- Les autorités iraniennes ont infligé des mauvais traitements et des violences aux détenus de la prison d’Evin, notamment à des défenseurs des droits humains et dissidents détenus arbitrairement, lors de leur transfert hors de la prison d’Evin après l’attaque israélienne, puis lors du retour de centaines d’entre eux à la prison 46 jours plus tard.
- Les autorités ont détenu les prisonniers d’Evin dans des établissements surpeuplés, insalubres et infestés par des insectes, et ont refusé de révéler le sort et le lieu où se trouvent certains d’entre eux, un traitement qui équivaut à des disparitions forcées et qui les expose à un risque de torture.
- Les États membres de l’ONU devraient faire pression sur le gouvernement iranien pour qu’il mette immédiatement fin à tout projet d’exécution de condamnés à mort, qu’il révèle le sort et le lieu de détention des détenus disparus de force, notamment celui du Dr Ahmadreza Djalali, un condamné à mort de nationalité suédoise et iranienne, et qu’il libère tous les prisonniers détenus arbitrairement
(Beyrouth) – Les autorités iraniennes ont maltraité et fait disparaître de force des détenus de la prison d’Evin qui avaient survécu à l’attaque menée par les forces israéliennes le 23 juin 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch a également conclu que les frappes israéliennes contre la prison constituaient un crime de guerre manifeste.
Malgré les appels et les demandes répétées des prisonniers et de leurs familles, les autorités iraniennes n’ont pris aucune mesure pour protéger la vie et la sécurité des détenus avant l’attaque. Après l’attaque, les autorités ont maltraité les survivants pendant leur transfert vers d’autres prisons, et lors de leur retour à Evin, et les ont détenus dans des conditions cruelles et dangereuses. Le traitement réservé aux prisonniers après l’attaque porte toutes les marques de la répression généralisée menée par les autorités iraniennes, en particulier en période de crise.
« La réponse des autorités iraniennes vis-à-vis des prisonniers traumatisés d’Evin qui venaient d’assister à la mort et aux blessures de certains de leurs codétenus lors de l’attaque israélienne du 23 juin a été de les maltraiter », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités iraniennes ont commis toute une série d’abus à l’encontre des prisonniers suite à cette attaque, notamment des passages à tabac, des insultes et des menaces lors des transferts, et ont détenu les prisonniers dans des conditions épouvantables qui ont mis en danger leur vie et leur santé. Les condamnés à mort et les personnes victimes de disparitions forcées courent désormais un risque accru d’être torturés ou exécutés. »
Entre le 24 juin et le 29 juillet, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 23 membres des familles de prisonniers, avec d’anciens défenseurs des droits humains ayant été détenus et avec d’autres sources bien informées au sujet de l’attaque israélienne du 23 juin contre la prison d’Evin et du traitement réservé aux prisonniers par les autorités iraniennes à la suite de cette attaque. Les chercheurs ont également passé en revue plusieurs témoignages sur le traitement des prisonniers, obtenus par le biais d’autres organisations de défense des droits humains et communiqués à Human Rights Watch, ainsi que des témoignages publics provenant de prisonniers et de leurs familles.
Human Rights Watch a écrit aux autorités iraniennes pour obtenir des informations sur le sort et le lieu de détention des prisonniers, en particulier ceux qui sont détenus dans des centres de détention gérés par le ministère du Renseignement et l’Organisation du renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Les autorités n’ont pas répondu à ces requêtes.
Selon les témoignages de plusieurs prisonniers, les forces de sécurité ont été déployées peu après l’attaque dans les quartiers de la prison d’Evin, notamment les quartiers 4 et 8, où sont détenus de nombreux prisonniers politiques de sexe masculin. Elles ont ordonné aux prisonniers de quitter les lieux en les menaçant avec des armes à feu et en leur laissant très peu de temps – voire pas du tout - pour rassembler leurs effets personnels. Les forces de sécurité ont menotté les prisonniers de sexe masculin deux par deux et les ont fait monter dans des bus pour leur faire faire un trajet de plusieurs heures, tout en les insultant et en les menaçant avec leurs armes.
Le transfert de centaines de prisonniers de sexe masculin vers la prison d’Evin aux premières heures de la journée du 8 août, 46 jours après l’attaque, a également été marqué par des violences. D’après les informations obtenues par Human Rights Watch, les forces de sécurité ont utilisé des matraques et des armes à décharge électrique pour passer à tabac plusieurs prisonniers politiques qui protestaient contre le fait d’être menottés et contre le transfert de condamnés à mort vers des centres de détention séparés.
Après l’attaque, les autorités ont transféré les prisonniers vers deux grands centres de détention de la province de Téhéran : la prison pour femmes de Shahr-e Rey, connue sous le nom de prison de Qarchak, et la grande prison centrale de Téhéran, connue sous le nom de prison de Fashafouyeh, réservée aux hommes. Les autorités n’ont pas donné d’informations sur le sort et le lieu de détention de certains prisonniers détenus par les services de sécurité et de renseignement, notamment des dissidents, des activistes des droits humains et des personnes possédant la double nationalité ou de nationalité étrangère. Pour certains d’entre eux, les autorités se sont contentées de les autoriser à passer un bref appel téléphonique à leur famille pour les informer qu’ils étaient détenus dans des cellules à l’isolement, parfois dans des lieux inconnus.
