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Le roi du Bhoutan, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, et son épouse, la reine Jetsun Pema, photographiés au palais impérial de Tokyo le 22 octobre 2019, à l’occasion de la cérémonie d'intronisation de l'empereur japonais Naruhito.  © 2019 Yomiuri Shimbun/AP Images

Le Bhoutan est un pays réputé pour ses belles montagnes, sa monarchie bouddhiste et sa doctrine officielle de « bonheur national brut ». Du 10 au 16 octobre, le roi Jigme Khesar Namgyel Wangchuck séjournera en Australie, afin d’y rencontrer des dirigeants politiques australiens, des chefs d’entreprise et des membres de la communauté bhoutanaise vivant en Australie. C’est aussi l’occasion de penser aux 34 prisonniers politiques qui croupissent toujours dans des geôles de son pays.

Leurs affaires tragiques remontent à la période précédant l’année 2008, lorsque le roi Jigme Khesar est monté sur le trône ; cette année-là, le Bhoutan a adopté une nouvelle constitution démocratique : le pays est passé d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, dans le cadre d’un système démocratique multipartite. Mais même si le Bhoutan s’est modernisé, ses prisonniers politiques sont restés enfermés dans des conditions déplorables.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec des prisonniers et ex-prisonniers bhoutanais, ainsi qu’avec leurs familles, a examiné les documents judiciaires disponibles et a étudié les lois bhoutanaises. Nous avons ainsi identifié 34 hommes définis par le Bhoutan comme des prisonniers politiques ou des « anti-nationaux », qui ont déjà passé de longues périodes, allant de 16 à 34 ans, en prison. La plupart d’entre eux purgent des peines de prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Plusieurs prisonniers ou des membres de leurs familles nous ont dit qu’ils avaient été torturés pour leur extorquer des aveux, et qu’ils n’avaient pas pu bénéficier des services d’un avocat pour les défendre, lors de leurs procès.

Ram Bahadur Rai, un ex-prisonnier âgé aujourd’hui de 66 ans, faisait partie des quelque 90 000 Bhoutanais parlant le népalais qui ont fui le pays en 1990 lorsque le gouvernement a déclenché des violences d’État contre leur communauté et les a poussés à l’exil. En 1994, alors qu’il avait 36 ans, il est retourné au Bhoutan pour faire campagne pour le droit au retour de personnes contraintes à l’exil. Il nous a dit qu’il distribuait des tracts politiques lorsqu’il a été arrêté. Il a déclaré avoir été accusé dans une affaire « fabriquée » de participation à des violences politiques.

Rai a déclaré à Human Rights Watch qu’avant et pendant son procès, il avait été si gravement torturé qu’il avait dû être hospitalisé ; il a ensuite été renvoyé en prison, et à nouveau torturé. Il a été reconnu coupable et condamné à près de 32 ans de prison ; il a déclaré que la torture l’avait rendu incapable de rédiger lui-même sa demande d’appel, qui de toute manière a été rejetée. Un fonctionnaire lui a ensuite indiqué que s’il faisait à nouveau appel, sa peine pourrait être alourdie.

Après avoir purgé 30 ans de prison, avec une petite réduction de temps pour bonne conduite, il a été libéré en juillet 2024. Il a immédiatement envoyé une photo de lui-même à ses quatre enfants, « afin qu’ils sachent à quoi ressemble leur père ». Il n’avait pas été autorisé à communiquer avec sa famille depuis 2012.

Rai nous a décrit les dures conditions subies par les prisonniers politiques qui sont toujours incarcérés. Les rations ont diminué de moitié par rapport à ce qu’elles étaient auparavant, et les prisonniers ont parfois dû utiliser des sacs de riz comme couche de vêtements supplémentaires, ou en guise de couverture la nuit, en raison de l’insuffisance des vêtements ou couvertures fournis durant les périodes de grand froid. Si les prisonniers ont besoin de médicaments, ils les achètent en vendant une partie de leur nourriture aux gardiens. Les détails décrits par Rai correspondent au témoignage d’un autre ex-prisonnier, Madhukar Monger, 58 ans, libéré l’an dernier après avoir purgé 29 ans de prison ; il avait également été condamné pour avoir distribué des tracts.

La plupart des prisonniers politiques du Bhoutan risquent de ne jamais libérés, sans intervention du roi : 24 hommes ont été condamnés à la prison à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle. Leur seule chance de libération est donc que le roi leur accorde une amnistie. Même après les réformes démocratiques de 2008, seul le roi a le pouvoir de libérer les prisonniers condamnés à perpétuité.

Parmi les prisonniers condamnés à perpétuité figurent 15 hommes qui étaient devenus des réfugiés a l’extérieur du pays en 1990, alors qu’ils étaient alors encore des enfants. Ils sont ultérieurement retournés au Bhoutan en tant que jeunes hommes ; ils ont tissé des liens avec le Parti communiste du Bhoutan, et fait campagne pour le droit au retour des personnes exilées. Le gouvernement les a toutefois accusés de terrorisme, ce qu’ils ont toujours nié. Même le parquet, lors de leur procès, n’a pas allégué d’actes de violence.

Parmi les prisonniers politiques figurent également quatre membres de la minorité ethnique Sharchop. Ils étaient associés à un parti politique interdit appelé le Congrès national Druk, qui a fait campagne pour des réformes démocratiques dans les années 1990.

Le Bhoutan projette fièrement dans le monde extérieur l’image d’un gouvernement éclairé et progressiste. La loi bhoutanaise est basée sur des principes bouddhistes, tels que la compassion. La constitution bhoutanaise offre des garanties contre certaines violations des droits humains, notamment la torture. Et depuis les changements politiques de 2008, des efforts ont été faits pour moderniser le système juridique, comme la mise à disposition d’avocats de la défense lors de certains procès.

L’Australie est l’un des rares pays à entretenir des relations diplomatiques avec le Bhoutan, et devrait profiter de cette occasion rare d’accueillir le monarque du Bhoutan sur le sol australien. Le gouvernement australien devrait exhorter le roi Jigme Khesar à mettre fin aux mauvais traitements infligés à ces prisonniers, qui sont injustement incarcérés depuis des décennies. Le roi devrait faire preuve de compassion, et exercer son pouvoir afin de mettre fin aux souffrances de ces prisonniers et de leurs familles en les libérant. Il pourrait le faire d’un trait de plume.

Les prisonniers politiques du Bhoutan devraient être libérés, et le triste chapitre de leurs souffrances devrait être relégué à l’histoire pré-démocratie de cette nation.

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