Skip to main content
Faire un don

Nord-est de la Syrie : Les détenus des camps confrontés à un avenir incertain

Des conditions désastreuses, des rapatriements bloqués, un gel des financements américains alimentent l'instabilité

Le camp d'al-Hol, géré par les Kurdes, qui accueille des membres des familles de combattants présumés du groupe État islamique, dans le gouvernorat d'Hasakeh, au nord-est de la Syrie, le 2 août 2021.  © 2021 Delil Souleiman/Getty Images

Des dizaines de milliers de personnes sont toujours retenues dans des conditions mettant leur vie en danger dans les camps d'al-Hol et de Roj, dans le nord-est de la Syrie, alors que les hostilités ont repris deux mois après la chute du gouvernement de Bachar al-Assad, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. La suspension de l'aide étrangère du gouvernement américain aux organisations non gouvernementales opérant dans ces camps exacerbe des conditions de vie dangereuses, risquant de déstabiliser davantage une situation sécuritaire déjà précaire.

Tous les gouvernements devraient rapatrier d'urgence leurs ressortissants détenus arbitrairement dans le nord-est de la Syrie. En attendant leur rapatriement, toutes les parties au conflit ainsi que le gouvernement intérimaire syrien devraient coopérer pour assurer la sécurité des camps et des prisons abritant des suspects de l'État islamique (EI) et leurs familles et prendre des mesures urgentes pour y améliorer les conditions de vie désastreuses. Tout compromis politique dans la région devrait inclure la fin de la détention arbitraire des personnes ayant des liens présumés avec l'EI et de leurs familles et garantir un procès équitable aux personnes accusées d'abus et de crimes.

« Les personnes détenues illégalement dans les camps d'al-Hol et de Roj ne devraient pas être abandonnées à leur sort indéfiniment », a déclaré Hiba Zayadin, chercheuse senior sur le Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Leur situation désastreuse doit être prise en compte dans les discussions sur l'avenir de la Syrie et la fragilité de la situation devrait pousser les pays à rapatrier leurs ressortissants avec encore plus d'urgence. »

Les camps d'al-Hol et de Roj, administrés par l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie (AANES) dirigée par les Kurdes, l'aile civile des Forces démocratiques syriennes (FDS), abritent environ 42 500 personnes, principalement les épouses, d'autres proches féminines adultes et les enfants de suspects de l'EI. Environ 18 000 sont des étrangers, dont des femmes et des enfants de plus de 60 pays.

Les détenus sont détenus arbitrairement dans des conditions inhumaines, dégradantes et mettant leur vie en danger depuis six ans, lorsqu'ils ont été rassemblés lors de la chute du « califat » de l'État islamique. Les détenus étrangers n'ont jamais été traduits en justice, ce qui rend leur détention arbitraire et illégale, ainsi qu'indéfinie. Plus de 9 000 personnes détenues, originaires de plus de 50 pays et soupçonnées d'appartenir à l'EI, sont également toujours détenues dans des centres de détention surveillés par les FDS dans le nord-est de la Syrie.

Des travailleurs humanitaires internationaux ont déclaré à Human Rights Watch que le gel des financements américains limiterait la fourniture de services essentiels aux résidents des camps.

« Des impacts immédiats et significatifs [de la suspension des financements] se font sentir dans la réponse humanitaire », a déclaré à Human Rights Watch un responsable de l'intervention humanitaire dans le nord-est de la Syrie. Les ordres d'arrêt de travail ont laissé les organisations dans l'incertitude quant à la manière de procéder pour la livraison de biens essentiels, tels que le kérosène et l'eau, exacerbant encore les pénuries préexistantes. « La réponse humanitaire au nord-est de la Syrie aura du mal à se maintenir si le Bureau de l'aide humanitaire n'est pas exempté [du gel des financements] ou s'il ne reçoit pas de dérogation de Washington, DC de toute urgence », a ajouté le travailleur humanitaire.

Blumont, l'organisation responsable de la gestion des camps d'Al Hol et de Roj, a reçu un ordre d'arrêt de travail du Bureau de la population, des réfugiés et des migrations du Département d'État américain dans la soirée du 24 janvier, a affirmé l'agent humanitaire. Blumont a suspendu ses activités et retiré tout le personnel de gestion des camps, notamment des gardes chargés de sécuriser les sites, les services, les installations et les stocks des entrepôts pour les organisations non-gouvernementales. En conséquence, plusieurs autres organisations ont interrompu toutes leurs activités dans les camps.

Le 28 janvier, le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a émis une dérogation pour « l'aide humanitaire vitale ». Le même jour, le gouvernement américain a accordé à l'organisation une exemption de deux semaines au gel des financements, lui permettant de reprendre ses activités. « Mais cette dérogation n'est qu'un compte à rebours jusqu'à ce que nous nous retrouvions exactement dans la même situation, et les problèmes restent de manière générale les mêmes qu'avant l'entrée en vigueur de la dérogation », a déclaré l'employé humanitaire.

