes pour la santé de la reproduction et la planification familiale, la plupart de ces initiatives ne ciblent pas les jeunes des zones rurales, où se produisent la plupart des grossesses chez les adolescentes et où les jeunes se retrouvent souvent isolés des services d’information et confidentiels.[195]
En 2016, le gouvernement a lancé un projet visant à mettre un terme aux grossesses chez les adolescentes dans les régions de Guédiawaye, Fatick et Kolda. Ce projet vise à renforcer les capacités et les connaissances des parents et du personnel scolaire en matière de violence, d’adolescence et de développement, entre autres sujets.[196]
VI. Obligations légales du Sénégal en vertu du droit international
Le Sénégal est un État partie à tous les principaux traités internationaux et régionaux qui protègent les droits humains des femmes et des filles, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (ACRWC), et le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (« Protocole de Maputo »).[197]
Le Sénégal n’a pas adopté un Code de l’enfance pour introduire la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant dans le droit national.
Le droit à l’éducation
En vertu du droit international et régional relatif aux droits humains, toute personne a droit à un enseignement primaire obligatoire et gratuit, sans discrimination.[198] Toutes les personnes ont également droit à l’enseignement secondaire, ce qui inclut « est destiné à compléter l'éducation de base et à affermir la base d'une éducation permanente et de l'épanouissement de la personnalité ».[199] Les États parties doivent veiller à ce que différentes formes d'enseignement secondaire soient généralement disponibles et accessibles, prendre des mesures concrètes pour parvenir à un enseignement secondaire gratuit et prendre des mesures supplémentaires pour en accroître la disponibilité, telles que la fourniture d'une aide financière aux personnes dans le besoin.[200]
La loi sénégalaise sur l’éducation de 2004 stipule que l’enseignement obligatoire doit être gratuit de 6 à 16 ans. En 2018, Human Rights Watch a appelé le gouvernement du Sénégal à veiller à ce que l'enseignement secondaire soit pleinement gratuit dans la pratique.[201]
Les normes régionales africaines relatives aux droits humains définissent également des mesures spécifiques pour protéger l’éducation des femmes et des filles. Le Protocole de Maputo sur les droits des femmes en Afrique oblige spécifiquement les gouvernements à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à leur garantir des chances égales et à accéder à l’éducation et à la formation, et à protéger les femmes et les filles de toutes les formes d'abus, notamment le harcèlement sexuel dans les écoles.[202] La Charte africaine de la jeunesse, ratifiée par le Sénégal en 2009, prévoit l'obligation de garantir aux filles et aux jeunes femmes enceintes ou mariées avant la fin de leurs études la possibilité de poursuivre leurs études.[203]
Protection contre la violence sexuelle et sexiste
La Convention relative aux droits de l’enfant impose aux gouvernements l'obligation de protéger les enfants contre l'exploitation et les abus sexuels.[204] Les États devraient prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger les enfants de toute forme de violence physique et mentale, de blessure ou d’abus, de négligence ou de traitement négligent, maltraitance ou exploitation, notamment l'exploitation sexuelle, le harcèlement et d'autres formes d'abus.[205]
Le Protocole de Maputo appelle les États à adopter mesures législatives, administratives, sociales et économiques nécessaires pour identifier les causes et les conséquences de toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles, y compris les violences sexuelles, privées ou publiques, et pour les prévenir, les punir et les éradiquer.[206] Ce traité appelle également les États à protéger les femmes et les filles contre toutes les formes d'abus, notamment le harcèlement sexuel lié à l'école, et à veiller à ce que leurs auteurs soient sanctionnés.[207] Les survivantes d'abus et de harcèlement sexuels devraient avoir accès à des services de conseil et de réadaptation.[208]
Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a appelé les États à adopter et à appliquer des lois, des politiques et des procédures visant à interdire et à lutter contre la violence à l'égard des filles et des femmes. Ils devraient explicitement interdire les agressions verbales et psychologiques, le harcèlement, notamment sexuel, les violences sexuelles et physiques, ainsi que l'exploitation.[209] En 2011, le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant a exhorté tous les États africains à adopter des mesures visant à éliminer la violence à l'école.[210]
Protection contre le mariage des enfants
Le Comité africain sur les droits et le bien-être de l'enfant et le Comité de l’ONU des droits de l'enfant avoir pris clairement position sur l'âge minimum du mariage, indépendamment du consentement parental.[211] La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant stipule que, « Le mariage des enfants et les fiançailles entre filles et garçons sont interdits. »[212] Cette charte exige explicitement que les gouvernements prennent des mesures efficaces, y compris une législation, pour spécifier l'âge minimum du mariage à 18 ans.[213]
Le mariage des enfants est encore légal au Sénégal. Le Code de la famille du Sénégal permet aux filles de se marier à partir de 16 ans, alors que les garçons doivent avoir 18 ans pour se marier.[214] Le Code pénal autorise implicitement les mariages d’enfants « célébrés selon la coutume » en ne criminalisant que les actes sexuels ou l'intention d'avoir des relations sexuelles avec des filles de moins de 13 ans dans le cadre d'un mariage.[215]
En 2016, le Sénégal a lancé la campagne de l'Union africaine pour mettre fin au mariage des enfants.[216] Dans le cadre de cette campagne, le gouvernement s’est engagé à porter à 18 ans l’âge du mariage pour les filles.[217] Au moment de la rédaction de ce rapport, le gouvernement n’avait pas encore réformé sa loi sur le mariage, conformément à ses obligations internationales et régionales.
