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Le Sénégal bloque le procès de Hissène Habré

Jacqueline Moudeina, avocate, s'inquiète des retards pris dans la procédure contre l'ex-président du Tchad, poursuivi pour crimes contre l'humanité

Pourquoi la mise en place du tribunal prend-elle autant de temps ?

Tout simplement parce que le Sénégal bloque la procédure. En acceptant que Hissène Habré soit jugé sur son sol comme l'avait demandé l'UA [le 2 juillet 2006 au sommet de Banjul, ndlr], qui ne veut pas que l'ancien dictateur soit jugé par des "blancs", le Sénégal aurait dû tout faire pour que le procès commence au plus vite. La justice sénégalaise, qui déjà en 2000 s'était déclarée incapable de juger l'accusé de crime de guerre, de crime contre l'humanité et d'actes de torture, a demandé une aide de 66 millions d'euros à l'Union africaine et à la communauté internationale pour la construction d'un nouveau palais de justice et pour payer les honoraires des 15 juges sénégalais. Ce qui est une somme absurde. De plus, la législation sénégalaise doit être révisée et le corps judiciaire sénégalais formé pour être en mesure de juger Hissène Habré sur la base du droit humanitaire international, qui n'est pas connu des magistrats. Le temps est notre pire ennemi. Plus il ¬pas¬se, plus la capacité des victimes à témoigner est amoindrie. Psychologiquement et physiquement, elles ont subi de très lourds traumatismes qui altèrent leur lucidité au fil des ans. D'autres, trop affaiblies, vont probablement mourir.

Quel est le rôle de l'UA au sein du tribunal ?

L'UA doit réaffirmer son soutien au Sénégal et financer le tribunal. Ce 9e sommet était symbolique, car, un an jour pour jour, l'UA donnait au Sénégal la mission de faire juger "au nom de l'Afrique" le criminel Habré. Or le dossier n'était pas à l'ordre du jour, et l'UA nous a refusé la demande d'envoi d'un émissaire spécial pour le dossier Hissène Habré.

Le président actuel du Tchad, Idriss Déby, soutient-il votre démarche ?

En tout cas, il nous soutient publiquement. Il avait invité en 2002 le juge d'instruction belge Daniel Fransen, qui à l'époque était chargé de l'affaire Habré. Fransen avait pu interroger au Tchad des victimes, des témoins, mais aussi des anciens membres de la Direction de la documentation et de la sécurité, la DDS, qui emprisonnait, torturait et tuait les opposants. Le président Déby a même affirmé qu'il était prêt à affréter un avion pour que les victimes tchadiennes puissent se rendre au procès au Sénégal.

La réconciliation entre les bourreaux et les victimes de Hissène Habré est-elle possible ?

Seulement si justice est rendue. Les victimes sont sans cesse humiliées par les bourreaux qui ont été réintégrés au sein de l'administration tchadienne.

Quel regard ces "bourreaux" portent-ils sur vous ?

En tant que Tchadienne, le fait que je sois à la tête d'une association nationale de défense des droits de l'homme les agace profondément. J'ai d'ail¬leurs été la cible d'un policier en 2001 lors d'une marche en faveur des victimes de Habré. Cet ancien bourreau, contre qui ATPDH avait lancé une poursuite judiciaire au Tchad, m'avait tiré dessus. Même si les bourreaux continuent de me menacer, je ne laisserai pas tomber. Nous voulons que Hissène Habré soit jugé au plus vite, que ce soit au Sénégal ou par un tribunal international.

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