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Somalie : Déclaration concernant le récent rapport concernant l'exploitation et les abus sexuels commis par les forces de l’UA

En septembre 2014, Human Right Watch a publié un rapport exposant en détail l’exploitation et les abus sexuels commis par des soldats originaires du Burundi et de l’Ouganda déployés en Somalie dans le cadre de la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Ci-dessous figurent les réponses aux questions soulevées par certains des acteurs concernés par le rapport.

1. Pourquoi l’organisation Human Rights Watch a-t-elle choisi ce sujet de recherche ?

Le mandat de Human Rights Watch consiste à rassembler des preuves et établir des rapports sur les violations du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire international (droit de la guerre) commises par toutes les parties à un conflit, dans le but de promouvoir et de défendre les droits humains des civils et des autres non-combattants. En ce qui concerne la Somalie, Human Rights Watch fait rapport d’un éventail de problèmes depuis de nombreuses années, notamment d’attaques aveugles et ciblées menées contre des civils par toutes les parties, y compris par Al-Chabab, le gouvernement somalien et l’AMISOM.

Au cours des deux dernières années, la portée et l’ampleur des abus à l’encontre des communautés déplacées à Mogadiscio, dont les violences sexuelles et liées au genre, ont suscité des préoccupations croissantes. Cela a débouché sur un rapport en février 2014 sur les violences sexuelles généralisées à l’encontre des femmes et des filles à Mogadiscio. Ce rapport a montré que, outre les auteurs d’abus non militaires, les forces du gouvernement somalien et des milices alliées étaient responsables de graves schémas de violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles.

Human Rights Watch s’est concentrée sur l’exploitation et les abus sexuels commis par les soldats de l’AMISOM après que des survivantes se sont présentées et ont raconté leurs expériences pendant la recherche menée pour le rapport de février. En même temps, plusieurs interlocuteurs ont signalé que l’AMISOM et les pays contributeurs de troupes ne menaient pas d’enquêtes ni de poursuites adéquates sur ces affaires.

Pour faire diminuer ces abus, il est essentiel de s’attaquer à la mauvaise conduite présumée des forces de l’AMISOM et de souligner la nécessité d’une réponse appropriée par l’AMISOM et les pays qui fournissent des contingents. La résolution de la crise des violences sexuelles en Somalie exige des efforts concertés de la part de tous les acteurs, en particulier l’AMISOM, qui travaille étroitement avec les forces du gouvernement somalien, pour faire en sorte que l’exploitation et les violences sexuelles par les forces armées soient identifiées et traitées de manière adéquate.

2. Comment Human Rights Watch a-t-elle mené les recherches ?

Les entretiens menés par Human Rights Watch avec des victimes et des témoins pouvant fournir des informations de première main constituent la base essentielle des recherches de l’organisation. Pour ce rapport, les chercheurs de Human Rights Watch et un consultant ont interrogé des femmes et des filles qui ont indiqué avoir été victimes de viol, d’abus sexuels et d’exploitation entre les mains de soldats de l’AMISOM. Les personnes à interroger ont été identifiées grâce à plusieurs canaux et les enquêteurs ont cherché à corroborer les récits grâce à des sources secondaires, y compris des rapports d’organisations non gouvernementales et de médias. Pour des questions de confidentialité et en raison du risque de représailles contre toute personne interrogée, en particulier les survivantes et les témoins d’abus sexuels et d’actes d’exploitation, Human Rights Watch a pris contact avec des représentants de l’AMISOM, comme décrit plus loin, plutôt que de se rendre dans les bases. Pour de plus amples informations, voir le chapitre Méthodologie du rapport.

3. Pourquoi Human Rights Watch s’est-elle concentrée sur Mogadiscio, la capitale, et sur les troupes venant de l’Ouganda et du Burundi ?

