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Des réfugiés ayant fui la violence brutale en République centrafricaine peuvent regarder de l’autre côté de la rivière et voir les hommes qui veulent toujours leur mort. Pourront-ils un jour rentrer chez eux ?

DANS L’EST DU CAMEROUN — Aboubakar Goton, 40 ans, était riche et influent. Il y a un peu plus d'un an, Goton, un musulman, était le maire de Bossemptélé, un centre de commerce de 22 000 habitants en République centrafricaine (RCA). Il possédait l’un des plus grands magasins de la ville ainsi qu’un gros troupeau de bovins, signe traditionnel de richesse dans ce pays essentiellement rural.

Aujourd’hui, il ne reste rien de tout cela. J’ai rencontré Goton dans le vaste camp de réfugiés de Gado au Cameroun, qui abrite quelque 18 000 personnes. Il m'a montré la tente minuscule qu'il partage avec un autre réfugié qu'il connaît à peine, et la poignée de biens qu'il possède encore. Il dort sur une natte par terre. Chaque jour, il cherche du travail et creuse des trous destinés aux armatures de tentes pour les réfugiés nouvellement arrivés. Il essaie de s’en sortir avec deux repas par jour, pour économiser assez d'argent afin que ses enfants puissent continuer d’aller à l'école à proximité. Seul l'orgueil de son ancien statut reste : quand il se promène à travers le camp, les gens viennent pour le saluer et l’appellent «Monsieur le Maire », en plaisantant parfois sur le fait qu'il a perdu beaucoup de poids depuis ces jours de gloire.

Une catastrophe s’est abattue sur la population musulmane de la RCA après qu’une violence horrible ait détruit la plupart de leurs communautés dans l’ouest du pays. Des massacrer ont été commis par des milices anti-balaka animistes et chrétiennes, qui se sont dressées avec fureur contre les rebelles de la Séléka pour la plupart musulmans, un groupe qui en mars 2013 a renversé le gouvernement du président Francois Bozizé. La Séléka a cruellement fait régner sa loi, tuant aveuglément des civils et incendiant de nombreux villages pour tenter d'éradiquer toute opposition. Cependant, face à l’indignation internationale croissante contre leur brutalité, les combattants de la Séléka ont fait marche arrière — et  les hauts dirigeants ont quitté le pays — au mois de janvier dernier. Les civils musulmans ont alors été confrontés à la colère furieuse des anti-balaka, dont les combattants ont souvent usé de machettes. En quelques mois seulement au début 2014, les anti-balaka ont contraint la plupart des musulmans à quitter la partie ouest du pays, dont la capitale, Bangui. (Certains des anti-balaka se sont également retournés contre leurs propres communautés, en attaquant, pillant et en commettant même des violences sexuelles dans l’espoir de gagner du pouvoir, de l’argent et d’autres ressources.)

En avril et mai, j’ai voyagé à travers l’ouest de la RCA pour enquêter sur les suites de la dévastation. Dans chacune des villes, les musulmans étaient partis. À plusieurs reprises, les résidents locaux m’ont fait faire la visite macabre de leurs villages, en signalant les restes humains de leurs voisins musulmans dans les quartiers détruits.

Il reste bien quelques musulmans, mais seulement dans quelques recoins de l’ouest. Et ils sont lourdement gardés par les forces internationales de maintien de la paix, car ils courent toujours le risque d’être attaqués par des anti-balaka chaque fois qu’ils quittent leurs enclaves. (Dans la partie est du pays, qui est toujours sous le contrôle des Séléka, il reste de nombreux musulmans — mais le conflit continue de se diriger dans cette direction.)

