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États-Unis : Les séparations de familles à la frontière ont causé des préjudices durables

Un plan mis en place par de hauts responsables américains, dont certains pressentis à de nouveaux postes gouvernementaux, était censé avoir un effet dissuasif sur les migrants

Après avoir appréhendé un père et son fils venant du Honduras près de Mission, au Texas, à la frontière américano-mexicaine, des agents des services frontaliers américains s’apprêtaient à les transférer dans un centre de traitement du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (US Customs and Border Protection), où ils risquaient d’être séparés, le 12 juin 2018. © 2018 John Moore/Getty Images
  • Près de 1 360 enfants n’ont toujours pas rejoint leurs parents six ans après que le gouvernement des États-Unis les a séparés de force à la frontière américaine, pour dissuader les arrivées de migrants.
  • Les actes de ce programme ont constitué des disparitions forcées et peuvent avoir relevé de la torture. Les efforts déployés par les États-Unis pour aider les familles séparées n’ont pas estimé correctement les graves préjudices qui leur ont été infligés.
  • La pleine reconnaissance des graves violations des droits humains nécessite la publication complète des données, des excuses, une indemnisation et d’éventuelles poursuites pénales. Le Sénat américain devrait refuser la candidature à de nouveaux postes de tous les responsables impliqués dans les séparations familiales.

(McAllen, Texas) – Près de 1 360 enfants n’ont toujours pas rejoint leurs parents six ans après que le gouvernement des États-Unis les a séparés de force à la frontière américaine, et les efforts déployés par les États-Unis pour aider les familles séparées n’ont pas estimé correctement les graves préjudices qui leur ont été infligés, ont déclaré Human Rights Watch, Texas Civil Rights Project (TCRP) et la Lowenstein International Human Rights Clinic de la Yale Law School dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 135 pages, intitulé « ‘We Need to Take Away Children’: Zero Accountability Six Years After ‘Zero Tolerance’ » (« “Nous devons éloigner les enfants” : Aucune responsabilisation six ans après la “tolérance zéro” »), constate que le gouvernement a refusé, souvent pendant des jours ou des semaines, de fournir aux parents des informations sur le sort de leurs enfants séparés ou le lieu où ils se trouvaient, ce qui correspond à la définition d’une disparition forcée. Les séparations forcées des familles peuvent également avoir relevé de la torture, par le fait qu’un agent de l’État a infligé intentionnellement des souffrances profondes dans un but inapproprié. Même un cas unique de disparition forcée ou de torture constitue un crime en vertu du droit international.

« Il est effrayant de voir, document après document, la cruauté calculée qui a été introduite dans la politique de séparation forcée des familles », a indiqué Michael Garcia Bochenek, conseiller juridique senior auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch et co-auteur du rapport. « Un gouvernement ne devrait jamais cibler des enfants pour envoyer un message aux parents. »

Les documents de politique et les courriels du gouvernement analysés démontrent que les autorités ont délibérément séparé les enfants de leurs parents dans le but de dissuader d’autres familles qui pourraient tenter d’entrer illégalement sur le sol américain. De hauts responsables sont intervenus pour maintenir les enfants séparés de leurs parents lorsque les agences fédérales ont commencé à réunir rapidement les familles.

Le gouvernement américain a séparé plus de 4 600 enfants de leurs parents entre 2017 et 2021. Les 1 360 enfants qui manquent toujours à l’appel représentent près de 30 % des enfants séparés pendant le premier mandat du président Donald J. Trump.

Les hauts responsables ont entamé des discussions sur la séparation de force des familles en février 2017, plusieurs semaines après la prise de fonction du président Trump. Le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (US Customs and Border Protection, CBP) et les procureurs fédéraux ont dirigé la séparation des familles à El Paso, au Texas, et dans ses environs entre mars et novembre 2017. Puis les séparations en tout endroit de la frontière ont débuté en mai 2018.

Le gouvernement a pu séparer les familles en vertu de l’application inédite de deux lois fédérales. D’abord, il a poursuivi les parents pour « entrée irrégulière » (« improper entry »), un chef d’accusation fédéral mineur. Ensuite, il a profité du bref transfert des parents du CBP au US Marshals Service alors qu’ils comparaissaient devant le tribunal pour traiter leurs enfants comme des mineurs non accompagnés. Le CBP a enfin appliqué une autre loi pour transférer les enfants au Bureau de réinstallation des réfugiés (Office of Refugee Resettlement), l’agence du Département américain de la Santé et des Services sociaux chargée des enfants non accompagnés.

Une ordonnance judiciaire de juin 2018 a mis fin aux efforts du gouvernement visant à séparer systématiquement chaque famille entrant aux États-Unis sans autorisation. Mais l’ordonnance judiciaire permettait les séparations pour d’autres motifs, et le gouvernement a continué à séparer des centaines d’enfants de leurs parents jusqu’à la fin de l’année 2019.

