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Qatar/FIFA : Rembourser les frais de recrutement des travailleurs migrants

Des frais exorbitants et illégaux ont été imposés aux personnes recrutées pour construire les infrastructures de la Coupe du monde

Les parents de Ram Kishun Sahani, un travailleur migrant népalais décédé au Qatar. © 2022 Privé

(Beyrouth, le 20 octobre 2022) – De nombreux travailleurs migrants ont dû payer des frais de recrutement exorbitants et illégaux pour rendre possible la tenue de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Toutefois, la Fédération internationale de football Association (FIFA) et les autorités qataries ne se sont toujours pas engagées à constituer un fonds de réparation pour indemniser les travailleurs migrants qui ont été victimes de graves abus, y compris nombre d’entre eux qui sont lourdement endettés après avoir payé ces frais.

« À 30 jours du début du tournoi, il ne reste que peu de temps à la FIFA et aux autorités qataries pour rectifier le tir et s’engager à remédier aux abus qui ont entaché la préparation de la Coupe du monde 2022 », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Si la FIFA et le Qatar n’agissent pas, alors le véritable ‘bilan’ de cette compétition sera le fait que la FIFA, le Qatar et quiconque d’autre a profité de cette Coupe du monde auront laissé les familles de milliers de travailleurs migrants dans la dette après leur mort et auront abandonné sans les indemniser les nombreux autres travailleurs migrants dont les salaires ont été volés. »

Entre novembre 2021 et octobre 2022, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 45 travailleurs migrants originaires du Bangladesh, d’Inde, du Kenya et du Népal, dont sept familles de travailleurs migrants décédés ; 26 recruteurs du Bangladesh, d’Inde et du Népal ; cinq contractuels sous l’autorité du Comité suprême qatari pour l’organisation et l'héritage de la Coupe du monde (Supreme Committee for Delivery and Legacy) ; et trois travailleurs migrants membres des départements des ressources humaines de trois agences de recrutement basées au Qatar.

Des travailleurs migrants ont affirmé avoir payé des frais de recrutement qui leur étaient inabordables en empruntant de l’argent à des taux d’intérêt élevés, en vendant des biens et en épuisant les économies de la famille. De nombreux travailleurs sont alors tombés dans la servitude pour dette et n’avaient plus la possibilité d’abandonner leur travail, ce qui les exposait encore davantage au risque de subir des abus et d’encourir des punitions s’ils ne travaillaient pas. La servitude pour dette est une forme de travail forcé au regard des normes internationales en matière de droit du travail.

Des enquêtes et des recherches effectuées précédemment, y compris à la demande du Comité suprême pour l’organisation et l'héritage de la Coupe du monde, l’organisme qatari responsable de la planification et de la livraison des infrastructures du tournoi ont montré l’omniprésence des frais de recrutement, qui obligent souvent les travailleurs à sacrifier des mois, voire même des années, de salaire pour les payer, alors qu’ils sont illégaux au Qatar.

Le Comité suprême a imposé en 2014 des Normes de bien-être pour les travailleurs (Workers’ Welfare Standards) à toutes les compagnies ayant signé un contrat de prestation de services liés à la Coupe du monde, lesquelles exigent des contractuels, entre autres normes destinées à promouvoir le bien-être des travailleurs, de s’assurer que ceux-ci ne soient pas soumis au paiement de frais quelconques, et qu’ils en soient remboursés dans le cas contraire. Toutefois, un audit de 2021 des programmes du Comité suprême a permis de constater que 68 % des travailleurs avaient effectivement versé des frais de recrutement, d’un montant moyen de 1 333 dollars.

En 2017, le Comité suprême a instauré le Système universel de remboursement, qui exige d’un contractuel soit de prouver que ses travailleurs n’ont pas payé de frais de recrutement, soit de leur rembourser ces frais. Jusqu’à décembre 2021, une somme de 83,20 millions de QAR (21,96 millions de dollars) avait été déboursée dans le cadre de ce programme, sur un total budgété de 103,95 millions de QAR (28,4 millions de dollars).

Mais cette initiative, quoique prometteuse, n’est pas obligatoire, même pour les contractuels qui travaillent sur des programmes liés au Comité suprême. Elle concerne moins de 50 000 travailleurs, soit une fraction seulement des millions de travailleurs migrants qui auront rendu possible la tenue de la Coupe du monde 2022. Le gouvernement du Qatar devrait envisager une expansion de ce programme, dans le cadre d’un effort plus général visant à remédier aux abus subis par les travailleurs.

Dans de nombreux cas documentés par Human Rights Watch, des familles se sont retrouvées seules face à des usuriers qui continuaient à exiger le remboursement de la dette contractée par leur proche décédé. Bulani Sahani, père d’un travailleur migrant mort en 2022 au Qatar, a eu du mal à s’occuper de ses petits-enfants car son fils s’était endetté à cause des frais de recrutement : « Mon fils y est allé [au Qatar] après avoir emprunté de l’argent [1 106 dollars] auprès de nombreux villageois. Maintenant, tout le monde continue de réclamer cet argent. Ils disent que je dois avoir reçu des indemnités pour la mort de mon fils, mais je n’ai pas reçu une seule roupie. Comment vais-je les rembourser ? Je n’ai même pas de terre à vendre pour les payer. »

Les autorités qataries ont précédemment affirmé que la pratique consistant à imposer des frais de recrutement élevés échappait dans une large mesure à la compétence du Qatar mais, jusqu’à présent, elles ne se sont pas occupées du rôle joué par les entreprises basées au Qatar lorsqu’elles font supporter des frais aux recruteurs, sachant très bien que ceux-ci les répercuteront sur les travailleurs.

