(Bangkok) – Au cours des six mois ayant suivi le coup d’État du 1er février 2021, la junte militaire du Myanmar a perpétré contre sa population civile de nombreux abus qui constituent des crimes contre l’humanité, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Depuis que l’armée a repris le pouvoir, des millions de personnes sont descendues dans les rues à travers le pays et ont manifesté pacifiquement pour un retour à un gouvernement civil démocratiquement élu. Dans le cadre d’attaques généralisées et systématiques visant la population, les forces de sécurité ont tiré de manière répétée sur la foule et recouru à une force excessive pour disperser et blesser les manifestants. La police et l’armée ont tué plus de 900 manifestants et passants, dont 75 enfants environ, ont fait disparaître de force plus de 100 personnes, et en ont torturé et violé un nombre inconnu en détention. Plusieurs milliers d’autres ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires.
« La junte du Myanmar a répondu à la mobilisation populaire massive contre le coup d’État par des meurtres, des actes de torture et des détentions arbitraires de personnes qui souhaitent simplement que les résultats des élections de l’an dernier soient respectés et un gouvernement qui reflète la volonté du peuple », a déclaré Brad Adams, Directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Ces attaques contre la population constituent des crimes contre l’humanité dont les responsables doivent être traduits en justice. »
Le concept de crimes contre l’humanité remonte au moins à 1915 et faisait partie de la Charte du Tribunal militaire international qui a créé les procès de Nuremberg pour juger des dirigeants nazis. En vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contre l’humanité sont une série d’actes commis intentionnellement dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile.
Les crimes commis par la junte birmane contre les opposants au coup d’État militaire constituent à la fois une attaque généralisée et systématique contre la population, a déclaré Human Rights Watch. La nature de la réponse gouvernementale, de grande ampleur et souvent concordante, reflète une politique plutôt que les actions individuelles d’éléments des forces de sécurité.
Les crimes contre l’humanité manifestement commis depuis le 1er février incluent le meurtre, la disparition forcée, la torture, le viol et d’autres violences sexuelles, la privation grave de liberté et d’autres actes inhumains à l’origine de grandes souffrances. Human Rights Watch a constaté par le passé que l’armée du Myanmar avait commis des crimes contre l’humanité contre la communauté rohingya en 2012-2013 et à nouveau en 2017 dans le cadre de campagnes de nettoyage ethnique. Les autorités commettent des crimes contre l’humanité d’apartheid, de persécution et de graves privations de liberté contre les Rohingyas vivant actuellement dans l’État de Rakhine. Le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar (IIMM) soutenu par l’ONU « suit de près » les événements et recueille des preuves d’éventuels crimes postérieurs au coup d’État. L’IIMM a également pour mandat de constituer des dossiers visant à établir les responsabilités individuelles de tels crimes dans le cadre de procédures pénales.
L’ONU, les organismes régionaux et les gouvernements, y compris l’Union européenne, les États-Unis et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), devraient répondre aux crimes contre l’humanité qui continuent d’être commis au Myanmar en complétant, renforçant et coordonnant les sanctions internationales contre l’armée et le Conseil administratif d’État (SAC), dirigé par le général Min Aung Hlaing. Les mesures à prendre devraient inclure des sanctions ciblées, un embargo international sur les armes et des restrictions financières pour réduire les revenus de la junte issus des industries extractives.
Les gouvernements devraient agir pour restreindre les revenus générés par le gaz, qui sont la plus importante source de devises de l’armée, environ un milliard de dollars par an en droits, taxes, redevances, frais, tarifs et autres bénéfices liés à cette exploitation. Les États-Unis, l’UE, le Royaume-Uni et d’autres devraient bloquer les paiements à la junte et aux entreprises publiques provenant de projets pétroliers et gaziers financés par l’étranger, tels que ceux exploités par PTT, Total et Chevron. De telles mesures peuvent être conçues pour bloquer l’accès de la junte aux comptes étrangers tout en permettant de continuer à produire du gaz et de l’électricité dans le pays.
