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L’UE devrait agir conformément aux décisions de la CIJ à l’égard d’Israël et de la Palestine

Des sanctions, des mesures commerciales et le soutien à la CPI sont essentiels pour se conformer au droit international

Publié dans: OpinioJuris
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, participait à une conférence de presse au siège de l'Union européenne à Bruxelles, le 22 mars 2024. © 2024 Nicolas Economou / NurPhoto via AP Photo

Certains gouvernements de l’Union européenne empêchent depuis longtemps l’UE de prendre des mesures pour remédier aux graves abus commis par le gouvernement israélien contre les habitants palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Une série de décisions récentes de la Cour internationale de justice (CIJ) rendent cette inaction intenable et met à l’épreuve l’engagement de l’UE et de ses États membres envers le droit international.

En juillet, la CIJ a rendu un avis consultatif sans précédent sur les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. La Cour a conclu qu’ Israël y pratiquait des formes de ségrégation raciale et d’apartheid contre les Palestiniens, citant diverses violations du droit international et abus commis par les autorités israéliennes. La Cour a évoqué le « caractère illégal » de l’occupation israélienne, et a établi des normes claires pour qu’Israël fournisse des réparations aux Palestiniens.

Depuis janvier, dans une affaire portée par l’Afrique du Sud, la CIJ a émis trois ordonnances (en janvier, en mars  et en mai) énumérant des mesures urgentes et contraignantes que les autorités israéliennes devraient prendre pour prévenir le risque de génocide dans leurs opérations militaires à Gaza. Toutefois, les autorités israéliennes ont largement bafoué ces ordonnances, par exemple en continuant d’utiliser la famine comme arme de guerre et en imposant des restrictions arbitraires et onéreuses à l’entrée et à la distribution de l’aide humanitaire dont Gaza a désespérément besoin.

Les ordonnances de la CIJ concordent avec les conclusions d’autres rapports au sujet de preuves de crimes graves commis par les autorités israéliennes ; il s’agit notamment de rapports publiés par le Secrétaire général des Nations Unies, par une commission d’enquête de l’ONU, par des experts de l’ONU, ainsi que par de nombreuses organisations non gouvernementales dont Human Rights Watch.

Les ordonnances de la CIJ sont également compatibles avec la requête déposée en mai dernier par le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), aux fins de délivrance de mandats d’arrêt visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant. Le Procureur de la CPI avait alors aussi demandé l’émission de mandats d’arrêt visant trois dirigeants du Hamas – Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim al-Masri (Mohammed Deif), et Ismail Haniyeh –  accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis le 7 octobre 2023 et par la suite. Depuis lors, Yahya Sinwar et Ismail Haniyeh ont été tués par les forces israéliennes.

L’UE, de manière unanime et à juste titre, a fermement condamné les crimes atroces perpétrés par le Hamas le 7 octobre, a mis en place des « mesures  restrictives » à l’encontre de ce groupe armé, et a soutenu les initiatives visant la libération des otages détenus par le Hamas. Toutefois, certains États membres de l’UE continuent d’empêcher l’Union de reconnaître, voire condamner les crimes de guerre et autres violations du droit international commis par le gouvernement israélien à Gaza, et de prendre des mesures plus décisives contre l’aggravation des abus en Cisjordanie.

Les efforts de longue date dans cette direction du chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, et de certains gouvernements de l’UE, en particulier l’Irlande, l’Espagne, la Belgique et la Slovénie, ont été contrariés par des pays comme la Hongrie, la République tchèque, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Ces gouvernements se sont souvent opposés ou ont opposé leur veto à toute action autre que celle consistant à sanctionner un petit nombre de colons israéliens violents en Cisjordanie, et ont mal réagi à la requête de mandats d’arrêt déposée par le Procureur de la CPI.

