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Procès d’Ali Kushayb devant la CPI : Questions et réponses

Le premier procès de la CPI sur les crimes au Darfour vise Ali Mohammed Ali, connu sous le nom d’Ali Kushayb, ex-chef de milice janjawid

  1. Qui est Ali Kushayb ?
  2. Quelles sont les chefs d’accusation retenus contre Ali Kushayb devant la CPI ?
  3. Comment Ali Kushayb a-t-il été placé en détention par la CPI ?
  4. Pourquoi le procès et le verdict à venir d’Ali Kushayb sont-ils importants ?
  5. Qui d’autre est recherché par la CPI pour des crimes présumés commis au Darfour ?
  6. Pourquoi le Soudan n’a-t-il pas livré les autres suspects à la CPI ? Et qu’est-ce que ce pays doit faire de plus ?  
  7. Quand le procès de Kushayb débutera-t-il et en quoi consistera-t-il ?
  8. Les victimes pourront-elles participer au procès ou recevoir des réparations ?
  9. Quels sont les droits d’Ali Kushayb en tant que prévenu et sera-t-il présent au procès ?
  10. Quelles sont les peines prévues en cas de condamnation d’Ali Kushayb ?
  11. Comment les victimes et les communautés locales pourront-elles suivre le procès au Soudan ?
  12. Comment la CPI a-t-elle été amenée à s’intéresser aux crimes commis au Darfour ?
  13. Quelle est la situation actuelle au Darfour ?
  14. Quelle est la situation actuelle au Soudan ?

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1. Qui est Ali Kushayb ?

Ali Kushayb (aussi connu sous le nom d’Ali Kosheib) est le nom de guerre d’Ali Mohammed Ali, identifié par la Cour pénale internationale (CPI) comme Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman. Ali Kushayb est soupçonné d’avoir été le principal chef des milices janjawids dans la région de Wadi Saleh au Darfour occidental. Il a également occupé des postes de commandement dans les forces auxiliaires du gouvernement soudanais, les Forces de défense populaires et la Police centrale de réserve.

Au début de l’année 2003, les Janjawids ont travaillé aux côtés des forces du gouvernement soudanais pendant le conflit armé qui les ont opposés aux groupes rebelles en menant une campagne systématique de « nettoyage ethnique ». Cette campagne visait les civils des groupes ethniques Four, Masalit et Zaghawa, dont étaient issus les membres de ces groupes rebelles. Attaquant par voies aérienne et terrestre, les forces gouvernementales soudanaises et leurs milices alliées ont tué, violé et déplacé de force plus de 2 millions de personnes de leurs foyers et de leurs terres. Le gouvernement soudanais a recruté, armé et entraîné les forces janjawids.

Ali Kushayb est impliqué pour son rôle clé dans les attaques qu’il a dirigées contre des villages situés autour de Mukjar, Bindisi et Garsila en 2003-2004. Kushayb est également impliqué pour avoir dirigé ou participé à des attaques meurtrières contre des communautés ethniques Salamat au Darfour central en avril 2013.

2. Quels sont les chefs d’accusation retenus contre Kushayb devant la CPI ?

Ali Kushayb est accusé de 31 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en 2003 et 2004 dans les quatre villages de Kodoom, Bindisi, Mukjar et Deleig au Darfour occidental. Parmi les chefs d’accusation figurent le meurtre, la tentative de meurtre, le pillage, le viol, la torture, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, le transfert forcé, la destruction de biens, les atteintes à la dignité de la personne, la persécution et les traitements cruels et autres traitements inhumains. Kushayb est accusé d’avoir dirigé des attaques, mais aussi d’avoir mobilisé, recruté, armé et approvisionné les milices janjawids qui étaient sous son commandement. 

Ali Kushayb a été identifié par Human Rights Watch il y a déjà plus de 15 ans comme un individu devant faire l’objet d’une enquête de la CPI pour ses crimes présumés au Darfour.

