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« La Commission nationale des droits de l’homme du Burundi n’exerce plus de travail critique »

Publié dans: Le Monde
Des policiers face à des manifestants protestant contre la candidature du président burundais, Pierre Nkurunziza, à un troisième mandat, en mai 2015 à Bujumbura. © 2015 Goran Tomasevic/Reuters
 

Les attentes et l’optimisme étaient élevés lorsque la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) du Burundi a été établie, en 2011. Elle présentait des signes prometteurs d’indépendance et avait le potentiel nécessaire pour assumer certains risques que les organisations de défense des droits humains ne pouvaient prendre.

Mais, fin février, la CNIDH a été officiellement rétrogradée par le sous-comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, chargé d’évaluer l’efficacité et l’indépendance des organes nationaux chargés des droits humains. Le statut de la commission burundaise est passé de « A » à « B », ce qui lui a fait perdre son droit de vote dans les réunions internationales. Cela affectera également le soutien financier des bailleurs de fonds internationaux. Au-delà, cette dévaluation a des significations bien plus profondes et illustre la plongée du pays dans la crise.

Sous la direction de son premier président, Emmanuel Ntakarutimana, la CNIDH a mis en lumière la tentative du gouvernement de museler les médias, la nécessité de mener des enquêtes sur des meurtres commis par des agents de l’Etat, et le recours illégal à la détention préventive. Tout au long de son mandat, M. Ntakarutimana a pris au sérieux les plaintes individuelles portées à l’attention de la Commission, ouvrant des enquêtes sur des cas de torture, de détention arbitraire et de procès inéquitable.

Trois mois seulement après la création de la Commission, M. Ntakarutimana n’a pas hésité à contredire le ministre de l’intérieur du moment, lorsque celui-ci a prétendu qu’il n’y avait pas eu un seul cas d’exécution extrajudiciaire dans le pays. En août 2011, la CNIDH a fait preuve d’un réel courage en abritant dans ses bureaux cinq anciens combattants rebelles, qui y sont restés plusieurs mois, alors que des membres présumés de la police et des services de renseignement tuaient des militants et d’ex-rebelles à un rythme alarmant. Les déclarations et les actions de ce genre la mettaient en conflit avec le gouvernement, et ce travail n’était pas sans risque.

Pourtant elle a continué, produisant des rapports critiques aux côtés d’ONG qui documentaient les abus et demandaient justice, laissant espérer que la crise politique et des droits humains qui se profilait pourrait être évitée.

En mars 2015, à l’approche d’élections controversées, la Commission a souligné ses inquiétudes quant à l’augmentation de « l’intolérance politique ». Un mois plus tard, à la suite de l’annonce par le président Nkurunziza de son intention de briguer un troisième mandat, le pays sombrait dans une situation de non-droit. Les forces de sécurité et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, ont alors sévèrement réprimé les manifestants et fait taire les critiques.

Cette violence a correspondu à la fin du mandat de M. Ntakarutimana à la tête de la CNIDH. Le calendrier n’aurait pu être pire. Son remplaçant, Jean Baptiste Baribonekeza, nommé en juin 2015, a bien promis de « conseiller le gouvernement […] pour prévenir des violations des droits de l’homme et répondre à celles qui seraient déjà commises », mais, dans les faits, le travail critique de la Commission a pris fin.

Au cours des trois dernières années, plusieurs centaines de personnes ont été tuées et d’autres été torturées ou fait l’objet de disparitions forcées. Les médias indépendants et les ONG ont été décimés et près de 400 000 personnes ont fui le pays.

Les organisations de la société civile, qui exerçaient un contrôle sur le gouvernement, ont été démantelées. La plupart des défenseurs des droits humains sont partis. Certains de ceux et celles qui sont restés, comme Germain Rukuki, ont payé un terrible tribut. M. Rukuki a été arrêté en juillet 2017 puis accusé d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » et de « rébellion ». Son procès a été perçu par les organisations de défense des droits humains comme une attaque directe.

Germain Rukuki était membre de l’organisation Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi) qui a mené des enquêtes et un travail de plaidoyer avant et pendant les violences de 2015. Elle a été fermée par le gouvernement en octobre 2016, comme plusieurs autres groupes de défense des droits humains accusés de « ternir l’image du pays » et de « semer la haine et la division au sein de la population burundaise ».

Le procès de Rukuki s’est terminé le 6 avril. Le parquet a requis la réclusion à perpétuité. En mars, trois militants avaient été condamnés à de lourdes peines. Un autre, Nestor Nibitanga, est toujours en prison dans l’attente d’un procès.

Alors que les groupes de la société civile burundaise en exil dénoncent ces simulacres de justice et ces attaques contre la société civile, la CNIDH reste muette.

Pis, M. Baribonekeza a activement défendu le bilan accablant du gouvernement en matière de droits humains, niant la gravité des abus. Cela a été particulièrement frappant en septembre 2017, lorsqu’une commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a confirmé de graves violations, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture et des violences sexuelles. L’ONU a conclu qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité [avaient] été commis, depuis avril 2015, et continu [aient] à être commis au Burundi » et déploré le manque d’indépendance de la CNIDH. Cette dernière a fustigé ces conclusions. A la suite de ce rapport, la Cour pénale internationale a ouvert en novembre sa propre enquête sur la situation du pays.

Lorsque la CNIDH a été créée, Human Rights Watch a appelé les bailleurs de fonds à la soutenir et à l’aider à remplir son mandat, ce qu’elle a fait pendant quatre ans, souvent dans des conditions difficiles. Elle a été un complément crucial du travail de la société civile. Mais, depuis 2015, elle ne semble plus ni protéger ni promouvoir les droits humains. Elle a perdu son indépendance et son efficacité, et reste silencieuse face au démantèlement des organisations locales.

Alors que le pays se prépare à un référendum constitutionnel controversé en mai dans un climat de peur et de répression croissantes, la Commission a l’occasion de réagir et de remplir sa mission initiale : promouvoir et protéger les droits humains de tous.

A défaut de cela, le Burundi devrait être suspendu de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, jusqu’à ce que son organisme national des droits humains fasse à nouveau son travail.

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