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Les propos suivants ont été tenus par Ida Sawyer, directrice de la division Crises, conflits et armes, à l’occasion d’un événement organisé en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 22 septembre 2025.

Je tiens à remercier Son Excellence le Président Tshisekedi, la distinguée Première Dame, Monsieur l’Ambassadeur Mukongo et l’organisation FONAREV d’avoir organisé cette réunion importante aujourd’hui, et de m’avoir invitée à y prendre la parole.

À l’heure où nous sommes réunis, la population de l’est de la République démocratique du Congo vit un moment critique, et la nécessité d’une véritable justice est plus urgente que jamais.

Au cours des deux derniers mois seulement :

  • Les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), dirigées par des Ougandais et liées à l’État islamique, ont tué plus de 40 personnes, dont plusieurs enfants, à l’aide d’armes à feu et de machettes lors d’un rassemblement nocturne tenu dans l’enceinte d’une paroisse dans la province de l’Ituri, dans l’est de la RD Congo, dans la nuit du 26 au 27 juillet. Plusieurs autres enfants ont été enlevés et sont toujours portés disparus. Des combattants des ADF auraient également tué au moins 40 personnes, pour la plupart à coups de machette, lors de funérailles au début du mois de septembre.
  • Dans le Nord-Kivu, le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda a exécuté sommairement au moins 140 civils, principalement des Hutus, dans des villages et des zones agricoles près du parc national des Virunga entre le 10 et le 30 juillet. Des témoins nous ont expliqué que les corps de certaines des personnes tuées, y compris des femmes et des enfants, ont été jetés dans la rivière Rutshuru.
  • Au cours des dernières semaines, à Uvira, des combattants des milices Wazalendo – qui reçoivent des fonds, des armes et des munitions du gouvernement congolais – ont harcelé, menacé et enlevé des membres de la communauté banyamulenge, qui sont des Tutsis congolais installés dans le Sud-Kivu, et ont restreint l’accès de la communauté aux services essentiels, les accusant de soutenir le M23. Les combattants Wazalendo ont également tué et battu des civils dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, et les ont soumis à des actes d’extorsion.
  • Le 8 septembre, les forces militaires congolaises ont ouvert le feu sur des manifestants à Uvira, tuant un garçon de 8 ans et blessant au moins neuf civils, dont une fillette de 11 ans.
  • Ces forces et groupes armés sont également tous responsables de violences sexuelles généralisées, y compris des viols collectifs.

Ceci n’est qu’un aperçu des faits récemment documentés par Human Rights Watch et d’autres organisations. Comme cela a été le cas pendant une grande partie des 30 dernières années, les habitants de l’est de la RD Congo sont les plus touchés par les violences, piégés entre de multiples forces et groupes armés, bien souvent sans que l’on sache clairement à qui incombe leur sécurité.

Ida Sawyer (HRW) prononçait un discours lors d'un événement au sujet de la RD Congo, tenu en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies, le 22 septembre 2025. © 2025 FONAREV

Plus de six millions de personnes ont été contraintes de fuir leurs foyers et sont actuellement déplacées. De nombreux enfants ne sont pas scolarisés, tandis que les femmes et les filles sont exposées à un risque quasi permanent de violences sexuelles et n’ont souvent pas accès à des soins médicaux d’urgence. Malgré l’abondance de terres fertiles, la RD Congo connaît l’une des crises d’insécurité alimentaire les plus graves au monde en raison du conflit, avec plus de trois millions de personnes dans l’est du pays en situation d’urgence alimentaire.

Et, tandis que de nombreuses organisations locales font un travail héroïque pour tenter d’apporter protection et soin aux plus vulnérables, les baisses du financement mondial ont eu des conséquences dévastatrices sur l’accès des personnes à l’aide humanitaire dont elles ont désespérément besoin. Actuellement, seuls 15 pour cent du plan de réponse humanitaire sont financés. La prise des capitales provinciales de Goma et Bukavu par le M23 au début de l’année et le contrôle qu’il exerce sur de vastes territoires du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont considérablement entravé l’acheminement de l’aide humanitaire vitale.