Le secrétaire d'État Marco Rubio devrait continuer à fournir l'aide américaine aux organisations qui fournissent une assistance vitale dans le nord-est de la Syrie.

Les hostilités dans le nord-est de la Syrie se sont intensifiées entre l'armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie et les FDS depuis le renversement du gouvernement d'al-Assad le 8 décembre 2024. Ce conflit a gravement affecté la sécurité régionale et aggravé les conditions humanitaires, avec plus de 100 000 civils déplacés vers les zones gouvernées par les AANES.

Les FDS ont fait part à plusieurs reprises de leur inquiétude quant aux risques sécuritaires posés par les camps et ont mis en garde contre une résurgence de l'EI après la chute du gouvernement d'Assad. Dans une interview accordée à Sky News, le général Abdi Mazloum, commandant en chef des FDS, a déclaré que les affrontements militaires en cours avec la Turquie et l'ANS ont détourné les ressources des FDS, laissant moins de forces disponibles pour assurer la sécurité dans les camps.

Environ deux tiers des personnes présentes dans les camps sont des enfants, la plupart bien trop jeunes pour avoir joué un rôle actif au sein de l'EI. Beaucoup sont nés dans les camps.

Les initiatives de rapatriement restent sporadiques et insuffisants. Depuis 2019, environ 36 pays ont accepté le retour de leurs citoyens. L'Irak a rapatrié plus de 10 000 citoyens, tandis que tous les autres pays réunis en ont rapatrié environ 3 365, dont 2 200 enfants.

Cependant, d'autres pays, notamment en Europe, ont été réticents ou ont carrément refusé de rapatrier leurs ressortissants. D'autres ont retiré la nationalité à des membres présumés de l'EI, les rendant apatrides.

Le gouvernement australien a rapatrié 24 citoyens, mais a bloqué le rapatriement des autres. En 2023, un juge de la Cour fédérale a rejeté une demande de l'organisation humanitaire Save the Children qui cherchait à contraindre le gouvernement australien à rapatrier 20 enfants et 11 femmes australiens des camps.

Des recherches menées par Human Rights Watch ont révélé que de nombreux enfants détenus dans les camps qui ont ensuite été rapatriés ou renvoyés dans leur pays se réintègrent avec succès.

Les gouvernements invoquent souvent des préoccupations sécuritaires et des pressions politiques nationales pour justifier leur inaction, bien que les experts en sécurité affirment que des rapatriements organisés sont préférables tant du point de vue des droits humains que de la sécurité. Les États-Unis ont facilité certains rapatriements, mais leurs appels à une action internationale plus large sont restés largement lettre morte.

Le 13 janvier, le plus haut responsable français du renseignement extérieur, Nicolas Lerner, qui dirige la Direction générale de la sécurité extérieure, a déclaré au Monde que la France restait déterminée à cibler les membres de l'EI dans le cadre des efforts de la coalition internationale. Lerner n'a pas mentionné le rapatriement potentiel des ressortissants français, bien que le Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant, la Cour européenne des droits de l'homme et le Comité des Nations Unies contre la torture aient jugé que la France violait les lois sur les droits humains en ne rapatriant pas les femmes et les enfants détenus dans le nord-est de la Syrie.

Le sort de ceux qui seraient affiliés à l'EI, que ce soit dans les camps ou dans les prisons gérées par les FDS, devrait être au cœur des discussions sur l'avenir de la Syrie. Prolonger leur détention sans procédure régulière est non seulement illégal, mais également intenable, a déclaré Human Rights Watch.

La détention illimitée par l'AANES d'étrangers sans leur donner la possibilité de contester la légalité et la nécessité de leur enfermement est arbitraire et illégale. La détention généralisée des membres des familles des suspects de l'EI constitue une punition collective, un crime de guerre.

La détention de personnes sans procédure régulière et dans des conditions inhumaines ou dégradantes, telles que celles qui règnent dans les camps et les prisons du nord-est de la Syrie, est strictement interdite par le droit international des droits humains et les lois de la guerre. Les pays doivent remplir leurs obligations en vertu du droit international en rapatriant leurs ressortissants, en poursuivant les responsables de crimes et en apportant un soutien à la réintégration.

Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment la résolution 2396 de 2017, soulignent l'importance d'aider les femmes et les enfants associés à des groupes tels que l’EI qui peuvent eux-mêmes être victimes du terrorisme, notamment par la réhabilitation et la réintégration.

« Sans des mesures urgentes, les conditions désastreuses dans les camps d'al-Hol et de Roj ne feront qu'empirer, alimentant l'instabilité dans la région et au-delà », a déclaré Hiba Zayadin. « Des milliers de vies, dont beaucoup d'enfants, sont en jeu, et le statu quo indéfendable des six dernières années ne doit pas perdurer. »

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.