Depuis le coup d’État, les inquiétudes suscitées par le recours au véto de la Chine et de la Russie ont empêché le Conseil de sécurité de l’ONU d’adopter des résolutions pour répondre à la crise des droits humains au Myanmar. Le Conseil de Sécurité devrait prendre d’urgence des mesures contre la junte, notamment en renvoyant la situation à la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré Human Rights Watch. Le procureur du tribunal enquête actuellement sur les crimes contre l’humanité de déportation et de persécution à la suite du nettoyage ethnique des Rohingyas en 2017, ces crimes ayant été commis au Bangladesh, un État partie au Statut de Rome de la CPI. Le Conseil de Sécurité devrait emboîter le pas à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a adopté en juin une résolution juridiquement contraignante pour imposer un embargo sur les armes et des sanctions ciblées aux responsables de la junte et aux principaux dirigeants militaires.
Le Conseil de sécurité et les États membres de l’ONU devraient cesser de prétendre que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) exercera une pression suffisante sur la junte pour qu’elle rétablisse un gouvernement civil démocratiquement élu, remette en liberté les prisonniers politiques et établisse les responsabilités dans les abus perpétrés, a souligné Human Rights Watch. Depuis son Sommet du 24 avril, l’ASEAN n’a pas nommé d’envoyé spécial comme elle s’y était engagée ni pris de mesure significative pour faire pression sur la junte pour qu’elle cesse les graves violations des droits humains au Myanmar.
« La réponse internationale aux crimes contre l’humanité de la junte birmane a été muselée par les craintes de vétos au Conseil de sécurité, par l’irresponsabilité de l’ASEAN et l’hésitation de l’UE à prendre pour cible les compagnies gazières internationales », a conclu Brad Adams. « Le Conseil de sécurité et les pays influents, notamment les États-Unis, l’UE, l’Australie, le Japon, l’Inde et la Thaïlande, devraient coordonner leurs sanctions pour faire pression sur le SAC afin qu’il mette fin à sa répression brutale. »
Crimes présumés contre l’humanité commis depuis le coup d’État du 1er février
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale définit les crimes contre l’humanité comme l’un des nombreux actes commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ». Le terme « généralisé » renvoie à l’ampleur des actes ou au nombre de victimes ; celui de « systématique » à un schéma ou un plan méthodique dans la mise en œuvre de l’attaque. Des crimes contre l’humanité peuvent être commis en temps de paix comme en temps de conflit armé.
Le Statut de Rome définit l’« attaque » comme « le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes […] en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ». L’« attaque » n’a pas besoin d’être une attaque militaire au sens du droit international humanitaire. En outre, « le terme ‘‘population’’ n’exige pas que les crimes contre l’humanité soient dirigés contre l’ensemble de la population d’un territoire ou d’une zone géographique ».
Le Mémoire explicatif du Statut de Rome de la CPI précise que les crimes contre l’humanité « sont des crimes particulièrement abjects dans la mesure où ils constituent une atteinte grave à la dignité humaine ou une humiliation grave ou une dégradation d’un ou plusieurs êtres humains. Ce ne sont pas des événements isolés ou sporadiques mais qui s’inscrivent soit dans le cadre d’une politique gouvernementale (bien que les auteurs n’aient pas besoin de s’identifier à cette politique) soit dans celui d’une pratique répandue d’atrocités tolérées ou cautionnées par un gouvernement ou une autorité de facto. »
Bien que le Myanmar ne soit pas partie au Statut de Rome de la CPI, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait renvoyer la situation dans ce pays à la Cour.
Le meurtre, par l’armée birmane, de nombreux manifestants, la disparition forcée de partisans de l’opposition placés en détention, la torture et le viol d’un grand nombre de ces détenus, et les détentions politiques massives à travers tout le Myanmar depuis le coup d’État indiquent que ces abus sont généralisés.
Les autorités ont fait des déclarations qui suggèrent que la réponse aux manifestations a également été systématique. Le 21 février, le Conseil administratif d’État a déclaré dans le Global New Light of Myanmar, un média d’État : « Les manifestants incitent maintenant les gens, en particulier les jeunes gens émotifs, à une confrontation dans laquelle ils perdront la vie. »
Le 26 mars, la chaîne d’information d’État MRTV a prévenu les manifestants qu’ils « devraient tirer les leçons de la tragédie des récentes morts affreuses et réaliser le danger de vous faire tirer une balle dans la tête et dans le dos » et que « les parents devraient également dissuader leurs enfants de [se joindre aux manifestations], ne gâchons pas des vies pour rien ». Ces éléments de langage ont été largement interprétés comme le signe que les forces de sécurité prévoyaient de réprimer les manifestations prévues le lendemain, célébré au Myanmar comme étant la Journée des Forces armées.
