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Ukraine : Usage répété d’armes à sous-munitions russes à Mykolaïv

Des civils ont été tués et blessés lors de multiples attaques susceptibles de constituer des crimes de guerre

(Berlin, le 17 mars 2022) – Les forces russes ont tiré à plusieurs reprises des roquettes à sous-munitions sur la ville densément peuplée de Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine, lors d’attaques distinctes les 7, 11 et 13 mars 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Une attaque menée le 13 mars aurait tué neuf civils, qui faisaient apparemment la queue devant un distributeur automatique de billets. Ces attaques ont également blessé plusieurs autres civils et endommagé des maisons, des entreprises et des véhicules de civils.

« Plusieurs zones résidentielles de Mykolaïv ont été frappées par des attaques aux armes à sous-munitions en l’espace d'une semaine », a déclaré Belkis Wille, chercheuse senior auprès de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les forces russes devraient cesser d’utiliser des armes à sous-munitions, et mettre fin à ces attaques qui sont manifestement menées sans discernement. »

Les armes à sous-munitions sont interdites par un traité international, en raison de leur effet indiscriminé généralisé, et du danger durable qu’elles représentent pour les civils.

Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec six témoins des attaques et analysé des dizaines de photographies et de vidéos, partagées par des témoins ou publiées sur les réseaux sociaux. Ces photos et vidéos montrent quatre corps de personnes tuées, ainsi que les dommages causés par les attaques. On y voit aussi des fragments d’armes qui ont été utilisées, notamment des roquettes à sous-munitions Uragan et Smerch, ainsi que des sous-munitions à fragmentation 9N210 non explosées.

Le 7 mars, au premier jour des attaques vers 5 heures du matin, un ouvrier de maintenance, sa femme et ses enfants dormaient lorsque leur quartier a été attaqué. Ils se sont réfugiés dans le sous-sol de leur voisin pendant que les attaques se poursuivaient. Vers 10 heures du matin, deux roquettes ont atterri à proximité de leur maison, une dans la cour et l’autre derrière la maison. « J’ai entendu un sifflement et le bruit de nombreuses explosions », a-t-il déclaré. « Le sous-sol vibrait ». Plus tard, il a découvert que sa cour avait été détruite. Une équipe du Service d’urgence, l’organisme gouvernemental chargé du déminage et du nettoyage des engins explosifs, lui a indiqué que les deux roquettes étaient des Smerch.

Le matin du 7 mars, des attaques ont également eu lieu à Solyani, une banlieue nord de Mykolaiv où se trouvent des quartiers résidentiels et une base militaire. Un chauffeur de camion de Solyani, membre de la surveillance civile du quartier depuis le début de la guerre, a organisé une patrouille dans le quartier suite aux attaques. Il a déclaré que trois civils avaient été blessés et avoir vu ce que Human Rights Watch a identifié, sur la base des photographies qu’il a prises, comme étant quatre propulseurs de roquettes usagés et une charge d’armes à sous-munitions provenant de roquettes 9M55K Smerch. Un propulseur de roquette et la queue d’une roquette Smerch avaient atterri dans la cour d’une école maternelle, deux propulseurs de roquettes avaient atterri entre des maisons, et le quatrième avait atterri au milieu d’une rue, tandis que la porteur de charge avait atterri sur la rive du fleuve.

Le lieu où ces roquettes et le porteur charge ont atterri se trouvait à un kilomètre au moins d’une base militaire, que le conducteur du camion a identifiée comme la seule cible militaire potentielle dans cette zone.

Le 7 mars, les forces russes ont également tiré des roquettes sur le quartier d’Inhulsky, dans la partie orientale de la ville. Un habitant d’Inhulsky, un marin, a dit avoir été réveillé à 4 h 45 du matin par le bruit des explosions. Elles se sont rapprochées de plus en plus de son immeuble d’habitation de cinq étages, avant que celui-ci ne soit touché. « J’ai eu l’impression d’avoir les jambes coupées », a-t-il expliqué, « et que tout le bâtiment allait s’effondrer ». Il s’est précipité dans le couloir où il a trouvé une femme âgée qui saignait de la tête. Selon lui, la roquette avait touché ce couloir, mais aussi la cage d’escalier et plusieurs cuisines des deuxième et troisième étages de l’immeuble.