Un des facteurs clés qui alimente les cycles de violence et d’abus est le climat d’impunité accablant. Malgré un important travail de documentation (dont le Projet Mapping en 2010 détaillant les crimes graves commis en RD Congo entre 1993 et 2003), l’implication de la Cour pénale internationale, les procès devant les tribunaux militaires congolais et les engagements en faveur de la justice pris par le président Tshisekedi et par le président Kabila avant lui, force est de constater l’insuffisance de ces actions.

Les poursuites engagées par les tribunaux congolais n’ont pas permis de traduire en justice les hauts fonctionnaires ou commandants – comme les personnes responsables au premier chef des meurtres des experts des Nations Unies Michael Sharp et Zaida Catalan ou de l’assassinat du célèbre défenseur des droits humains congolais Floribert Chebeya.

Trop souvent, au lieu de faire face à la justice, les principaux responsables de crimes graves ont été récompensés – par des postes gouvernementaux, des amnisties, l’intégration dans l’armée congolaise au rang de général ou de colonel – ou, comme nous l’avons vu avec les milices Wazalendo, certains ont été reconnus en tant qu’alliés officiels du gouvernement, financés et armés par le gouvernement congolais. Et lorsqu’ils sont confrontés à de nouveaux reproches, ils prennent souvent de nouveau les armes contre le gouvernement.

Bon nombre des responsables des massacres et autres abus documentés par Human Rights Watch au cours des derniers mois possèdent un long historique d’implication dans des crimes graves. Nous voyons les mêmes noms réapparaître encore et encore, souvent lorsque ces personnes passent d’un groupe armé à un autre ou lorsqu’elles intègrent l’armée congolaise pour en sortir plus tard.

Le général Baudouin Ngaruye, par exemple, qui aurait commandé les combattants du M23 responsables des meurtres à grande échelle à Rutshuru en juillet dernier, est un homme dont mes collègues et moi-même documentons les crimes depuis au moins 2008 – y compris le recrutement et l’entraînement de centaines d’enfants quand il faisait partie d’une rébellion précédente soutenue par le Rwanda, le CNDP ; la torture, les exécutions et les mutilations, en particulier des femmes, quand il était officier dans l’armée congolaise ; et d’autres violations graves dans le cadre du premier mouvement de rébellion du M23 en 2012.

L’impunité pour ses crimes passés n’a fait qu’alimenter les abus auxquels nous assistons maintenant.

Comme nous le constatons avec le parcours de Baudouin Ngaruye, un autre facteur clé à l’origine des cycles de violences et d’abus est l’implication continue de pays voisins et d’acteurs étrangers – en particulier le Rwanda – qui soutiennent les groupes armés violents, souvent dans le but de s’emparer des terres agricoles, des pâturages et des ressources minérales lucratives de l’est de la RD Congo et de maintenir leurs sphères d’influence – là encore avec une impunité quasi totale. Aujourd’hui, le contrôle effectif du Rwanda sur plusieurs territoires de l’est de la RD Congo par ses propres forces armées et par le M23 semble relever d’une occupation belligérante en vertu des normes du droit international humanitaire.

Au cours des dernières années, nous avons également pu constater des ingérences politiques et des manipulations du système judiciaire visant à cibler des ennemis politiques ; une stigmatisation des personnes de l’est de la RD Congo, notamment par le biais d’arrestations arbitraires et de mauvais traitements d’officiers militaires parlant le swahili ou le kinyarwanda ; des restrictions imposées aux médias ; le ciblage des défenseurs des droits humains, des journalistes et des opposants politiques ; le recours accru aux arrestations illégales et arbitraires par les services de renseignement ; la corruption et le détournement de fonds publics à grande échelle ; et les préoccupations concernant le manque de crédibilité des élections et les propositions de modification de la constitution visant à supprimer le nombre limite de mandats. Tous ces facteurs semblent avoir érodé la foi dans l’État de droit et le système démocratique et encouragé certains à prendre les armes.