Le 23 juin, les autorités ont transféré Ahmadreza Djalali, un médecin de nationalité suédoise et iranienne détenu arbitrairement et qui risque d’être exécuté à tout moment, vers une destination inconnue. Au 9 août, les autorités avaient refusé, malgré les demandes qui leur avaient été adressées, de donner la moindre information sur son sort et le lieu où il se trouve, ce qui équivaut à une disparition forcée.
Les disparitions forcées constituent des crimes graves au regard du droit international et sont considérées comme étant toujours en cours tant que le sort des personnes disparues et leur lieu de détention restent inconnus.
Le refus des autorités de révéler le sort et le lieu de détention des détenus et de certains prisonniers a aussi renforcé les craintes concernant les prisonniers transgenres détenus dans la zone de quarantaine de la prison d’Evin. Une femme transgenre qui a été détenue en quarantaine à Evin par le passé a déclaré à Human Rights Watch que de nombreux prisonniers transgenres « n’ont personne » et qu’ils sont coupés de leur famille « qui les rejette ». Elle a fait part de ses inquiétudes dans ces termes : « même s’ils étaient blessés ou morts, personne ne le saurait, car leurs familles ne sauraient peut-être même pas qu’ils se trouvaient là-bas ».
Les craintes concernant l’imminence de certaines exécutions se sont par ailleurs accrues pour six autres condamnés à mort. Vahid Bani Amerian, Pouya Ghobadi, Akbar « Shahrokh » Daneshvarkar, Babak Alipour et Mohammad Taghavi Sangdehi ont été séparés des autres prisonniers lors du transfert du 8 août et auraient été emmenés à la prison de Ghezel Hesar, dans la province d’Alborz, où sont systématiquement transférés les condamnés à mort avant leur exécution. Un autre homme, Babak Shahbazi, a quant à lui été transféré à la prison de Ghezel Hesar plus tôt dans la semaine.
Les familles des prisonniers des prisons de Qarchak et de Fashafouyeh ont décrit à Human Rights Watch des conditions de détention épouvantables, caractérisées par des cellules mal ventilées, sales et surpeuplées, où de nombreux prisonniers sont contraints de dormir à même le sol, ainsi que par un manque d’accès à l’eau potable et à des installations adéquates pour le maintien d’une hygiène personnelle. Ces conditions mettent en danger la vie et la santé des détenus.
Les prisonnières politiques de la prison de Qarchak sont détenues dans la zone de quarantaine, où on leur a signifié qu’elles resteraient indéfiniment. Une défenseure des droits humains qui y a été détenue a déclaré à Human Rights Watch que la zone de quarantaine était le pire endroit de la prison, conçu pour la détention temporaire de nouvelles détenues, avec des murs maculés de vomi et d’excréments. Une autre défenseure des droits humains qui a aussi été détenue dans cette prison a déclaré que les conditions y étaient « impropres, même pour des animaux ».
Un proche d’un défenseur des droits humains emprisonné a déclaré à Human Rights Watch que la prison de Fashafouyeh était infestée d’insectes, et que son proche emprisonné avait attrapé six ou sept punaises de lit dans ses draps en une seule matinée. Un membre de la famille d’un autre prisonnier politique a déclaré que les prisonniers était couverts de piqûres d’insectes.
D’après les informations obtenues par Human Rights Watch, les autorités de la prison de Fashafouyeh ont également infligé aux familles des prisonniers des traitements inhumains, cruels et dégradants en procédant à des fouilles corporelles intrusives et humiliantes avant les visites. Une source bien informée a déclaré que dans certains cas, les proches des prisonniers, y compris des enfants, avaient été contraints de se déshabiller complètement pendant les fouilles, leur causant une détresse extrême.
Human Rights Watch est également profondément préoccupé par la situation des prisonniers qui ont été renvoyés dans les quartiers 7 et 8 de la prison d’Evin le 8 août, compte tenu des dommages importants subis par plusieurs installations pénitentiaires essentielles à la santé et au bien-être des prisonniers, notamment le dispensaire et la salle des visites. Ces préoccupations sont d’autant plus vives que les autorités ont depuis longtemps pour habitude de priver les prisonniers, en particulier les prisonniers politiques arbitrairement détenus, de soins médicaux adéquats.
L’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, également connues sous le nom de Règles Nelson Mandela, fixent des normes minimales pour le traitement des détenus en matière de santé et la surface minimale au sol, et stipulent que chaque détenu doit disposer de ventilation et d’eau potable.
Les États membres de l’ONU devraient exhorter les autorités à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement et à révéler le sort et le lieu de détention des prisonniers qu’elles ont fait disparaître de force.
« Les autorités iraniennes ne devraient pas profiter des frappes israéliennes contre la prison d’Evin pour infliger davantage de mauvais traitements aux prisonniers, en particulier à ceux qui n’auraient jamais dû être incarcérés », a déclaré Michael Page. « Les États membres de l’ONU devraient faire pression sur le gouvernement iranien pour qu’il suspende immédiatement toute exécution programmée, libère toutes les personnes détenues arbitrairement, garantisse des conditions de détention humaines et sûres, et mette fin à l’angoisse des familles des personnes disparues de force en révélant leur sort et leur lieu de détention. »
Lire l'enquête complète en anglais ici.
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