Les récentes élections législatives au Burundi ont porté un ultime coup au pluralisme politique dans ce petit pays d'Afrique centrale. Le parti au pouvoir a remporté tous les sièges brigués à l'Assemblée nationale et au Sénat. Les élections locales se sont achevées la semaine dernière, mettant fin à un cycle électoral qui avait débuté en juin.
Si la Cour constitutionnelle a validé les résultats, ceux-ci ne reflètent pas une victoire pour la démocratie, mais au contraire son affaiblissement. Sans opposition, le pouvoir législatif est désormais officiellement un outil du parti au pouvoir, le Conseil national de défense de la démocratie–Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD).
Il n'y a pas si longtemps, le Burundi était considéré comme un modèle relatif d'ouverture démocratique dans la région des Grands Lacs. Dans les années qui ont suivi l'Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi (« Accord d'Arusha ») mettant fin à des décennies de guerre civile en 2005, le Burundi a fait de fragiles progrès dans la protection des libertés. Les groupes armés ont déposé les armes et créé des partis politiques pour chercher à obtenir le pouvoir par les urnes, plutôt que par la rébellion.
L'Afrique du Sud avait alors joué un rôle clé dans la négociation de l’accord. Nelson Mandela était devenu le médiateur en chef à la demande des dirigeants régionaux, attirant l'attention mondiale sur le processus de paix et lui donnant de la crédibilité. Usant à la fois de son autorité morale et de la pression politique classique, il a fait en sorte que les groupes armés divisés selon des critères ethniques fassent des compromis, et a fixé des délais stricts. Ainsi en 2005, le pays avait organisé ses premières élections suivant la fin du conflit et, au début des années 2010, le Burundi comptait plusieurs partis politiques actifs, d’importantes organisations de la société civile et une presse indépendante solide, bien que confrontée à des défis.
Si la violence politique et les assassinats ont compromis les élections de 2010, les citoyens pouvaient encore se rassembler, manifester et s'organiser. Les figures de l'opposition ont testé l'espace politique et se sont exprimées, ont appelé au boycott et ont contesté les résultats. Les stations de radio et les journaux ont fourni des plateformes pour le débat public. Il y avait de l'espoir pour un pluralisme politique réel et croissant, et le sentiment qu'aucun parti ou qu’aucune idéologie ne pouvait prétendre au monopole.
Cette vision a commencé à vaciller en avril 2015, lorsque des manifestations ont éclaté en réponse à la décision du président de l'époque, Pierre Nkurunziza, de se présenter pour un troisième mandat, en violation de l'Accord d'Arusha. Des troubles politiques et des massacres perpétrés par les forces de sécurité et des groupes d'opposition armés ont secoué le pays. La police a fait usage d'une force excessive et a tiré sans discernement sur les manifestants, faisant de nombreux morts et blessés. Les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, se sont montrés particulièrement brutaux. Par la suite, les Burundais ont assisté à un retour progressif d'une rhétorique et de tactiques violentes rappelant la guerre civile.
En 2020, Évariste Ndayishimiye a été élu président. Le CNDD-FDD a depuis consolidé davantage son pouvoir. Son gouvernement a suspendu le principal parti d'opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL) en 2023, sous couvert de vagues accusations de déstabilisation. La police et les Imbonerakure ont harcelé et arrêté des dirigeants de l'opposition, tandis que les tribunaux, sous la coupe de l'exécutif et du parti au pouvoir, ont été utilisés pour étouffer diverses activités.
Le CNL a finalement été rétabli, mais son dirigeant de longue date, Agathon Rwasa, a été écarté. Des journalistes indépendants ont été emprisonnés, contraints à l'exil ou ont « disparu ». Les organisations de la société civile qui jouaient autrefois un rôle de surveillance ont été systématiquement réduites au silence, et beaucoup sont contraintes de travailler depuis l'étranger. Dans ce contexte, les voix de l'opposition manquent de soutien car il leur est interdit de participer à la vie politique.
Lors des dernières élections, l'atmosphère était dépourvue de concurrence et les Imbonerakure montaient la garde dans les bureaux de vote, faisant pression sur les électeurs pour qu'ils soutiennent le CNDD-FDD, sapant ainsi même l'apparence d'un choix politique.
Le parlement, qui devrait être un espace encourageant le débat et la surveillance de pratiques gouvernementales, est désormais un organe qui les approuve docilement. Le gouvernement sera moins tenu de rendre des comptes dans un climat dangereux d'impunité et d'incertitude économique, alors que les taux d'inflation élevés et la faiblesse de la devise nationale continuent d'entraîner de graves pénuries de carburant et d'autres produits.
Le Burundi n'est pas le seul pays à pratiquer l'autoritarisme. L'espace politique s'est rétréci ces dernières années en Tanzanie voisine, où les restrictions imposées aux activités de l'opposition, aux médias et à la société civile limitent une possible participation démocratique ouverte. Au nord, le gouvernement rwandais affiche une façade de pluralisme, tandis que le Front patriotique rwandais au pouvoir, dirigé par Paul Kagame, maintient un contrôle strict sur la dissidence. Le seul dirigeant de l'opposition qui s'exprimait ouvertement a été emprisonné en juin. Au Rwanda, les détracteurs indépendants risquent l'arrestation, l'exil ou pire encore.
Les dernières élections au Burundi montrent une stratégie différente avec un objectif similaire : éliminer l'opposition non pas par la volonté des électeurs, mais par décret et intimidation.
L’Accord d'Arusha reconnaissait la nécessité d'un système politique multipartite. Le pluralisme politique ne se résume pas à la victoire d'un parti. Lorsque les citoyens pensent que les résultats électoraux sont prédéterminés et que la dissidence est punie, la confiance durement acquise dans les institutions démocratiques s'érode. Dans un pays marqué par une histoire de violence politique et de tensions ethniques comme le Burundi, la surpression d’alternatives pacifiques et démocratiques a eu des conséquences déstabilisantes au fil du temps.
Les Burundais et les partenaires internationaux du pays, y compris ceux qui ont négocié l’Accord d'Arusha, ne devraient pas accepter cette situation comme une nouvelle norme. Une démocratie résiliente nécessite plus que des élections : elle a besoin d’une véritable concurrence, du respect pour les droits fondamentaux, notamment la liberté d'expression et de réunion, et du respect institutionnel pour la diversité des opinions. Les autorités burundaises devraient rester fidèles à l'Accord d'Arusha et favoriser un climat de pluralisme véritable au lieu d'étouffer la dissidence.
Antoine Kaburahe est journaliste, écrivain et éditeur. En 2008, il a fondé Iwacu, l'un des derniers médias indépendants du Burundi. Il vit en exil depuis 2015. Lewis Mudge est directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch.
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