Entre décembre 2013 et octobre 2014, 187 000 personnes ont fui la RCA pour se réfugier dans les pays voisins tels que le Cameroun, le Tchad, la République démocratique du Congo et la République du Congo (Brazzaville). Au total, quelque 850 000 personnes, soit à peu près 20 % de la population du pays, ont été déplacées soit à l’intérieur du pays soit en tant que réfugiées. Le Cameroun accueille la majorité des réfugiés — plus de 135 000, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les personnes qui ont fui vers le Cameroun arrivent pour la plupart en étant dans des situations catastrophiques, souffrant de malnutrition, de maladies et de blessures non soignées. Un responsable humanitaire m’a confié : « Ils étaient dans un état tellement épouvantable et pitoyable quand ils ont commencé à arriver, et ils continuaient d’arriver en si grand nombre. Au début, nous ne pouvions pas faire beaucoup plus que d’essayer de sauver autant de vies que possible, mais c’était un vrai combat. »

Les camps de réfugiés se trouvent dans les régions les plus éloignées du Cameroun, à de longues et difficiles heures de route depuis les villes les plus proches.

En octobre, au cours d’un autre voyage, j’ai roulé à travers des forêts qui semblaient interminables avant de me trouver tout à coup au milieu de tentes en plastique blanches s’étendant à perte de vue. J’étais dans l’un de la dizaine de vastes camps, dont les profils ethniques fournissent peut-être la preuve la plus flagrante du point auquel la campagne cruelle anti-balaka était nettement ciblée. Les Peuls musulmans, une minorité ethnique vivant traditionnellement de façon nomade, ont été estimés avant le conflit actuel à seulement 300 000 en RCA, sur une population totale de 4,5 millions - soit moins de 1 %. (L'ensemble de la population musulmane constituait moins de 15 % de la population totale.) Mais dans presque tous les camps de réfugiés au Cameroun, ils représentent plus de 90 % de la population. Au camp de Timangolo, selon le HCR, les Peuls constituent 98 % d'une population de 6 200 personnes. Au camp de Mbile, qui abrite plus de 9 500 réfugiés, 93 % sont des Peuls. Presque toutes les autres personnes dans les camps sont des commerçants musulmans d'origine arabe.

Au camp de Gbiti, j’ai rencontré Mamadou Bouba, 33 ans, un Peul éleveur de bétail originaire de Bossemptélé. Son corps porte les cicatrices de ses rencontres avec les anti-balaka : une entaille profonde sur le crâne et plusieurs autres dans le dos. Il a expliqué que son pouce avait été tranché alors qu’il tentait de se protéger de coups de machette. Il m’a confié qu’il avait fui Bossemptélé avec ses 50 vaches en janvier dans un groupe d’une centaine de personnes, après que les anti-balaka aient d’abord attaqué la ville et assassiné environ 80 de ses voisins. Au cours de leur fuite à travers la brousse, les membres du groupe ont été attaqués à plusieurs reprises, mais la plupart d'entre eux ont réussi à se rendre à la rivière Kadei, qui marque la frontière de la RCA avec le Cameroun.

Cependant, c’est à la traversée de la rivière qu’ils se sont trouvés encerclés dans une ultime embuscade. Ils ont été forcés de remettre tous leurs biens ainsi que les couteaux rudimentaires et les arcs et les flèches qu'ils avaient utilisés pour se défendre. Alors que Bouba était assis et désarmé, un groupe de dix combattants anti-balaka ont commencé à l’attaquer avec leurs machettes, se souvient-il, le laissant ensanglanté et gravement blessé sur le sol. Les assaillants sont partis, enlevant sa femme et ses enfants et s’emparant de son bétail. Il a passé deux semaines seul, essayant de récupérer de ses blessures et de regagner la force de continuer à marcher, avant que d’autres musulmans en fuite ne le découvrent. Il a finalement retrouvé sa famille, qui avait réussi à échapper à ses ravisseurs.