La réalisation d’enquêtes en Somalie présente des défis complexes en matière de sécurité pour les chercheurs et pour les personnes interrogées. Les recherches sur les violences sexuelles sont particulièrement difficiles à mener étant donné la réticence de nombreuses survivantes d’abus sexuels et d’exploitation à parler de leur expérience, en raison de la stigmatisation et de la peur de représailles. Human Rights Watch n’a effectué aucun entretien en dehors de Mogadiscio, principalement pour des raisons de sécurité. Les troupes de l’AMISOM actuellement basées à Mogadiscio sont, pour l’essentiel, originaires de l’Ouganda et du Burundi et la majorité des personnes interrogées avaient donc eu une expérience directe avec ces soldats.

4. Human Rights Watch a-t-elle entamé un dialogue avec l’AMISOM, l’Union africaine (UA) et les pays contributeurs de troupes ?

Human Rights Watch a noué le dialogue avec les principaux interlocuteurs au cours des différentes phases de son enquête, à la fois par écrit et lors d’entretiens en personne. Des copies de la correspondance avec des représentants de l’AMISOM, de l’Ouganda et du Burundi figurent dans les annexes du rapport.

Human Rights Watch a également rencontré des représentants de l’AMISOM à Mogadiscio en février pour discuter des préoccupations initiales sur l’exploitation et les abus sexuels présumément commis par le personnel et les forces de l’AMISOM. En mai, Human Rights Watch a, par écrit, communiqué ses premières conclusions et a posé des questions aux fins de l’enquête à l’ex-Représentant spécial du Président de la Commission de l’Union africaine pour la Somalie et au Commandant des forces de l’AMISOM. Leurs réponses figurent en évidence dans le rapport, à la fois dans les annexes et dans le corps du texte.

Étant donné que les pays qui fournissent des contingents ont une compétence exclusive sur la conduite de leurs troupes, Human Rights Watch a également cherché à établir le dialogue, en avril dernier, avec des représentants des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) et de la Force nationale de défense du Burundi (BNDF) à Kampala, en Ouganda, et à Bujumbura, au Burundi, respectivement.

Après s’être entretenue avec plusieurs responsables militaires, y compris des officiers et conseillers juridiques en Ouganda et au Burundi, Human Rights Watch a envoyé des courriers contenant un résumé initial de ses conclusions et des questions aux fins de l’enquête au chef des forces UPDF et au chef d’état-major des forces BNDF. La réponse du chef d’état-major burundais est incluse dans les annexes du rapport. Le chef des forces de défense ougandaises n’a jamais répondu aux demandes mais a adressé un e-mail pour préciser que « les incidents au sein des zones contrôlées par l’AMISOM doivent être signalés aux QG des forces de l’AMISOM en vue d’une enquête/réponse ». Avant la publication du rapport, Human Rights Watch a envoyé au Président de la Commission de l’Union africaine un résumé plus détaillé du rapport ainsi que les principales recommandations. De même, Human Rights Watch a rencontré les représentants de l’UA à Addis Abeba, en Éthiopie, pour discuter du rapport avant sa publication.

5. Human Rights Watch a-t-elle communiqué à l’AMISOM et aux pays contributeurs de troupes les noms des victimes et d’autres informations d’identification sur les affaires documentées dans son rapport,afin de leur permettre de mener leurs propres enquêtes sur chaque affaire ?

Hormis deux exceptions, aucune des femmes et filles interrogées par Human Rights Watch pour ce rapport n’a parlé publiquement des abus subis ni porté plainte. Elles ont indiqué craindre le risque bien réel de représailles de la part des agresseurs, des autorités gouvernementales et du groupe rebelle islamiste Al-Chabab, ainsi que de la part de leur propre famille. Certaines ont avoué se sentir totalement démunies et inquiètes face à la stigmatisation sociale qu’elles subiraient si leur plainte était rendue publique. D’autres ont remis en cause l’intérêt de porter plainte alors que les voies de recours sont limitées. D’autres encore étaient réticentes à l’idée de perdre leur unique source de revenus. Quelles que soient les raisons, si les victimes de violations des droits humains souhaitent préserver leur anonymat, Human Rights Watch est obligée de respecter leur décision.

De plus, le bilan du gouvernement somalien en matière d’enquêtes et de poursuites des auteurs de viol est désastreux. En 2013, une femme qui a signalé un viol commis par un membre des forces armées somaliennes a été condamnée pour « atteinte à la réputation des institutions étatiques ». Cette affaire assombrit la situation et n’incite pas les femmes à dénoncer leurs expériences auprès des autorités.

