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Anti-coup protesters gather during a candlelight night rally in Yangon, March 14, 2021.

Myanmar : Une année de brutalités à la suite du coup d’État

Les gouvernements devraient priver la junte de sources de financement et de la possibilité d’acheter des armes

Cette foule de personnes participait à un sit-in à Yangon (Rangoun) au Myanmar, dans la nuit du 14 mars 2021, tenant des bougies pour exprimer pacifiquement leur opposition au coup d’État militaire du 1er février 2021. © 2021 AP Photo

(Bangkok) – Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, la junte au pouvoir au Myanmar s’est livrée dans tout le pays à une répression brutale afin d’écraser l’opposition généralisée des citoyens à son régime, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les gouvernements que cette situation préoccupe, dont ceux des États-Unis, de l’Union européenne (UE), du Royaume-Uni et du Japon, devraient s’entendre pour bloquer l’accès de la junte aux revenus étrangers qu’elle tire des ventes de pétrole, de gaz et des autres matières d’extraction qui financent son régime abusif.

Combien de personnes les militaires au Myanmar doivent-ils encore arrêter, torturer ou abattre avant que des gouvernements influents ne stoppent enfin le flux d'argent et d'armes parvenant à la junte ?
Brad Adams

Directeur, division Asie

Sous l’autorité du général Min Aung Hlaing, les forces de sécurité de la junte ont commis des meurtres en masse, des actes de torture, des violences sexuelles, des arrestations arbitraires et d’autres abus à l’encontre de manifestants, de journalistes, d’avocats, de personnels de santé et de membres de l’opposition politique, actes qui sont constitutifs de crimes contre l’humanité. Des offensives militaires dans le nord-ouest et le sud-est du pays ont résulté en de nombreux crimes de guerre. La nature de la répression exercée par les forces de sécurité – méthodique, généralisée et systématique – reflète la politique générale de la junte consistant à supprimer toute opposition, a affirmé Human Rights Watch.

« Combien de personnes les militaires au Myanmar doivent-ils encore arrêter, torturer ou abattre avant que des gouvernements influents n’agissent enfin pour stopper le flux d'argent et d'armes parvenant à la junte ?», a demandé Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « Le peuple du Myanmar, qui n’a pas abandonné son combat pour la démocratie en dépit d’atrocités quotidiennes, a besoin de savoir qu’il bénéficie du soutien de la communauté internationale. »

Un homme courait devant des pneus brûlés, lors d’une manifestation anti-coup d'État tenue à Yangon (Rangoun) au Myanmar, le 28 mars 2021, pour protester contre le coup d’État militaire du 1er février 2021. © 2021 AP Photo

Le 1er février 2021, l’armée a arrêté les dirigeants civils élus du pays, notamment la conseillère d’État Aung San Suu Kyi et le président Win Myint, lors de rafles effectuées à l’aube dans la capitale, Naypyidaw. Lors des semaines suivantes, des millions de personnes à travers le pays ont rejoint le Mouvement de désobéissance civile contre le coup d’État (Civil Disobedience Movement, CDM), protestant pacifiquement contre la junte par des manifestations de masse et des grèves générales.

Le salut aux trois doigts, geste symbolique utilisé par les manifestants au Myanmar (issu du film « The Hunger Games »), sous des mots en birman signifiant « Révolution du printemps ». Illustration par un(e) artiste anonyme au Myanmar.

Les forces de sécurité ont répondu avec une force de plus en plus excessive et mortelle, notamment en utilisant des balles réelles, des grenades et des armes prétendument moins létales. La police et l’armée ont massacré des manifestants dans de nombreuses villes à travers le pays. Les forces de sécurité ont tué près de 1 500 personnes depuis le coup d’État, dont au moins 100 enfants. « Quand ils sont venus vers nous, nous n’avions rien », a déclaré un manifestant qui a subi une attaque le 3 mars à Yangon (Rangoun). « Nous n’avions même pas un bâton. Même pas un couteau. Tout ce que nous avions, c’était nos slogans et notre salut à trois doigts. »

Le 26 mars, la chaîne de télévision de la junte, MRTV, a averti les manifestants, leur conseillant de « tirer les leçons de la tragédie causée par les affreuses morts précédentes et réaliser que vous pouvez être en danger de recevoir une balle dans la tête et dans le dos », et a exhorté les parents à décourager leurs enfants d’aller manifester : « Ne gâchons pas des vies pour rien. » Les forces de sécurité ont tué 160 personnes le lendemain.