Alors, que devrait-il se passer maintenant ?

Afin de relever ces défis et d’œuvrer pour mettre un terme à ces cycles de violences et d’abus, j’aimerais mentionner quelques recommandations essentielles :

Premièrement, que le Rwanda cesse immédiatement de soutenir le M23. Et que le gouvernement congolais retire son soutien aux groupes armés responsables d’abus, dont les Wazalendo et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). À cette fin, les partenaires internationaux, y compris ceux qui contribuent aux différentes initiatives de paix, devraient accroître leur pression sur les deux pays.

Le gouvernement congolais devrait mettre en place un mécanisme de vérification, avec un appui international, pour révoquer les officiers des forces et services de sécurité ayant des antécédents d’implication dans des atteintes graves aux droits humains. Il devrait également instaurer un programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) crédible et efficace pour les membres des groupes armés qui ne sont pas responsables de crimes de guerre et d’autres violations graves des droits humains. Les responsables d’abus graves devraient être traduits en justice. Les antécédents des recrues de l’armée devraient également être soigneusement vérifiés, et une formation aux bases du droit international humanitaire devrait leur être dispensée.

Le gouvernement congolais devrait veiller à ce que ses forces armées assurent la protection des civils et s’efforcent de garantir à tous les civils un accès aux biens et services essentiels. Tous les acteurs devraient œuvrer pour que la population congolaise en premier lieu profite des ressources naturelles et minérales de son pays. Cela devrait être une source pour le développement et la prospérité de la RD Congo, et pas seulement pour les acteurs étrangers et régionaux.

Il est également indispensable que le gouvernement mette fin aux restrictions illégales imposées aux médias, au ciblage des défenseurs des droits humains, des journalistes et de l’opposition politique, ainsi qu’à la discrimination fondée sur l’origine ethnique et d’autres groupes. Un engagement clair devrait être pris pour renoncer à la modification de la constitution visant à supprimer le nombre limite de mandats, et des mesures concrètes devraient être adoptées pour garantir la tenue d’élections crédibles, libres et équitables en 2028.

Concernant les mesures spécifiques pour combler le déficit actuel en matière d'obligation de rendre des comptes :

L’ampleur et la complexité des crimes commis en RD Congo au cours des 30 dernières années minimum nécessitent une réponse judiciaire à plusieurs niveaux, qui devrait idéalement inclure le travail continu de la Cour pénale internationale (CPI) et des tribunaux nationaux ainsi qu’un nouveau mécanisme de justice internationalisée.

La Cour pénale internationale enquête sur les crimes graves perpétrés en RD Congo depuis 2004, date à laquelle le gouvernement a demandé pour la première fois l’intervention de la Cour. Cette enquête a débouché sur des poursuites à l’encontre de six suspects, tous d’anciens chefs de groupes armés. Quatre individus, dont le tristement célèbre chef de guerre et ancien général de l’armée congolaise, Bosco Ntaganda, ont été jugés pour des crimes commis en Ituri entre 2002 et 2003. Trois ont été reconnus coupables et un a été acquitté. Les deux autres affaires, pour des crimes commis dans le Nord-Kivu en 2009, n’ont jamais été jugées.

Human Rights Watch a exhorté à plusieurs reprises le Procureur de la CPI à examiner non seulement la responsabilité des commandants rebelles dans les graves abus perpétrés dans l’est de la RD Congo au fil des années, mais aussi les crimes présumés commis par de hauts responsables gouvernementaux et militaires de la RD Congo, du Rwanda et de l’Ouganda.

À la suite d’une demande déposée par le gouvernement congolais en 2023, le Procureur de la CPI a annoncé l’année dernière la réactivation des enquêtes de la CPI en RD Congo, qui porteront en priorité sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022.