Dans une déclaration en date du 8 mai, la junte a officiellement désigné le gouvernement d’unité nationale (NUG) d’opposition, son comité parlementaire et les milices qui leur sont associées comme des « organisations terroristes », leur imputant des actes présumés d’incitation à la violence contre la junte, manifestement pour justifier une vaste campagne de répression. La junte a déclaré que le Comité représentant Pyidaungsu Hluttaw (CRPH) – formé de membres du parti majoritaire après les élections parlementaires de 2020 – et le NUG « incitaient constamment les participants du Mouvement de désobéissance civile à se livrer à des actes de violence ».
Les crimes présumés contre l’humanité suivants devraient faire l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales :
Meurtres
Depuis le coup d’État du 1er février, la junte du Conseil administratif d’État a répondu aux manifestations de masse par une force disproportionnée et meurtrière. La police et l’armée ont tué plus de 900 personnes, dont la plupart étaient des manifestants et des passants dans de nombreuses villes et villages du Myanmar, y compris Yangon (Hlaing Thayar, North Okkapala et autres cantons), Mandalay, Bago, Monywa et d’autres cantons de la région de Sagaing, le canton de Mindat, dans l’État de Chin, et d’autres endroits. Les normes internationales relatives aux droits humains n’autorisent les forces de l’ordre à recourir à la force mortelle qu’en dernier recours, lorsqu’il existe une menace imminente pour la vie. Mais dans de nombreux cas documentés dans les médias et par l’ONU, Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des droits humains, les forces de sécurité ont tiré sur des manifestants qui n’étaient pas armés et ne posaient aucune menace manifeste.
La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dénoncé le 13 avril « un nouveau week-end d’effusions de sang coordonnées dans de nombreuses régions du pays ». Elle a ajouté que « [l]’armée semble déterminée à intensifier sa politique de violence impitoyable contre le peuple du Myanmar, en usant d’armes militaires et sans discrimination ».
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, dans son Observation générale n° 37 sur le droit de réunion pacifique, a déclaré que « les armes à feu ne sont pas un outil approprié de maintien de l’ordre dans les réunions . Elles ne doivent jamais être utilisées dans le seul but de disperser une assemblée. […] L’emploi d’armes à feu par les agents des forces de l’ordre n’est conforme au droit international que s’il est limité à des individus ciblés et aux situations dans lesquelles il est strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave découlant d’une menace imminente. »
Le crime contre l’humanité de meurtre a été défini par les tribunaux internationaux ad hoc comme « la mort de la victime qui résulte d’un acte ou d’une omission de l’accusé, commis avec l’intention soit de tuer soit de causer des lésions corporelles graves en sachant raisonnablement que cela conduirait probablement à la mort. »
Il y a eu un certain nombre de signalements d’incidents graves dans lesquels de nombreux manifestants ont été tués par balle par les forces de sécurité. L’ONU a rapporté que les forces de sécurité ont tué 18 personnes le 28 février. Le 3 mars, elles ont tiré à balles réelles sur les manifestants, tuant au moins 38 d’entre eux et en blessant une centaine d’autres à travers tout le pays, a encore relevé l’ONU. Des meurtres ont également été signalés par des médias ou des observateurs locaux à Monywa, dans la région de Sagaing, à Myingyan et Mandalay, dans la région de Mandalay ; à Salin, dans la région de Magway ; et à Mawlamyine, dans l’État de Mon.
Human Rights Watch a enquêté sur des incidents au cours desquels le personnel de sécurité a manifestement tué de manière délibérée. Le 3 mars à Yangon, au moins 10 membres des forces de sécurité ont été filmés en train de pousser un homme devant un groupe de détenus, puis de lui tirer dans le dos à bout portant.