Human Rights Watch accueille favorablement toute opportunité de discuter avec l’UA, l’AMISOM, les pays contributeurs de troupes et le gouvernement somalien de la manière de conduire des enquêtes crédibles sur ces allégations et de promouvoir un environnement plus propice pour que les femmes et les filles puissent signaler les violences sexuelles, tout en garantissant à celles qui le font une protection contre les représailles.

6. L’enquête sur ces incidents individuels a-t-elle permis à Human Rights Watch de tirer des conclusions plus générales sur la situation des femmes et des filles en Somalie ?

Human Rights Watch a interrogé 21 femmes et filles qui ont été victimes d’exploitation sexuelle et d’autres abus, malgré les difficultés de l’enquête décrites plus haut et dans le chapitre Méthodologie du rapport. En raison de ces contraintes d’enquête, il est difficile de déterminer précisément l’ampleur ou la prévalence des abus sexuels. Human Rights Watch est préoccupée par le fait que l’ampleur du problème est sous-estimée et considérablement plus vaste que les 21 cas documentés. Le rapport souligne les preuves qui étayent cette préoccupation. Par exemple, les survivantes interrogées ont décrit avoir vu d’autres femmes et filles dans des circonstances similaires dans les bases de l’AMISOM pendant des périodes prolongées. Certaines ont expliqué qu’elles avaient été recrutées directement dans les camps de déplacés par des femmes et des filles déjà impliquées dans des relations sexuelles rémunérées dans les camps de l’AMISOM.

De plus, les tactiques utilisées pour attirer les femmes documentées dans le rapport, comme le recours à des interprètes et intermédiaires somaliens, le recrutement de femmes et de filles dans les hôpitaux, les femmes entrant par les portails gardés des camps et les relations sexuelles entre des femmes somaliennes et des soldats ayant lieu dans les logements de l’AMISOM, suggèrent l’existence d’un problème plus vaste et que les abus n’étaient pas des incidents aléatoires ou isolés.

7. Le rapport de Human Rights Watch est-il susceptible d’avoir un impact sur la dernière offensive militaire de l’AMISOM contre Al-Chabab ?

Le travail réalisé par Human Rights Watch est guidé par le droit international relatif aux droits humains et le droit humanitaire international et par le respect de la dignité de chaque être humain. L’organisation ne soutient aucune cause politique, est impartiale et conserve sa neutralité dans les conflits armés. Le calendrier de publication des rapports est principalement dicté par l’enquête elle-même et les opportunités d’avoir un impact. Étant donné les discussions de politique en cours de l’AMISOM et de l’UA sur l’exploitation et les abus sexuels par les soldats de maintien de la paix, il s’agit d’un moment important pour contribuer de manière constructive au développement de cette politique, ce qui aura des répercussions bien au-delà de la Somalie pour toutes les missions de maintien de la paix de l’UA. Human Rights Watch cherche à participer à ces discussions de politique en temps utile et à formuler des recommandations pour s’assurer que les politiques et les décisions budgétaires futures soient fondées sur des preuves crédibles, sur de meilleures pratiques et sur le droit international.

L’AMISOM a précédemment rejeté les allégations d’exploitation et d’abus sexuels dans son camp de base au motif que les cas étaient isolés, caducs ou les deux. Ce rapport inclut spécifiquement des cas d’exploitation et d’abus survenus depuis août 2013. Il souligne que le problème persiste et que les mesures prises par l’AMISOM et les pays contributeurs de troupes ne sont pas suffisantes.

8. L’UA et l’AMISOM assurent-elles déjà une formation et une sensibilisation au problème de l’exploitation et des abus sexuels ?

Le rapport de Human Rights Watch inclut les mesures prises par l’UA et l’AMISOM au cours de l’année passée dans le but d’établir des politiques et des structures institutionnelles pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels. Human Rights Watch a aussi évalué la manière dont les pays contributeurs de troupes ont déployé, à divers degrés, des conseillers juridiques, des enquêteurs militaires et des agents de renseignements en Somalie pour enquêter sur la mauvaise conduite de leurs troupes, et dont ils ont assuré la formation avant le déploiement.