Lorsque je lui a demandé s’il pouvait imaginer un jour retourner chez lui, Bouba a frémi puis il a gloussé en réaction à cette suggestion bizarre. « Jamais », a-t-il répondu. « Je ne pense même pas à y retourner. J’ai échappé à ce cauchemar. Je ne vais pas y revenir. »

La rivière Kadei se trouve à quelques centaines de mètres seulement de l'endroit où j’ai rencontré Bouba. Un jour alors que nous nous en approchions, des réfugiés ont montré un homme en T-shirt rouge de l’autre côté de l’eau, et nous avons remarqué le fusil de chasse artisanal qu’il portait en bandoulière. Quelques instants plus tard, son commandant, que les réfugiés ont identifié, est venu jeter un œil aux étrangers sur l’autre rive. Les deux côtés se sont regardés — les réfugiés d’un côté, les anti-balaka de l’autre.

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Al-Hadji Abakar Abdullai Druj, un membre âgé et respecté de la communauté peul du village de Boboua du sud-ouest de la RCA, m’a confié après que nous nous soyons retrouvés au camp de réfugiés de Gado au Cameroun : « Je suis né au milieu des vaches, et les vaches représentaient toute ma vie ». Quelques mois plus tôt, en mai, j’avais rencontré Abakar parmi quelques 500 Peuls piégés en haut d’une colline de la ville de Yaloké en RCA, où ils avaient cherché refuge après un enfer de trois mois à fuir les anti-balaka. En effet, je savais pourquoi ils étaient là : j’avais visité Boboua en avril, quelques jours à peine après que les anti-balaka aient massacré le maire musulman du village, son fils et un autre ancien devant la population. Les musulmans et les chrétiens de Boboua avaient souhaité vivre ensemble, mais l’évènement a brisé leur coexistence. Un groupe, dont Abakar, a quitté le village avec au moins 7 000 têtes de bétail ; après les embuscades répétées des combattants de la milice, il n’en restait aucune. À Yaloké, ils sont arrivés sous la « protection » de soldats de la paix africains.

Abakar et son compatriote peul m’avaient clairement expliqué qu'ils ne voulaient pas rester coincés sur une colline, incapables de se déplacer à l'extérieur du camp. Mais les soldats de la paix ont refusé de leur permettre de monter à bord de camions commerciaux en partance pour le Cameroun. Devant moi, en fait, le commandant des troupes a dit aux Peuls qu’il les abattrait s’ils tentaient de monter dans les véhicules, pointant son doigt vers eux en faisant un bruit d’explosion pour s’assurer qu’ils comprennent.

Pour le gouvernement intérimaire de la RCA et ses soutiens internationaux, la situation dramatique des musulmans qui restent dans le pays représente un terrible dilemme. 

Beaucoup de musulmans veulent fuir, mais les autorités gouvernementales veulent aussi désespérément les en empêcher, de peur que les anti-balaka atteignent leur objectif ignoble d'un pays débarrassé de musulmans. En fait, lorsque les agences humanitaires de l'ONU, avec une force d'intervention militaire française et des soldats de la paix africains, se sont finalement mis d’accord en avril d’évacuer la communauté musulmane assiégée de PK12, un quartier de Bangui, à la suite de fortes pressions internationales, les responsables intérimaires étaient furieux ; ils ont dit que l'évacuation n’avait pas été approuvée. Ils ont insisté - et insistent encore - qu'il ne devrait pas y avoir d’autres évacuations. 

Abakar a finalement réussi à arriver jusqu’au Cameroun. Quand je lui ai demandé comment il avait réussi à s’échapper, il a secoué la tête avec dégoût. Il a déclaré : « Ces troupes africaines, elles ont exigé de l'argent pour nous laisser monter dans les camions. La première fois, je leur ai donné tout ce que j’avais, et ils ont promis de me laisser partir, mais quand les camions partaient le lendemain matin, ils m’ont dit de retourner au camp. J’ai dû emprunter de l'argent pour les soudoyer à nouveau, mais il en reste encore beaucoup [d'autres Peuls]. »