En 2016, le Comité des droits de l'enfant a exprimé sa préoccupation quant à la lenteur des progrès concernant l’abandon du mariage des enfants et des mutilations génitales féminines (MGF). Le Comité a appelé le gouvernement à criminaliser le non-signalement des MGF, à adopter son plan d’action pour mettre fin au mariage des enfants et à mettre en place des mécanismes de protection et des services adéquats pour protéger les filles touchées.[218]
Droits à la santé sexuelle et reproductive
En vertu du Protocole de Maputo, les femmes et les filles ont le droit de choisir n'importe quelle méthode de contraception, le droit de se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles et le droit à l'éducation à la planification familiale. Les États ont l’obligation de fournir « des services de santé adéquats, abordables et accessibles, y compris des programmes d'information, d'éducation et de communication… en particulier… dans les zones rurales. »[219]
L’inégalité d’accès à des services complets de santé sexuelle et reproductive équivaut à une discrimination, selon le Comité des droits de l'enfant.[220] Le Comité a recommandé que les États adoptent une éducation en matière de santé sexuelle et reproductive (SRHE) adaptée à l’âge, complète et inclusive, dans leur programme d’enseignement obligatoire. La SHRE devrait être basée sur des normes scientifiques et de droits humains, et être élaborée en consultation avec les adolescents.[221]
En 2005, le Sénégal a adopté une loi relative à la santé de la reproduction qui définit le droit à la santé reproductive comme un droit fondamental et universel. Cette loi garantit un accès égal aux services de reproduction, sans discrimination fondée sur l'âge ou l'état civil, ainsi que le droit à l'information et à une éducation adéquate en matière de santé de la reproduction.[222]
Recommandations
Adopter des mesures plus fortes pour mettre un terme à la violence et aux abus sexuels et sexistes liés à l'école
Ministère de l'Éducation nationale
· Veiller à ce que les représentants du ministère de l'Education nationale et des syndicats d'enseignants donnent des directives aux écoles et aux enseignants interdisant explicitement les relations sexuelles entre enseignants et élèves, décrivant les comportements inacceptables et illicites, et encourageant la responsabilité professionnelle des enseignants à s’attaquer et à lutter contre la violence sexuelle et sexiste.
· Adopter une politique nationale d’éducation contre l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, comprenant : des conseils sur ce qui constitue ou pourrait conduire à ces abus, des procédures à suivre lorsque des cas sont signalés au personnel scolaire, des mécanismes clairs d'application et des sanctions en milieu scolaire, ainsi que des renvois à la police.
· Veiller à ce que toutes les écoles respectent la politique nationale en matière d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus, et veiller à ce que les enseignants soient formés aux procédures.
· En consultation avec les acteurs de l’éducation et les enseignants, notamment les syndicats d’enseignants, adopter un nouveau code de conduite professionnel contraignant à l’échelle nationale pour les enseignants et les responsables scolaires, qui soit affiché dans toutes les écoles.
· Veiller à ce que la législation relative à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus à l’école, en particulier les dispositions du Code pénal, soit rigoureusement appliquée et que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice et punis par des sanctions proportionnées à leurs crimes.