Le marin a partagé 10 vidéos avec Human Rights Watch, notamment celle de la femme qui saignait, celle des dégâts causés à son immeuble, ainsi que des images de vidéosurveillance montrant l’extérieur de l’immeuble au moment de l’attaque, ainsi que 17 photographies des dégâts causés à l’immeuble et aux voitures garées à l’extérieur. Plusieurs vidéos montrent des motifs de fragmentation uniformes correspondant à l’explosion de munitions à fragmentation.

Bien qu’elles ne soient pas des roquettes à fragmentation à proprement parler, les roquettes d’artillerie équipées d’ogives à haute explosivité ou fragmentation peuvent avoir un impact indiscriminé, et l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées renforce les risques d’attaques illégales, indiscriminées et disproportionnées.

Le 11 mars, de multiples attaques ont à nouveau frappé le quartier d’Inhulsky aux premières heures du jour. Une informaticienne vivant dans le centre de la ville a déclaré avoir entendu à deux ou trois reprises un bruit qui ressemblait à un sifflement au moment où les attaques ont commencé. Elle a ensuite visité deux sites qui avaient été touchés. Elle a partagé 36 photographies avec Human Rights Watch, montrant les dégâts qu’elle a observés, notamment sur les fenêtres d’un immeuble de neuf étages et sur cinq voitures. Les photographies montrent des éclats dus aux impacts d’une explosion de sous-munitions dans l’asphalte et sur deux voitures. Un reste de la charge d’une roquette à sous-munitions Uragan 9M27K est également visible.

Les coordonnées de la photographie partagée par cette habitante d’une sous-munition 9N210/235 non explosée gisant sur une parcelle d’herbe sur un côté de la rue, la situent à environ 1,7 kilomètre de l’usine Zorya. Cette usine produit des turbines à gaz, principalement destinées aux technologies de défense maritime et navires de guerre. L’usine peut avoir été identifiée comme une cible militaire potentielle, mais la distance importante entre l’usine et les sites civils endommagés suggère aussi que les attaques étaient indiscriminées.

Les attaques du matin du 11 mars ont également touché Pivnichnyy, une banlieue située juste au nord de Solyani et à environ 600 mètres de la base militaire. Le chauffeur de camion et membre de l’équipe de surveillance du quartier de Solyani a déclaré être arrivé sur le site dans l’après-midi. Un membre de l’équipe du Service d’urgence lui a déclaré qu’ils avaient détruit une sous-munition qui n’avait pas explosé au moment de l’impact et qui se trouvait derrière le mur d’un immeuble de 10 étages. Le Service d’urgence a également partagé avec le chauffeur du camion une photo de la munition prise par l’équipe, que Human Rights Watch a identifiée comme étant une sous-munition à fragmentation lancée par une roquette.

Il a dit avoir vu que trois porteurs de charge de roquettes à fragmentation avaient endommagé la salle des chaudières d’un bâtiment, le toit d’un immeuble de 10 étages et la cour d’une école maternelle. De petites rainures causées par la projection de fragments de métal étaient visibles sur la façade jusqu’au septième étage de l’immeuble, a-t-il indiqué. Les photos qu’il a fournies, prises selon lui le 11 mars à Pivnichnyy, montrent les impacts provoqués par l’explosion d’une arme à sous-munition dans le béton ainsi que des dommages aux fenêtres.

Le 13 mars, au moins trois quartiers de Mykolaiv ont été attaqués par des tirs de roquettes transportant des sous-munitions. L’homme à tout faire se trouvait dans sa cuisine vers 8 heures du matin, lorsqu’un moteur de roquette a traversé son toit et perforé un mur à l’intérieur de son habitation pour finir dans la salle de bain. Sur la base de sept photographies qu’il a partagées, Human Rights Watch a identifié le moteur de la roquette et l’assemblage de la queue comme étant une roquette à sous-munitions Uragan 9M27K. Bien qu’il ne se soit trouvé qu’à quelques mètres du moteur de la roquette, il n’a pas été blessé, mais l’attaque a endommagé sa maison.

Le chauffeur du camion a déclaré qu’une attaque s’était produite à Solyani à peu près au même moment. Vers 8 heures du matin, il a dit avoir entendu de nombreuses petites explosions puis, lorsqu’il est sorti plus tard, avoir « vu beaucoup de fumée noire, puis un cratère au milieu de la rue devant ma maison, et de nombreux petits sillons autour du cratère ». Il dit avoir vu le Service d’urgence éteindre un incendie dans une maison touchée par une roquette. Lui et ses collègues chargés de la surveillance du quartier ont sauvé une femme et sa fille piégées dans un sous-sol par le feu. Human Rights Watch a examiné quatre photos prises par le chauffeur du camion le 14 mars et a identifié le porteur de charge des sous-munitions à fragmentation éjectées d’une roquette à sous-munitions Smerch 9M55K.

