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La FIFA tarde à créer un fonds d’indemnisation pour les travailleurs migrants

La fédération internationale du football devrait s’engager à créer un tel fonds, projet qui bénéficie d’un soutien croissant, avant le début de la Coupe du monde

Des ouvriers devant un panneau montrant le stade Al-Janoub, l'un de ceux où se déroulera la Coupe du monde 2022, à Doha, au Qatar, le lundi 16 décembre 2019. © 2019 AP Photo/Hassan Ammar

(New York, le 18 octobre 2022) – La FIFA ne s’est toujours pas engagée officiellement à créer un fonds destiné à indemniser les travailleurs migrants pour les préjudices et les décès subis au Qatar, malgré le soutien public d’au moins sept fédérations nationales de football, de quatre sponsors de la Coupe du monde, d’anciens joueurs, de dirigeants politiques et, selon un sondage d’opinion, d’une grande majorité du public dans 15 pays, ont conjointement déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, Amnesty International et FairSquare.

Le 17 mai, il y a cinq mois, Human Rights Watch, Amnesty International et FairSquare, ainsi qu’une coalition mondiale d’organisations de défense des droits humains, de syndicats et de groupes de soutien aux supporters, ont lancé la campagne #PayUpFIFA, appelant la FIFA à mettre en place des voies de recours, y compris financières, pour de graves abus, notamment des décès, des blessures, des salaires impayés et des frais de recrutement exorbitants. À un mois à peine du tournoi, la FIFA, qui n’a pas encore annoncé qu’elle allait remédier aux abus, affirme toujours étudier la proposition.

« Il est embarrassant de constater qu’en dépit du soutien apporté par des footballeurs de renom, des fédérations nationales et des sponsors à la campagne #PayUpFIFA, qui bénéficie par ailleurs d’un large soutien populaire, la FIFA n’a toujours pas répondu aux appels en faveur d’un fonds de recours pour les milliers de travailleurs migrants qui sont morts, ont été blessés ou dont les salaires ont été volés alors qu’ils rendaient la Coupe du monde possible », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord au sein de Human Rights Watch. « La FIFA échoue à assumer ses responsabilités en matière de droits humains et révèle son mépris pour les travailleurs migrants qui ont construit les infrastructures du tournoi au Qatar, contribuant à ses profits. »

Le 13 octobre, l’Associated Press a indiqué que le Secrétaire général adjoint de la FIFA, Alasdair Bell, avait déclaré, lors d’une session du Conseil de l’Europe, que la compensation est « certainement quelque chose que nous sommes intéressés à faire progresser ». Cependant, à quelques semaines du coup d’envoi de la Coupe du monde, ni la FIFA ni le Qatar ne se sont officiellement engagés à créer un fonds pour remédier à toute une série de préjudices, notamment les décès de travailleurs migrants qui ont rendu possible la Coupe du monde.

Lorsque la FIFA, l’instance dirigeante mondiale du football, a attribué au Qatar les droits d’organisation de la Coupe du monde en 2010, elle savait ou aurait dû savoir que les droits humains de millions de travailleurs migrants chargés de construire une infrastructure d’une valeur sans précédent de 220 milliards de dollars seraient exposés à de graves risques. Pourtant, elle n’a pas imposé de conditions en matière de droits du travail et n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable. À quelques semaines du début du tournoi, l’organisation ne s’est pas engagée publiquement à remédier à ces graves abus.

Depuis mai, Human Rights Watch, Amnesty International et FairSquare ont contacté les 32 associations de football (acronyme anglais FA) qui se sont qualifiées pour la Coupe du monde 2022, les exhortant à soutenir publiquement le fonds de recours. Parmi celles-ci, au moins sept des fédérations qualifiées ont jusqu’à présent soutenu publiquement l’appel aux réparations, notamment :

  • Association royale belge de football (RBFA)
  • Fédération française de football (FFF)
  • Fédération anglaise de football
  • Fédération allemande de football (Deutscher Fußball-Bund, DFB)
  • Fédération royale néerlandaise de football (Koninklijke Nederlandse Voetbalbond, KNVB)
  • Association galloise de football (Football Association of Wales, FAW)
  • Fédération américaine de football (United States Soccer Federation)

En outre, l’appel a été soutenu par la Fédération norvégienne de football, tandis que le groupe de travail sur les droits des travailleurs au Qatar de l’Union des associations européennes de football (UEFA), l’organisation qui chapeaute 55 fédérations nationales, a fait pression sur la FIFA pour qu’elle s’engage à mettre en œuvre un programme de réparations. Le 14 octobre, le groupe de travail de l’UEFA a déclaré avoir demandé à la FIFA de répondre et de s’engager sur les questions en suspens concernant les travailleurs migrants d’ici la fin du mois d’octobre. Cet appel fait suite à leur rapport de juin, à la suite d’un déplacement au Qatar, qui indique que la question des compensations a été longuement discutée et que le groupe de travail « a accepté le principe que toute blessure ou décès sur tout lieu de travail dans tout pays devrait être compensé. »

Pour les 32 équipes qualifiées, Human Rights Watch, Amnesty International et/ou FairSquare ont organisé des séances d’information en personne ou en ligne avec les fédérations concernées, notamment la FFF, la DFB, la KNVB, les fédérations anglaise, suisse et américaine de football, la Fédération danoise de football (Dansk Boldspil-Union, DBU), ainsi qu’avec le groupe de travail de l’UEFA. Les fédérations japonaise, galloise et australienne ont fourni des réponses écrites qui ne contenaient aucune information substantielle et n’ont pas donné suite à une recommandation les invitant à intervenir auprès de la FIFA pour remédier aux préjudices causés aux travailleurs migrants. Toutefois, la fédération galloise a ensuite rendu publique une déclaration indiquant que, avec le groupe de travail de l’UEFA, elle acceptait « le principe selon lequel toute blessure ou décès doit faire l’objet d’une compensation ».