Les enfants et les parents interrogés par Human Rights Watch et TCRP en 2018 et 2019 ont décrit une angoisse intense, une anxiété profonde et d’autres traumatismes. Un garçon guatémaltèque de 15 ans a déclaré qu’il était « vraiment désespéré, très triste et inquiet » après avoir été séparé de son père en octobre 2018.

Un traumatisme aussi grave était prévisible. En effet, les responsables du Bureau de réinstallation des réfugiés ont averti à plusieurs reprises que la séparation forcée risquait d’avoir de lourdes conséquences pour les enfants.

Le CBP n’a pas précisé au Bureau de réinstallation des réfugiés quels enfants avaient subi une séparation à la frontière, et les systèmes du CBP n’établissaient aucun lien entre les dossiers des enfants séparés et ceux de leurs parents. Un juge fédéral a observé qu’en réalité, le gouvernement tenait mieux les registres des biens que ceux des enfants dont il avait la garde. Par conséquent, la véritable ampleur de cette politique n’est apparue qu’après des années d’efforts pour identifier, localiser et réunir les enfants séparés et leurs parents.

Dans les coulisses, les échanges des responsables ne laissaient aucun doute sur le fait que la séparation forcée des familles était le résultat souhaité de la politique plutôt qu’une conséquence indirecte des opérations de routine des forces de l’ordre. « Nous devons éloigner les enfants », a indiqué le procureur général Jeff Sessions aux procureurs fédéraux en mai 2018. Le même mois, lorsqu’un haut responsable des Services de l’immigration et des douanes des États-Unis (US Immigration and Customs Enforcement) a appris que les parents revenaient du tribunal avant que le CBP n’ait transféré leurs enfants, il a rédigé une note pour « confirmer que le résultat attendu est que nous NE réunissions PAS les familles » ; la réunification « sape évidemment tous les efforts ».

Les hauts fonctionnaires qui ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette politique incluent Thomas Homan, récemment choisi pour être le « tsar des frontières » du président Trump et Matthew Whitaker, que Donald Trump a décidé de nommer comme ambassadeur des États-Unis auprès de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Stephen Miller, le conseiller de la Maison-Blanche qui a contribué à concevoir l’interdiction de voyager en 2017 pour les ressortissants de pays à majorité musulmane et qui a plaidé pour la fermeture des frontières aux demandeurs d’asile pour des raisons de santé publique, devrait être chef de cabinet adjoint chargé des politiques.

L’administration du président Joe Biden a pris des mesures notables pour remédier aux préjudices causés aux familles par leur séparation forcée, notamment en permettant aux parents d’entrer et de rester temporairement aux États-Unis, en acceptant de rouvrir leurs dossiers de demande d’asile et en les autorisant à travailler, ainsi qu’en fournissant des services de santé mentale aux parents et aux enfants réunis. Bon nombre de ces initiatives répondaient à des ordonnances judiciaires ; d’autres découlaient de recommandations du groupe de travail pour la réunification des familles (Family Reunification Task Force) mis en place par le président Biden en 2021.

« Le statut temporaire et l’accès à court terme aux services sont loin de constituer des solutions adéquates pour les familles séparées intentionnellement », a expliqué Danny Woodward, avocat de TCRP. « Les actes de torture et autres violations graves nécessitent une réparation complète. »

Le Congrès et le pouvoir exécutif devraient mettre en place des mesures globales pour réparer les injustices subies par ces familles et devraient envisager de leur accorder le statut de résidents permanents, ont déclaré Human Rights Watch, TCRP et la Lowenstein Clinic. Des services d’accompagnement, y compris des services de santé mentale, devraient être disponibles de façon continue pour les familles qui en font la demande. 

Le Département américain de la Sécurité intérieure devrait adopter des normes qui maintiennent a priori les familles unies, en les séparant uniquement lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu, et le Congrès devrait inscrire ces protections dans la loi.

La pleine reconnaissance des graves violations des droits humains inhérentes aux séparations forcées des familles nécessite la publication complète des données, des excuses, une indemnisation et d’autres mesures, y compris d’éventuelles poursuites pénales pour disparition forcée ou torture, afin de garantir que de tels actes ne se reproduisent jamais.

Le Sénat américain devrait user de son pouvoir de conseil et de consentement pour refuser tous les candidats aux postes de la deuxième administration Trump qui ont été impliqués dans la planification ou l’exécution de la politique de séparation des familles.

Le groupe de travail pour la réunification des familles devrait publier des recommandations avant la fin du mandat du président Biden en tant que catalyseur de changements futurs.

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