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UE : Suspendre l'accord commercial avec Israël

Plus d’une centaine d’ONG et de syndicats appellent l’UE à utiliser ce moyen de pression commerciale face à l'escalade des atrocités

Kaja Kallas, Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s'exprimait devant les médias à Bruxelles, en Belgique, le 16 décembre 2024.  © 2024 Conseil européen / Département Médias

(Bruxelles, le 20 juin 2025) – L'Union européenne devrait immédiatement suspendre son accord commercial avec Israël tant que les crimes atroces commis par ce pays persisteront, selon une déclaration conjointe publiée le 19 juin par plus de 180 organisations, dont Human Rights Watch, et syndicats. Il s'agirait de la première mesure prise par l'UE au cours des deux dernières années afin de viser l'obligation de rendre des comptes pour les violations flagrantes commises par les autorités israéliennes à l'encontre des Palestiniens.

Lors de la réunion du Conseil européen prévue le 23 juin, les ministres des Affaires étrangères de l'UE devraient discuter de l'Accord d'association UE-Israël. Ils évalueront alors les résultats d’un examen portant sur le respect ou non par Israël de l'Article 2 du texte, selon lequel « le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques », sur le plan des « politiques internes et internationales », constitue un « élément essentiel » de l'accord. Cet examen a été lancé le 20 mai, lorsque 17 des 27 ministres des Affaires étrangères de l'UE ont soutenu une proposition du gouvernement néerlandais à cet égard. L'UE est le principal partenaire commercial d'Israël, et la suspension du volet commercial de l'accord rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.

« En tant qu’États parties à la Convention sur le génocide, tous les pays membres de l'UE sont tenus d'employer tous les moyens raisonnables pour mettre fin aux atrocités israéliennes ; mais plusieurs d’entre eux sont restés passifs et silencieux, risquant de se rendre complices de tels crimes », a déclaré Claudio Francavilla, directeur par intérim des relations avec UE à Human Rights Watch. « Les ministres européens des Affaires étrangères ne devraient pas laisser l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran détourner l’attention des actes d’extermination et d’apartheid à l’encontre des Palestiniens, qui se poursuivent ; ils devraient suspendre sans tarder le volet commercial de l'Accord d'association UE-Israël. »

L’examen de l'Accord UE-Israël a lieu alors que les autorités israéliennes poursuivent leurs opérations militaires à Gaza, au cours desquelles elles ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des actes de génocide. Les autorités israéliennes ont également bafoué trois ordonnances contraignantes émises (en janvier, en mars et en mai 2024) par la Cour internationale de Justice (CIJ), dans le cadre de l’affaire portée par l'Afrique du Sud, alléguant qu'Israël viole la Convention sur le génocide. Les ordonnances de la CIJ imposaient à Israël l'obligation de prendre des mesures pour prévenir des actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza, notamment en permettant la fourniture d’aide humanitaire et de services de base, en agissant pour empêcher l'incitation au génocide, et en punissant une telle incitation.

Human Rights Watch appelle depuis longtemps les États à user de leur influence pour inciter Israël à mettre fin à ses abus et à respecter les ordonnances de la CIJ. En tant qu’États parties à la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, tous les pays membres de l'UE ont l'obligation de « mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition » pour prévenir un génocide. Cette obligation incombe à tout État qui a connaissance, ou qui aurait normalement dû avoir connaissance, d'un risque sérieux de génocide. Ceci ne nécessite pas d’attendre une détermination définitive qu'un génocide est déjà en cours, comme l'a indiqué Human Rights Watch dans une intervention auprès de la Haute Cour de Justice britannique en avril 2025 ; cette intervention contestait la délivrance par le gouvernement britannique de licences à des sociétés pour la vente à Israel d’équipements militaires utilisés par la suite à Gaza.

La capacité d'un État à influencer des acteurs risquant de commettre un génocide est un important facteur dans l’évaluation, par un tribunal, de son éventuelle responsabilité pour manquement à l'obligation de prévenir un génocide, selon le droit international. Il s’agit notamment de la proximité géographique, des liens politiques et d’autres types de relations, ainsi que des moyens dont dispose l'État pour exercer son influence. Concernant cette responsabilité, la CIJ a émis un arrêt indiquant qu’« [un] État est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en œuvre ces moyens ... »

Les autorités israéliennes ont également manqué aux obligations découlant d'un avis consultatif historique émis par la CIJ en juillet 2024, et d'une  résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2024 approuvant largement son contenu. La CIJ a jugé l'occupation par Israël du Territoire palestinien occupé illégale et entachée de graves violations – notamment l'apartheid et la ségrégation raciale – et a déclaré que cette occupation, ainsi que les colonies illégales israéliennes, devaient être démantelées. En mars 2025, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a documenté une expansion significative des colonies israéliennes en Cisjordanie, où les forces israéliennes ont intensifié la répression, déplaçant des dizaines de milliers de Palestiniens à une échelle jamais vue depuis 1967 et tuant plus de 930 personnes depuis octobre 2023.

Dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, la CIJ a également rappelé l'obligation de tous les États parties à la Quatrième Convention de Genève – y compris tous les États membres de l'UE –de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention ». L'avis consultatif indiquait aussi que les États devraient prendre des mesures pour « empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé ».

Pourtant, malgré de profondes divisions, l'UE n'a adopté aucune mesure pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu'elles respectent les lois de la guerre et préviennent le génocide.

Contrairement aux mesures qui requièrent l'unanimité – telles que les sanctions ciblées, un embargo sur les armes à l'échelle de l'UE ou la suspension de l'ensemble de l'Accord d'association UE-Israël – la suspension du volet commercial de l'Accord nécessiterait le soutien d'une majorité qualifiée des États membres de l'UE. Cette suspension, initialement demandée conjointement par l'Espagne et l'Irlande en février 2024, n'entraînerait pas une interdiction commerciale totale, mais rétablirait les droits de douane sur les échanges bilatéraux.

En novembre 2024, les ministres des Affaires étrangères de l'UE ont reçu un rapport d'Olof Skoog, Représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme ; ce rapport, qui a fait l’objet d’une fuite, compilant les conclusions d'organismes indépendants de l'ONU et de tribunaux internationaux sur les exactions commises par Israël dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé. Peu après, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre Mohammed Diab Ibrahim al-Masri (« Mohammed Deif »), un dirigeant militaire du Hamas qui a été assassine par la suite.

Déjà durant cette période, les ministres des Affaires étrangères de l'UE auraient pu prendre des mesures concrètes, comme un examen de l'Accord d'association UE-Israël. Au lieu de cela, ils ont convoqué une réunion officielle du Conseil d'association UE-Israël avec leur homologue israélien, Gideon Saar.

Lors de cette réunion, tenue en février dans un contexte de cessez-le-feu fragile à Gaza, l'UE a déclaré que le gouvernement israélien devait prendre un certain nombre de mesures, notamment la mise en œuvre des décisions contraignantes de la CIJ afin de permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire à grande échelle dans toute la bande de Gaza, et la fin de la politique de colonisation illégale d'Israël en Cisjordanie. Les autorités israéliennes se sont toutefois abstenues de prendre de telles mesures ; à l’inverse, elles ont imposé un siège total à Gaza, et ont approuvé l’expansion des colonies en Cisjordanie.

Une conférence des Nations Unies sur une solution à deux États et la paix au Moyen-Orient, prévue du 17 au 20 juin, a été reportée en raison de la poursuite des hostilités entre Israël et l'Iran. Dans une lettre du 5 juin, Human Rights Watch a exhorté les États membres de l'UE à saisir l'occasion de cette conférence pour aller au-delà des affirmations répétées de soutien aux droits humains et au droit international ; les États devraient adopter des mesures concrètes – telles que la suspension des transferts d'armes et des accords bilatéraux, et l'interdiction du commerce avec les colonies – et assorties de délais afin de garantir leur mise en œuvre.

En réalité, à l'exception d'initiatives notables prises par certains États membres et de sanctions ciblées visant certains colons israéliens violents, l'action de l'UE a été largement paralysée par la réticence de la Commission européenne à agir. Certains pays – principalement la Hongrie, la République tchèque, l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche, mais aussi la Grèce, Chypre, la Croatie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie – ont aussi exprimé leur opposition à la prise de mesures fortes par l’UE, donnant ainsi aux autorités israéliennes un certain sentiment d'impunité.

L’actuel examen de l'Accord d'association UE-Israël est la mesure la plus proche que l'UE ait prise pour demander des comptes aux autorités israéliennes ; toutefois, cet examen n'aura que peu d'effet pratique s’il n’aboutit pas à la suspension du volet commercial de l’Accord, a déclaré Human Rights Watch.

« Depuis près de 21 mois, l'UE assiste à une escalade des atrocités contre les Palestiniens sans prendre aucune mesure concrète pour faire respecter le droit international », a conclu Claudio Francavilla. « L’examen et la suspension de l'Accord d'association UE-Israël permettraient à l'Union de démontrer la crédibilité de son engagement en faveur des droits humains et du droit international, et d'agir enfin pour répondre aux actes de génocide perpétrés par les autorités israéliennes. »

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