(Nairobi) – La décision du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) compromettra l'accès à la justice pour les victimes d’atrocités de masse, exposant ainsi tous les civils à un risque accru, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le 22 septembre, les dirigeants militaires des trois pays du Sahel ont signé un communiqué commun annonçant le retrait de leurs pays de la CPI.
Ce retrait a été annoncé alors que la région du Sahel traverse une période turbulente. Les juntes militaires de plus en plus répressives des trois pays sont engagées dans des conflits armés avec des groupes armés islamistes. Les forces gouvernementales et les forces insurgées ont toutes deux commis des crimes de guerre et possiblement des crimes contre l'humanité à l'encontre de civils. Les victimes de violations graves et leurs familles ont eu du mal à obtenir réparation devant les tribunaux nationaux et régionaux.
« En annonçant leur retrait de la Cour pénale internationale, les dirigeants du Burkina Faso, du Mali et du Niger privent leurs populations d'une voie internationale importante pour obtenir justice et réparation », a déclaré Liz Evenson, directrice du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « La CPI est une cour internationale de dernier recours, lorsque les victimes n'ont nulle part ailleurs où se tourner, qui mène des enquêtes dans des pays du monde entier. »
En vertu du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, les pays peuvent se retirer en déposant une notification auprès du secrétaire général des Nations Unies. Les trois pays du Sahel n'ont pas encore franchi cette étape. Les retraits prennent effet un an plus tard. Jusqu'à cette date, les pays restent soumis à leurs obligations envers la CPI.
Depuis plus d'une décennie, le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont confrontés à des insurrections menées par des groupes armés islamistes liés à Al-Qaïda et à l'État islamique. Ces groupes armés ont commis de nombreuses atrocités contre les civils, notamment des meurtres et exécutions de villageois, des attaques contre des écoles, des mosquées et des convois humanitaires, et en assiégeant des villes. Les armées des trois pays, aidées par des milices violentes et des mercenaires étrangers, se sont livrées à des opérations brutales de contre-insurrection, tuant, détenant illégalement et déplaçant de force des dizaines de milliers de civils.
Les juntes militaires qui ont pris le pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger lors d'une vague de coups d'État depuis 2020 ont réprimé l'opposition politique, les médias et la dissidence, réduisant ainsi l'espace civique et politique. Elles ont consolidé leur pouvoir sans organiser des élections, retardant le retour à un régime civil démocratique.
Les autorités de ces pays n'ont pas respecté leurs obligations juridiques internationales d'enquêter sur les violations graves du droit de la guerre commises par leurs forces de sécurité et par des groupes armés islamistes, laissant l'impunité s'installer et encourageant les auteurs de ces violations. En janvier, les trois pays ont officiellement quitté la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), après avoir donné préavis un an plus tôt, privant ainsi les victimes de violations de tout recours devant la Cour de justice de cette institution ouest-africaine.
La CPI compte actuellement 125 pays membres. La Cour a ouvert des enquêtes sur des crimes présumés dans 17 situations, notamment en Afghanistan, dans la région du Darfour au Soudan, en République démocratique du Congo, en Libye, en Palestine, en Ukraine et au Venezuela.
À la suite d’une saisine de la Cour par le gouvernement malien en 2012, la Procureure de la CPI avait alors ouvert une enquête sur la situation au Mali, qui a joué un rôle crucial dans la lutte contre l'impunité. Les affaires portées jusqu'à présent devant la CPI concernaient trois commandants du groupe armé islamiste responsable d'abus Ansar Dine.
En septembre 2016, la Cour a condamné Ahmad al-Faqi al-Mahdi à neuf ans de prison après qu'il eut plaidé coupable d'avoir participé à la destruction de bâtiments religieux et historiques à Tombouctou, dans le nord du Mali, en juin et juillet 2012. En novembre 2024, la Cour a condamné Al-Hassan Ag Abdoul Aziz à 10 ans de prison après l'avoir reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, y compris de torture, commis entre avril 2012 et janvier 2013 à Tombouctou.
En juin 2024, une chambre préliminaire de la CPI a levé les scellés d’un mandat d'arrêt contre Iyad Ag Ghaly pour crimes de guerre, y compris violences sexuelles, et crimes contre l'humanité commis dans le nord du Mali entre janvier 2012 et janvier 2013. Iyad Ag Ghaly, actuellement à la tête du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM ou Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda, est toujours en fuite.
La CPI est confrontée à des menaces politisées de la part de ceux qui s'opposent à la responsabilisation. L'administration du président américain Donald Trump a autorisé des sanctions contre des fonctionnaires de la CPI, un expert des droits humains de l'ONU et trois groupes palestiniens de défense des droits humains afin de contrecarrer le travail de la Cour en Palestine.
La Russie a émis des mandats d'arrêt contre le procureur de la CPI et huit des juges actuels et anciens de la Cour en représailles au mandat délivré en mars 2023 par la Cour contre le président russe Vladimir Poutine pour crimes de guerre présumés en Ukraine. Les pays membres de la CPI et les organisations de la société civile se sont élevés contre les efforts visant à entraver le travail de la Cour.
Deux pays faisant l'objet d'enquêtes actives de la CPI ont quitté la Cour dans le passé : le Burundi en 2017 et les Philippines en 2019. Le 11 mars 2025, les autorités des Philippines, agissant sur la base d'un mandat d'arrêt de la CPI, ont arrêté l'ancien président philippin Rodrigo Duterte et l'ont transféré à la CPI, où il a été inculpé de crimes contre l'humanité en relation avec des exécutions extrajudiciaires présumées entre 2011 et 2019.
« Le retrait annoncé du traité de la CPI par le Burkina Faso, le Mali et le Niger va compromettre la responsabilisation et priver les populations du Sahel d'un niveau essentiel de protection des droits humains alors que les tribunaux nationaux sont incapables de lutter contre l'impunité pour les crimes les plus graves », a conclu Liz Evenson. « L'Union africaine et les pays membres de la CPI devraient exhorter le Burkina Faso, le Mali et le Niger à faire respecter la justice et l'état de droit et à rester membres de la Cour. »