La Cour pénale internationale a émis un premier mandat d’arrêt contre Ali Kushayb le 27 avril 2007. Un deuxième mandat, émis en 2018, a été rendu public en 2020. Ces mandats comprenaient un peu plus de 50 charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les charges ont été consolidées en 31 charges avant ce que l’on appelle les audiences de confirmation des charges, qui ont eu lieu en mai 2021. À la suite de ces audiences, les juges de la CPI ont confirmé tous les chefs d’accusation et ont renvoyé l’affaire en jugement.

 3. Comment Kushayb a-t-il été placé en détention par la CPI ?

Ali Kushayb s’est volontairement rendu à la CPI en République centrafricaine. Le 9 juin 2020, la CPI a annoncé qu’il était en détention.

La CPI a indiqué que la République centrafricaine, le Tchad, la France, les Pays-Bas et les forces hybrides de maintien de la paix de l’ONU et de l’Union africaine avaient apporté leur coopération et leur assistance à sa mise à disposition de la Cour. La première comparution de Kushayb devant la CPI a eu lieu le 15 juin 2020.

4 . Pourquoi le procès et le verdict à venir d’Ali Kushayb sont-ils importants ?

Bien que ce procès ait lieu 18 ans après le début des crimes qui lui sont imputés, c’est la première fois qu’un dirigeant sera amené à répondre de crimes graves prétendument commis au Darfour. Pour les victimes et les communautés que les Janjawids ont terrorisées, ce procès est une occasion rare et longtemps attendue de voir un chef présumé répondre de ses actes devant la justice. Il s’agit aussi du premier procès de la CPI concernant des crimes commis par les forces de l’État et les milices alliées au Darfour. Il démontre que, même plus de dix ans après, ceux qui commettent des crimes peuvent toujours être traduits en justice.

Un homme du Darfour qui travaille avec les réfugiés du Darfour et les personnes déplacées à l’intérieur du pays a déclaré à propos du procès Kushayb : « Nous apprécions le rôle de la CPI, pas de manière vindicative mais pour la justice qui est rendue, pour que les gens dans le monde entier sachent que personne n’est au-dessus d’elle, et pour que tous les dictateurs qui souhaitent exterminer et tuer leurs peuples ou leurs voisins sachent qu’ils devront répondre de leurs actes devant la justice. »

Les Darfouriens, ainsi que des activistes au Soudan et dans toute l’Afrique, font depuis longtemps campagne pour la remise de Kushayb et d’autres suspects à la CPI. Les communautés locales et les Darfouriens déplacés au Soudan ont manifesté pour que Kushayb soit traduit en justice et ont organisé des veillées pour les victimes des attaques dont il se serait rendu responsable.

Un activiste basé à Khartoum qui travaille avec des victimes darfouriennes a déclaré à Human Rights Watch : « [Ces deux dernières années], quand nous nous sommes assis pour discuter avec les victimes [au Darfour], nous leur avons demandé ce dont elles avaient besoin et elles ont répondu : "nous avons besoin de justice"... Il est difficile d’exprimer combien nous sommes heureux que... la justice prévale. »

5. Qui d’autre est recherché par la CPI pour des crimes présumés commis au Darfour ?

Quatre autres personnes, dont l’ancien président soudanais Omar el-Béchir, font l’objet de poursuites devant la CPI. Tous sont des fugitifs de la Cour :