Cependant, Human Rights Watch a conclu que les pays contributeurs de troupes n’ont pas suffisamment utilisé les ressources judiciaires et d’enquête à leur disposition pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels. Les conseillers juridiques déployés en Somalie ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils n’avaient participé à aucune commission d’enquête sur l’exploitation et les abus sexuels. Il semble que de rares cas impliquant des victimes somaliennes ont été entendus par une cour martiale divisionnaire d’Ouganda qui a été établie à Mogadiscio pour une année, et Human Rights Watch a identifié un seul cas de viol, celui d’une fillette, en instance devant un tribunal militaire en Ouganda.

De plus, comme l’ex-Représentant spécial du Président de la Commission de l’Union africaine pour la Somalie, Mahamat Saleh Annadif, l’a reconnu dans sa réponse aux demandes de Human Rights Watch, l’AMISOM n’a pas développé la capacité d’enquête et les mécanismes de plaintes appropriés. Human Rights Watch a constaté que la seule commission d’enquête au niveau des quartiers généraux de l’AMISOM établie suite à des allégations de viol collectif par des soldats ougandais à Mogadiscio en août 2013 était clairement inadaptée.

Il est nécessaire que l’UA, l’AMISOM et les pays contributeurs de troupes renforcent les mesures pour éviter les abus sexuels, par exemple en garantissant une meilleure formation, en révisant et validant le projet de politique de prévention de l’exploitation et des abus sexuels de l’AMISOM, et en aidant à créer un environnement propice aux signalements d’abus par les femmes et les filles. L’UA et l’AMISOM doivent aussi accorder la priorité à de nouvelles réponses à ce problème, notamment au développement d’une unité d’enquête au sein de l’UA.

Quoi qu'il se passe au niveau politique, il est évident que les pays contributeurs de troupes devraient établir des cours martiales en Somalie pour faciliter la participation des victimes et des témoins locaux aux procès et pour montrer à tous les Somaliens qu’il existe une justice et une responsabilisation pour les actes répréhensibles. Au-delà du devoir légal de garantir la justice, cela constituerait une contribution importante au rôle de mentorat de l’AMISOM envers l’armée somalienne.

9. Human Rights Watch a-t-elle mené d’autres enquêtes sur les Casques bleus de l’ONU, en RD Congo et dans d’autres pays, qui ont été impliqués dans des actes d’exploitation et des abus sexuels ?

Human Rights Watch est préoccupée par l’exploitation et les abus sexuels commis par les soldats de maintien de la paix et les autres forces armées où qu’ils se produisent, et a rassemblé des preuves et établi des rapports sur de tels abus commis par les soldats des Nations Unies dans d’autres contextes. Alors que l’UA renforce et étend ses opérations de maintien de la paix en Afrique, il est vital qu’elle tire les leçons des erreurs passées de l’ONU et qu’elle redouble d’efforts pour prévenir efficacement ces abus et traduire en justice les auteurs de ces abus. L’UA a l’opportunité de mettre en œuvre une politique de « tolérance zéro » le plus tôt possible et d’instaurer des cadres institutionnels que les Nations Unies ont créés uniquement après une série de scandales retentissants impliquant leurs forces, qui ont considérablement compromis leur crédibilité.

Même après que les Nations Unies ont pris des mesures concrètes, la seule réponse a souvent été de muter les responsables de ces abus hors de la mission de l’ONU. Des poursuites (civiles ou militaires) ont été engagées dans les pays d’origine uniquement dans un petit nombre de cas. Les abus commis par des civils dans des missions de maintien de la paix ont souvent été omis lors des premières enquêtes.

Les Nations Unies ont lancé quelques initiatives efficaces, y compris des enquêtes fiables par un enquêteur indépendant en dehors du processus de commission d’enquête ; des rapports solides et publics sur l’exploitation et les abus sexuels commis par les dirigeants politiques des missions de maintien de la paix des Nations Unies et un soutien politique significatif aux actions disciplinaires initiales.

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