(Beyrouth) – Le 9 octobre, le gouvernement libanais a chargé le ministère de la Justice d'examiner les mesures juridiques qui pourraient être prises à l’encontre d’Israël suite aux attaques menées par les forces de ce pays contre des journalistes lors du dernier conflit ; ceci présente une nouvelle occasion de rendre justice aux victimes, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Deux ans après l'attaque apparemment délibérée menée par les forces israéliennes le 13 octobre 2023 contre des journalistes dans le sud du Liban, lors de laquelle le journaliste de Reuters Issam Abdallah a été tué, les victimes de crimes de guerre au Liban n'ont toujours pas accès à la justice, ni à la possibilité de voir les auteurs de ces crimes tenus de rendre des comptes, selon Human Rights Watch. Le nouveau gouvernement libanais, nommé en février 2025, n'a toujours pas pris de mesures significatives pour faire progresser l’obligation de rendre des comptes.
« Le meurtre apparemment délibéré d'Issam Abdallah par Israël aurait dû servir de message clair au gouvernement libanais : l'impunité pour les crimes de guerre engendre davantage de crimes de guerre », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Toutefois, depuis le meurtre d'Issam Abdallah, des dizaines d'autres civils ont été tués au Liban lors d'attaques apparemment délibérées ou indiscriminées ayant violé les lois de la guerre et constitué des crimes de guerre. »
Depuis l’attaque du 13 octobre 2023 au Liban, selon Reporters sans frontières, les forces israéliennes ont tué plus de 200 journalistes à Gaza, dont beaucoup délibérément. Récemment, les forces israéliennes ont également mené une frappe contre un centre médiatique à Sanaa, au Yémen tuant 31 journalistes et professionnels des médias, selon le Comité pour la protection des journalistes.
Au Liban, Human Rights Watch a documenté une série d'attaques illégales et de crimes de guerre apparents commis par l'armée israélienne pendant les hostilités, y compris d'autres attaques apparemment délibérées contre des journalistes, ainsi que contre des Casques bleus de l’ONU, des secouristes et des structures civiles. La démolition délibérée par Israël de maisons civiles, la destruction de vastes portions d'infrastructures civiles et de services publics essentiels, ainsi que son utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées ont empêché de nombreux habitants de retourner dans leurs villages et leurs maisons.
Human Rights Watch a également documenté l'utilisation généralisée par l'armée israélienne de phosphore blanc, y compris de manière illégale au-dessus de zones résidentielles densément peuplées, la destruction et le pillage d'écoles de manière apparemment délibérée, et l'utilisation illégale de dispositifs piégés. Human Rights Watch a également constaté que le Hezbollah n'avait pas pris les précautions nécessaires pour protéger les civils lors de ses attaques contre le nord d'Israël entre septembre et novembre 2024, lançant des armes explosives dans des zones peuplées et omettant d'avertir efficacement les civils des attaques.
Human Rights Watch a constaté que les frappes israéliennes qui ont tué Issam Abdallah et blessé six autres journalistes d'Al-Jazeera, de Reuters et de l'AFP constituaient apparemment une attaque délibérée contre des civils et donc un crime de guerre. Une enquête menée par la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) a conclu qu'un char israélien avait tiré deux obus de 120 mm sur ce groupe de « journalistes clairement identifiables », dont Issam Abdallah, en violation du droit international. Les enquêteurs ont déclaré que le personnel de la FINUL n'avait enregistré aucun échange de tirs à la frontière entre Israël et le Liban pendant plus de 40 minutes avant que le char israélien Merkava n'ouvre le feu.
Les journalistes se trouvaient loin des hostilités en cours, étaient clairement identifiables comme membres des médias et étaient restés immobiles pendant au m oins 75 minutes avant d'être touchés par deux frappes consécutives. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de la présence d'une cible militaire à proximité de l'endroit où se trouvaient les journalistes. Les preuves examinées par Human Rights Watch indiquent en outre que l'armée israélienne savait ou aurait dû savoir que le groupe de personnes sur lequel elle tirait était composé de civils.
En janvier et février 2025, l'armée israélienne s'est retirée de la plupart des villages et villes frontaliers du sud du Liban qu'elle occupait depuis fin 2024, mais ses forces sont restées stationnées sur le territoire libanais dans au moins cinq endroits. La Banque mondiale a évalué le « coût économique » des hostilités au Liban a près de 14 milliards de dollars US, dont 6,8 milliards de dollars de dommages matériels. Plusieurs villes et villages frontaliers ont été réduits en ruines et, en mai 2025, plus de 80 000 personnes étaient déplacées a l’intérieur du pays.
Le Liban n'a pas encore pleinement intégré les crimes internationaux ou les violations du droit de la guerre dans son cadre juridique national. Le 10 octobre, suite à sa visite au Liban, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Morris Tidball-Binz, a appelé les autorités libanaises à « signaler et, le cas échéant, poursuivre les comportements pouvant constituer des crimes internationaux, conformément aux obligations du Liban en vertu du droit international des droits humains et, le cas échéant, du droit international humanitaire ».
Bien qu'un cessez-le-feu soit entré en vigueur entre Israël et le Hezbollah le 27 novembre 2024, au moins 103 civils ont été tués au Liban au cours des dix mois qui ont suivi l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.
En mars 2024, le gouvernement libanais de l'époque avait annoncé sa décision d'accorder à la Cour pénale internationale (CPI) la compétence pour juger les crimes commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023 ; toutefois, le gouvernement est revenu sur cette décision, un peu plus d'un mois plus tard. Les autorités judiciaires libanaises devraient ouvrir des enquêtes nationales sur les attaques illégales ; le gouvernement devrait aussi adhérer au Statut de Rome de la CPI et soumettre une déclaration acceptant la compétence de la Cour avant la date d'adhésion, y compris depuis au moins le 7 octobre 2023, selon Human Rights Watch.
« Le gouvernement libanais peut et doit honorer les demandes de justice des victimes en permettant l'ouverture d'enquêtes sur les attaques illégales et les crimes de guerre qui ont causé des dommages et des souffrances indicibles », a conclu Ramzi Kaiss.
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