  • L’ancien président Omar el-Béchir doit répondre de cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, de deux chefs d’accusation de crimes de guerre et de trois chefs d’accusation de génocide. Il est actuellement en détention au Soudan et est jugé aux côtés d’autres anciens responsables pour son rôle présumé dans le coup d’État de 1989 contre le dernier gouvernement élu du Soudan. En décembre 2019, el-Béchir a été condamné à une peine privative de liberté de deux ans pour une condamnation liée à la corruption.
  • Ahmad Haroun, ancien ministre d’État aux affaires humanitaires et ancien gouverneur de l’État du Kordofan méridional, est recherché pour 20 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et 22 chefs d’accusation de crimes de guerre. Il est détenu par les autorités soudanaises mais n’a pas été inculpé pour crimes au regard du droit soudanais, pour autant que Human Rights Watch ait pu le déterminer.
  • Abdel Raheem Muhammad Hussein, ancien ministre de la Défense, est recherché pour sept chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et six chefs d’accusation de crimes de guerre. Il est détenu par les autorités soudanaises et fait également l’objet de poursuites dans son pays pour son rôle présumé dans le coup d’État de 1989.
  • Abdallah Banda Abakaer, chef du mouvement rebelle Justice et égalité au Darfour, est poursuivi pour trois chefs d’accusation de crimes de guerre liés à une attaque contre la base de l’Union africaine au Darfour. Banda avait initialement comparu de manière volontaire devant un tribunal en 2010. Les juges ont confirmé les accusations qui pèsent contre lui en 2011 et l’ont renvoyé devant le tribunal. Les juges ont émis un mandat d’arrêt pour s’assurer de sa présence lors du procès en 2014. Il est en fuite depuis cette date. Le procès ne débutera pas tant qu’il ne se présentera pas volontairement ou ne sera pas remis à la Cour.

Deux autres chefs rebelles soudanais ont été inculpés de crimes liés à l’attaque d’une base de l’Union africaine, mais le premier, Saleh Mohammed Jerbo Jamus, est décédé, et les juges de la CPI ont refusé de confirmer les charges contre le second, Bahar Idriss Abu Garda.

Human Rights Watch a constaté que les forces gouvernementales soudanaises et les milices alliées ont commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, mais en raison des limites imposées à ses recherches, l’organisation n’a pas été en mesure de conclure si ces crimes répondaient à l’intention requise pour le crime de génocide. Human Rights Watch a par ailleurs constaté que des groupes rebelles étaient aussi impliqués dans des crimes graves, notamment des attaques contre des civils, des meurtres, des enlèvements et des pillages.

6. Pourquoi le Soudan n’a-t-il pas livré les autres suspects à la CPI ? Et qu’est-ce que ce pays doit faire de plus ?  

La CPI a besoin d’une plus grande coopération de la part des autorités soudanaises. Les autorités soudanaises doivent transférer à la CPI les autres suspects, notamment l’ancien président Omar el-Béchir, sans plus attendre. Un activiste darfourien a déclaré à Human Rights Watch en mars 2022 : « Le procès Kushayb est une étape importante. Mais pour que la justice soit pleinement rendue au Darfour, il faut qu’Omar el-Béchir, Ahmad Haroun et Abdulraheem Mohammed Hussein, entre autres, soient livrés à la CPI. »

La coopération requise de la part des autorités soudanaises comprend l’exécution des mandats d’arrêt mais aussi la réponse positive aux demandes du procureur de la CPI. La CPI doit avoir accès aux documents, archives, scènes de crime, témoins et à d’autres éléments de preuve relatifs aux affaires au Darfour, et la possibilité de se rendre dans toutes les régions du Soudan et de travailler de manière indépendante.

Bien que le Soudan ne soit pas un État partie à la CPI, la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a déféré la situation au Darfour à la CPI, oblige le gouvernement soudanais à coopérer avec la Cour.

Sous le régime de l’ancien président el-Béchir, le Soudan a refusé de manière flagrante de coopérer avec la CPI, qui a saisi le Conseil de sécurité de plusieurs cas de non-coopération, notamment lorsque le gouvernement n’a pas exécuté les mandats d’arrêt contre Ali Kushayb et Ahmad Haroun.

 

Le gouvernement soudanais de transition, qui a pris ses fonctions en 2019, a promis de coopérer avec la CPI et a accueilli l’ancienne procureure de la CPI Fatou Bensouda au Soudan pour la première fois en octobre 2020. Les autorités ont également signé un accord de coopération avec la CPI sur l’affaire Kushayb en février 2021.

