Skip to main content

Russie : Le Kremlin cible les voix critiques sur fond de guerre en Ukraine

Alexeï Navalny a été condamné à 9 ans de prison supplémentaires, selon un verdict dénué de fondement

L’opposant russe Alexei Navalny, photographié lors de son procès tenu à Pokrov, dans la région de Vladimir, en Russie, le 22 mars 2022. © 2022 AP Photo/Alexander Zemlianichenko

(Berlin, le 23 mars 2022) – La condamnation, le 22 mars 2022, du dirigeant de l’opposition russe emprisonné Alexeï Navalny sur la base de nouvelles accusations infondées reflète la répression accrue exercée par le gouvernement russe contre la dissidence et la liberté d’expression depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

« Ce dernier verdict rendu contre Alexeï Navalny est un énième simulacre de justice », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Ce verdict vise apparemment non seulement à réduire Navalny au silence, mais aussi à servir d’avertissement à la société civile russe et à toute personne osant s’opposer aux politiques du Kremlin. »

Alexeï Navalny a été arrêté en janvier 2021, dès son retour en Russie, après avoir été soigné en Allemagne suite à un empoisonnement qui a failli lui coûter la vie en août 2020. Les autorités russes l’ont alors accusé d’avoir violé les conditions de sa période de probation pendant son séjour en Allemagne et en février 2021, elles l’ont envoyé en prison pour purger les 32 mois restants de sa condamnation avec sursis. Depuis lors, les autorités russes n’ont cessé de porter de nouvelles accusations pénales contre lui, manifestement afin de s’assurer qu’il reste encore enfermé pendant de nombreuses années, sans pouvoir continuer à mobiliser la société civile russe et à dévoiler la corruption dans les plus hautes sphères du pouvoir.

Fin 2021, dans un message sur les réseaux sociaux, Navalny avait plaisanté en affirmant qu’il serait sorti de prison « au printemps 2051 ».

Ce nouveau procès de Navalny, basé sur des accusations infondées de « détournement de fonds » et d’« outrage à magistrat », s’est déroulé dans une colonie pénitentiaire à Pokrov, où il purge déjà une peine de prison basée sur de précédentes accusations. Il a été condamné à neuf ans de prison supplémentaires et à une amende de 1,2 million de roubles (environ 11 300 dollars US).

Lors du procès, qui s’est déroulé en février, l’un des témoins à charge a ouvertement contredit sa précédente déclaration écrite, affirmant que le responsable de l’enquête gouvernementale l’avait menacé de poursuites et l’avait contraint à réciter ce qui figurait dans cette déclaration, rédigée par les enquêteurs eux-mêmes. Mais au lieu de cela, ce témoin a déposé devant le tribunal en faveur de Navalny, en déclarant que ce dernier avait agi en toute légalité et en qualifiant le procès d’« absurdité ». Il a fui le pays le lendemain, par crainte de représailles.

Le verdict n’en fait cependant pas mention, reprenant plutôt certaines parties de la déclaration écrite de ce témoin.

L’un des deux chefs d’accusation retenus contre Navalny dans ce procès était d’avoir insulté un juge, lors d’un précédent procès tenu en février 2021. À l’issue du précédent procès, Navalny avait été reconnu coupable de diffamation à l’encontre d’un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale ; Navalny avait critiqué une publicité en faveur d’amendements constitutionnels, diffusée à la mi-2021 et financée par l’État et dans laquelle figurait, entre autres, cet ancien combattant.

L’autre chef d’accusation concernait un prétendu détournement de dons destinés à des organisations affiliées à Navalny, dont sa Fondation contre la corruption (FBK). Les allégations d’irrégularités portaient en partie sur le fait que Navalny collectait des fonds pour sa campagne présidentielle, bien que sa candidature ne soit pas officiellement autorisée, en raison d’une précédente condamnation pour détournement de fonds.

Les autorités ont accusé Alexeï Navalny d’avoir détourné plus de la moitié des dons, soit plus de 356 millions de roubles (environ 5 millions de dollars US à l’époque), à des fins personnelles. Le verdict du 22 mars ne concernait que 2,7 millions de roubles des fonds prétendument détournés. L’un des avocats de Navalny a récemment déclaré que d’autres accusations de « détournement de fonds » portant sur des sommes plus importantes pourraient donner lieu à de nouveaux procès contre Navalny.

Les autorités russes ont déjà ouvert plusieurs autres procédures pénales contre Navalny. Dans une affaire, il est accusé d’avoir créé une organisation non gouvernementale, FBK qui « porte atteinte aux droits des personnes ». Dans une autre affaire, FBK et deux autres groupes affiliés à Navalny ont été placés sur une liste noire d’organisations « extrémistes » par un tribunal en juin 2021, de façon manifestement injuste. Cette deuxième affaire avait été jointe à d’autres accusations antérieures, également douteuses, visant plusieurs collaborateurs de Navalny et concernant un prétendu blanchiment d’argent et l’implication d’enfants lors de manifestations pacifiques mais non autorisées.

« Les poursuites engagées contre Navalny s’inscrivent dans le sombre contexte de la répression exercée par le Kremlin contre la société civile russe et la dissidence pacifique ; cette répression s’est considérablement intensifiée depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie », a observé Hugh Williamson.

Depuis le 24 février, la police russe a arrêté arbitrairement des milliers de personnes qui manifestaient pacifiquement dans tout le pays contre la guerre en Ukraine. La police a infligé à certains détenus de graves mauvais traitements et a commis d’autres violations des droits à leur encontre.

Début mars, les autorités russes ont adopté un ensemble de lois criminalisant les prétendues « fausses informations » et le « discrédit envers les forces armées russes ». Ces lois punissent par de lourdes amendes, et parfois même de longues peines de prison, les reportages indépendants sur la guerre, le fait de qualifier le conflit armé en Ukraine de « guerre » ou encore celui de manifester contre ce conflit.

Les rares médias russes indépendants encore existants ont dû suspendre leurs activités, se délocaliser hors de Russie, ou ont été fermés par les autorités. Les autorités russes ont bloqué les sites Internet des médias russes indépendants et des médias étrangers. Elles ont également bloqué les réseaux sociaux étrangers en Russie et placé Meta, la société mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, sur la liste noire des « extrémistes ».

Au cours des deux premières semaines de la guerre, qui a commencé le 24 février, au moins 150 journalistes ont quitté la Russie. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont également fui le pays, notamment des défenseurs des droits humains et des activistes de la société civile, en raison des risques considérablement accrus d’arrestations et de poursuites arbitraires. Dans un récent discours public, le président Vladimir Poutine s’en est pris aux prétendus « traîtres à la nation » et à une soi-disant « cinquième colonne », une terminologie qui a des connotations historiques particulièrement négatives.

« Le Kremlin semble déterminé à isoler la société russe du monde extérieur pour couper les Russes des réalités dérangeantes, notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, » a conclu Hugh Williamson. « Il est donc guère surprenant que les autorités russes redoublent d’efforts pour salir et réduire au silence Alexeï Navalny et d’autres individus qui pourraient convaincre les gens de ne plus croire aux mensonges du Kremlin, et de croire plutôt ce que le monde entier peut voir. »

.............

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.