(Istanbul, le 20 mars 2017) – Le gouvernement turc a emprisonné 13 membres de l’opposition démocratique pro-kurde siégeant au Parlement, qui sont accusés de terrorisme, et Ankara a pris le contrôle de 82 municipalités de la région du Kurdistan, révoquant et incarcérant des maires élus, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. La répression de fonctionnaires démocratiquement élus viole non seulement leurs droits d’association et de participation politiques, mais aussi leur droit à la liberté d’expression, ainsi que les droits des électeurs ayant voté pour ces édiles au service de leurs concitoyens.
Cette opération visant le parti national pro-kurde, le Parti démocratique des peuples (HDP), et son émanation régionalLe gouvernement turc a emprisonné des membres de l’opposition démocratique pro-kurde siégeant au Parlement, et a révoqué et incarcéré des maires élus, selon HRW qui appelle au respect des droits association et de participation politiques de tous les citoyens du pays.e, le Parti démocratique des régions (DBP), intervient en amont de la tenue d’un référendum constitutionnel prévu le 16 avril 2017 sur un amendement qui ferait passer la Turquie d’un système politique parlementaire traditionnel à un régime présidentiel, marqué par une concentration des pouvoirs dans les mains du président. Cette initiative a été largement critiquée en raison d’une absence de contrepouvoirs adéquats pour protéger les droits de l’homme et l’état de droit de l’abus de pouvoir par l’exécutif. Les deux partis s’opposent à une telle expansion des pouvoirs présidentiels.
« C’est un coup dur pour la démocratie turque quand le gouvernement emprisonne des dirigeants et des députés d’un parti d’opposition ayant recueilli cinq millions de voix lors des dernières élections », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Le lancement de cette offensive pendant un débat national vital sur l’avenir du pays est doublement inquiétant. »
Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, les codirigeants du HDP, et onze autres députés de ce parti sont détenus pour des accusations de terrorisme. Yüksekdağ a été révoqué de son siège en février dernier puis de son affiliation au parti après la confirmation d’une condamnation antérieure pour propagande terroriste. Dans le sud-est de la Turquie, le gouvernement a pris le contrôle de 82 municipalités remportées par le DBP et suspendu leurs maires démocratiquement élus, qui sont soupçonnés d’infractions de terrorisme, 90 d’entre eux ayant été emprisonnés en l’attente de leur procès.
L’emprisonnement de parlementaires est possible depuis l’approbation, par le Parlement en mai 2016, d’un amendement constitutionnel provisoire qui a permis la levée de l’immunité parlementaire de 154 élus visés par une enquête pour des infractions pénales, dont 55 sont des membres du HDP. L’amendement ne s’applique pas aux parlementaires visés par une enquête après le vote de mai, ceux-ci conservant leur immunité pendant la durée de leurs mandats.
La levée ponctuelle de l’immunité a été critiqué par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, qui émet des recommandations dans le domaine constitutionnel, et par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Lors de la période antérieure au vote relatif à l’immunité, une forte hausse des demandes d’enquête par des procureurs sur des députés du HDP a été enregistrée, pas moins de 152 rien que pendant le mois précédant le vote.
Le 4 novembre 2016, la police a placé en détention Demirtaş et Yüksekdağ et le vice-président du groupe parlementaire du parti, İdris Baluken, ainsi que six autres parlementaires : Nursel Aydoğan, Gülser Yıldırım, Leyla Birlik, Selma Irmak, Ferhat Encü et Abdullah Zeydan. Ils ont été présentés devant des tribunaux et mis en détention provisoire le même jour.
Nihat Akdoğan, un autre membre, a été arrêté et placé en détention trois jours plus tard. Au cours des mois suivants, quatre autres parlementaires ont été emprisonnés : Ayhan Bilgen, porte-parole du parti, Meral Danış Beştaş, membre de la commission constitutionnelle parlementaire, Besime Konca et Çağlar Demirel. Ils ont tous été inculpés de terrorisme. D’autres parlementaires du HDP détenus ont été remis en liberté provisoire, comme Leyla Birlik, le 4 janvier dernier, à l’issue de sa première comparution.
L’emprisonnement des chefs du parti et de parlementaires constitue une ingérence alarmante dans leur travail et une violation de leur droit à préparer la campagne référendaire, a déclaré Human Rights Watch. Une situation qui rappelle celle de 1994, pendant laquelle l’immunité de députés du Parti de la démocratie (DEP) avait été levée, conduisant quelques jours plus tard à l’emprisonnement de Leyla Zana, Orhan Doğan, Hatip Dicle et Selim Sadak pour des accusations de terrorisme, passant une décennie en prison. Ces parlementaires avaient été reconnus coupables d’appartenance à un groupe armé lors d’un procès jugé inéquitable par la Cour européenne des droits de l’homme et au cours duquel leurs droits ont fait l’objet de violations.
Le gouvernement a usé des pleins pouvoirs en vertu de l’état d’urgence imposé à la suite de la tentative de coup d’État de juillet 2016 pour prendre le contrôle direct de municipalités et révoquer des maires élus. Un décret en date du 1er septembre (n° 674) a modifié la loi relative aux municipalités pour permettre la mise sous tutelle de celles soupçonnées d’appui au terrorisme. Les maires de 82 des 103 municipalités contrôlées par le DBP ont été révoqués de leurs fonctions sur la base de présomptions d’infractions terroristes et leurs municipalités placées sous la tutelle d’autorités provinciales désignées par le gouvernement. Si les maires d’autres partis ont été destitués dans quatre autres municipalités, dans chacun de ces cas, les autorités ont autorisé d’autres représentants locaux élus à reprendre leurs fonctions.
Des milliers d’autres membres des deux partis pro-kurdes ont été arrêtés. Le HDP a informé Human Rights Watch que, depuis la tentative de coup d’État en date de juillet 2016 en Turquie, 5 471 de ses responsables, y compris des chefs de sections provinciales et de district, ont fait l’objet de détentions, dont 1 482 ont été placés en détention provisoire. Le DBP a déclaré de son côté que 3 547 de ses dirigeants ont été placés en détention provisoire depuis juillet 2015. Les arrestations ont entravé la capacité des deux formations politiques à faire campagne pour le prochain référendum, selon leurs responsables.
Les actions des autorités contre des fonctionnaires démocratiquement élus sont contraires aux responsabilités de la Turquie en vertu du droit international et régional des droits de l’homme, y compris des droits à la participation politique, à des élections libres, à la liberté d’expression et à la liberté d’association, ainsi qu’en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le référendum d’avril se déroulera dans un climat de répression : les médias indépendants turcs ont été muselés et 148 journalistes et employés de médias restent en détention, la majorité d’entre eux ayant été incarcérés à la suite du coup d’état et en l’absence de chef d’inculpation. L’état d’urgence, que le gouvernement prolonge tous les trois mois depuis le coup d’état, devrait l’être une fois encore, le 19 avril, après la tenue du référendum.
« La répression gouvernementale contre les partis pro-kurdes est en train de priver des millions d’électeurs de leurs représentants parlementaires, et dans une vaste partie de l’est et du sud-est du pays, elle les prive également de leurs représentants locaux », a déclaré Hugh Williamson.
Pour de plus amples détails sur la répression des deux partis pro-kurdes, veuillez consulter la version intégrale en anglais de ce communiqué :
www.hrw.org/news/2017/03/20/turkey-crackdown-kurdish-opposition
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