Même s’il est notoire que les agences de recrutement des pays d’origine imposent aux travailleurs migrants des coûts et des frais de recrutement illégaux, Human Rights Watch a constaté que des entreprises basées au Qatar contribuaient à ce phénomène des frais de recrutement en imposant des coûts aux recruteurs, sachant qu’ils les feront supporter par les travailleurs.

Les employeurs au Qatar refusent souvent de payer les recruteurs, totalement ou partiellement, pour leurs services, et parfois ils leur imposent même des commissions supplémentaires en échange d’offres d’emploi. Human Rights Watch a documenté plusieurs cas dans lesquels le personnel chargé des ressources humaines de compagnies basées au Qatar faisaient payer aux recruteurs des frais de voyage et de séjour lorsqu’ils se rendaient dans des pays d’origine pour des entretiens avec des candidats.

Même quand un employeur paye la totalité des coûts et des frais d’embauche d’un travailleur migrant, cela ne garantit pas que le travailleur ne paye pas lui aussi des frais. Le fait que les compagnies basées au Qatar se soient abstenues d’effectuer un contrôle suffisamment efficace des recruteurs permet à certains d’entre eux, peu scrupuleux, de « faire coup double » en imposant des frais à la fois aux employeurs et aux travailleurs migrants.

Il incombe aux entreprises de faire respecter les droits humains dans toutes leurs opérations, y compris dans les agences de recrutement avec lesquelles elles traitent. Le caractère généralisé de la pratique consistant à imposer aux travailleurs migrants des frais de recrutement illégaux laisse penser que les employeurs négligent d’effectuer un contrôle approprié de leur propre personnel chargé des ressources humaines ou de leurs fournisseurs ou recruteurs extérieurs, que ce soit au Qatar ou dans les pays d’origine.

Lorsque les travailleurs n’ont pas à payer de frais de recrutement, les bénéfices sont conséquents. « J’ai récemment envoyé mon premier chèque, juste à temps pour payer les frais de scolarité de ma fille », a déclaré un travailleur employé par un contractuel du Comité suprême. « Si j’avais une autre facture à payer pour rembourser un emprunt pour des frais de recrutement, je recevrais de l’argent d’une main et le donnerais de l’autre pour payer pour quelque chose qui n’en vaut même pas la peine… Pouvoir faire des dépenses comme celles de l’éducation de ma fille vaut la peine de travailler dur, cela me motive. » Il avait précédemment refusé une offre d’emploi au Qatar pour laquelle il aurait dû payer des frais de recrutement de 120 000 shillings kenyans (992 dollars).

Workers walk toward the construction site of Lusail stadium, which is being built for the 2022 men's soccer World Cup, during a stadium tour in Doha, Qatar, on Dec. 20, 201

Appel à indemniser les travailleurs migrants victimes d'abus au Qatar

Agir

Compte tenu des lacunes des réformes en cours, dues à la date tardive de leur mise en œuvre, à l’étroitesse de leur champ d’action ou à la faiblesse de leur mise en application, le 19 mai 2022, Human Rights Watch, en compagnie d’autres organisations de défense des droits des migrants, de syndicats, de groupes de sympathisants, de victimes d’abus et d’organisations de défense des droits humains, a pris l’initiative d’une campagne exigeant que la FIFA mette sur pied un programme complet visant à remédier à tous les abus commis en relation avec la Coupe du monde 2022, y compris les décès non élucidés, les blessures, les rétentions ou vols systématiques de salaires et les frais de recrutement exorbitants. Pour financer cela, la FIFA devrait constituer une réserve d’un montant au moins équivalent aux 440 millions de dollars de primes fournis aux équipes qui vont participer au tournoi. Il est probable que dans de nombreux cas, qu’il s’agisse d’indemnités pour des décès ou pour des abus concernant des salaires, les bénéficiaires utiliseront une partie de ces sommes pour rembourser des emprunts contractés pour payer des frais de recrutement. Cependant, à un mois du début de la Coupe du monde 2022, la FIFA et les autorités qataries ne se sont toujours pas engagées publiquement à adopter un programme de réparations.

« Les autorités qataries, les entreprises et la FIFA ont eu une douzaine d’années pour mettre fin au fléau des coûts de recrutement exorbitants et illégaux mais, à quelques petites exceptions près, elles s’en sont abstenues », a affirmé Michael Page. « Maintenant, le seul moyen de traiter le problème des salaires perdus à cause des frais de recrutement est de créer un fonds de réparation pour les travailleurs. »

Communiqué complet en anglais comprenant des informations plus détaillées :

www.hrw.org/news/2022/10/20/qatar/fifa-reimburse-migrant-workers-recruitment-fees

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