(Bangkok, le 22 juin 2021) – Les forces de sécurité du Myanmar ont placé en détention arbitraire des milliers de personnes dont beaucoup, selon de multiples sources crédibles, ont été soumises à la torture, à des passages à tabac et autres mauvais traitements depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
L’armée et la police du Myanmar maintiennent souvent les détenus en garde à vue pendant de longues périodes, dans des centres d’interrogatoire et des prisons surpeuplées, insalubres. Les personnes détenues sont fréquemment placées en détention secrète, sans pouvoir contacter leurs proches ou un avocat. Les victimes, parmi lesquelles un garçon de 17 ans qui s’est entretenu avec Human Rights Watch, ont fait état de coups, de brûlures de cigarettes, de positions de stress prolongées et de violences sexistes.
« Depuis le coup d’État du 1er février, les autorités du Myanmar ont recours à la torture sans crainte de représailles », a déclaré Manny Maung, chercheuse sur le Myanmar à Human Rights Watch. « La brutalité inouïe des passages à tabac et des abus montre à quel point les autorités militaires sont prêtes à faire taire quiconque s’oppose au coup d’État. »
L’adolescent a déclaré avoir été roué de coups des jours durant alors qu’il avait les yeux bandés puis forcé de s’allonger dans une fosse, avant d’être enterré jusqu’au cou lors d’un simulacre d’enterrement. L’armée l’avait arrêté début mai, de nuit à son domicile, l’accusant d’être le meneur d’un groupe de manifestants. Il a déclaré avoir été frappé à la tête avec la crosse d’un fusil, avoir eu les yeux bandés, puis avoir été conduit dans un centre d’interrogatoire qu’il n’a pas été en mesure de localiser. Au cours des quatre jours qui ont suivi, des interrogateurs militaires l’ont frappé à plusieurs reprises à l’aide d’un bâton en bambou rempli de ciment, qu’ils ont également fait rouler contre ses tibias, a-t-il témoigné.
« Le troisième jour, ils m’ont conduit dans une zone boisée à environ une heure de l’endroit où se trouvait le lieu de l’interrogatoire », a relaté ce garçon. « Ils m’ont forcé à m’allonger dans une fosse alors que j’avais les yeux bandés et les mains liées. Ils avaient également prévu de me frapper à la tête à l’aide d’une pioche, et j’ai pensé que j’allais être enterré vivant quand ils ont commencé à me recouvrir de terre. »
Le garçon a déclaré qu’après s’être vus privés de nourriture et d’eau pendant quatre jours, lui et d’autres personnes arrêtées avec lui avaient dû boire l’eau des toilettes pour survivre. Les autorités l’ont détenu au centre d’interrogatoire pendant sept jours au total avant de le transférer à la prison d’Insein. Là, les autorités ont finalement reconnu qu’il avait moins de 18 ans et l’ont placé dans un centre de détention pour mineurs. Il a finalement été remis en liberté après avoir signé de faux aveux, a-t-il indiqué. Human Rights Watch a jugé sa déclaration crédible en raison de multiples récits similaires d’autres personnes détenues arbitrairement par l’armée.
D’autres sources interrogées ont déclaré que les forces de sécurité transportaient souvent les détenus vers des postes de police ou des centres d’interrogatoire militaires, où ils étaient roués de coups et forcés de rester debout, à genoux ou allongés dans des positions de stress des heures durant.
Han Thar Nyein et Nathan Maung, tous deux journalistes, ont été arrêtés le 9 mars et emmenés au centre d’interrogatoire de Ye Kyi Ai, dans le canton d’Insein, où les autorités les ont torturés deux semaines durant, a révélé le Comité pour la protection des journalistes. Les deux hommes ont été violemment battus, brûlés avec des cigarettes au ventre, aux cuisses et aux fesses, et forcés de s’agenouiller sur des blocs de glace pendant les interrogatoires. Les autorités les ont ensuite transférés à la prison d’Insein, où tous deux ont été inculpés en vertu de l’article 505A du code pénal pour « diffusion de fausses nouvelles ».
Le 14 juin, les autorités ont abandonné toutes les charges retenues contre Nathan Maung, qui a désormais quitté le pays. Cependant, Han Thar Nyein, qui se trouve toujours en détention, risque jusqu’à trois ans de prison en vertu de ce chef d’accusation. Toutes les charges retenues contre Han Thar Nyein et d’autres journalistes arrêtés à la suite des manifestations depuis le coup d’État doivent être abandonnées et ils doivent être immédiatement remis en liberté, a déclaré Human Rights Watch.
Le 19 avril, la police a arrêté Yuki Kitazumi, un journaliste japonais, et l’a détenu à la prison d’Insein. Après sa libération et son expulsion vers le Japon le 15 mai, Kitazumi a déclaré à Human Rights Watch que d’autres prisonniers avec lesquels il était incarcéré lui avaient confié avoir été brutalement torturés dans un centre de détention administré par l’armée avant d’être incarcérés à la prison d’Insein. Selon Kitazumi, ils ont décrit des actes de torture, notamment des passages à tabac lors d’interrogatoires qui ont duré plusieurs jours, et des interdictions de dormir.
Kitazumi a déclaré que l’expérience avait eu un impact considérable sur sa santé mentale : « Il y a eu des moments où j’ai sombré dans l’instabilité, parce que personne n’était là pour vous empêcher de broyer du noir, et qu’il n’y avait pas d’amis ».
Le 17 avril, lors de perquisitions à Rangoon, la police a arrêté une femme accusée d’être impliquée dans une série d’attentats à la bombe contre les forces de sécurité. Selon les médias locaux, elle a été emmenée dans un poste de police situé dans le canton de Yankin, où elle a été violemment passée à tabac, notamment sur ses parties génitales, provoquant de graves lésions.
La femme a ensuite été emmenée dans un centre d’interrogatoire de la commune de Shwe Pyi Thar, où elle a de nouveau été rouée de coups. Quand elle est arrivée au centre d’interrogatoire de Shwe Pyi Thar, elle souffrait de saignements vaginaux à cause de ses blessures, et avait des difficultés pour manger ou uriner, selon sa codétenue – qui a également décrit à Human Rights Watch comment elle-même a été agressée, menacée avec une arme à feu et giflée lors de son propre interrogatoire dans un autre poste de police, située dans le canton de Sanchaung.
En vertu du droit international des droits de l’homme, le recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants est interdit en toutes circonstances. Les articles 330 et 331 du code pénal du Myanmar interdisent expressément le recours à la torture pendant les interrogatoires et stipulent que quiconque « cause volontairement des blessures graves dans le but d’extorquer des aveux à la victime » encourra une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans et d’une amende.
Selon l’Assistance Association for Political Prisoners (AAPP), au moins 870 personnes sont mortes depuis le coup d’État. Parmi celles qui ont été tuées, 22 au moins ont succombé à des actes de torture infligés en détention. « Le nombre de personnes torturées à mort en détention est probablement plus élevé », a affirmé l’organisation dans un communiqué rendu public le 11 juin.
« On ne peut pas faire confiance aux autorités militaires du Myanmar pour mener des enquêtes sérieuses sur les allégations de torture, et encore moins pour poursuivre les policiers et les militaires qui commettent des abus. », a déclaré Manny Maung. « L’ONU et les gouvernements concernés devraient exiger publiquement la fin de la torture et des mauvais traitements infligés aux détenus et faire clairement comprendre aux militaires qu'en cas de non-respect, ils redoubleront d'efforts pour imposer des sanctions ciblées supplémentaires aux hauts responsables de l'armée et de la police, ainsi qu'aux entreprises appartenant à l'armée. »
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