Parmi ses cicatrices, Abakar présente une entaille profonde de machette en travers du visage, assénée à la périphérie de Yaloké, quand les anti-balaka lui ont volé les dernières vaches qu’il avait réussi à sauver. « Toute ma vie, on m’a appris que notre bétail représentait notre richesse, et notre sécurité », a-t-il dit avec lassitude. « Chaque fois que nous avions un problème ou un besoin, on vendait une vache ou deux, et nous avions du lait et de la viande. Nos vies étaient tranquilles ; nous vivions dans la brousse à nos occuper de nos vaches. Il n’y avait pas de complications. » Ses yeux se sont emplis de larmes quand il a continué : « Mais ensuite quand nous avons été attaqués, j’ai appris qu’il est bien plus difficile de fuir avec un troupeau de bovins qu’avec de l’argent dans sa poche. J’étais un homme riche, mais mon erreur a été de placer tous mes espoirs dans mon bétail. »

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La raison pour laquelle les anti-balaka ont dirigé leur violence contre les musulmans, et en particulier les Peuls, réside en partie dans la brutalité avec laquelle la Séléka a fait la loi en RCA : réduisant les villages en cendre, perpétrant des massacres, forçant les personnes à fuir. Ceci a déchaîné de furieuses réactions contre les communautés musulmanes quand le mouvement Séléka s’est effondré et ses combattants ont commencé à se retirer. Mais les racines du conflit sont encore plus profondes. Les Peuls sont une minorité très distincte et isolée, se démarquant par leurs traits distinctifs, leurs vêtements, leur langue, et leur mode de vie nomade. Les autres communautés en RCA les voient comme des « étrangers » qui n’ont pas leur place. Il est courant d’entendre des chrétiens et d’autres communautés en RCA dire que « les musulmans devraient retourner chez eux ». Cette discrimination profonde, ainsi que la corruption endémique et une sous-représentation des musulmans dans le gouvernement, ont contribué aux griefs qui ont conduit à la rébellion Séléka en premier lieu.

En outre, le mode de vie nomade des Peuls les oppose souvent avec les communautés agricoles plus sédentaires qui dominent la RCA. Depuis des générations, les nomades peuls ont migré à travers les pays tels que le Tchad, le Soudan, le Cameroun et la RCA cherchant des espaces où leur bétail pouvait paître ; aujourd'hui, bon nombre d’entre eux sont relativement sédentaires, vivent dans des camps pastoraux et se déplacent plus localement. Mais les effets combinés de la croissance démographique, de la rareté des terres et de la désertification les ont amenés plus au sud et dans des conflits toujours plus importants avec les agriculteurs, et les autorités ont été incapables de surveiller et de contrôler correctement les mouvements des Peuls. Le bétail nomade endommage les récoltes et les tensions montent vite, aggravées plus récemment par la disponibilité des armes automatiques - qui sont utilisées par les deux parties.

En effet, les armes ont rendu les conflits entre les Peuls et les communautés sédentaires bien plus meurtriers. Parfois les hommes peuls ont été les agresseurs, entraînant des contre attaques de la part des agriculteurs. Les Peuls du Tchad, connus sous le nom de Oudas ou de Mbararas, qui sont souvent lourdement armés et ont des relations hostiles avec les communautés locales, sont particulièrement craints et vilipendés par certains agriculteurs. Comme me l’a expliqué un dirigeant anti-balaka du sud-ouest de la RCA : « Les Peuls n’oublient jamais. Si nous les attaquons lorsqu’ils descendent vers le sud [dans leur migration], ils viendront incendier le village au retour. »

Certains Peuls armés se sont joints aux combattants de la Séléka restants pour attaquer les villages, cherchant à se venger de la violence commise contre les camps peuls. C’est un cycle décourageant et apparemment sans fin de meurtres de représailles qui sont la conséquence des échecs du gouvernement à mieux réglementer la migration des Peuls ainsi qu’à résoudre les tensions avec les agriculteurs bien avant le conflit actuel. Les conflits entre les nomades éleveurs de bétail et les communautés sédentaires ne sont pas spécifiques à la RCA, mais d’autres pays de la région, tel que le Tchad, ont pris des mesures pour réglementer la circulation des nomades afin d’atténuer la violence. Avec le soutien de la communauté internationale, d'autres gouvernements ont sécurisé des voies de migration du bétail, imposé un code pastoral de conduite, protégé des champs et arbitré des conflits pour permettre aux communautés de coexister. Des efforts similaires sont essentiels pour stopper la violence en RCA, dans laquelle les civils — Peuls et non-Peuls confondus — représentent la grande majorité des victimes.