 

En juin 2021, le Conseil des ministres a approuvé le transfert à la CPI des trois individus détenus au Soudan, mais ce transfert n’a pas encore eu lieu. En octobre 2021, juste avant le coup d’État des chefs militaires qui a évincé le gouvernement de transition, le procureur de la CPI, Karim Khan, qui a pris ses fonctions en juin 2021, s’est rendu au Soudan et a discuté de la coopération entre la Cour et le Soudan.

Quand Khan est retourné au Soudan en décembre 2021, les autorités soudanaises ont indiqué que le protocole d’accord relatif à la coopération signé entre le gouvernement soudanais et la CPI avant le coup d’État restait en vigueur.

Lors d’un exposé présenté en janvier devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, Karim Khan a souligné que la coopération accélérée du Soudan avec la CPI était « la seule voie viable pour garantir aux survivants des crimes contre l’humanité commis au Darfour une justice trop longtemps différée ».

7. Quand le procès de Kushayb débutera-t-il et en quoi consistera-t-il ?

Le procès doit débuter le 5 avril 2022 et devrait commencer par la lecture des charges à l’accusé et les déclarations d’ouverture du Bureau du Procureur puis de la défense. S’ensuivra la présentation des preuves, notamment l’interrogatoire des témoins. Il n’y a pas de durée prédéfinie pour le procès, mais les procès de cette nature ont tendance à durer au moins deux ans.

8. Les victimes pourront-elles participer au procès ou recevoir des réparations ?

La CPI dispose d’un système innovant de participation des victimes, qui permet aux victimes de crimes présumés de faire connaître leurs opinions et leurs préoccupations aux juges du procès par l’intermédiaire de leurs représentants légaux. Ce système est distinct de tout rôle de témoin. La participation des victimes est un moyen de renforcer la résonnance de la CPI dans les communautés affectées.

Le 19 octobre 2021, la Chambre de première instance a rendu une décision autorisant 151 victimes à participer à la phase préliminaire et à la phase de confirmation des charges de la procédure. Dans une décision du 14 janvier 2022, les juges de la CPI ont autorisé 142 victimes à participer à la phase de procès de la procédure. Il s’agit notamment de 130 victimes qui ont participé aux phases antérieures de la procédure (les décisions relatives aux 21 autres victimes sont en attente sur la base des informations disponibles), auxquelles se sont ajoutées 12 nouvelles victimes.

Les représentants peuvent faire une déclaration d’ouverture, des observations orales, présenter des arguments sur le fond, interroger des témoins et présenter des preuves lors du procès. En cas de condamnation, les victimes peuvent également demander au tribunal des réparations, qui peuvent être individuelles ou collectives, symboliques ou monétaires, et sont déterminées au cas par cas.

9. Quels sont les droits de Kushayb en tant que prévenu et Kushayb sera-t-il présent au procès ?

Ali Kushayb a droit à un procès équitable et rapide, mené de manière impartiale, comme le prévoient les articles 66 et 67 du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, et les normes internationales en matière de procès équitable. Ces normes comprennent les protections suivantes :

  • Du temps et des installations adéquats pour préparer une défense ;
  • Ne pas être contraint de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable ;
  • Disposer de l’avocat de son choix ;
  • La présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire ; et
  • La protection contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Ali Kushayb devra être présent dans la salle d’audience pendant toute la durée du procès, conformément à l’article 63 du Statut de Rome.

10. Quelles sont les peines prévues en cas de condamnation de Kushayb ?

Les peines prévues en cas de condamnation sont l’emprisonnement pour une durée maximale de 30 ans ou la réclusion à perpétuité conformément à l’article 77 du Statut de Rome. Les peines supplémentaires comprennent « confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime. » La peine de mort – à laquelle Human Rights Watch s’oppose en raison de sa cruauté inhérente – n’est pas prévue par la CPI.

