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La France doit faire preuve de courage politique pour protéger les droits tout en luttant contre le terrorisme

Normaliser les mesures de l’état d’urgence compromettrait les droits humains

Publié dans: France Info

Les personnes vivant en Europe ont de bonnes raisons de craindre que se produisent des attaques terroristes dans la rue, les stades, les marchés et les salles de concert.

Mais de la façon dont le Président Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe répondent à ces craintes, dépendent des libertés et droits fondamentaux chèrement acquis -non seulement en France, mais à travers tout le continent européen. Vont-ils répondre à la politique de la terreur par la peur, en assurant respecter les droits humains et l’État de droit tout en normalisant des pouvoirs exceptionnels qui ont conduit à des abus ? Ou bien répondront-ils avec courage en mettant fin aux mesures d’urgence, en restaurant les droits et les libertés, et en donnant les moyens au pouvoir judiciaire de mener à bien la lourde tâche de mener des poursuites dans des affaires de terrorisme ?

Aujourd’hui même, le gouvernement devrait présenter un projet de loi de lutte contre le terrorisme au Conseil des ministres, ainsi qu’un projet de prolongation, jusqu’en novembre, de l’état d’urgence déjà en vigueur depuis plus d’un an et demi. Saisi sur ce projet de loi, le Conseil d’Etat a rendu son avis, non encore publié officiellement, donnant son feu vert au gouvernement.  

Une première version de cette loi a été dévoilée le 8 juin dernier par Le Monde, poussant la société civile française à sonner l’alarme: la proposition du gouvernement ne mettrait fin à l’état d’urgence qu’en apparence, et ne ferait que transposer la plupart des pouvoirs d’exception dans le droit administratif et pénal ordinaire.

Plutôt que d’utiliser le système pénal ordinaire, qui apporte des garanties de procédure effectives, pour poursuivre de manière équitable des personnes pour les crimes qu’ils ont commis, le projet de loi risque de créer un système parallèle et appauvri où les mesures administratives sont utilisées de manière routinière, remplaçant la sanction par une approche préventive.

Compte-tenu des concessions exprimées dans la presse par le Ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, au sujet de ce projet initial qui prévoyait une mise à l’écart du judiciaire, il est crucial que la nouvelle version du projet ne réduise pas le rôle du juge (en l’occurrence le Juge des Libertés et de la Détention) à un simple alibi.   

La première question à se poser, finalement, est de savoir si la France a besoin d’une énième nouvelle loi anti-terrorisme. Le pays dispose dans ce champ de l’arsenal législatif le plus étendu du continent. La page internet du gouvernement sur la lutte contre le terrorisme indique elle-même que celui-ci « a complété l'arsenal juridique et mis en place un renforcement sans précédent des moyens et des effectifs dans la police, la justice, l'armée et les services de renseignement ».

Considérons un instant les nouveaux pouvoirs que propose d’adopter le gouvernement dans le texte du 7 juin. Cet avant-projet de loi contient des propositions formulées dans des termes vagues qui donneraient le pouvoir aux Préfets d’établir des « périmètres de protection », dans lesquels l’accès est restreint. Aucune autorisation judiciaire n’est requise, et il n’est pas non plus requis de prouver l’existence d’une menace imminente. La loi autoriserait également un Préfet à ordonner la fermeture d’une mosquée ou tout autre lieu de culte sans ordre d’un tribunal, si « les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent, provoquent à la discrimination, à la haine, à la violence, à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, ou font l’apologie de tels agissements ou de tels actes ». Les personnes qui n’obéissent pas à de tels ordres pourraient faire l’objet de poursuites. Dans son avis du 15 juin, le Conseil d’Etat recommande d’ailleurs vivement d’affiner les motifs vagues de cette mesure, afin d’en réduire le champ d’application.

Il deviendrait aussi courant de limiter la liberté de circulation de toute personne considérée comme une menace à la sécurité nationale, limitant ses mouvements au périmètre d’une commune, l’assujettissant à un contrôle par le biais de bracelets électroniques, et lui interdisant de contacter d’autres individus. Une fois touchée par de telles mesures, la personne assignée peut faire appel de ces obligations devant un tribunal administratif, qui dispose alors de deux mois pour statuer sur l’affaire après une audience. Des pouvoirs étendus pour perquisitionner des domiciles et des entreprises et pour saisir des ordinateurs et des données font également partie de l’arsenal législatif que souhaite manifestement faire adopter le gouvernement -même s’ils nécessitent quant à eux une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, ce qui n’est pas le cas pour les autres pouvoirs prévus dans le projet de loi.

L’état d’urgence donne déjà le pouvoir d’assigner à résidence et de procéder à des perquisitions sans autorisation judiciaire, mais ces mesures ont mené à des abus largement documentés. Une commission d’enquête parlementaire a même conclu en juillet dernier que l’état d’urgence n’a eu qu’un « impact limité » sur l’amélioration de la sécurité.

Le calcul politique est simple. Il est facile de prolonger l’état d’urgence ou de le maintenir par d’autres moyens. Cela donne l’illusion de force et de sécurité. En revanche, il devient plus difficile et cela demande un certain courage et leadership pour sortir de l’état d’urgence et sevrer l’État de sa dépendance aux pouvoirs d’exception.

C’est précisément de ce type de leadership que l’on a besoin, et le nouveau gouvernement Macron, soutenu par sa confortable majorité à l’Assemblée nationale, ne trouvera pas meilleur moment pour en faire preuve. Cela signifie qu’il est nécessaire d’aller au-delà des beaux discours sur le principe de libertés.  

Le nouveau départ avec un nouveau président et une Assemblée nouvellement constituée est également l’opportunité d’améliorer la coordination et les ressources pour l’application des lois. Le Conseil de défense et de sécurité nationale, qui répond directement au Président Macron, a annoncé à l’issue de sa réunion du 7 juin la création d’une nouvelle taskforce, le CNCT, visant à garantir une meilleure coordination au niveau national pour les opérations de lutte contre le terrorisme, plaçant l’ancien directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à sa tête. C’est une mesure encourageante.

À ce stade, il est peut-être illusoire, politiquement parlant, de penser pouvoir refreiner l’adoption par l’Assemblée nationale d’une nouvelle extension de l’état d’urgence jusqu’en novembre. Mais les législateurs doivent se poser les bonnes questions sur la nécessité et la pertinence du nouveau projet de loi. Ils devraient pouvoir s’appuyer sur les évaluations publiques que devraient être en mesure de fournir la nouvelle taskforce de lutte contre le terrorisme et donner un plus grand rôle au Défenseur des Droits quant à l’évaluation de l’impact de ces mesures sur les droits humains. Des clauses de caducité doivent être intégrées dans toute nouvelle loi antiterroriste et les parlementaires doivent exiger des rapports réguliers sur les opérations menées, leurs coûts et leurs résultats. Et pour protéger l’État de droit et les valeurs de la France, des garanties judicaires, les plus robustes et effectives possible, doivent être rétablies dans l’exercice des pouvoirs en matière de sécurité.

Il existe une étroite fenêtre d’opportunité pour que la France se réinscrive dans un cadre dans lequel l’État de droit et des droits humains soient ardemment préservés. Mais il faudra pour cela du courage, de la part de tous. 

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