Bien que la persécution qu’ils ont subie de la part des anti-balaka ait été particulièrement dure, les Peuls ne sont pas les seuls musulmans que les milices ont pris pour cible. La RCA abrite également une population musulmane importante dont la principale langue est l'arabe et qui se spécialise dans le commerce. Certains appartiennent à des tribus arabes autochtones du pays, comme la communauté Gula, une ethnie particulièrement identifiée avec les dirigeants de la Séléka, tandis que d'autres descendent de migrants venus du Tchad, du Mali, du Soudan et de d'autres pays africains. La Séléka a extorqué un soutien financier pour ses combattants à de nombreux hommes d’affaires arabes musulmans, tandis que d’autres accueillaient et soutenaient les membres de la Séléka comme des frères musulmans.

La richesse des commerçants arabes musulmans, ainsi que leur contrôle relatif du commerce lucratif d’or et de diamants de la RCA — en grande partie illégal — a causé le ressentiment des communautés extrêmement pauvres. Les musulmans ont été critiqués pour les conditions de travail dangereuses et les faibles salaires dans les mines. Quand la violence anti-balaka a véritablement commencé, leur richesse et leur association avec la Séléka en a fait des cibles directes.

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La crise en RCA disparaît peu à peu de l’agenda international, alors que l'attention du monde se tourne vers les tensions en Ukraine, la brutalité de l'Etat islamique en Irak et en Syrie, et la crise dévastatrice de l’Ebola en Afrique de l’Ouest. Le pays a retenu l'attention internationale brièvement quand des musulmans ont été lynchés à Bangui début 2014, mais il semble y avoir peu de volonté au niveau mondial de s’attaquer aux causes fondamentales du conflit, ou de faire face aux conséquences. Ceci même après la décision de déployer une mission de maintien de la paix des Nations Unies de 12 000 membres.

Pour les réfugiés peuls, l’avenir semble décourageant. Ils ont perdu leurs moyens de subsistance, et les perspectives de retour à leur mode de vie traditionnel sont sombres, étant donné que leurs vastes troupeaux de bovins irremplaçables ont été abattus. Leurs perspectives de simplement retraverser pour revenir en RCA ne sont pas meilleures : dans la plus grande partie ouest du pays, de grandes zones demeurent non accessibles aux musulmans, étant donnée la présence encore très forte des anti-balaka. En effet, il semble très lointain le jour où les forces de maintien de la paix de l’ONU rétabliront la sécurité.

Les organisations humanitaires, sous-financées et surchargées, font un travail louable en essayant de rendre la vie des réfugiés aussi digne et confortable que possible. Les camps sont disposés et organisés avec soin dans un effort pour assurer la sécurité ; s’assurer de prévenir la violence de genre, par exemple, nécessite des installations sanitaires sûres, des espaces sûrs pour les femmes et les enfants, et l'incorporation de femmes représentantes dans les décisions de gestion des camps.

Mais les difficultés non traitées sont immenses. La grande majorité des Peuls sont analphabètes et non instruits, alors essayer de mettre leurs enfants — pour la plupart adolescents — à l’école pour la première fois est un processus difficile. Il existe de profondes inquiétudes parmi les organisations humanitaires quant au risque que les taux de mariages d’enfants, un problème déjà endémique en RCA, explosent dans les camps. Les fournisseurs d'aide humanitaire sont également confrontés à la tâche difficile d'assurer la coexistence entre les réfugiés et les communautés déjà démunies qui les accueillent, afin de prévenir les conflits sur une série de ressources de base.

