(Sydney, le 2 mars 2024) – Un jeune Australien contraint, enfant, à vivre sous l'État islamique (EI), et que l’on croyait mort alors qu'il était illégalement détenu par des forces anti-EI, semble être vivant et se trouver dans une prison du nord-est de la Syrie, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le gouvernement australien devrait prendre des mesures immédiates pour confirmer si le jeune homme est bien Yusuf Zahab, et le rapatrier.
Lors d'une interview enregistrée le 25 février 2024 et diffusée par la suite dans les médias australiens, le jeune homme a affirmé être Yusuf Zahab, né à Sydney et porté disparu en janvier 2022 lors d'une bataille entre l'État islamique et les forces dirigées par les Kurdes et soutenues par les États-Unis et le Royaume-Uni, et qu’il se trouvait dans une prison d'Al-Hasakeh, dans le nord-est de la Syrie. Un membre de sa famille a déclaré à Human Rights Watch que ses proches « n’ont aucun doute » sur le fait que le jeune homme dans la vidéo est bien Yusuf Zahab.
« La bonne nouvelle selon laquelle Yusuf Zahab semble avoir été retrouvé vivant est atténuée par l'incapacité apparente du gouvernement australien à le localiser pendant deux longues années », a déclaré Letta Tayler, directrice adjointe de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les autorités australiennes devraient rapidement confirmer si cet homme est bien Yusuf Zahab, et relancer leurs efforts pour rapatrier tous les Australiens encore détenus dans le nord-est de la Syrie. »
Le membre de sa famille a déclaré que l’interview enregistrée sur vidéo avait suscité « toutes sortes » d’émotions. « Au début, nous étions fous de joie, mais ensuite on passe de la pure joie au chagrin puis à la colère. Et puis vous pensez, OK maintenant nous savons où il est, que faisons-nous à partir de ce moment, et vous réalisez que vous avez tellement de questions et que personne ne vous donne de réponses. »
Des membres de la famille en Australie ont déclaré que Zahab avait été emmené en Syrie début 2015, alors qu'il avait 11 ans, par des membres de la famille adultes pour y vivre sous le règne de l'État islamique. Une force régionale majoritairement kurde, soutenue par une coalition internationale dirigée par les États-Unis et comprenant l’Australie, l’a capturé ainsi que les membres de sa famille début 2019, lors de la chute du soi-disant califat de l’État islamique.
Ces forces ont séparé Zahab de sa famille et l'ont détenu dans une prison extrêmement surpeuplée à al-Hasakeh, où se trouvaient des milliers d'hommes étrangers soupçonnés de liens avec l'État islamique. Les prisonniers étaient détenus au secret, manquaient de nourriture, d'eau et de soins médicaux adéquats, et n'avaient aucun moyen de contester la légalité ou la nécessité de leur détention. En 2021, la famille a appris que Zahab avait contracté la tuberculose, qui sévissait dans la prison.
Par le biais de messages vocaux désespérés adressés à Human Rights Watch en janvier 2022, Zahab a demandé de l’aide, affirmant qu’il avait été blessé à la tête et à un bras alors que l’État islamique et les forces dirigées par les Kurdes se battaient pour le contrôle de la prison. Environ 500 détenus, combattants des deux camps, et gardiens ont été tués au cours de la bataille, déclenchée par la prise de contrôle de la prison par l'État islamique. Les autorités régionales n'ont jamais répondu aux questions sur le nombre de morts, de blessés et de disparus, ni sur combien d'entre eux étaient des enfants.
Depuis les combats dans la prison, des récits contradictoires sont apparus concernant le sort de Zahab. En juillet 2022, des membres de la famille ont annoncé la mort de Zahab et ont organisé une cérémonie commémorative en son honneur. Human Rights Watch avait également rapporté à ce moment-là qu'il était mort, sur la base d'informations provenant de membres de sa famille et de sources proches des autorités du nord-est de la Syrie. En août 2023, une vidéo a été diffusée montrant un détenu dans le nord-est de la Syrie dont les membres de sa famille pensaient qu’il était Zahab, datant apparemment de septembre 2022, mais ses proches n'ont reçu aucune preuve qu'il était toujours en vie. Human Rights Watch et d’autres ont également reçu des informations isolées de seconde main selon lesquelles il avait été vu en détention depuis la bataille de la prison de 2022.
Ni le gouvernement australien ni les autorités kurdes gouvernant le nord-est de la Syrie n'ont fait de commentaires sur la question de savoir si Zahab était vivant ou mort, malgré les demandes répétées des représentants des Nations Unies, de Human Rights Watch et des médias.