Le 19 septembre, lors de la conférence sur les droits humains organisée par la Fédération allemande de football (DFB), son président Bernd Neuendorf a exprimé son « soutien inconditionnel » au fonds de recours. La Fédération néerlandaise a également soutenu l’appel, déclarant que les victimes ou les proches devraient être indemnisés. Le sélectionneur néerlandais Louis Van Gaal a vigoureusement soutenu l’appel à réparation. La Fédération anglaise de football a déclaré qu’elle continuait à faire pression en faveur du « principe d’indemnisation » pour les familles des travailleurs migrants ayant perdu la vie ou qui ont été blessés pendant qu’ils travaillaient sur des chantiers. La Fédération française de football (FFF) a déclaré qu’elle travaillait avec une douzaine d’autres à la création d’un « fonds d’indemnisation pour tous ceux qui ont été victimes d’accidents du travail pendant les préparatifs de la Coupe du monde ». En réponse aux questions de médias, l’entraîneur de la Confédération brésilienne de football (CBF) a également appuyé le principe d’un fonds de recours. Parmi les fédérations de football n’ayant pas encore répondu publiquement figurent celles du Canada et du Mexique, deux des trois pays hôtes de la Coupe du monde 2026. 

Un récent sondage d’opinion mondial effectué à la demande d’Amnesty International révèle que 67 % des 17 477 personnes interrogées dans 15 pays sont également d’avis que leurs fédérations nationales devraient prendre position publiquement sur les questions de droits humains liées à la Coupe du monde au Qatar, et notamment demander une indemnisation pour les travailleurs migrants. Quatre sponsors, AB InBev/Budweiser, Coca-Cola, Adidas et McDonald’s ont apporté leur soutien à l’appel à réparation. Récemment, quinze membres du Congrès américain et plus de 120 parlementaires français ont également écrit à la FIFA pour soutenir la demande de réparation.

« Le message des supporters, des fédérations de football, des dirigeants politiques et des sponsors est clair : il est temps que la FIFA agisse et rectifie le tir pour les travailleurs migrants qui ont rendu possible son tournoi phare », a déclaré Steve Cockburn, responsable de la justice économique et sociale à Amnesty International. « La FIFA a un choix clair à faire : consacrer une petite partie des recettes de la Coupe du monde pour faire une énorme différence dans les vies de milliers de travailleurs, ou ne rien faire et accepter que le tournoi soit entaché de manière indélébile par des atteintes aux droits humains. »

Des footballeurs, entraîneurs et commentateurs sportifs de renom soutiennent également l’appel #PayUpFIFA, notamment Tim Sparv, l’ancien capitaine de l’équipe de football finlandaise, et Lise Klaveness, présidente de la Fédération norvégienne de football, qui insiste depuis longtemps sur la nécessité de lutter contre les violations des droits de la personne liées à cette Coupe du monde. Lors d’une conférence de presse conjointe donnée par Human Rights Watch, Amnesty International et Fairsquare, Craig Foster, l’ancien capitaine de l’équipe nationale australienne de football, a annoncé qu’il ferait don de son salaire de diffuseur lors de la Coupe du monde aux familles des travailleurs décédés, entre autres. De telles initiatives devraient encourager l’industrie mondiale du football, en particulier les fédérations nationales, à ne pas se contenter de déclarations prudentes. Parmi les autres footballeurs de renom à soutenir cet appel figurent les anciens joueurs vedettes Gary Lineker et Alan Shearer.

En tant qu’associations membres de la FIFA, les fédérations sont tenues de respecter la politique de la FIFA en matière de droits humains. En outre, en tant qu’organismes qui, par le biais de leurs relations commerciales avec la FIFA, profitent financièrement des revenus générés par la Coupe du monde, les fédérations ont également la responsabilité, en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, d’user de leur influence pour prévenir et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels sur les droits humains qu’ils causent, auxquels ils contribuent ou sont parties prenantes, y compris au Qatar.

Depuis 2018, les autorités qataries ont mis en place certaines mesures encourageantes pour protéger les travailleurs contre les vols de salaire et améliorer l’accès à la justice, tout en introduisant des réformes du système de kafala (parrainage). Toutefois, des lacunes importantes subsistent. L’impact de ces programmes a été limité en raison de leur introduction tardive et de leur champ d’application étroit, car ils ne couvrent pas tous les travailleurs, en particulier dans le cas des initiatives menées par le Conseil suprême pour la remise et l’héritage, qui offrent de meilleures protections à un nombre limité de travailleurs, ou qui traitent des abus commis les années antérieures à la mise en place des systèmes. Il est essentiel de noter que des lacunes importantes subsistent en matière de mise en œuvre et d’application. Par exemple, les travailleurs qui ont déjà quitté le Qatar ne peuvent accéder aux comités mixtes de travail ou à un fonds créé pour les payer lorsque leurs employeurs ne le font pas.

Même les fédérations nationales qui se sont exprimées devraient aller au-delà des déclarations prudentes et des actes symboliques pour faire pression en faveur d’actions concrètes de nature à bénéficier concrètement aux travailleurs migrants et à leurs familles.

« L’indemnisation peut avoir de lourdes conséquences pour les familles qui comptent sur le fonds pour rembourser des prêts, offrir une éducation à leurs enfants ou s’acheter à manger. Lorsque les fédérations nationales donnent de la voix, elles contribuent à faire en sorte que des milliers de foyers qui ont perdu leur seul soutien de famille remboursent les prêts en cours ou les factures impayées », a souligné Nick McGeehan de FairSquare.

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