Cela a constitué un tournant positif et une occasion importante de faire progresser la justice, mais la Cour est fortement limitée dans ses actions – notamment parce qu’elle ne reçoit pas de financements suffisants et qu’elle est la cible d’efforts politisés menés pour saper son mandat.

Pour faire face à ces menaces, nous exhortons tous les États membres de la CPI à s’élever contre l’assaut croissant du gouvernement américain contre la CPI et contre ceux qui font appel à la Cour pour demander justice, et à inciter le gouvernement à révoquer les sanctions visant le mandat mondial essentiel de la Cour. Les États membres de la CPI devraient également prendre des mesures concrètes, comme des lois de blocage, qui visent à limiter au maximum l’effet des sanctions extraterritoriales en interdisant leur application, afin de permettre à la Cour de poursuivre son action capitale pour la justice – y compris en RD Congo.

Quelques remarques aussi concernant les poursuites au niveau national. Les tribunaux congolais, en particulier les tribunaux militaires, ont réalisé un travail important au cours des 20 dernières années.

Grâce au soutien de l’ONU, des organisations de la société civile, ainsi que des bailleurs de fonds internationaux, au moins 130 jugements ont été rendus dans des affaires de crimes internationaux en RD Congo à ce jour, et les autorités judiciaires militaires congolaises ont acquis une expertise significative. Ce travail est considérable, et les gouvernements partenaires devraient maintenir leur soutien à ces efforts de justice nationale. Ceci est d’autant plus vital à la lumière de la crise financière actuelle des Nations Unies et des réductions drastiques du financement des organisations de la société civile.

Dans le même temps, ces efforts nationaux continuent de faire face à des défis et à de graves insuffisances, notamment en ce qui concerne la qualité des enquêtes, le respect des droits des accusés à un procès équitable et impartial, et l’ingérence politique.

Il en résulte un déficit notable en matière d’obligation de rendre des comptes, qui ne peut être comblé ni par la CPI ni par les tribunaux nationaux seuls.

Pour y remédier, nous estimons qu’il est nécessaire d’instaurer un mécanisme de justice internationalisé à même de compléter le travail de la CPI et des tribunaux nationaux. Un tel mécanisme – par exemple des chambres mixtes spécialisées ou un tribunal spécial mixte – pourrait renforcer la capacité du système judiciaire national à mener des enquêtes et des poursuites sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide de manière équitable et efficace. Les chambres ou le tribunal feraient partie intégrante du système judiciaire national congolais, mais seraient composés de juges, de procureurs et d’autres membres du personnel congolais et internationaux.

Nous sommes heureux de constater un soutien dans ce sens de la part du gouvernement congolais et de la CPI. Alors que les discussions avec les différentes parties prenantes sont en cours, nous pensons qu’il est important de garder à l’esprit certains principes directeurs :

  • quel que soit le mécanisme créé, il devrait s’appuyer sur l’expérience et l’expertise acquises à ce jour et impliquer le personnel des tribunaux militaires qui effectue ce travail depuis près de 20 ans ;
  • ce mécanisme devrait compléter et renforcer le travail des tribunaux nationaux, et non s’y substituer ; et
  • le mécanisme devrait être créé dans une perspective de durabilité, dans le but de consolider le système judiciaire congolais à long terme.

Enfin, il est essentiel que les acteurs de la société civile congolaise et les représentants des victimes soient consultés régulièrement et jouent un rôle dans les discussions lors de la mise en place de ce nouveau mécanisme – y compris ceux qui documentent des crimes en prenant des risques énormes depuis de nombreuses années et qui connaissent et comprennent le contexte mieux que quiconque.

Ces acteurs devraient également être impliqués dans les plans visant à établir un programme global de réparations pour les victimes de crimes internationaux graves et leurs familles, afin de les aider à reconstruire leur vie.

Je vous remercie de votre attention. 

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