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Myanmar : L’UE devrait mettre à exécution les nouvelles sanctions imposées à la junte

TotalEnergies, Chevron et d’autres entreprises devraient placer leurs actions sous séquestre

Des soldats avançaient dans une rue de Yangon, au Myanmar, lors de manifestations contre le coup d'État militaire du 1er février 2021. © 2021 Santosh Krl/SOPA Images/Sipa USA/Sipa via AP Images

(New York) – L’Union européenne devrait mettre à exécution sans tarder les nouvelles sanctions visant l’armée du Myanmar et la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), société publique pétrolière et gazière, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’UE devrait également veiller à ce que le retrait des entreprises européennes concernées par ces sanctions ne profite pas à la junte. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Norvège, le Japon, la Thaïlande, la Corée du Sud, l’Australie et d’autres pays devraient adopter rapidement des mesures similaires.

Le 21 février 2022, l’UE a imposé de nouvelles mesures restrictives à des membres et à des « proches » de la junte, ainsi qu’à des entreprises contrôlées par la junte, notamment la MOGE, qui entretient des liens avec des sociétés pétrolières et gazières internationales.

En vertu de ces nouvelles sanctions, plusieurs entreprises du secteur de l’énergie ont pour obligation de cesser leurs activités au Myanmar, ce qui aura une incidence majeure, car les revenus liés au gaz naturel constituent la principale source de devises étrangères de la junte birmane. Toutefois, certaines dispositions ambiguës font craindre que les entreprises puissent transférer leurs intérêts à la MOGE ou à d’autres sociétés non soumises aux sanctions.

« Si, en quittant le Myanmar, les entreprises du secteur énergétique ayant décidé de se retirer du pays transfèrent leurs actions ou leurs revenus à la MOGE, cela continuera d’enrichir cette junte brutale et responsable d’abus, et d’asseoir davantage son pouvoir », a déclaré John Sifton, directeur de plaidoyer auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « Le but des sanctions est de mettre la pression sur la junte, et non de permettre à TotalEnergies, Chevron et d’autres de renforcer le régime militaire. »

Depuis le coup d’État du 1er février 2021, l’armée du Myanmar a mené une répression contre l’opposition, en se livrant à grande échelle à des meurtres, à des actes de torture, à des violences sexuelles, à des arrestations arbitraires et à d’autres abus systématiques et généralisés constituant des crimes contre l’humanité. Elle a multiplié les opérations militaires dans les régions peuplées par des minorités ethniques, donnant lieu à de nombreux crimes de guerre.

Pour que le retrait des entreprises quittant le Myanmar soit responsable, il devrait prévoir la mise sous séquestre ou en fiducie des parts ou des droits immobiliers existants des entreprises afin que les revenus qui y sont liés ne profitent pas à l’armée. Cela inclut leurs parts dans les projets d’exploration, de développement ou de production en cours, ainsi que dans les joint-ventures de transport par pipeline, a ajouté Human Rights Watch.

Ces recommandations s’inscrivent dans la lignée des responsabilités énoncées dans les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Dans le commentaire de ce document, il est indiqué que, parmi les éléments à prendre en compte pour déterminer « l[es] action[s] appropriée[s] » lorsque les activités d’une entreprise contribuent à des abus de droits humains, il y a lieu notamment de se demander « si la cessation de la relation avec l’entité elle-même aurait des conséquences néfastes pour les droits de l’homme ».

TotalEnergies, Chevron et Woodside ont récemment annoncé leur intention de se retirer du Myanmar dans les mois à venir. TotalEnergies, compagnie française, et Chevron, groupe américain, exploitent du gaz en mer et l’acheminent vers la Thaïlande en partenariat avec la MOGE. La société australienne Woodside possède des permis d’exploration et d’exploitation sur plusieurs autres gisements de gaz en mer. La compagnie italienne ENI mène, quant à elle, des activités de production terrestre de pétrole.

Le transfert de parts à la MOGE ou à une tierce partie en dehors du domaine de compétence de l’UE aurait des répercussions négatives, car cela accroîtrait les parts de la MOGE et ses futurs revenus, et renforcerait de ce fait les ressources et les capacités de la junte. Les revenus de la junte en devises étrangères sont destinés principalement à financer les militaires, a précisé Human Rights Watch.

Les nouvelles sanctions imposées par l’UE semblent interdire le transfert ou la vente d’actions à la MOGE, celle-ci étant une « entité sanctionnée ». Cependant, ces mesures autorisent également temporairement la « mise de certains fonds ou ressources économiques à la disposition de » la MOGE si les autorités d’un pays membre de l’UE jugent que cela est nécessaire aux fins du « transfert, avant le 31 juillet 2022, d’actions ou d’intérêts qui est nécessaire à la résiliation de contrats ». Cette formulation ambiguë, prévue vraisemblablement pour autoriser temporairement les transactions fortuites liées au départ des entreprises, pourrait être interprétée comme une autorisation du transfert d’actions à la MOGE. Elle devrait donc être clarifiée.

Les gouvernements de l’UE mettant en œuvre les nouvelles sanctions applicables à la MOGE – en particulier la France et l’Italie étant donné que TotalEnergies et ENI relèvent de leur compétence – devraient préciser aux entreprises que leurs parts ne peuvent pas être transférées ou vendues à la MOGE.

Les entreprises devraient également encourager les autres compagnies d’énergie demeurant au Myanmar, notamment leurs partenaires actuels dans les joint-ventures, à placer les futurs dividendes destinés à la MOGE en fiducie ou sur des comptes séquestres. L’entreprise publique thaïlandaise PTT et la société sud-coréenne POSCO, qui sont les deux principales entreprises énergétiques encore présentes au Myanmar, devraient exprimer leur soutien à de telles mesures. Les plus gros revenus gaziers versés sur des comptes contrôlés par la junte proviennent de PTT, qui achète environ 80 % du gaz naturel exporté par le Myanmar.

Si les entreprises ayant pris la décision de se retirer du pays jugent qu’elles doivent vendre ou transférer leurs parts à une autre entité, elles devraient s’assurer que les entités recevant ces parts respecteront les sanctions internationales et les normes internationales relatives aux entreprises et aux droits humains.

Human Rights Watch avait déjà exhorté d’autres sociétés se retirant du Myanmar, telles que le fabricant japonais de boissons Kirin, à garantir que leurs actions ne soient pas transférées ou vendues à l’armée, ni transférées d’une manière qui profite à la junte.

Pour éviter que d’autres entreprises ou les autorités du Myanmar ne viennent saper les sanctions, les autres gouvernements devraient emboîter le pas à l’Union européenne et imposer des mesures similaires portant interdiction du transfert d’actions à la junte, a déclaré Human Rights Watch. Des sanctions supplémentaires aideraient également à assurer que la junte ne puisse pas échapper aux nouvelles sanctions de l’UE en se plaçant derrière d’autres autorités.

« L’objectif global des nouvelles sanctions de l’UE est de restreindre l’accès de la junte aux revenus de la MOGE », a conclu John Sifton. « Ce ne sera que lorsque l’impact économique des sanctions sera devenu insoutenable que l’armée du Myanmar se décidera à améliorer la situation des droits humains dans le pays. »

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