Enquêter sur toutes les allégations d'exploitation, de harcèlement et d'abus sexuels à l'école
Ministère de l’Éducation nationale
· Établir des mécanismes, des procédures et des lignes directrices clairs pour renforcer le caractère obligatoire de la déclaration de tout cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus des élèves ;
· Répondre de manière adéquate aux cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus contre les élèves dans les établissements d’enseignement, en veillant à ce que :
o Toutes les écoles disposent de mécanismes de signalement confidentiels et indépendants adaptés au contexte scolaire local. Ceux-ci peuvent impliquer un conseiller qualifié ou un enseignant désigné au minimum, ou un mécanisme de signalement ou un système d'assistance téléphonique mis en place pour renvoyer les plaintes directement à un membre désigné du comité de protection de l'enfance concerné.
o Les élèves touchés soient rapidement orientés vers des services externes pour leur santé, leur soutien psychologique et leurs besoins en matière de contraception.
o Les hauts responsables des écoles mènent des enquêtes à la suite d’allégations de faute et, en cas de violation d’une loi, renvoient les auteurs présumés à la police.
o Les auteurs d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus soient suspendus de toute position d’autorité affectant la personne plaignante ou les enquêtes en cours et, s’il existe des preuves suffisantes, qu’ils soient poursuivis conformément aux normes internationales de procès équitable, ou traités par le biais de la procédure disciplinaire du gouvernement pour les fonctionnaires.
· S'assurer que les directeurs obligent tous les membres du personnel scolaire à leur signaler tout incident d'exploitation sexuelle, de harcèlement ou d'abus, et demander des comptes au personnel scolaire ainsi qu’aux enseignants lorsqu'ils ne signalent, réfèrent ou ne traitent pas efficacement ces cas.
· Veiller à ce que les services d’inspection de l’éducation soumettent des rapports en temps opportun sur les cas d’exploitation sexuelle, de harcèlement ou d’abus, ainsi que d’autres violations des droits de l’enfant, aux comités de protection de l’enfance concernés et au ministère de l’Éducation nationale.
· Veiller à ce que les directeurs d’école et le personnel de l’école disposent de moyens confidentiels pour signaler les fautes professionnelles auprès des services d’inspection de l’éducation.
· Demander des comptes aux hauts responsables scolaires et aux inspecteurs locaux s’ils ne signalent pas des allégations d’exploitation sexuelle, de harcèlement et d’abus.
Agir d'urgence pour lever les obstacles qui entravent l'éducation des filles
Ministère de l’Éducation nationale
· S'assurer que l'enseignement secondaire soit entièrement gratuit en supprimant les frais de scolarité et les coûts indirects facturés par les écoles.
· Veiller à ce que la planification nationale du secteur de l’éducation comprenne des mesures explicites pour éliminer les obstacles à l’éducation des filles, notamment des réponses au niveau de l’école à la violence sexuelle et sexiste, ainsi que des questions de protection des enfants comme le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines. S'assurer que tous les programmes comprennent une analyse de l'exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus à l'école.
· Avec un soutien financier et technique international :
o Allouer des fonds suffisants pour intensifier les projets existants axés sur l'amélioration de la qualité de l'éducation et le maintien des filles dans l'enseignement secondaire, qui devraient inclure des programmes d'éducation sexuelle et reproductive adéquate et exhaustive.
o Veiller à ce que la stratégie nationale de protection de l'enfance soit suffisamment financée pour garantir que les comités de protection de l'enfance soient actifs et dotés de ressources suffisantes à tous les niveaux, en particulier en augmentant la couverture dans les zones rurales.
· Veiller à ce que les administrations et les maires locaux accordent un financement adéquat aux programmes ciblant les filles et les femmes dans leurs juridictions, en particulier pour construire des infrastructures scolaires adéquates, soutenir les campagnes de sensibilisation locales, notamment les campagnes et projets menés par les jeunes.
· Fournir aux départements régionaux de l’éducation des ressources pour organiser des campagnes locales de sensibilisation, afin de mettre un terme à la culture du silence autour de l’exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus à l’école.
Offrir une formation adéquate au personnel enseignant et des affectations d’enseignants suffisantes
Ministère de l’Éducation nationale
· Mettre en œuvre une formation préalable obligatoire des enseignants sur les lois existantes relatives aux infractions sexuelles, et sur la nouvelle politique nationale de l'école contre l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, les droits de l'enfant ainsi que la stratégie nationale de protection des enfants. Tous les nouveaux enseignants, les directeurs d’école et le personnel administratif doivent être formés avant leur première affectation.
· Adopter et déployer une formation continue ciblée sur la violence sexuelle et sexiste dans les écoles, en commençant par les chefs d'établissement, le personnel principal et les enseignants ainsi que les inspecteurs scolaires. Veiller à ce que la formation fournisse aux enseignants et au personnel de l’école des stratégies pour réduire le risque d’exposition à l’exploitation sexuelle et au harcèlement des élèves, et renforcer les connaissances sur les conséquences de la perpétration des abus ou de l’omission de les déclarer.