Des médecins ont déclaré à Human Rights Watch que les forces de sécurité les ont empêchés de venir en aide aux manifestants blessés, dont certains sont morts des suites d’une hémorragie. D’autres, qui travaillaient dans des cliniques mobiles pendant les manifestations ont déclaré que les forces de sécurité avaient utilisé à la fois des balles réelles et des balles en caoutchouc et que bon nombre de blessures fatales avaient été causées par des tirs dans le haut du corps.
Le 13 mars, les autorités ont tué au moins neuf manifestants, dont cinq dans le quartier de Sein Pan à Mandalay, lorsque les forces de sécurité ont tiré dans la foule. Le 14 mars dans la commune de Hlaing Thayar, à Yangon, les forces de sécurité ont tué environ 58 personnes.
Le 17 mars, la police, à la poursuite de manifestants, est entrée de force au domicile familial de Sandar Linn Shein à Bayintnaung, dans le canton de Mayangone. La famille était accusée d’abriter des manifestants et les policiers ont commencé à tirer sans discernement, tuant sur le coup sa sœur aînée et blessant son frère aîné à la poitrine, avant de procéder à son arrestation.
Le 27 mars, qui marque la Journée des Forces armées, au lendemain de l’annonce par la chaîne d’information MRTV, selon laquelle les manifestants « devraient tirer les leçons de la tragédie des récentes morts affreuses et réaliser le danger de vous faire tirer une balle dans la tête et dans le dos », les forces de sécurité ont mené une répression violente contre des manifestants dans au moins 40 villes et villages, tuant des dizaines de personnes, selon l’organisation Fortify Rights : « Des photographies et des vidéos tournées par des témoins [le 27 mars] montrent des cadavres, dont des enfants, et des soldats tirant avec des armes dans la rue, traînant des corps sans vie derrière eux et brutalisant des gens. »
Dans un cas, les forces de sécurité ont tiré et blessé Aye Ko lors d’un raid nocturne effectué à Mandalay. Selon les médias locaux, les forces de sécurité l’ont traîné à l’écart avant de l’immoler. Des habitants ont déclaré que les soldats avaient menacé de tirer sur quiconque tenterait de l’aider. Dans un autre incident largement médiatisé le 27 mars, une vidéo montre des soldats tuant Kyaw Min Latt à bout portant alors qu’il circulait à leur niveau à moto.
Le 9 avril, des militaires ont tué environ 82 personnes à Bago lors d’un assaut lancé à l’aube contre des barricades et des campements de manifestants, selon les médias.
Le 26 mai, Associated Press, en collaboration avec le Human Rights Center Investigations Lab de l’Université de Californie, à Berkeley, a rendu public un rapport complet et détaillé documentant les meurtres. Il accuse la junte à utiliser les meurtres, en traînant des corps dans les rues et en les restituant mutilés aux familles, pour terroriser la population afin de faire cesser les manifestations. Ils ont identifié plus de 130 cas dans lesquels « les forces de sécurité semblaient utiliser des cadavres et les corps de blessés pour accroître l’anxiété et l’incertitude et semer la peur au sein de la population civile ».
Disparitions forcées
Depuis le coup d’État, les autorités du Myanmar ont placé en détention et fait disparaître de force plus de 100 politiques, responsables électoraux, journalistes, militants et manifestants, refusant de confirmer leur localisation en violation du droit international.
Les disparitions forcées sont définies dans le statut de la CPI comme « les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ».
Des membres de la famille et des amis de manifestants opposés à la junte arrêtés ont déclaré à Human Rights Watch qu’ignorer le lieu de détention de la personne concernée exacerbe les inquiétudes quant à sa sécurité et son bien-être.
Dans de nombreux cas, les familles n’ont reçu que de manière détournée des informations au sujet de la localisation de leur proche disparu, par exemple lorsque des détenus qui venaient d’être remis en liberté ont dit l’avoir vu en cellule. Certaines familles sont convaincues qu’à partir du moment où une prison accepte de réceptionner un colis pour un proche, il s’agit très probablement de l’endroit où celui-ci est détenu. Cependant, aucune base factuelle ne permet de parvenir à une telle conclusion et les autorités ne sont pas dispensées de leur obligation légale de fournir des informations sur le lieu de détention d’un détenu, de le présenter devant un tribunal dans un délai de 48 heures comme le prévoit la loi du Myanmar, et d’autoriser rapidement l’accès à un avocat et à des membres de sa famille.