11. Comment les victimes et les communautés locales pourront-elles suivre le procès au Soudan ?

La campagne de sensibilisation menée par la CPI au sujet du procès auprès des communautés  les plus touchées par les crimes sera importante pour maximiser l’accessibilité et l’impact de la CPI au niveau local.

La CPI prévoit une série d’événements de sensibilisation avant l’ouverture du procès, même si la Cour a été contrainte de limiter certaines de ses activités en raison de l’environnement logistique et sécuritaire plus difficile causé par le coup d’État d’octobre 2021.

Il est prévu d’organiser des séances d’information hybrides avec la diaspora, les médias et la société civile basés à Khartoum, et si la sécurité le permet, à Nyala, la capitale du Sud-Darfour, et avec des leaders communautaires vivant dans des camps de déplacés au Darfour. Les participants recevront des informations et auront la possibilité de voir des vidéos sur le procès, et de poser des questions au personnel de la CPI, probablement par le biais d’une connexion virtuelle depuis La Haye.

La CPI prépare des vidéos et des programmes radiophoniques avec des interviews des principaux acteurs du procès et des « messages de service public » sur le sujet. Ces programmes, ainsi que des résumés vidéo et audio du procès, seront diffusés par Radio Dabanga au Darfour, des réseaux de stations de radio et de télévision basés au Soudan, et plusieurs autres stations de radio accessibles aux communautés de réfugiés dans l’est du Tchad.

L’Unité de la sensibilisation dispose d’un groupe WhatsApp pour les médias, auquel les journalistes peuvent accéder en envoyant un courriel à l’adresse Outreachhq@icc-cpi.int, et d’une Dropbox pour les informations actualisées sur le procès, en plus des informations publiées sur le site Internet de la CPI.

En raison de la concurrence entre ressources d’une part, et exigences logistiques d’autre aprt, ainsi que pour des raisons de sécurité, la CPI n’organise pas la venue d’une délégation du Soudan pour assister à l’ouverture du procès à La Haye, mais la présence de cette délégation locale, qui pourrait inclure des activistes locaux, des leaders communautaires et des médias, pourrait être envisagée à un stade ultérieur du procès.

À plus long terme, la CPI entend mettre en place des clubs de visionnage et d’écoute pour garantir un accès continu aux procédures. Des discussions et des mises à jour régulières concernant le procès auront lieu dans les camps de personnes déplacées, au sein des communautés locales établies ailleurs au Darfour et dans les camps de réfugiés de l’est du Tchad, avec la possibilité de poser des questions. L’Unité de la sensibilisation a indiqué qu’elle prévoyait également de reprendre dès que possible les visites de sensibilisation de son personnel au Soudan et au Tchad.

12. Comment la CPI a-t-elle été amenée à s’intéresser aux crimes commis au Darfour ?  

La CPI a ouvert une enquête sur la situation des crimes commis au Darfour en 2005 suite au déferrement de la situation au Darfour par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans la résolution 1593. Le Soudan n’étant pas membre de la CPI, ce déferrement était nécessaire pour que la CPI puisse enquêter sur les crimes commis au Darfour. Il s’agissait de la première saisine de ce type par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

À ce jour, le Conseil n’a déféré qu’une seule autre situation à la CPI, à savoir la situation en Libye. Malgré la nécessité vitale d’autres déferrements compte tenu de la gravité des crimes commis dans des pays qui n’ont pas encore rejoint la CPI, notamment les crimes commis en Syrie et au Myanmar, le Conseil n’a pas agi en raison de considérations politiques.

13. Quelle est la situation actuelle au Darfour ?

Les crimes graves commis au Darfour par le gouvernement et les forces alliées au gouvernement ont persisté au fil des ans, alimentés par une impunité massive, y compris des gratifications accordées à certains individus impliqués dans ces crimes.