Le 18 septembre, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution qui était basée en grande partie sur l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024. Mais sur les 27 États membres de l’UE, seuls 13 États ont voté en faveur de la résolution ; 12 États se sont abstenus, et deux pays –  la Hongrie et la République tchèque – ont voté contre la résolution. Ces fauteurs de troubles font également partie des nombreux pays qui ont temporairement suspendu leur aide financière à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui fournit une aide vitale aux habitants de Gaza, malgré l’absence de preuves crédibles étayant toutes les allégations faites par les autorités israéliennes contre cette agence.

Cette attitude contraste fortement avec les efforts louables de l’UE pour garantir la responsabilité des crimes atroces commis ailleurs, comme en Ukraine, au Myanmar et en Syrie, et a donné lieu à des accusations bien fondées d’une approche « deux poids, deux mesures ». Les décisions de la CIJ rendent l’inaction de l’UE intenable, non seulement sur le plan moral mais aussi juridique.

Des discussions comprenant des listes d’options sur la manière dont l’UE devrait réagir aux hostilités à Gaza, et à l’égard de l’avis consultatif de la CIJ, ont eu lieu à Bruxelles et dans les capitales européennes. Il est clair cependant que ce ne sont pas les options qui manquent, mais la volonté politique.

L’avis consultatif de la CIJ de juillet établit des obligations claires pour les États membres de l’ONU. Il s’agit notamment de « faire une distinction » entre Israel et le Territoire palestinien occupé, de « ne pas entretenir […] de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire », et de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire », qui rassemble les lois de la guerre.

L’UE a régulièrement affirmé que « les colonies de peuplement [israéliennes] sont illégales au regard du droit international »Ainsi, la politique de l’UE en matière de relations commerciales avec Israël établit une « différenciation entre les produits originaires d'Israël et [ceux des] colonies », n’accordant un traitement tarifaire préférentiel qu’aux produits en provenance d’Israël, et non des colonies.

Mais cette différenciation ne suffit pas, en soi.

Selon l’avis consultatif émis par la CIJ le 19 juillet, les États membres de l’ONU ont « l’obligation […] de ne pas entretenir, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ». Les États doivent aussi « prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé ».

Le commerce avec les colonies contribue à les légitimer, à les maintenir et à les rendre rentables, et à consolider les graves violations des droits de l’homme qui sous-tendent l’entreprise de colonisation, telles que la confiscation des terres, l’exploitation des ressources naturelles, les déplacements, la violence et la discrimination contre la population locale.

Contrairement à une analyse attribuée au responsable juridique de la politique étrangère de l’UE, le respect des obligations de la Cour exige de remplacer la politique actuelle de différenciation de l’UE par une interdiction générale du commerce avec les colonies illégales – comme le demande une Initiative citoyenne européenne soutenue par des dizaines d’organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, et par un groupe multipartite de 30 députés européens. En attendant une action au niveau de l’UE, le gouvernement irlandais envisage de limiter les relations commerciales entre l’Irlande et les colonies israéliennes, de manière unilatérale.

Les États de l’UE devraient également réfléchir à la manière dont leur réticence, depuis des décennies, à dénoncer et à traiter de manière significative les très graves abus commis par les autorités et les colons israéliens a contribué à perpétuer ces abus et à ne pas remplir les obligations de garantir le respect par Israël du droit international telles qu’elles sont définies par la Cour. L’avis consultatif de la CIJ fait explicitement référence à la Quatrième Convention de Genève, qui concerne la protection des civils, et à laquelle tous les États de l’UE, ainsi qu’Israël, sont des États parties. La Cour a méticuleusement décrit comment les politiques israéliennes à l’égard des Palestiniens violent ses obligations liées à cette Convention.

L’UE dispose d’au moins six outils pour exercer une pression considérable sur les autorités israéliennes afin qu’elles respectent le droit international humanitaire, et elle devrait les utiliser.