Torture
De nombreuses personnes détenues pour avoir participé à des manifestations prodémocratie ont déclaré après leur remise en liberté que les forces de sécurité les avaient – elles ainsi que d’autres détenus - torturées et maltraitées. Les méthodes employées comprennent des passages à tabac, des simulacres d’exécution avec des armes à feu, des brûlures à l’aide de cigarettes, ainsi que des viols et des menaces de viol. Si la torture par la police dans les affaires pénales est depuis longtemps un problème au Myanmar, les opposants au coup d’État arrêtés risquent d’être roués de coup, torturés et de subir des violences sexistes, confirmant que les mauvais traitements font partie des moyens employés par la junte pour réprimer l’opposition.
Un homme âgé de 19 ans a déclaré aux médias avoir été conduit, le 9 avril, dans un complexe militaire situé à la périphérie de Bago après une journée de manifestations meurtrière. Les forces de sécurité, a-t-il relaté, ont utilisé des câbles, des crosses d’armes et des bouteilles pour le frapper sur les mains. « Le commandant m’a attaché les mains dans le dos et a utilisé de petits ciseaux pour me couper les oreilles, le bout de mon nez, mon cou et ma gorge », a-t-il raconté. « [Il] m’a frappé à la tête avec une bouteille en verre, roué de coups, et m’a pointé avec des armes à feu sans tirer. »
Des manifestants à Myeik, dans la région de Tanintharyi, ont déclaré après leur remise en liberté que le 9 mars, des membres des forces de sécurité ont passé à tabac environ 70 manifestants détenus avec des ceintures, des crosses de fusils, des tuyaux, des bâtons en bois et des chaînes. Le 19 avril, la junte a suscité un tollé général en diffusant sur MRTV les images de six jeunes détenus qui portaient les traces d’actes de torture subis en détention.
Un garçon âgé de 17 ans a déclaré à Human Rights Watch avoir été battu des jours durant alors qu’il avait les yeux bandés, puis forcé à descendre dans une fosse pour y être enterré jusqu’au cou dans un simulacre d’inhumation. Lui et d’autres personnes arrêtées à ses côtés, a-t-il expliqué, se sont vu refuser de la nourriture et de l’eau pendant quatre jours et ont dû boire l’eau des toilettes pour survivre.
L’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP) a déclaré que depuis le coup d’État, au moins 22 personnes avaient été torturées à mort en détention.
Human Rights Watch a enquêté sur le cas de Khin Maung Latt, âgé de 58 ans, président de paroisse dans le canton de Pabedan, au centre-ville de Yangon. Dans la soirée du 6 mars, des témoins ont vu des soldats et des policiers entrer de force au domicile de Khin Maung Latt, le frapper et lui donner des coups de pied devant sa famille, puis l’escorter sous la menace d’une arme. Le lendemain matin, après notification des autorités, la famille de Khin Maung Latt a récupéré son corps dans un hôpital. Présentant de graves blessures aux mains et au dos, il était recouvert d’un linceul ensanglanté, a indiqué un témoin.
Viols et autres violences sexuelles
La Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles, Pramila Patten, a condamné les allégations de violences sexuelles commises par les autorités birmanes, appelant à la fin des abus et à un accès sans entrave à une enquête indépendante. Dans une déclaration en date du 25 juin, elle a constaté que :
Les raids nocturnes, les arrestations arbitraires, les sièges de communes et de quartiers, les actes de torture et les morts en détention, les attaques visant des lieux et des sites où des civils sont rassemblés ou ont fui, et les signalements de violences sexuelles dans les lieux de détention, notamment les agressions sexuelles, les actes de torture, les violences physiques et verbales et l’intimidation, sont devenus une caractéristique alarmante de la vie quotidienne.
Dans une déclaration en date du 19 juillet sur le Myanmar, Mary Lawlor, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains, a noté que « [les] défenseures des droits humains sont particulièrement menacées dans les zones rurales reculées et souvent passées à tabac et frappées à coups de pied avant d’être envoyées en prison, où elles peuvent subir des actes de torture et des violences sexuelles en l’absence de tout soin médical. »
Le gouvernement d’unité nationale de l’opposition a signalé que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) étaient particulièrement vulnérables aux violences sexuelles en détention. Une femme transgenre a raconté après sa libération qu’elle avait été violée en détention à l’aide d’un objet, torturée et brutalisée.