Dans l'interview du 25 février sur la chaîne australienne SBS, un jeune homme à l'accent australien s'identifie comme étant Zahab. Un article de SBS accompagnant la brève vidéo de l’interview indiquait que l'homme était âgé d’un peu plus de vingt ans. S'exprimant depuis un lieu non divulgué qui, selon le reportage, se trouve dans le nord-est de la Syrie, l'homme déclare au journaliste de SBS Dateline, Colin Cosier, qu'il a été emmené par des membres de sa famille plus âgés depuis l'Australie jusqu’en Syrie en 2015, après des vacances au Liban et en Turquie. Il a affirmé qu’il n’avait aucune idée que ses proches se rendaient en Syrie jusqu’à ce qu’ils franchissent la frontière.
« J'ai vécu beaucoup de choses, la plupart mauvaises », a déclaré le jeune homme, la voix brisée. « Je souhaite retourner en Australie. Je souhaite retourner à la vie normale que j'avais il y a 10 ans. Je souhaite revoir ma famille. … Je pense à eux jour et nuit. »
Le gouvernement australien a déclaré à SBS qu'il ne pouvait pas faire de commentaire sur son reportage pour des raisons de confidentialité, mais que les autorités fournissaient une assistance consulaire à la famille d'un homme actuellement détenu en Syrie. Le membre de famille proche a indiqué à Human Rights Watch que des proches sont en contact avec le ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce mais ne reçoivent aucune assistance consulaire et qu’il n’y a « aucun échange d’informations ». À leur connaissance, a ajouté ce membre de la famille, les autorités australiennes n’avaient pas rendu visite à Zahab depuis 2019. À cette époque, ils avaient promis de revenir.
Des dizaines de milliers de Syriens et d'étrangers originaires de près de 60 pays, dont une quarantaine de femmes et d’enfants australiens et plusieurs hommes australiens, entament une sixième année de détention illégale dans des conditions désastreuses et souvent mortelles dans des camps et des prisons pour les suspects de l'EI ainsi que des membres de leur famille dans le nord-est de la Syrie. La majorité sont des enfants, et aucun des étrangers n'a été inculpé localement ni n'a de moyen de contester la nécessité et la légalité de sa détention.
Le gouvernement australien a rapatrié 24 citoyens mais a tardé à ramener les autres. En 2023, un juge de la Cour fédérale a rejeté une demande de l’organisation humanitaire Save the Children qui visait à contraindre le gouvernement australien à rapatrier 20 enfants australiens et 11 femmes depuis les camps.
Les recherches menées par Human Rights Watch et Fionnuala Ní Aoláin, alors Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le respect des droits humains dans la lutte contre le terrorisme, ont révélé que les autorités du nord-est de la Syrie séparent régulièrement les garçons étrangers de leurs mères dans les camps lorsqu'ils approchent de l'adolescence, et les placent dans des « centres de réadaptation » verrouillés. Dans bon nombre de cas, les garçons de cet âge sont transférés de force de ces centres vers des prisons pour adultes qui détiennent également des jeunes hommes capturés alors qu'ils étaient des garçons.
Human Rights Watch et l'experte de l'ONU se sont entretenus avec des garçons et des mères dans les camps qui ont été gravement traumatisés par les séparations. Séparer des garçons de leur mère sans qu'un expert ait déterminé que la séparation est dans le meilleur intérêt de l'enfant constitue une grave violation de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cela peut également entraver les efforts déclarés des autorités visant à « réadapter » ces enfants.
Deux garçons australiens vivant dans les camps approchent de l'adolescence, ont indiqué des membres de leur famille. Les familles des garçons craignent qu’ils soient également transférés de force dans des centres de réhabilitation et dans des prisons pour adultes.
Human Rights Watch a fait pression à plusieurs reprises sur l'Australie et sur d'autres gouvernements pour qu'ils rapatrient leurs ressortissants détenus illégalement et indéfiniment dans le nord-est de la Syrie à des fins de réadaptation, de réintégration et de poursuites contre des adultes, le cas échéant.
« Le cas de Yusuf Zahab met en lumière les horreurs des détentions massives et indéfinies de suspects de l’EI et de leurs familles dans le nord-est de la Syrie », a conclu Letta Tayler. « L’Australie et tous les autres gouvernements devraient rapatrier leurs citoyens maintenant et poursuivre les adultes le cas échéant, avant que d’autres ne meurent ou ne disparaissent. »