(New York) – Le Hezbollah n’a pas pris de précautions adéquates pour protéger les civils lors d’attaques menées contre Israël entre septembre et novembre 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le Hezbollah a utilisé des armes explosives lors d’attaques contre des zones peuplées dans le nord d’Israël, sans d’abord avertir de manière efficace les civils de ces zones.
Human Rights Watch a précédemment documenté une série d’attaques illégales et de crimes de guerre apparents perpétrés par l’armée israélienne au Liban. Depuis l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024, les attaques israéliennes ont tué au moins 59 personnes au Liban, selon l’ONU.
« Les attaques meurtrières et illégales menées par l’armée israélienne au Liban ne donnent pas carte blanche au Hezbollah pour mettre en danger des civils en tirant des munitions explosives vers le nord d’Israël », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Une enquête internationale sur les actions d’Israël et du Hezbollah au regard des lois de la guerre est un pas nécessaire vers l’obligation de rendre des comptes pour les crimes éventuels. »
Le 6 octobre 2024, l’armée israélienne a publié des données selon lesquelles environ 12 400 projectiles ont été tirés vers Israël depuis le Liban, entre le 7 octobre 2023 et le 2 octobre 2024. Les munitions tirées depuis le Liban, selon ces données, ont tué au moins 30 civils. Une attaque menée le 27 juillet 2024 contre la ville de Majdal Shams, dans le Golan occupé, a en outre tué 12 enfants. Israël a affirmé qu’il s’est agi d’un tir de roquette mené par le Hezbollah, qui a nié toute responsabilité. Durant la même période (octobre 2023 – octobre 2024), les frappes israéliennes ont tué plus de 4 000 personnes au Liban, selon le ministère libanais de la Santé.
À partir de la mi-septembre 2024 et jusqu’au 27 novembre 2024, le Hezbollah semble avoir tiré contre le nord d’Israël des roquettes d’une portée plus longue, allant au-delà de la « zone d’évacuation » située le long de la frontière entre les deux pays ; certaines roquettes ont frappé des zones peuplées en Israël. Les déclarations du Hezbollah indiquent que leurs attaques ont notamment visé les villes de Delton, Kfar Vradim et Kiryat Shmona, entre autres, sans toutefois préciser quelle était l’éventuelle cible militaire visée dans chaque cas. Des installations militaires se trouvent dans certaines villes ciblées, comme Kiryat Shmona.
Le 26 octobre 2024, la branche militaire du Hezbollah a diffusé sur Telegram un avertissement appelant les habitants de ces villes et de 22 autres villes et villages du nord d’Israël à évacuer ces lieux immédiatement. Le Hezbollah a alors affirmé que ces villes « sont devenues un lieu de déploiement et d’implantation pour les forces militaires ennemies qui attaquent le Liban, [et] sont par conséquent devenues des cibles militaires légitimes pour les forces aériennes et pour les missiles de la Résistance islamique ».
Toutefois, les avertissements qui ne donnent pas aux civils suffisamment de temps pour partir vers une zone plus sûre ne sont pas considérés comme « efficaces » au regard du droit international. Les avertissements généraux qui n’apportent pas de précisons sur une attaque imminente ne peuvent pas être considérés comme « efficaces », et peuvent au contraire susciter la peur de manière inappropriée.
Entre fin septembre et novembre 2024, des salves d’attaques du Hezbollah ont tué au moins 15 civils et ont blessé plusieurs dizaines d’autres civils en Israël, selon les données publiées par divers médias et compilées par Human Rights Watch. Certaines zones où des civils ont été tués n’avaient pas été citées dans l’avertissement appelant à une évacuation, émis par le Hezbollah le 26 octobre.
Un homme a raconté avoir trouvé les corps de son fils, Omer, et de quatre ouvriers agricoles thaïlandais après une attaque du Hezbollah ayant touché un verger de pommiers près de Metula, le 31 octobre. « Je suis venu et j’ai vu la pire chose possible », a-t-il déclaré à Reuters. « Je ne pensais pas qu’il y avait 1 % de chance que l’un d’entre nous serait blessé, mais en fait, Omer a payé le prix fort. »
Avant le mois d’octobre 2023, l’arsenal de missiles et de roquettes du Hezbollah était principalement composé d’un grand nombre de roquettes d’artillerie sol-sol non guidées, selon des experts sur des questions militaires et sécuritaires effectuant des recherches auprès de sources ouvertes. Ces dernières années, le Hezbollah a affirmé être en mesure d’équiper des roquettes non guidées de systèmes de guidage et en octobre 2024, a diffusé des photos de roquettes présentant des caractéristiques qui semblent corroborer cette affirmation. Il n’existe toutefois pas de chiffres fiables ou indépendants sur le nombre total de roquettes qui auraient pu être équipées de systèmes de guidage. Human Rights Watch n’a pas été en mesure confirmer si des roquettes guidées d’artillerie avaient été utilisées lors des attaques qui ont tué des civils dans le nord d’Israël, de septembre à novembre 2024.
Les roquettes d’artillerie non guidées ne peuvent pas être dirigées avec précision vers une cible unique, et sont généralement tirées en salves de plusieurs munitions. Le Hezbollah n’a pas la capacite de cibler avec suffisamment de précision un bâtiment ou une fortification avec ses roquettes d’artillerie non guidées, qui ne permettent que de cibler une ville ou même un quartier avec une certain degré de précision.