Human Rights Watch a enquêté sur le cas d’une femme que la police a arrêtée le 17 avril et accusée d’être impliquée dans une série d’attentats à la bombe contre les forces de sécurité à Yangon. Les médias locaux ont rapporté que la police du canton de Yankin avait passé cette femme à tabac, y compris sur ses parties génitales, provoquant des saignements vaginaux, lors d’un interrogatoire au poste de police. Ils l’ont à nouveau passée à tabac dans un centre d’interrogatoire de la commune de Shwe Pyi Thar, ce qui l’a empêchée de manger ou d’uriner par la suite. Sa compagne de cellule a déclaré avoir été elle-même agressée, menacée avec une arme à feu et giflée lors d’un interrogatoire dans un autre poste de police du canton de Sanchaung.
Le 3 mars à Yangon, les autorités ont arrêté deux journalistes, Han Thar Nyein et Nathan Maung, lors d’une descente dans leur bureau de Kamayut Media. Maung, qui a été remis en liberté depuis, a déclaré que la police les avait roués de coups des jours durant dans un centre d’interrogatoire et que Han Thar Nyein, maintenant incarcéré à la prison d’Insein, avait également été brûlé avec des cigarettes et menacé de viol.
Emprisonnements ou autres privations graves de liberté en violation du droit international
Le 1er février, l’armée a arrêté la conseillère d’État Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et plusieurs dizaines d’autres hauts fonctionnaires lors de raids matinaux menés dans la capitale, Naypyidaw. Ils se trouvent toujours en détention.
Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques birmans (AAPP), depuis le coup d’État, les forces de sécurité ont arrêté 6 990 personnes, dont 5 442 sont toujours en détention. Dans certains cas, les forces de sécurité ont arrêté et placé en détention des membres de la famille et des amis de militants, de manifestants et de membres de l’opposition, en représailles collectives. L’AAPP a déclaré qu’au moins 119 personnes, dont un nourrisson, ont été arrêtées lors de raids lorsque les forces de sécurité n’ont pu trouver la personne qu’elles recherchaient. Au moins 83 d’entre elles se trouvent toujours en détention et certains de leurs proches ont été condamnés à des peines de prison.
La junte a particulièrement pris pour cible les journalistes. Depuis le 1er février, les autorités ont arrêté 98 journalistes, dont 46 sont actuellement en détention, selon l’AAPP. Six d’entre eux ont été condamnés, dont cinq pour avoir enfreint l’article 505A du code pénal, une nouvelle disposition qui érige en infraction pénale passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison la publication ou la diffusion de commentaires qui « suscitent la peur » ou de « fausses informations. »
Autres actes inhumains à l’origine de grandes souffrances ou de blessures graves
La junte a harcelé, arrêté arbitrairement et attaqué des professionnels de santé, parfois alors qu’ils soignaient des manifestants blessés. De nombreux soignants faisaient partie des premiers leaders du Mouvement de désobéissance civile et, ont refusé de travailler dans les hôpitaux publics en guise de protestation. Depuis le coup d’État, au moins 260 personnels de santé ont été attaqués alors qu’ils tentaient de dispenser des soins médicaux, et 18 ont été tués. L’AAPP a déclaré que 76 restaient en détention et que jusqu’à 600 autres sont visés par des mandats d’arrêt. Beaucoup ont été contraints de travailler dans la clandestinité dans des dispensaires de fortune ou se sont cachés pour échapper aux arrestations. L’équipe des pays des Nations Unies au Myanmar a déclaré que les attaques contre le personnel médical ont mis en péril la réponse à la pandémie de Covid-19.
Des images de vidéosurveillance diffusées en ligne montrent au moins six policiers en train d’extraire d’une ambulance trois travailleurs de l’équipe de secours bénévoles de Mon Myat Seik Htar (MMSH), avant de les passer à tabac à l’aide de leurs armes et de leurs matraques et de les rouer de coups de pied. Les bénévoles de MMSH ont ensuite été arrêtés puis remis en liberté le 24 mars, selon Myanmar Now.
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