Le mois dernier en République centrafricaine (RCA), j'ai rencontré des commandants de la Séléka dont les forces sont accusées d'avoir récemment rasé un camp de personnes déplacées dans la ville de Kaga-Bandoro, tuant 37 personnes. Ils ont nié toute implication, bien sûr, et quand je leur ai dit que les responsables pourraient être amenés à répondre de leurs actes devant la justice, ils ont ricané. L'idée que quiconque en République centrafricaine puisse être puni pour des meurtres et pour d'autres crimes de guerre leur semblait risible.
Leur réaction est facile à comprendre. Depuis 2013, lorsque le pays a basculé dans un engrenage de violences politiques et intercommunautaires faisant des milliers de victimes parmi les civils, des criminels de guerre des deux camps ont bénéficié d'une totale impunité. Des femmes et des filles ont été violées et réduites à l'esclavage sexuel, des villages ont été incendiés et plus de 837 000 personnes sont toujours déplacées à l'intérieur des frontières du pays. Mais les responsables au sein de la Séléka et des forces anti-balaka n'ont toujours pas été punis. Ils sont libres de continuer à violer, à piller et à tuer.
Cette semaine, la communauté internationale a une occasion de contribuer à mettre fin à cette spirale mortelle. La conférence de Bruxelles sur la République centrafricaine qui se tient le 17 novembre à l’initiative de l'Union européenne et qui réunit des représentants du gouvernement centrafricain et les bailleurs de fonds internationaux, offre aux nouvelles autorités de Bangui une tribune pour exposer leurs priorités et aux partenaires du pays l’occasion de présenter leurs plans.
Il n'existe pas de solution facile, bien entendu, et c’est d’un plan global de paix, de sécurité, et de développement dont la RCA a besoin. Mais un soutien financier et politique à son système judicaire moribond est désespérément nécessaire pour l'aider à faire cesser les violences qui continuent de déchirer le pays.
Concrètement, les donateurs devraient soutenir l'institution judiciaire innovante qui donne quelque espoir aux Centrafricains : la Cour pénale spéciale (CPS). Créé en juin 2015, ce tribunal sera doté d’équipes nationales et internationales et a pour mandat d'enquêter sur les crimes les plus graves commis dans le pays depuis 2003, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et de poursuivre leurs auteurs en justice.
Ce tribunal constitue la meilleure chance de pouvoir traiter des crimes les plus graves, de briser le cercle vicieux de l'impunité et d'aider à renforcer globalement le système judiciaire centrafricain. Il sera aussi un partenaire nécessaire de la Cour pénale internationale, qui a pour mandat de poursuivre les auteurs de crimes commis depuis août 2012 mais qui n'engagera des poursuites que contre quelques suspects de haut niveau.
Malheureusement, un manque de financement et des obstacles administratifs ont empêché à ce jour la Cour spéciale d’être opérationnelle. Le ministre de la Justice a annoncé en août que le procureur international serait nommé d'ici à la fin de l'année, mais que le processus de nomination des juges nationaux avait pris du retard.
Les bailleurs de fonds réunis à Bruxelles peuvent aider à mettre la Cour sur pied en lui apportant un soutien sans équivoque. Les donateurs devraient s'engager résolument en assurant à la Cour le financement d’un cycle complet de cinq ans et non le déblocage épisodique de plus petites sommes, de manière fragmentaire. Ils devraient affirmer clairement que l’établissement durable de la sécurité et du développement nécessite la justice. Dans le même temps, le gouvernement devrait ordonner aux comités chargés de nommer les magistrats d'accélérer leur travail. Et il devrait souligner que la lutte contre l’impunité pour les crimes graves commis dans le pays constitue un pilier de sa stratégie de stabilisation.
Une Cour pénale spéciale en bon ordre de marche ne résoudra certes pas tous les problèmes, profondément enracinés, du pays. Mais traduire les responsables d’abus en justice pourrait aider la population à retrouver confiance dans l’institution judiciaire et contribuer à reconstruire les relations entre communautés.
A l’inverse, un échec des tentatives de justice à l’encontre des meurtriers leur enverrait le message qu’ils ont toujours un permis de tuer. Et chaque nouvelle attaque contre un village, chaque nouveau meurtre de civil, rendrait l'argent versé par les bailleurs en faveur de la paix et de la sécurité – dont plus de 500 million d'euros de l'UE depuis 2013 et plus de 1,8 milliard d'euros pour la mission de maintien de la paix de l'ONU – nettement moins efficace.