1. L’UE devrait interdire le commerce avec les colonies illégales. Ce faisant, l’UE et ses États membres devraient également soutenir et utiliser la base de données de l’ONU sur les entreprises impliquées dans les territoires palestiniens occupés, qui pourrait être un outil essentiel pour aider les États à respecter leurs obligations de mettre fin à la complicité des entreprises dans les violations des droits qui sont inextricablement liées aux colonies israéliennes.

2. L’UE devrait réexaminer l’Accord d’association conclu avec Israël – ainsi que l’ont conjointement demandé les gouvernements espagnol et irlandais – en vue de le suspendre éventuellement, soit entièrement, soit en partie. Les conclusions de la CIJ prouvent de manière autoritaire que les gouvernements israéliens successifs ont gravement violé leurs obligations en matière de droits humains, dont le respect constitue un « élément essentiel » de cet accord.

3. Les gouvernements de l’UE devraient suspendre leurs transferts d’armes vers Israël, compte tenu du risque réel que ces armes soient utilisées pour commettre de graves abus, et conformément à la Position commune du Conseil de l’UE régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires.

4. L’UE devrait adopter des sanctions ciblées contre les responsables israéliens responsables des crimes de guerre et des violations graves du droit international humanitaire et des droits humains à Gaza et en Cisjordanie. Compte tenu de la réticence persistante et forte de certains États membres, il est remarquable que l’UE ait atteint l’unanimité requise pour adopter des sanctions contre certains colons responsables d’abus. Pourtant, ces désignations n’incluent pas les responsables israéliens et ne concernent que les abus en Cisjordanie. En fait, les 27 États membres de l’UE n’ont même pas encore reconnu les crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire commis par les autorités israéliennes à Gaza, ainsi que l’apartheid contre les Palestiniens dans les territoires occupés.

5. En tant qu’États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, les États membres de l’UE devraient s’abstenir d’attaquer ou de remettre en question l’indépendance de la Cour, et devraient plutôt protéger la CPI face aux menaces ou tactiques d’intimidation employées par le gouvernement israélien et potentiellement par le gouvernement américain. En tant que pays membres de la CPI, tous les États de l’UE ont des obligations clairement définies, dont « la pleine coopération des pays tiers avec la CPI, notamment l’exécution rapide des mandats d’arrêt ». Les États parties au Statut de Rome doivent éviter les « contacts non essentiels » avec les individus visés par un mandat d’arrêt délivré par la CPI.

6. Enfin, l’UE devrait également donner suite aux déclarations claires de la CIJ sur les réparations qu’Israël doit aux Palestiniens pour des décennies de violations du droit international humanitaire à leur encontre. L’UE et les États membres devraient soutenir et contribuer à la mise en place d’un mécanisme international de réparations et du registre international des dommages réclamés par la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Human Rights Watch et de nombreuses autres organisations (dont Amnesty International et la FIDH) ont exhorté l’UE à adopter de telles mesures, mais en vain jusqu’à présent.

Toute modification de la politique étrangère de l’UE à l’égard d’Israël exigerait un vote à l’unanimité, ce qui représente un obstacle considérable ; mais une suspension provisoire de l’Accord d’association UE-Israël n’exigerait qu’une « majorité qualifiée ». Par ailleurs, les États membres de l’ONU peuvent prendre des décisions indépendantes et de manière unilatérale, quant à leurs propres exportations d’armes au niveau national, leurs votes à l’ONU ou leur soutien à la CPI.

Depuis des décennies, l’UE a émis à l’égard d’Israël des déclarations trop faibles pour empêcher l’intensification des graves violations contre les Palestiniens et l’expansion des colonies israéliennes illégales, ou pour éviter le risque d’autres crimes graves alors le conflit se propage ailleurs au Moyen-Orient. Les ordonnances et avis de la Cour internationale de justice exigent désormais que l’UE et à ses États membres aillent au-delà des paroles et agissent pour se conformer au droit international, mais aussi pour préserver leur propre crédibilité.

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