· Recruter, former et affecter davantage d’enseignantes et d’administratrices dans les écoles où le corps enseignant est principalement masculin, en mettant l’accent sur le placement des enseignantes dans les zones rurales. Interdire et combattre la discrimination, notamment la discrimination indirecte, fondée sur le genre dans le recrutement, le maintien et la promotion du personnel enseignant et administratif.
· Concevoir et mettre en œuvre un programme national de formation continue pour former les enseignants en exercice à devenir des conseillers dans les écoles.
· Former les enseignants sur la manière de reconnaître les élèves touchées ou en détresse en raison d’abus sexuels, de coercition ou d’exploitation liés à l’école, et sur la façon d’agir dans de tels cas.
· Assurer une formation régulière à distance ou en personne pour les enseignants impliqués dans les clubs de l'Éducation pour la Vie Familiale (EVF), en s'assurant qu'ils soient formés pour fournir des informations scientifiquement exactes et adaptées à l'âge sur la reproduction, la contraception et la sexualité.
Adopter un programme d'études solide sur la santé et les droits sexuels et reproductifs
Ministère de l'Éducation nationale, avec le ministère de la Santé et de l'Action sociale
· Veiller à ce que le programme en matière d’éducation sur la santé reproductive soit conforme aux normes internationales, et veiller à ce que le programme scolaire national :
o Soit élargi pour inclure des informations complètes sur la sexualité et la santé reproductive, notamment des informations sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, le comportement sexuel responsable, la prévention des grossesses précoces ainsi que les infections sexuellement transmissibles ;
o Soit obligatoire, adapté à l'âge et scientifiquement exact ;
o Soit applicable et approprié pour l'enseignement à l'école primaire ;
o Réponde aux besoins des jeunes, et soit informé par les jeunes à travers des consultations régulières.
· S'assurer que les informations diffusées dans les clubs scolaires, en particulier dans les clubs EVF, soient basées sur des informations scientifiquement correctes sur la reproduction, la contraception et la sexualité.
Assurer l'accès des jeunes à des services de santé sexuelle et reproductive adaptés aux jeunes
Ministère de l'Éducation nationale, avec le ministère de la Famille, de la Femme et du Genre
· Impliquer les élèves et les jeunes dans les campagnes de sensibilisation locales pour mettre fin à la culture du silence autour de l'exploitation sexuelle, du harcèlement et des abus liés à l'école, ainsi que des abus des conducteurs, des militaires et autres adultes qui exploitent des enfants à l’école ou lors d’activités scolaires.
· Dans le cadre des campagnes locales, les écoles devraient veiller à ce que les élèves disposent des connaissances et des outils nécessaires pour remettre en question la violence et la discrimination sexiste et comprendre ce qui constitue l'exploitation sexuelle, le harcèlement et les abus, afin qu’ils puissent les identifier et les signaler.
· Fournir un soutien aux écoles pour organiser des campagnes de sensibilisation et des formations régulières sur la protection de l'enfance, les droits de l'enfant et les moyens de lutter contre les stéréotypes et la discrimination sexistes.
· Prendre des mesures pour soutenir les élèves mariées et enceintes afin qu'elles puissent rester ou se réinscrire à l'école et ne soient pas victimes de discrimination.
Ministère de la Santé et de l'Action sociale, et ministère de la Jeunesse, de l'Emploi et de la Construction citoyenne
· S'assurer que les centres de conseil pour adolescents (CCA) disposent des ressources et du personnel nécessaires pour pouvoir fournir un service de qualité aux jeunes qui ont besoin d'informations et de conseils sur la sexualité et la reproduction. Pour accroître la couverture pour un plus grand nombre d’adolescents, veiller à ce que les centres de conseil disposent de programmes d’information réguliers ou de guichets uniques dans les zones rurales et isolées.
· Veiller à ce que les centres de santé ne stigmatisent pas les adolescents sexuellement actifs et disposent d'un personnel médical qualifié pour fournir des services de santé exhaustifs et confidentiels aux adolescents.
· Développer l'accès à des services juridiques et à un soutien psychosocial gratuits dans les zones rurales, en travaillant avec, et en soutenant financièrement, les organisations nationales de la société civile qui fournissent ces services professionnels.