Les attaques qui ne font pas de distinction entre les cibles militaires et les civils ou les biens civils violent les lois de la guerre. Le 29 janvier, Human Rights Watch a transmis au Hezbollah un courrier demandant des informations sur ses frappes dans le nord d’Israël et sur les mesures prises pour minimiser les dommages civils, mais n’a pas reçu de réponse.
Les attaques menées par le Hezbollah ont bouleversé la vie quotidienne dans une grande partie du nord d’Israël, paralysant l’activité économique et perturbant l’éducation d’environ 16 000 élèves. Le 16 octobre 2023, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation des habitants de 28 villages situés à environ deux kilomètres de la frontière avec le Liban. Le gouvernement israélien a ensuite élargi la portée géographique de cet ordre d’évacuation, qui a entraîné le déplacement de plus de 60 000 civils.
Selon le ministère israélien de l’Éducation, 16 000 élèves ont été évacués du nord d’Israël et plus de 90 écoles de la région ont été endommagées par des tirs de roquettes ou des activités militaires. Deux élèves de Katzrin ont déclaré au Times of Israel que, pendant plus d’un an, « nous avons étudié dans des remorques ; chaque fois qu’il y avait une alarme, on nous demandait d’aller dans un espace ouvert, parce qu’il n’y avait aucune protection ».
Selon les médias, les infrastructures de certains villages et villes frontaliers israéliens ont subi d’importants dégâts. Selon l’Agence France-Presse, plus de 60 % des bâtiments du village frontalier de Metula ont été détruits. L’Associated Press a indiqué que trois quarts des structures du village frontalier de Manara ont été endommagées pendant la guerre. Le Times of Israel a indiqué que 110 des 155 bâtiments de ce village avaient été endommagés, ainsi que diverses infrastructures dont des conduites d’eau, des câbles électriques et des tuyaux de gaz.
« Il n’y a plus rien où retourner », a indiqué au Times of Israel Galit Yousef, une habitante de Metula qui avait dû évacuer son domicile. « Ma maison a été touchée plusieurs fois.» Hagar Ehrlich, une habitante de Manara, a déclaré au même journal que « les dégâts dans le kibboutz sont incroyables ».
Human Rights Watch a précédemment documenté diverses attaques illégales et crimes de guerre commis par l’armée israélienne au Liban. Il s’agit notamment d’attaques apparemment délibérées contre des journalistes, des Casques bleus de l’ONU, des secouristes et des biens civils. L’armée israélienne a aussi déployé de manière illégale des engins piégés, ainsi que des munitions au phosphore blanc, y compris dans des zones résidentielles densément peuplées. Plus de 4 000 personnes ont été tuées au Liban entre octobre 2023 et janvier 2025, dont plus de 316 enfants, 240 secouristes et professionnels de la santé, et 790 femmes.
Selon le ministère libanais de la Santé publique, au moins 17 371 personnes ont été blessées dans des attaques au Liban. Plus d’un millier de frappes israéliennes menées le 23 septembre 2024 ont tué 558 personnes au Liban en cette seule journée, selon le ministère. Dans les semaines qui ont suivi, plus d’un million de personnes ont été déplacées, des milliers de bâtiments et de maisons ont été détruits et des villages frontaliers entiers ont été réduits en ruines. Suite à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu de fin novembre, la majorité des personnes déplacées ont pu retourner chez elles ; toutefois, près de 100 000 personnes sont toujours déplacées à l’intérieur du Liban.
Les Nations Unies devraient diligenter d’urgence, avec le soutien de ses pays membres, une enquête internationale sur les récentes hostilités au Liban et dans le nord d’Israël ; cette enquête devrait débuter immédiatement, afin de recueillir des informations, formuler des conclusions sur les violations du droit international, et aboutir à des recommandations en matière d’obligation de rendre des comptes. Les Nations Unies et les pays membres de l’ONU devraient veiller à ce que les violations commises par toutes les parties soient documentées, et à ce que les responsables rendent des comptes.
Le droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre, exige que les parties à un conflit prennent constamment soin, lors des opérations militaires, d’épargner la population civile et de « prendre toutes les précautions pratiquement possibles » pour éviter ou minimiser les pertes accidentelles de vies civiles et les dommages aux biens civils. Ces précautions comprennent le fait de faire tout ce qui est possible pour vérifier que les cibles d’attaque sont des objectifs militaires et non des civils ou des biens civils, de donner aux civils un « avertissement en temps utile et par des moyens efficaces » avant l’attaque quand les circonstances le permettent, et de s’abstenir d’attaquer si l’exigence de proportionnalité est violée.
Le droit international humanitaire exige que toutes les parties fassent la distinction entre les objectifs militaires et les civils et les biens civils et ne visent que des objectifs militaires. Les personnes qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c’est-à-dire intentionnellement ou par imprudence – peuvent être poursuivies pour crimes de guerre.
Israël et le Liban devraient approuver la Déclaration politique de 2022 sur la protection des civils contre les conséquences humanitaires de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées. L’utilisation d’armes explosives à large rayon d’action dans des zones peuplées, en particulier par le biais de tirs de salves, met gravement en danger les civils et les biens civils, et doit être évitée.
« Il y a peu d’espoir que le cycle des abus prenne fin, tant que la culture de l’impunité perdurera », a conclu Adam Coogle. « Les autres États devraient veiller à ce que des enquêtes soient menées sur les individus responsables de violations du droit international, et des lois de la guerre. »
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