Pour contester la légitimité de la junte, en avril, les membres civils du parlement, les représentants des minorités ethniques et des activistes de la société civile ont formé un Gouvernement d’unité nationale (National Unity Government, NUG). En août, Min Aung Hlaing a prolongé l’état d’urgence d’un an, que la junte avait proclamé le 1er février, jusqu’à 2023.

La junte a arbitrairement emprisonné plus de 11 000 activistes, politiciens, journalistes et autres personnes, selon l’Association d’aide aux prisonniers politiques (Assistance Association of Political Prisoners, AAPPB), et en a fait disparaître de force des centaines. Les tribunaux militaires ont condamné à mort 84 personnes lors de procédures sommaires qui n’étaient pas conformes aux normes internationales en matière de procès équitable. Les prisonniers sont souvent détenus au secret, privés de la possibilité de contacter des proches ou de recevoir une assistance juridique.

Les forces de sécurité ont soumis de nombreux détenus à la torture et à d’autres mauvais traitements, notamment des passages à tabac réguliers, des brûlures avec des cigarettes, des mises prolongées dans des positions de stress et des violences sexistes. Au moins 150 personnes sont mortes en détention, dans de nombreux cas dans des centres de détention gérés par les militaires. « Il y avait tellement de sang », a déclaré un ancien détenu qui a été passé à tabac durant sa détention de huit mois. « Je ne me souvenais même plus de la raison pour laquelle j’étais là-bas. Je ne pouvais plus m’asseoir, ni me tenir debout. Je voulais juste m’évanouir. Peut-être ai-je continué à m’évanouir. »

Un policier levait son bâton au-dessus de la tête d’un homme accroupi lors de la répression d’une manifestation à Yangon (Rangoun), le 6 mars 2021. © 2021 AP Photo

La junte a arrêté plus de 120 journalistes, dont une cinquantaine sont toujours détenus, dans l’attente d’une inculpation ou de l’annonce d’une peine. Au moins 15 journalistes ont été condamnés, la plupart aux termes de la section 505A du code pénal, une nouvelle disposition qui criminalise la publication ou la diffusion de commentaires de nature à « semer la peur » ou à répandre « de fausses nouvelles. » La junte a retiré leurs licenses à sept médias locaux et a interdit les chaînes de télévision par satellite. « J’ai dû faire sortir du pays toute ma famille », a déclaré un journaliste. « Le Myanmar n’est pas un pays sûr pour quiconque a encore une conscience morale. »

La répression exercée par les forces de sécurité s’est étendue, bien au-delà des grandes villes, dans les zones rurales et dans celles où vivent des minorités ethniques, à mesure que la résistance à la junte se répandait dans tout le pays. L’armée continue de mener des attaques ciblées ou sans discernement contre des civils, y compris des frappes aériennes et d’intenses tirs d’artillerie, selon les Nations Unies. Des témoignages de personnes déplacées et de travailleurs humanitaires indiquent que la junte a continué de recourir à la vieille stratégie des « quatre interdictions » de l’armée, par laquelle les militaires conservent le contrôle d’une zone en isolant et en terrorisant sa population civile.

Dans certaines zones, les Forces de défense du peuple (People’s Defense Forces, PDF), formées récemment, et d’autres groupes armés anti-junte ont combattu, aux côtés de guérillas ethniques constituées depuis longtemps, contre les forces militaires de la junte. En novembre, des affrontements étaient mentionnés dans chaque État et chaque région du pays.