Le chauffeur du camion a déclaré que le 13 mars, une autre roquette avait atterri devant un supermarché ATB près de la base militaire de Solyani. Le chauffeur s’y est rendu peu après l’attaque et a vu une vingtaine de personnes au sol, blessées et ensanglantées. Elles se trouvaient près du distributeur automatique de billets et semblaient avoir fait la queue devant celui-ci. Il a quitté la zone à l’arrivée des secours et ne sait donc pas combien de personnes ont été tuées, mais les informations dans les médias ont fait état de neuf morts.

Human Rights Watch a vérifié six images postées sur Telegram, censées correspondre à cette attaque, montrant quatre corps à l’extérieur du supermarché ATB sur l’avenue Heroiv Stalinhradu, dans la partie nord de Solyani, près de Pivnichnyy. Human Rights Watch a également confirmé grâce à une carte collaborative qu’une zone militarisée avec plusieurs bases se trouvait à environ 280 mètres à l’ouest du supermarché.

Plusieurs roquettes transportant des armes à sous-munitions ont touché un quartier du nord de la ville, où se trouve une installation militaire. Un autre témoin a déclaré avoir observé cinq propulseurs de roquettes qui auraient apparemment éjecté leur charge utile au-dessus des zones résidentielles autour de la base. Il a partagé trois photos qu’il dit avoir prises environ deux heures après l’attaque. En s’appuyant sur ces photos, Human Rights Watch a identifié les restes de l’arme comme étant le propulseur et la queue d’une roquette Uragan 9M27K et une sous-munition 9N210.

Compte tenu de la nature intrinsèquement indiscriminée des armes à sous-munitions et de leurs effets prévisibles sur les civils, leur utilisation répétée à Mykolaiv pendant ces trois jours d’attaques pourrait être constitutive de crimes de guerre.

« Tous les États parties à la Convention sur les armes à sous-munitions devraient sans équivoque condamner ces attaques et toute autre utilisation de cette arme odieuse », a conclu Belkis Wille. « Les juridictions compétentes devraient enquêter et veiller à ce que les responsables soient un jour amenés devant la justice ».

Les armes à sous-munitions en Ukraine et les lois de la guerre

Les armes à sous-munitions explosent généralement en l’air et envoient des dizaines, voire des centaines, de petites bombes sur une superficie de la taille d’un terrain de football. Souvent, les sous-munitions n’explosent pas à l’impact, mais restent amorcées comme des mines terrestres. Leur utilisation dans des zones où se trouvent des civils confère à ce type d’attaque un caractère indiscriminé, en violation du droit humanitaire international.

La Russie et l’Ukraine stockent toutes deux des roquettes d’artillerie Smerch et Uragan équipées d’ogives à sous-munitions. Aucun des deux pays ne fait partie des 110 pays parties au traité international interdisant les armes à sous-munitions.

Nonobstant l’existence d’un objectif militaire légitime, une attaque est indiscriminée et illégale si elle utilise une méthode ou un moyen de combat dont les effets ne peuvent être limités de manière à réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens à caractère civil. Les effets des armes à sous-munitions ne peuvent être limités de la sorte.

Les autorités ukrainiennes sont également tenues par le droit international humanitaire de prendre, dans la mesure du possible, « les précautions nécessaires pour protéger la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil placés sous leur contrôle contre les dangers résultant des opérations militaires ». Ces précautions comprennent la protection des citoyens situés à proximité d’installations militaires ou d’autres cibles potentiellement légitimes, y compris en organisant leur déplacement hors de la zone de combat si nécessaire, et l’atténuation des effets anticipés des attaques russes.

Human Rights Watch a documenté l’utilisation d’armes à sous-munitions par les forces russes dans plusieurs villes d’Ukraine depuis le 24 février, notamment à Kharkiv, la deuxième plus grande ville d’Ukraine. Les forces gouvernementales ukrainiennes et les groupes armés soutenus par la Russie ont utilisé des armes à sous-munitions dans l’est de l’Ukraine entre juillet 2014 et février 2015, selon des enquêtes indépendantes menées par Human Rights Watch, ou encore la mission de surveillance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et d’autres organisations.

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RFI     L’Express

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