Mais il reste surtout un besoin pressant de créer les conditions qui permettront aux réfugiés de rentrer chez eux en toute sécurité et volontairement. Pour cela, la violence en RCA doit être mise sous contrôle. La mission de maintien de la paix de l’ONU, appuyée par les forces françaises et de l'Union européenne, devra prendre des mesures énergiques pour protéger les civils, et maintenir ses positions quand la Séléka ou les anti-balaka menacent les civils. Elles font face à une tâche difficile, car les forces de sécurité locales avec lesquelles travailler sont quasi inexistantes. Les anciens soldats de l’armée nationale et les gendarmes locaux ont abandonné leurs fonctions ; nombre d’entre eux ont rejoins les anti-balaka, dont les hauts dirigeants sont presque tous d'anciens commandants de l'armée et de la police. Mais la réorganisation et le réarmement de l'armée est considéré comme une solution trop risquée pour le moment.

De nombreux soldats de la Séléka veulent intégrer une armée nouvellement constituée, mais leurs propres antécédents d’abus atroces et l’hostilité de la population à laquelle ils risquent de devoir faire face signifie que les intégrer sera difficile. Tout effort visant à établir une nouvelle force de sécurité dans le pays, aussi essentiel que ce soit, nécessiterait une sélection et l’exclusion des personnes ayant commis des crimes.

De même, un retour à la normalité en RCA exige la justice à la fois pour les crimes commis au cours des deux dernières années et pour les crimes historiques. Pendant des décennies, la corruption et les violations des droits humains ont entaché le pays. En 2004, le gouvernement a renvoyé la situation concernant le coup d’État de 2002 devant la Cour pénale internationale (CPI). Aujourd’hui, la CPI juge Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président de la RD Congo, pays voisin de la RCA, dont les troupes ont été appelées en 2002 pour aider le président de la RCA de l'époque et qui a commis des crimes graves, notamment des violences sexuelles généralisées, contre les civils. Cependant, à part cette procédure en cours, il y a eu une impunité totale pour les responsables de crimes commis en RCA depuis plus d’une décennie.

La présidente de transition de la RCA, Catherine Samba-Panza, a renvoyé le conflit actuel à la CPI en mai, ce qui a été suivi par l'annonce de la procureure de la CPI en septembre que son bureau va ouvrir une enquête dans le pays pour les crimes graves commis depuis août 2012. Il s’agit de l’un des meilleurs espoirs pour les victimes du conflit, mais compte tenu de la capacité limitée de la CPI — qui traite des cas de sept autres pays, qui ne peut ne gérer qu’un nombre limité d’affaires à la fois et à récemment fait face à des pressions et des critiques quant à sa façon de répondre aux violences de 2007 au Kenya — cela ne peut pas être la seule réponse.

Des poursuites menées au niveau national seront incontournables. Le système de justice national doit être remis en route et renforcé avec des experts internationaux pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité — ce qui nécessite un engagement au long terme. Le gouvernement transitoire ainsi que les partenaires internationaux, devraient prendre les mesures nécessaires pour assurer que le système de justice soit capable d’enquêter sur les crimes commis par toutes les parties de façon impartiale, efficace, indépendante, et sécurisée. Cela aura pour effet secondaire de rétablir la confiance dans l’État de droit et les institutions nationales, que le peuple de la RCA a perdue.

D’un point de vue réaliste, il faudra des années pour panser les plaies de la violence brutale que le peuple de la RCA a endurée au cours des 18 derniers mois, et pour apporter un semblant de stabilité qui permettra le retour sécurisé des réfugiés. En attendant, au Cameroun, les réfugiés n’ont pas encore surmonté la violence horrible à laquelle ils ont survécu l’année passée. Bon nombre d’entre eux ont encore du mal à croire qu’ils s’en soient sortis vivants.

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