Le 24 décembre, les forces de sécurité ont sommairement exécuté au moins 39 personnes dans la localité de Hpruso, dans l’État Kayah (ex-Karenni), dont quatre enfants et deux membres du personnel de l’organisation de secours internationale Save the Children. Nombre de ces victimes étaient ligotées, bâillonnées et présentaient des marques de torture, et certaines ont peut-être été brûlées vives. « C’est l’une des choses les plus choquantes et déprimantes que j’ai jamais vues », a déclaré un médecin qui a été chargé d’effectuer des autopsies des victimes.

Depuis le coup d’État, plus de 400 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur des frontières à cause des combats et des désordres, principalement dans le nord-ouest et le sud-est, tandis qu’environ 32 000 autres se sont réfugiées en Inde et en Thaïlande. La junte a délibérément bloqué l’acheminement d’aide humanitaire à des millions de personnes en danger, en violation du droit international humanitaire. Ses troupes ont attaqué des travailleurs humanitaires, détruit des fournitures et bloqué les routes d’accès et les convois d’aide, apparemment dans le but d’infliger une punition collective aux civils dans les zones où le régime de la junte est contesté.

Selon l’ONU, le nombre de personnes ayant besoin d’une assistance dans le pays est passé de 1 million avant le coup d’État à 14,4 millions, dont plus de 5 millions d’enfants. On estime que quelque 25 millions de personnes, soit la moitié de la population totale, vivent en-dessous du seuil national de pauvreté.

Cette foule de personnes participait à un sit-in à Yangon (Rangoun) au Myanmar, dans la nuit du 14 mars 2021, tenant des bougies pour exprimer pacifiquement leur opposition au coup d’État militaire du 1er février 2021. © 2021 AP Photo

Le système de santé du Myanmar s’est véritablement effondré depuis le coup d’État. Du fait que la junte a inclus dans sa répression les professionnels de la santé pour leur rôle dans le Mouvement de désobéissance civile, le Myanmar est devenu l’un des pays les plus dangereux du monde pour travailler dans le domaine médical, selon des données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Coalition pour la sauvegarde de la santé lors des conflits. « Nous devons nous battre et surmonter cela, sans quoi nous n’avons plus d’avenir », a déclaré un jeune médecin.

Du 1er février au 30 novembre, les forces de sécurité auraient tué au moins 31 personnels soignants et en auraient arrêté 284. Elles ont passé à tabac et abattu des membres du personnel médical qui prodiguaient des soins à des manifestants blessés et ont contraint des cliniques gérées par des organisations non gouvernementales à fermer, obligeant des médecins et des infirmiers volontaires à travailler clandestinement dans des cliniques de fortune mobiles et mal équipées.

Bien que les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et les États membres de l’Union européenne aient imposé, au cours de l’année écoulée, des sanctions ciblées aux dirigeants de la junte et aux compagnies contrôlées par les militaires, les revenus étrangers de la junte demeurent largement intacts, en particulier ceux qui proviennent des ventes de gaz naturel, sa principale source de revenus. Les gouvernements devraient immédiatement imposer des sanctions visant à bloquer l’accès de la junte à 1 milliard de dollars en devises généré chaque année par les accords gaziers, et durcir l’application des sanctions sur les autres sources de revenus étrangers que sont l’industrie d’extraction, le bois et les transports.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait sortir de son inaction causée par le blocage politique et adopter d’urgence une résolution imposant un embargo général sur les armes à destination du Myanmar, saisissant la Cour pénale internationale (CPI) des graves crimes commis par les militaires avant et depuis le coup d’État, et imposant des sanctions ciblées aux chefs de la junte et aux grosses entreprises contrôlées par les militaires. Et si la Chine et la Russie continuent de s’opposer à toute action du Conseil sur le Myanmar, elles devraient faire l’objet de pressions mondiales concertées pour leur soutien indirect aux violations inexcusables des droits humains commis par la junte, a affirmé Human Rights Watch.

« Le premier anniversaire du coup d’État militaire au Myanmar sert de jalon pour une descente de plus en plus profonde dans les crimes contre l’humanité et dans une catastrophe humanitaire face auxquels les États-Unis, l’UE et d’autres se doivent d’intervenir », a conclu Brad Adams. « Ces pays devraient enfin faire payer à la junte un prix pour ses exactions qui soit trop lourd à supporter pour les généraux. »

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