En 2016 encore, les forces ont continué à attaquer des Darfouriens par voie aérienne et terrestre, et les crimes commis entre 2010 et 2015 comprenaient des meurtres significatifs de civils, ainsi que des viols et des agressions de femmes et de filles. Deux campagnes de contre-insurrection au Darfour, menées par les Forces de soutien rapide (RSF) du gouvernement entre 2014 et 2015, ont inclus des attaques répétées contre des villages, des incendies et des pillages de maisons, des passages à tabac, des viols et des exécutions de villageois. Plusieurs anciens membres des Janjawids, qui sont aussi de plus en plus souvent désignés simplement comme des milices soutenues par le gouvernement, figuraient dans les rangs des RSF. Certaines des attaques des RSF ont été menées avec le soutien des forces armées soudanaises et des milices soutenues par le gouvernement.

Un cessez-le-feu prolongé qui a débuté en 2017 a contribué à réduire la violence, mais les forces gouvernementales et leurs milices supplétives ont continué à mener des attaques contre des civils. Les abus se sont à nouveau intensifiés en 2019, en grande partie à cause de groupes armés locaux impliquant dans certains cas les forces de sécurité de l’État, dans le sillage du retrait d’une force de maintien de la paix hybride ONU/UA puis de nouveau avec le coup d’État d’octobre 2021.

Si divers facteurs, souvent localisés, ont joué un rôle dans la recrudescence récente de la violence, l’incapacité des autorités, au cours des deux dernières années, à assurer une protection significative des civils et à s’assurer que la justice soit rendue pour les abus passés et actuels a contribué à l’escalade de la violence et des préjudices causés aux civils. Le Darfour occidental, en particulier, a connu plusieurs épisodes graves de violence depuis le début de l’année 2021, avec des centaines de personnes tuées, des dizaines de milliers de personnes déplacées et d’importants biens civils détruits.

14. Quelle est la situation actuelle au Soudan ?

La première année de la transition de trois ans du Soudan vers un régime démocratique, après l’éviction spectaculaire du président Omar el-Béchir en 2019, a été marquée par une économie défaillante, des tensions politiques et des protestations populaires continues en faveur de la justice et de réformes plus rapides et plus profondes. La pandémie de Covid-19 a aggravé ces problèmes. Le gouvernement a introduit quelques réformes mais n’a pas encore réalisé la plupart des réformes institutionnelles et juridiques prévues par la charte constitutionnelle d’août 2019. La deuxième année de la pandémie a été marquée par une instabilité politique qui a ralenti le rythme des réformes législatives et de l’État de droit, et par une situation économique désastreuse qui a aggravé le mécontentement de la population.

Le 25 octobre 2021, les dirigeants militaires du gouvernement de transition ont perpétré un coup d’État, arrêtant les responsables civils et dissolvant le gouvernement de transition. Les manifestants sont descendus dans la rue pour rejeter le coup d’État, et les forces de sécurité ont répondu violemment en fusant usage de la force létale, en détenant les manifestants et les dirigeants politiques, et en coupant Internet pendant près de trois semaines.   

Le 21 novembre, un accord a été signé entre le premier ministre, le Dr. Abdalla Hamdok alors rétabli dans ses fonctions, et les militaires, permettant au premier ministre d’être libéré de son assignation à résidence et de former un nouveau gouvernement technocratique. Les manifestants et d’autres groupes politiques ont rejeté cet accord. Hamdok a démissionné en janvier 2022.  Les forces de sécurité ont continué à détenir des manifestants, des opposants politiques et d’autres personnes à Khartoum et ailleurs.

Les forces de sécurité soudanaises ont, à plusieurs reprises, attaqué ou fait un usage excessif de la force, y compris de la force meurtrière, contre des manifestants pacifiques à Khartoum. Les appels lancés par des responsables régionaux et internationaux pour que l’armée mette fin à la répression n’ont pas été entendus.

La situation actuelle menace les acquis importants, quoique limités, du gouvernement de transition en matière de justice, notamment sa coopération avec la CPI. Si les chefs militaires ne sont pas revenus sur leurs engagements initiaux, le climat actuel de répression et d’absence de redevabilité reste une menace pour les victimes de crimes au Darfour et dans tout le Soudan.

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