Modifier et / ou adopter des lois pour renforcer la protection des enfants touchés par les abus
Assemblée Nationale du Sénégal
· Modifier le Code pénal pour :
o Inclure une disposition précisant l'âge minimum du consentement à l’activité sexuelle, égal pour tous les enfants, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et aux meilleures pratiques.
o Inclure une infraction pénale spécifique pour un adulte ayant des relations sexuelles avec des enfants en dessous de l'âge minimum du consentement.
· Présenter et adopter rapidement le projet de Code de l’enfant, notamment des articles visant à élever l’âge minimum du mariage à 18 ans pour les garçons et les filles.
· Modifier l'article 111 du Code de la famille et l'article 300 du Code pénal afin d’élever à 18 ans l'âge minimum du mariage pour les garçons et les filles, et prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les mariages d'enfants.
Remerciements
Ce rapport a été rédigé par Elin Martínez, chercheuse à la Division des droits de l’enfant de Human Rights Watch. Les recherches pour ce rapport ont été menées par Elin Martínez, avec l'aide de Juliane Kippenberg, directrice adjointe de la Division des droits de l’enfant. Beya Rivers, Elena Bagnera et Aurélie Edjidjimo Mabua, stagiaires à la Division des droits de l’enfant, ont également apporté leur aide à la recherche.
Le rapport a été édité par Juliane Kippenberg. Clive Baldwin, conseiller juridique senior, et Babatunde Olugboji, directeur adjoint du programme, ont fourni des avis juridiques et de programme. Corinne Dufka, directrice adjointe pour l’Afrique de l’Ouest, et Agnès Odhiambo, chercheuse senior de la Division des droits des femmes, ont fourni des avis d’expert. L’aide à la production a été fournie par Alex Firth, associé de la Division des droits de l’enfant, et par Fitzroy Hepkins, directeur administratif. La traduction en français a été assurée par Danielle Serres, et révisée par Peter Huvos.
Human Rights Watch est reconnaissant à tous les enfants, jeunes adultes, parents, enseignants, directeurs d’école, responsables de l’éducation, défenseurs de l’éducation, de la protection de l’enfance et des droits des femmes, agents de santé et experts qui ont partagé leurs expériences et apporté leurs compétences d’expert.
Nous aimerions remercier les nombreuses organisations, experts et activistes qui nous ont aidés dans la recherche pour ce rapport, et ont partagé avec nous des données et des informations sur les programmes.
Nous sommes particulièrement reconnaissants à Bocar Diallo ; Maricou Nené et les membres de l’Association Youth Women for Action Sénégal ; Amy Sekou et Nafissatou Seck de l’Association des Juristes Sénégalaises ; Ousmane Diouf et les membres d l’Alliance Nationale des Jeunes pour la Santé de la Reproduction et la Planification Familiale ; Cheikh Barro, Cherif Abdoulaye Sarr et les membres de l’Association des Jeunes Leaders pour le Développement ; Cheikh Mbow et Marie Elisabeth Massaly de COSYDEP ; René Sibomana, Everienne Ndirabika, Georgette Barboza, Awa Guy Lo et le personnel de l’Association Jeunes et Environnement ; Thierno Diallo de la Coalition Nationale Éducation pour Tous ; Saorou Sené du Syndicat Autonome des Enseignants Moyen et Secondaire ; Alassane Diop de Plan International Sénégal ; Abdou Aziz Fall de l’Association Protégeons l’Enfant Sénégal ; Ndeye Fatou Faye du Centre de Guidance Infantile et Familiale de Dakar (CEGID) ; Tidiane Sidibé et Samboudyang Kambaye, du Centre de Conseils des Adolescents à Sédhiou et Ziguinchor, Laura D’Elsa et Ruhiyyeh Banister, précédemment volontaires du Corps de la Paix ; Molly Melching de TOSTAN ; Victorine Djitrinou, Nathaly Soumahoro et Zakaria Sambakhe d’Action Aid International ; Xavier Hospital de l’UNESCO; Matthias Lansard d’UNICEF Sénégal, et Jennifer Hofmann, précédemment du bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique centrale et de l’Ouest ; Andrea Wojnar-Diagne, précédemment du Fonds des Nations Unies pour la population Sénégal ; et Lauren Seibert, ancienne coordinatrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.
Human Rights Watch reconnaît la coopération et les contributions de fonctionnaires du ministère de l'Éducation nationale, du ministère de la Santé et de l'Action sociale, du ministère de la Jeunesse, de l'Emploi et de la Construction citoyenne et du ministère de la Justice.